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Corinne Deloy,
Fondation Robert Schuman
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ENCorinne Deloy
Fondation Robert Schuman
Dimanche 10 juillet, le Luxembourg est devenu le treizième Etat membre (et le troisième Etat fondateur de l'Union) à ratifier le traité établissant une Constitution pour l'Europe en votant à 56,52% en faveur du texte. 43,48% des électeurs se sont prononcés contre la ratification. Le Luxembourg est donc le deuxième pays à ratifier la Constitution européenne par référendum après l'Espagne qui avait largement (76,73% de « oui ») approuvé le texte le 20 février dernier. Le 29 mai, les Français avaient rejeté le traité (54,67% de « non ») imités par les Néerlandais le 1er juin (61,6% de « non »).
Neuf communes du Grand Duché sur cent dix-huit ont voté « oui » à plus de 65%, le record appartenant à Strassen (68,31%), suivie de Kopstal (67,24%) et Schieren (66,97%). Neuf autres ont rejeté la Constitution européenne. Il s'agit de sept communes de l'ancien bassin minier et industriel, situées le long de la frontière française - (Differlange (40,83% de « oui »), Rumelange (43,52%), la deuxième ville du pays et fief de l'opposition de gauche, Esch-sur-Alzette (46,76%), Kayl (47,23%), Sanem (47,33%), Pétange (47,11%) et Schifflange (47,41%) - ainsi que de deux communes du centre du pays accueillant des centres pour réfugiés : Esch-sur-Sûre (41,84%) et Beaufort (49,35%).
Le vote est obligatoire au Luxembourg. Sur les 220 717 électeurs inscrits, 98,18% d'entre eux se sont rendus aux urnes. 11 201 avaient choisi de voter par correspondance et 5 894 ont déposé dans l'urne un bulletin blanc ou nul.
« Ce scrutin était attendu et les Luxembourgeois ont répondu présents » s'est réjoui le Président de la Commission européenne, Juan Manuel Durao Barroso. « C'est un signal fort car cela signifie qu'une majorité des Etats membres considère que le traité constitutionnel répond à leurs attentes en ouvrant la voie à une Europe plus démocratique, plus transparente, plus efficace et plus forte sur la scène mondiale » a-t-il ajouté. De nombreux leaders européens ont également salué le vote du Grand Duché. « Le peuple luxembourgeois peut être fier du résultat positif de ce référendum. Le « oui » à la Constitution européenne est aussi une déclaration d'adhésion à l'Europe au moment où l'Union est dans une passe difficile » a déclaré le chancelier allemand Gerhard Schröder ajoutant qu'il s'agissait d'un encouragement à « surmonter rapidement la crise ». Pour Martin Schulz, le chef du groupe du Parti socialiste européen (PSE) au Parlement de Strasbourg, les Luxembourgeois ont donné à l'Europe « une nouvelle chance pour le processus de ratification ».
« Le Luxembourg a voté dans la clarté. Le Luxembourg a dit « oui » au traité constitutionnel. Vous comprendrez que je m'en félicite. C'est l'expression du suffrage universel d'un petit peuple, d'un petit pays, mais d'une grande nation, et par conséquent il revient à ce scrutin luxembourgeois toute l'importance qui fut accordée à l'expression de la volonté majoritaire des Français et des Néerlandais » a souligné le Premier ministre luxembourgeois, Jean-Claude Juncker (Parti chrétien social, PCS/CVS), pour qui ce vote positif permet de garder la Constitution « à l'ordre du jour de l'Union ». Il s'agit indéniablement d'une nouvelle victoire pour le Premier ministre après sa réélection à la tête de l'Etat le 13 juin 2004 et la victoire de sa formation le même jour aux élections européennes. Jean-Claude Juncker avait mis tout son poids et sa popularité dans la balance pour ce référendum, annonçant qu'il démissionnerait de ses fonctions en cas de victoire du « non », une annonce que les partisans du « non » avaient dénoncé comme un chantage inadmissible. « Je suis heureux d'être le Premier ministre luxembourgeois et de pouvoir le rester » a-t-il affirmé à l'issue de l'annonce des résultats.
Les Luxembourgeois ont donc une fois encore majoritairement écouté leur Premier ministre -«Je veux que la France et les Pays-Bas restent les seuls à avoir dit « non »» avait-il répété durant la campagne électorale- qui les enjoignait de se « réconcilier avec ce que nous avons contribué à construire dans le passé et ce que nous voulons préserver dans l'avenir». Le Grand Duché doit en effet à l'Europe d'être devenu une nation prospère, ses quatre cent cinquante mille habitants représentant le peuple le plus riche de l'Union. « Rien de ce qui est européen ne doit nous être étranger » aime à répéter Jean-Claude Juncker.
L'ensemble des syndicats (la Confédération des syndicats chrétiens du Luxembourg, le LCGB, et la Confédération syndicale indépendante du Luxembourg, l'OGBL) et la quasi-totalité des formations politiques représentées à la Chambre des députés –le Parti chrétien social (PCS/CVS), le Parti socialiste ouvrier (POSL/LSAP), le Parti démocratique (PD/DP) et Dei Greng-Les Verts (G)- sont favorables à la Constitution européenne. Seule l'Action pour la démocratie et la justice en matière de rentes (ADR) est opposée au texte. Les quatre formations ont mobilisé durant les dernières semaines de la campagne l'ensemble de leurs forces et rencontré la population à de multiples reprises. « Mon pays ne pourra pas être le «sauveur» du traité constitutionnel européen. Mais nous ferons tout pour ne pas être son croque-mort » déclarait encore le ministre des Affaires étrangères du Grand Duché Jean Asselborn (POSL/LSAP) quelques jours avant le référendum.
Les opposants au traité ont exprimé, au Luxembourg comme ailleurs, des craintes devant le dernier élargissement et une éventuelle adhésion de la Turquie. Certains ont également manifesté leurs inquiétudes quant à l'avenir de leur langue (le Lëtzebuergesch qui ne fait pas partie des langues officielles de l'Union européenne) et de leur identité (le pays compte 277 400 citoyens, 38,6% des résidents étant des étrangers, principalement des Portugais, des Français, des Italiens et des Belges). Les partisans du « non » ont fait campagne sur la remise en cause par la Constitution européenne des services publics et des acquis sociaux tels que la couverture sociale universelle ou l'indexation automatique des salaires sur l'inflation.
Le Comité du « non », qui regroupait des militants de deux formations politiques non représentées à la Chambre des députés, le Parti communiste (PCL/KPL), présidé par Aly Rickert, et Dei Lenk-La Gauche (DL) ainsi que des associations issues du mouvement social, peut cependant se féliciter d'avoir obligé les formations politiques à une véritable campagne de terrain, chose inhabituelle dans le Grand Duché. « Nous étions partis de 20% de non il y a quelques semaines et nous voilà à 43% des suffrages. Ce résultat est une bonne base pour continuer notre engagement pour une autre Europe, une Europe plus sociale » a souligné André Kremer, coordinateur du Comité du « non ». Adrien Thomas, responsable du syndicat étudiant Unel, déclarait : «Un résultat de 40 % serait déjà une victoire sur les élites et les appareils».
« Le vote a montré une coupure du Luxembourg en deux et nous devons tenter de reconquérir les 43% de Luxembourgeois qui ont rejeté le traité» a déclaré le député Ben Fayot, président du groupe du Parti socialiste ouvrier à la Chambre des députés, estimant que sa formation devra faire « un important travail pédagogique pour expliquer aux partisans du « non » les avantages de l'appartenance du Luxembourg à l'Union européenne». « Sans l'effet Juncker qui a su mobiliser l'électorat pour le « oui », le « non » l'aurait probablement emporté » a souligné Erna Hennicot-Schoepges, députée du Parti chrétien social au Parlement européen et ancienne présidente de la formation. « La classe politique luxembourgeoise a l'obligation de discuter de certaines choses et de donner plus d'explications concrètes sur l'Europe» a t-elle ajouté, évoquant par exemple le nécessaire découplage des élections législatives d'avec les élections européennes, organisées depuis 1979 le même jour au Luxembourg. De même, le ministre des Affaires étrangères, Jean Asselborn (POSL/LSAP) a tenu à affirmer à l'issue des résultats qu'il avait entendu le peuple luxembourgeois : « L'Europe n'a aucune chance d'être comprise si la substance de sa politique n'est pas comprise par tous, tous les Luxembourgeois aussi qui sont des gens très sensibles. L'insécurité sociale doit être combattue dans chaque décision .
Les arguments des partisans du « non » concernant la « dérive libérale » de l'Europe ont trouvé un certain écho, notamment auprès des ouvriers et des jeunes. « Ces deux catégories ressentent la montée du chômage, qui a doublé en cinq ans pour frôler les 5 %, et le sentiment de précarité qui en découle, bien que le modèle luxembourgeois reste très performant » analyse Philippe Poirier, politologue à l'université du Luxembourg.
La victoire du « non » aurait entraîné une grave crise politique dans le Grand Duché mais également en Europe où elle aurait probablement signé la mort de la Constitution. La victoire du « oui » rend possible d'envisager une nouvelle consultation des peuples qui se seraient prononcés contre le traité sur le même texte ou un texte modifié. « Si renégociation il devait y avoir, ce que j'exclus pour le moment, les pays qui auront dit « oui » partiront avec dans leurs bagages des arguments renforcés par le suffrage universel » a affirmé Jean-Claude Juncker en se rendant aux urnes. « Le message qui émerge et qui s'adresse à l'Europe et au monde, c'est que la Constitution n'est pas morte après les votes en France et aux Pays-Bas. Si le Luxembourg avait voté « non », l'Europe serait dans une crise ultra-grave. Avec ce vote, nous sommes toujours dans une crise, mais dans une crise qui laisse pointer à l'horizon des éléments d'optimisme » a t-il déclaré. « C'est un résultat qui permet de garder le traité à l'ordre du jour de l'Union européenne. Ceux qui croient dans le projet vont retrouver de l'oxygène » a estimé Jean-Claude Juncker.
Le 28 juin, la Chambre des députés avait approuvé à l'unanimité en première lecture le traité établissant une Constitution pour l'Europe. Les cinquante-cinq députés présents avaient voté en faveur du texte, les cinq élus de l'Action pour la démocratie et la justice en matière de rentes (ADR), opposés au traité européen, n'ayant pas pris part au vote. Après le « oui » des Luxembourgeois (les députés s'étaient engagés à respecter la décision du peuple), les députés doivent se prononcer une deuxième fois pour que la ratification de la Constitution européenne soit effective. Leur vote n'aura cependant pas lieu avant le 28 septembre, l'article 59 de la Constitution du Grand Duché stipulant un délai obligatoire de trois mois entre les deux votes de la Chambre.
résultats du référendum sur la ratification de la constitution européenne
participation : 98,18% (le vote est obligatoire au luxembourg)
source : gouvernement luxembourgeois
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