Analyse
Élections en Europe
Corinne Deloy
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Corinne Deloy
Les Polonais sont appelés aux urnes pour élire le successeur d’Andrzej Duda (Droit et justice, PiS) à la présidence de la République. Ce dernier, qui a effectué deux mandats, ne peut pas se représenter. Si aucun candidat n’est élu le 18 mai, un 2e tour de scrutin aura lieu deux semaines plus tard, le 1er juin, entre les deux candidats arrivés en tête du 1er tour.
Cette élection présidentielle pourrait signer la fin du règne du PiS. Si le parti a perdu le pouvoir à la suite du scrutin législatif du 15 octobre 2023 qui a vu la victoire de la Coalition citoyenne emmenée par la Plateforme citoyenne (PO) de Donald Tusk, il conservait la présidence de la République, qui constitue son dernier bastion. La Coalition civique s'est aussi imposée (avec 37,06% des suffrages et 21 sièges de députés au parlement de Strasbourg) lors des dernières élections européennes du 9 juin 2024. La Droite unie, alliance de droite emmenée par le PiS, avait pris la 2e place avec 36,16% et 20 élus.
La Pologne vit actuellement une période de cohabitation difficile entre le président de la République Andrzej Duda et le Premier ministre Donald Tusk. Ce dernier répète que la présence d’Andrzej Duda à la tête de l’Etat l’empêche de mettre en œuvre les réformes qu’il a promises durant sa campagne électorale. Rappelons que chaque loi adoptée par le parlement est, en Pologne, soumise à l'approbation du président de la République qui possède un droit de veto que la Diète, Chambre basse du parlement, peut toutefois rejeter mais à la majorité des 3/5e des voix lors d’un vote qui doit intervenir en présence d'au moins la moitié des députés. Cependant, la majorité actuelle ne dispose pas des suffrages suffisants pour passer outre un veto présidentiel.
Andrzej Duda a apposé son veto à 4 lois (dont celle donnant libre accès à la pilule du lendemain ou encore celle reconnaissant le silésien comme langue d’une des minorités du pays) et il a saisi le tribunal constitutionnel pour 74 autres. Le chef de l’Etat a également fait obstacle à plusieurs nominations administratives qui avaient besoin de son accord pour être validées.
Si le PiS souhaiterait que le scrutin présidentiel constitue un référendum sur le gouvernement de Donald Tusk, le Premier ministre souhaite en faire un référendum sur l’administration précédente, soit les 8 ans de pouvoir du PiS. « Soit Droit et justice se retrouvera sur une route qui le reconduira au pouvoir, soit ce sera la fin de Droit et justice tel que nous le connaissons » a déclaré Andrzej Bobinski, directeur du think tank Polityka. « Ce qui est en jeu, c’est ce qui adviendra du gouvernement Donald Tusk et combien de temps il pourra continuer à diriger la Pologne » a indiqué Aleks Szczerbiak, professeur de science politique de l’université de Sussex.
Il est clair qu’une victoire de Karol Tadeusz Nawrocki, le candidat soutenu par le PiS, constituerait un obstacle majeur pour Donald Tusk.
Le 2e mandat d’Andrzej Duda s'achèvera le 6 août prochain.
Les candidats
13 personnes sont candidates à la présidence de la République :
- Rafal Kazimierz Trzaskowski (Plateforme citoyenne, PO), maire de Varsovie depuis 2018 et ancien ministre de l’Administration et du Numérique (2013-2014). Il est également soutenu par Solidarité, le plus important syndicat ;
- Karol Tadeusz Nawrocki, soutenu par le principal parti d’opposition, Droit et Justice (PiS). Ancien directeur du musée de la Deuxième Guerre mondiale, il est actuellement à la tête de l’institut de la mémoire nationale (IPN) chargé de poursuivre les crimes nazis et soviétiques perpétrés contre les Polonais ;
- Slawomir Jerzy Mentzen, président du parti libertarien Nouvel espoir (NN), député. Il est le candidat de Confédération (K), une alliance d’extrême droite qui regroupe son parti et le Mouvement national (RN), parti ultranationaliste de Krzysztof Bosak ;
- Szymon Franciszek Holownia, président du parti centriste Pologne 2050 (PL2050), député ;
- Magdalena Agnieszka Biejat (indépendante), sénatrice. Elle est soutenue par l’alliance La gauche (L), qui regroupe Nouvelle gauche (NL), le Parti socialiste (PPS) et l’Union travailliste (UP) ;
- Joanna Senyszyn (indépendante), soutenue par l’Association de la gauche démocratique (SLD), ancienne députée (2001-2009 et 2019-2023) et ancienne députée européenne (2009-2014) ;
- Maciej Maciak, fondateur et dirigeant du Mouvement pour la prospérité et la paix (RDiP), journaliste ;
- Grzegorz Michal Braun, président du parti monarchiste d’extrême droite, la Confédération de la croix (KKP), député européen ;
- Artur Bartoszewicz (indépendant), chargé de cours à l’Ecole d'économie de Varsovie ;
- Marek Jakubiak, président du parti de droite Fédération pour la République (FdR), député ;
- Marek Marian Woch, dirigeant des Militants non partisans des collectivités locales (BS)
- Adrian Tadeusz Zandberg (Ensemble, razem), député ;
- Krzysztof Stanowski (indépendant), journaliste sportif.
Selon la dernière enquête d'opinion réalisée par l'institut d'opinion United Surveys et publiée le 23 avril, Rafal Kazimierz Trzaskowski arriverait largement en tête du 1er tour de l'élection européenne avec 31,7% des suffrages, devant Karol Tadeusz Nawrocki, crédité de 27,6% des voix. Slawomir Jerzy Mentzen prendrait la 3e place avec 11,3%. Le candidat d'extrême droite est particulièrement plébiscité par les jeunes électeurs : près d'un sur deux (44%) envisage de voter pour lui le 18 mai.
Szymon Franciszek Holownia recueillerait 6,60% des voix et Magdalena Agnieszka Biejat, 5,60% des suffrages. Les 8 autres candidats recueilleraient moins de 4% des voix chacun.
La campagne électorale
Rafal Kazimierz Trzaskowski a été désigné candidat à l’élection présidentielle le 22 novembre. Candidat malheureux lors du dernier scrutin, il avait perdu d’un cheveu face à Andrzej Duda lors du 2e tour du 12 juillet 2020 (422 385 voix séparaient les deux candidats sur un total de 20 458 911 suffrages).
Le PiS aime à dépeindre Rafal Kazimierz Trzaskowski comme un anticlérical, un représentant de l’élite urbaine et libérale qui ne comprend pas et qui regarde de haut les habitants des petites villes de province. Il rappelle que Rafal Kazimierz Trzaskowski a interdit les symboles religieux, dont la croix, des bureaux des employés de la mairie de Varsovie. « Ce type de messages s'inscrit dans le cadre de la fracture entre les villes et les campagnes en Pologne. Rafal Kazimierz Trzaskowski tente d'éviter l'étiquette d’"homme de Varsovie typique" qui ne comprend pas les préoccupations des électeurs des petites villes » a analysé Jaroslaw Flis, sociologue de l'université Jagiellonian de Cracovie.
Pour cette élection présidentielle, Rafal Kazimierz Trzaskowski doit relever le défi suivant : parvenir à rallier les Polonais plus conservateurs sans perdre ses soutiens habituels. C’est pourquoi il tient un discours de plus en plus ferme sur les migrants, s'engageant à expulser les criminels étrangers et à rejeter les quotas de migrants imposés par l’Union européenne, ou encore sur les réfugiés ukrainiens. Le candidat libéral est ainsi revenu sur l’allocation mensuelle de 800 zlotys (190 €) accordée aux réfugiés ukrainiens pour chaque enfant en déclarant souhaiter que celle-ci soit conditionnée à l’exercice d’un emploi déclaré. Selon une étude réalisée par la Banque centrale polonaise (NBP), 70% des réfugiés ukrainiens qui vivent en Pologne ont un emploi. Le défi est difficile à relever mais le candidat de la Plateforme citoyenne n’a pas vraiment le choix, il ne peut se limiter à s’adresser à son seul camp et il doit absolument parvenir à parler au plus grand nombre de Polonais. Par ailleurs, la forte incertitude engendrée par la situation internationale a certainement quelque peu détourné l'attention des électeurs de l’action, peu satisfaisante pour la majorité des Polonais si l’on en croit les enquêtes d’opinion, du gouvernement de Donald Tusk sur les questions domestiques.
L’élection de Rafal Kazimierz Trzaskowski à la présidence de la République permettrait de faire sauter les obstacles à la réforme de la justice souhaitée par le gouvernement de Donald Tusk. Pour celui-ci en effet, les réformes de l'administration précédente ont nettement porté atteinte à l'indépendance de la justice. Le candidat libéral a également promis de libéraliser les lois sur l’avortement, à soutenir les énergies renouvelables et à lancer un plan (à long terme) pour l’adoption de la monnaie unique. Ce dernier sujet a presque totalement disparu du débat public en Pologne. Par sa mise à l’agenda, Rafal Kazimierz Trzaskowski veut mettre l’Europe au cœur de la politique polonaise.
Karol Tadeusz Nawrocki a été désigné candidat le 24 novembre. Peu connu du grand public (ce qui était le cas d’Andrzej Duda lors de sa 1ère élection le 24 mai 2015), il n’est pas membre du PiS et se définit comme un candidat indépendant et citoyen. Il peine cependant à s’imposer ; au contraire, les polémiques ne cessent d’enfler autour de sa personne. « L’erreur du choix de Karol Nawrocki paraît désormais évidente. En tant que “candidat citoyen”, il était censé élargir la base électorale de Droit et justice. Or, après 4 mois de campagne, les intentions de vote en sa faveur sont plus basses que celle du parti : il ne convainc même pas tous les partisans de Droit et justice » a déclaré Antoni Dudek, politiste et historien de l’université Cardinal Stefan Wyszynski de Varsovie.
Le dirigeant du PiS Jaroslaw Kaczynski a donc décidé de moins mettre en avant son candidat dans le but de faire de l’élection présidentielle un référendum sur le gouvernement de Donald Tusk. Néanmoins, Karol Tadeusz Nawrocki a surpris en s’imposant lors des premiers débats qui l’ont opposé à ses adversaires sur les chaînes de télévision, notamment en adoptant une position d’homme fort, qui séduit de plus en plus d’électeurs en Pologne ou ailleurs en ces temps d’incertitude.
Les questions de sécurité et de migration constituent les thèmes principaux de la campagne électorale. Karol Tadeusz Nawrocki a adopté une position plus dure par rapport à la Russie. « Ma position est que le maintien de relations diplomatiques avec un Etat barbare n’est pas bon pour la Pologne » a-t-il déclaré lors d’un entretien à Radio Zet. Il a critiqué le président ukrainien Volodymyr Zelensky, qui, selon lui, se comporterait de manière indécente envers ses alliés y compris la Pologne lorsqu’il affirme que l’Ukraine est restée seule au début de l’invasion de son territoire par les forces armées russes en février 2022. Karol Tadeusz Nawrocki a aussi indiqué que Volodymyr Zelensky « ne peut se permettre de succomber à la pression de la rébellion contre les Etats-Unis, active au sein de l’Union européenne et dans laquelle le Premier ministre de notre pays Donald Tusk est également impliqué ».
« Il y a une hausse visible du sentiment anti-ukrainien dans la société polonaise. Peut-être que l’équipe de Karol Tadeusz Nawrocki en a conclu que la clé du succès électoral passait par un langage radical » a souligné Bartosz Rydlins, professeur de science politique à l’université Cardinal Stefan Wyszynski. Le candidat du PiS a félicité Donald Trump pour ses efforts de ramener la paix dans la région et de faire cesser la guerre en Ukraine, même si le président américain est critiqué pour son alignement sur la ligne russe. Karol Tadeusz Nawrocki est également opposée à ce que l’Ukraine intègre dès maintenant l’OTAN et l’Union européenne.
La fonction présidentielle
Principalement honorifique, le rôle du chef de l'Etat polonais est cependant non négligeable. Elu pour 5 ans, il dispose d'un droit de veto. Le président de la République peut décider seul de la tenue d'un référendum, une procédure toutefois peu utilisée en raison des faibles taux de participation enregistrés dans le pays pour ces consultations électorales. Il est le chef des forces armées ; il ratifie les accords internationaux, il nomme et révoque les ambassadeurs et il exerce un droit de grâce par lequel il peut casser les décisions en appel des tribunaux. En vertu de la Constitution, il ne peut effectuer plus de deux mandats consécutifs.
Tout candidat à la fonction présidentielle doit être âgé d'au minimum 35 ans et ceux nés avant le 1er août 1972 doivent s’être soumis aux obligations liées à la lustration. La loi dite de « lustration » est entrée en vigueur le 15 mars 2007. Elle oblige tous les hauts fonctionnaires, les professeurs, les avocats, les directeurs d’école et les journalistes nés avant le 1er août 1972 à répondre à la question suivante : « Avez-vous collaboré secrètement et consciemment avec les anciens services de sécurité communistes ? ». La réponse est ensuite transmise à l'Institut de la mémoire qui se charge de vérifier le passé de ces personnes. Si leur collaboration avec les services communistes est prouvée, les personnes qui travaillent dans un service public sont automatiquement licenciés. Ceux qui refusent de répondre, ou dont il est prouvé qu’ils ont menti, risquent une interdiction d’exercer leur profession pendant 10 ans.
Pour se présenter au scrutin présidentiel, un candidat doit tout d’abord recueillir 1 000 signatures d'électeurs qu'il présente à la Commission électorale polonaise. Il dispose ensuite de 10 jours pour former un comité électoral et collecter 100 000 nouvelles signatures de soutien.
Rappel des résultats de l’élection présidentielle des 28 juin et 12 juillet 2020 en Pologne
Participation : 64,51 % (1er tour) et 68,18 % (2e tour)
Source : https://prezydent20200628.pkw.gov.pl/prezydent20200628/pl
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