Analyse
Élections en Europe
Corinne Deloy
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Corinne Deloy
Un pays en crise
La Roumanie a plongé dans la tourmente après l’annulation par la Cour constitutionnelle, à l’unanimité de ses membres, du deuxième tour de l’élection présidentielle, le 6 décembre, soit deux jours seulement avant la date prévue du deuxième tour.
Le 24 novembre, Calin Georgescu, quasi inconnu des Roumains quelques semaines auparavant et crédité par les enquêtes d’opinion de 9% des suffrages, était en effet arrivé en tête du premier tour de scrutin avec 22,95% des voix. Il avait devancé Elena-Valeria Lasconi (Sauvez la Roumanie, USR), qui avait recueilli 19,17% des suffrages. La candidate libérale précédait d’une courte tête le Premier ministre sortant Ion-Marcel Ciolacu (Parti social-démocrate, PSD), qui avait obtenu 19,15% des voix. La participation s’était établie à 52,55%.
La Cour constitutionnelle a considéré, après avoir eu connaissance de renseignements déclassifiés, que le premier tour du scrutin présidentiel avait été vicié. Elle a révélé l’existence d’une stratégie de communication digitale d’une ampleur inédite, orchestrée via les réseaux sociaux, notamment par le biais de TikTok (25 000 comptes du réseau associés à la campagne électorale de Calin Georgescu étaient devenus très actifs les deux semaines précédant le premier tour de l’élection), ainsi que des cyberattaques massives (85 000 ont été détectées, lancées depuis une trentaine de pays).
La Cour constitutionnelle a également exprimé ses soupçons d’une ingérence russe dans la campagne électorale présidentielle. Calin Georgescu a été accusé de fausses déclarations sur le financement de sa campagne, d’incitation à des actions anticonstitutionnelles, d’apologie de crimes de guerre et de soutien à des groupes fascistes.
Enfin, on peut légitimement s’interroger sur le financement de la campagne électorale du candidat d’extrême droite puisque ce dernier a officiellement affirmé n’avoir dépensé aucun euro pour celle-ci, ce qui semble impossible.
« L’Europe est maintenant une dictature, la Roumanie vit sous la tyrannie » a déclaré Calin Georgescu après l’annulation du scrutin. Plusieurs manifestations ont été organisées pour protester contre la décision de la Cour constitutionnelle. La plus importante a eu lieu le 12 décembre à l’appel du parti d’extrême droite de l’Alliance pour l’Union des Roumains (AUR). Des dizaines de milliers de Roumains sont descendus dans la rue pour dénoncer un coup d’Etat et le vol du scrutin.
Calin Georgescu, qui a nié avoir effectué un quelconque acte illégal, a également obtenu le soutien du vice-président américain J.D. Vance et d’Elon Musk, patron de X, Tesla et Space X, considéré comme l’homme le plus riche du monde et qui dirige désormais le Département de l’efficacité gouvernementale (DOGE) à Washington, qui ont critiqué respectivement l’annulation de l’élection présidentielle et son inculpation. « La démocratie est officiellement morte en Roumanie et dans l’Union européenne (…) Ce soir, l’Europe est tombée » a tweeté Elon Musk.
Indéniablement, la situation actuelle ne peut que fragiliser la démocratie roumaine et la confiance des Roumains dans leur système politique, cette dernière étant déjà faible si l’on en croit les enquêtes d’opinion et comme le montre le vote des électeurs qui ont manifesté un fort mécontentement à l’égard des sortants et un vif désir de changement. La situation actuelle renforce également les partis nationalistes. On retrouve les phénomènes qui affectent la Roumanie dans l’ensemble des Etats membres de l’Union européenne et, plus largement, dans la quasi-totalité des sociétés démocratiques occidentales.
« La frustration devant le manque de qualité des services fournis par l’Etat est extrêmement élevée et elle représente l’une ses principales raisons du mécontentement général » a indiqué le sociologue Barbu Mateescu. « Pour beaucoup d’électeurs de Calin Georgescu, le vote en faveur de ce dernier n’est qu’un moyen de changer de classe politique et non un but en soi » a-t-il ajouté.
Le 1er décembre 2024, quelques jours avant l’annulation du scrutin présidentiel, le Parti social-démocrate est arrivé en tête des élections parlementaires. Il a recueilli 21,96% des suffrages à la Chambre des députés (86 sièges) et 22,30% au Sénat (36 élus), le résultat le plus faible de son histoire. Le scrutin a été marqué par la percée de la droite radicale : l’Alliance pour l’Union des Roumains (AUR) a pris la deuxième place avec 18,01% des voix à la chambre basse (63 députés) et 18,30% à la chambre haute (28). Le Parti national-libéral (PNL), partenaire du Parti social-démocrate au sein de la coalition gouvernementale sortante, a obtenu 13,20% à la Chambre des députés (49 sièges) et 14,28% au Sénat (22 élus).
Les trois partis d’extrême droite du pays ont recueilli ensemble 31,83% des voix. Ils s’opposent au soutien de la Roumanie à l’Ukraine et ils affirment défendre la « paix ». Ils veulent également sauver les « valeurs chrétiennes » de la Roumanie. Le taux de participation s’est élevé à 48,28%, il a été le plus important depuis vingt ans.
Le Premier ministre sortant Ion-Marcel Ciolacu (PSD), qui dirige le pays depuis juin 2023, a formé le 23 décembre un gouvernement proeuropéen qui regroupe le PSD, le Parti national-libéral et l’Union démocratique des Hongrois de Roumanie (UDMR).
Autre élément de crise, la procédure de destitution lancée contre le président de la République sortant Klaus Iohannis par les partis d'extrême droite (l'Alliance pour l'unité des Roumains, S.O.S. Roumanie (SOS) et leParti de la jeunesse (POT)) et par l'Union Sauvez la Roumanie. Devant cette menace, le chef de l’Etat a préféré annoncer sa démission le 12 février afin de « préserver la Roumanie et les citoyens » d’une nouvelle crise.
Le président du Sénat, Ilie Bolojan, a été désigné président de la République par intérim.
Le 16 janvier, le gouvernement a annoncé que la prochaine élection présidentielle serait organisée les 4 et 18 mai prochains. La campagne du premier tour a débuté le 4 avril et elle s’achèvera le 2 mai au soir. Au total, 18 979 bureaux de vote seront ouverts sur l’ensemble du territoire roumain et 965 à l’étranger, dont 161 en Italie et à Malte, 147 en Espagne et 108 au Royaume-Uni.
Le 9 mars, la Cour constitutionnelle a écarté Calin Georgescu de ce scrutin à venir au motif qu'il n'avait pas respecté les règles lors de l'élection présidentielle précédente, qu’il ne remplissait pas les conditions de légalité et qu’il a enfreint les règles démocratiques d’un scrutin honnête et impartial. L’ancien candidat d’extrême droite a été mis en examen à la fin du mois de février et placé sous contrôle judiciaire.
Les candidats
10 personnes sont officiellement candidates à la présidence de la République :
- Crin Antonescu (PNL) soutenu par la coalition électorale Roumanie en avant (A.Ro) formée par le Parti national-libéral, le Parti social-démocrate et l’Union démocratique des Hongrois de Roumanie le 23 février en vue de l’élection présidentielle. Crin Antonescu a été ministre de la Jeunesse et des Sports (1997-2000) et ancien président du Sénat (2012-2014) ;
- Nicusor Dan (indépendant), soutenu par le partis Justice et respect pour tous en Europe (DREPT), le Parti du mouvement populaire (PMP), la Force de la droite (FD), Renouvelons le projet européen de la Roumanie (REPER). Il est maire de Bucarest depuis 2020 ;
- George Simion (AUR), député ;
- Victor Ponta (Pro Romania), ancien Premier ministre (2012-2015) ;
- Elena-Valeria Lasconi (USR), maire de Campulung. Elle avait succédé à la tête du parti libéral à Catalin Drula qui avait démissionné à l’issue des résultats décevants du parti aux élections provinciales et locales du 9 juin dernier ;
- Cristian-Vasile Terhes (Parti national conservateur roumain, PNCR), député européen depuis 2019 ;
- Lavinia Sandru (Parti social libéral humaniste, PUSL), ancien député (2005-2008) ;
- John-Ion Banu Muscel (Parti de la nation roumaine, PNRo) ;
- Silviu Predoiu (Parti de la ligue de l’action nationale, PLAN) ;
- Daniel Funeriu (indépendant), ancien ministre de l’Education (2009-2012).
Ion-Marcel Ciolacu avait promis de démissionner après son faible résultat du premier tour de l’élection présidentielle (19,15% des suffrages) avant de finalement renoncer et de conserver son poste à la tête du gouvernement. Le 9 janvier, le Premier ministre a indiqué que le candidat de la coalition gouvernementale pour la prochaine élection présidentielle ne saurait être le dirigeant d’une des deux partis principaux (Parti social-démocrate et Parti national-libéral). Leur choix s’est donc porté sur Crin Antonescu. Néanmoins, la décision des sociaux-démocrates de ne pas présenter de candidat, une première pour eux depuis le retour de la Roumanie à la démocratie en 1989, reste difficile à accepter pour une partie des membres dont le candidat avait déjà été éliminé du deuxième tour de scrutin à la fin de l’année dernière, un phénomène déjà inédit pour le parti.
Le 9 avril dernier, Sauvez la Roumanie, USR a voté lors d’un comité politique informel le retrait de son soutien à sa présidente Elena-Valeria Lasconi et l’appui à la candidature du maire de Bucarest Nicusor Dan pour l’élection présidentielle. Les trois quarts des 225 participants à ce comité ont voté en ce sens (75%). Le vice-président de Sauvez la Roumanie, Dominic Fritz, a déclaré que, par ce choix, le parti a choisi de donner la priorité aux intérêts du pays. Selon lui, Elena-Valeria Lasconi ne bénéficie pas du soutien nécessaire pour atteindre le deuxième tour de scrutin,
Selon la dernière enquête d’opinion réalisée par l’institut Noi Cetatenii, le candidat d’extrême droite George Simion arriverait en tête du premier tour de l’élection présidentielle avec 30% des suffrages. Il serait suivi de très près par le maire de Bucarest Dan Nicusor, qui recueillerait 29,60% des voix. Le candidat du gouvernement en place Crin Antonescu prendrait la troisième place avec 19,60% des suffrages et Victor Ponta la quatrième avec 8,30% des voix. La libérale Elena-Valeria Lasconi obtiendrait 7,80% des suffrages.
La fonction présidentielle
En Roumanie, le président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de 5 ans. Tout candidat à la magistrature suprême doit être âgé de 35 ans minimum et il doit déposer une liste d'au moins 200 000 signatures d'électeurs en faveur de sa candidature avant le scrutin. Il doit également jurer sur l'honneur ne pas avoir collaboré avec les services de la Securitate, nom de la police secrète roumaine sous le régime communiste (1945-1989).
Le chef de l'État roumain dispose de pouvoirs limités. Il nomme le Premier ministre « après consultation du parti disposant de la majorité absolue au parlement ou, si cette majorité n'existe pas, des partis représentés au parlement » (article 103-1 de la Constitution) mais il ne peut révoquer ce dernier.
Rappel des résultats du premier tour (annulé) de l’élection présidentielle du 24 novembre 2024 en Roumanie
Participation : 52,56%
Source : https://prezenta.roaep.ro/prezidentiale24112024/pv/romania/results/
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