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Corinne Deloy,
Fondation Robert Schuman
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ENCorinne Deloy
Fondation Robert Schuman
Trois jours après le « non » exprimé par les Français, les électeurs néerlandais se sont massivement prononcés contre la ratification du texte le 1er juin. Aux Pays-Bas, le référendum était consultatif, mais le gouvernement avait annoncé qu'il se rallierait à son résultat sous deux conditions : que la participation atteigne au moins 30% et que le résultat soit « sans ambiguïté », c'est-à-dire que le « oui » ou le « non rassemble au moins 60% des suffrages.
Le Parlement, majoritairement favorable au traité et à qui il revient de se prononcer in fine sur le texte, devrait se ranger à l'avis du peuple néerlandais qui a rejeté la Constitution européenne : 61,6% des électeurs ont voté « non » tandis que 38,4% l'ont approuvée. La participation a été exceptionnelle pour un scrutin portant sur une question européenne, 63,4%, soit vingt-quatre points de plus que lors des dernières élections européennes du 10 juin 2004 où à peine quatre inscrits sur dix (39,3%) avaient accompli leur devoir de citoyen.
Le gouvernement avait été, à l'origine, opposé à ce référendum -le premier dans l'histoire du royaume batave depuis 1797- dont l'initiative revenait au Parlement.
« Le peuple néerlandais a parlé ce soir. Le résultat est clair. Naturellement, je suis très déçu » a déclaré le Premier ministre Jan Peter Balkenende à l'issue des résultats. « Le processus de ratification de la Constitution doit se poursuivre dans le reste de l'Union européenne afin que nous sachions où se situe chaque pays » a-t-il ajouté. Selon le Premier ministre, le rejet de la Constitution européenne par les Pays-Bas témoigne « des hésitations des Néerlandais sur l'ensemble du processus européen (...) Ce vote n'est pas contre l'Europe mais les gens se demandent ce qui va se passer avec leur souveraineté et leur identité. Nous comprenons les préoccupations. Sur la perte de souveraineté, sur le rythme des changements en Europe sans que les citoyens es sentent impliqués, sur notre contribution financière à Bruxelles ».
L'ensemble des partis de gouvernement - les trois formations de la coalition gouvernementale, l'Appel chrétien-démocrate (CDA), le Parti populaire pour la liberté et la démocratie (VVD) et le Parti des démocrates 66 (D'66) et les deux partis d'opposition, le Parti du travail (PvdA) et la Gauche verte (GL) - s'étaient prononcés en faveur de la ratification du texte. En dépit du résultat négatif du vote, ceux-ci se sont réjouis de la forte participation enregistrée à ce référendum et du débat qu'il avait fait naître. « Je n'ai jamais vu autant de discussion aux Pays-Bas sur l'Europe et sur la place du pays dans cette Europe. Je préfère que la discussion monte à la surface plutôt que le mécontentement ne continue de couver » a déclaré le leader du Parti du travail, Wouter Bos.
L'opposition à la Constitution européenne rassemblait, aux Pays-Bas comme en France, une coalition de partis allant de l'extrême gauche (Parti socialiste, SP) à l'extrême droite (la Liste Pim Fortuyn, LPF, le Groupe Geert Wilders et le Leefbaar Nederland), en passant par les formations religieuses que sont le Parti politique réformé (SGP) et l'Union chrétienne (ChristenUnie). « Nous nous réjouissons que les Néerlandais n'aient pas plié devant l'épouvantail brandi par le gouvernement » a souligné Mat Herben, député de la Liste Pim Fortuyn (LPF). « Depuis des années, toute l'élite politique, tous les lobbies et les fonctionnaires sont allés plus avant dans l'intégration européenne sans emmener les citoyens avec eux » a déploré Ronald van Raak, sénateur (SP).
Jusqu'au dernier moment, les partisans du « oui » ont déployé tous leurs efforts pour tenter de renverser la tendance favorable au « non » qu'indiquaient toutes les enquêtes d'opinion. Dans les derniers jours, les ministres du gouvernement, à qui l'on avait reproché une campagne tardive et en demi-teinte, ont distribué des tracts dans les rues, se sont rendus dans des lycées et ont débattu dans de nombreux lieux avec la population. Le ministre des Affaires étrangères, Ben Bot, et le Premier ministre sont intervenus à la télévision publique. Le 31 mai, Jan Peter Balkenende a lancé un ultime appel : « Un « non » n'est ni dans l'intérêt des Pays-Bas ni dans celui de l'Europe. Si vous voulez que l'économie progresse, vous devez voter « oui » ».
Le « non » néerlandais témoigne du fossé existant entre les électeurs et la classe politique. Une enquête d'opinion, publiée le 18 mai dernier, révélait que moins d'un Néerlandais sur dix (19%) était satisfait du gouvernement de Jan Peter Balkenende, lequel avait pourtant débuté son mandat en promettant de rétablir le lien avec les citoyens. Le « non » exprime, selon les enquêtes d'opinion, le refus des Néerlandais de voir la Turquie entrer dans l'Union et, plus largement, leur crainte de l'étranger. Les Pays-Bas comptent 1,6 million d'immigrés, soit 10% de leur population totale (Office central des statistiques, 2004). Environ la moitié sont décrits comme « non-Occidentaux », les trois groupes majoritaires sont les Turcs (environ 194 000), les Surinamiens (environ 187 000) et les Marocains (environ 166 000 Marocains). « Le « non » néerlandais est intimement lié à un repli général du pays sur lui-même » analyse Richard Wouters, en charge de l'Europe au sein de la Gauche verte.
Les Néerlandais redoutent aussi une dissolution de leur pays dans une Union européenne élargie. Premiers contributeurs nets par habitant (avec 180 euro) au budget de l'Union européenne, ils ne veulent plus payer pour les « grands » Etats, comme l'Allemagne ou la France, à qui ils reprochent leurs entorses au Pacte de stabilité et de croissance. En outre, l'aveu, le 30 avril dernier, du directeur de la Banque des Pays-Bas, Henk Brouwer, que le florin avait été sous évalué de 5 à 10 % au moment de l'introduction de l'euro - confirmant ainsi l'opinion de la population sur la hausse des prix consécutive à l'introduction de la monnaie unique- n'a pas contribué à faire croître la confiance des Néerlandais dans l'Union.
Enfin, les Néerlandais craignent de voir l'Union remettre en cause leur législation permissive en matière de mariage homosexuel, de vente et de consommation de drogues douces, d'euthanasie autorisée sous conditions. « Nous avons été trop tolérants avec l'intolérance » affirmait Geert Wilders avant le scrutin pour définir ce qui pouvait expliquer les différents événements politiques qui ont secoué les Pays-Bas depuis trois ans. « Le « non » est un signal envoyé aux hommes politiques pour leur dire « arrêtez-vous et écoutez-nous » » affirme Maurice de Hond, directeur du principal institut d'opinion néerlandais. « Le pays se sent menacé, manque de confiance, se replie sur lui-même » ajoute le sociologue Paul Scheffer.
Le vote négatif des Néerlandais ne devrait pas entraîner la démission du gouvernement. « Nous avons également fait campagne pour le « oui ». Ce serait étrange d'exiger des conséquences politiques maintenant » a souligné Frans Timmermans, porte-parole du Parti du travail pour les affaires européennes. « Le référendum a été mis à l'agenda du Parlement à la demande de notre parti. Il ne serait pas logique que nous exigions des conséquences politiques en cas de « non » » avait déclaré, le 31 mai, le porte-parole de la Gauche verte, Tom van der Lee. Seul Geert Wilders a demandé la démission du gouvernement et l'organisation d'élections législatives anticipées. La liste Pim Fortuyn souhaiterait qu'un large débat soit organisé au sein de la société : « Les conséquences politiques ne devraient pas être réservées au gouvernement mais au Parlement entier puisque 85% de la Chambre a soutenu le « oui ». Le Parlement entier devrait démissionner mais ce n'est pas très réaliste » a déclaré Agnes Leewis, porte-parole. Selon un sondage réalisé le 1er juin, 58% des Néerlandais affirmaient ne pas souhaiter que le vote au référendum ait des conséquences au plan national.
« Nous avons un problème sérieux mais nous devons poursuivre notre travail » a déclaré le Président de la Commission européenne, José Manuel Durao Barroso à l'issue des résultats. « Le processus doit continuer dans les autres pays. Nous voudrions que ceux-ci aient la possibilité de se livrer avec la même intensité au même débat » a souligné le Président du Parlement européen, Josep Borrell.
Les Pays-Bas sont, après la France le 29 mai, le deuxième Etat à refuser la Constitution européenne. Si l'Union européenne ne peut pas manquer d'être interpellée par ces deux votes négatifs émanant de pays aux traditions et à l'histoire différentes, en théorie cependant, ce deuxième « non » ne devrait pas arrêter le processus de ratification en cours au niveau européen. Celui-ci est prévu pour aller à son terme et ce quels que soient les résultats enregistrés dans les Etats membres. La Constitution stipule d'ailleurs dans son article 443-4 que « si à l'issue d'un délai de deux ans à compter de la signature du traité modifiant le présent traité, les quatre cinquièmes des États membres ont ratifié ledit traité et qu'un ou plusieurs États membres ont rencontré des difficultés pour procéder à ladite ratification, le Conseil européen se saisit de la question ».
Les chefs d'Etat et de gouvernement ainsi que les dirigeants de l'Union mèneront, selon les mots de Josep Borrell, « une analyse collective et approfondie » de la situation lors du prochain Conseil européen qui se tiendra les 16 et 17 juin à Bruxelles.
A ce jour, dix Etats ont ratifié la Constitution européenne : la Lituanie (11 novembre), la Hongrie (20 décembre), la Slovénie (1er février), l'Espagne (20 février par référendum), l'Italie (6 avril), la Grèce (19 avril), la Slovaquie (11 mai), l'Autriche (25 mai), l'Allemagne (27 mai) et la Lettonie (2juin).
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