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Corinne Deloy,
Fondation Robert Schuman
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ENCorinne Deloy
Fondation Robert Schuman
Aux Pays-Bas, l'incertitude sur l'issue du référendum sur la Constitution européenne, qui se déroulera le mercredi 1er juin, est tout aussi forte qu'en France. Si l'ensemble des enquêtes d'opinion, réalisées depuis trois semaines, donnent le «non» gagnant, une forte proportion des personnes interrogées restent indécises Plus de 40% des Néerlandais affirment qu'ils se rendront aux urnes le 1er juin prochain, un niveau de mobilisation quasiment identique à celui enregistré lors des élections européennes du 10 juin 2004 où quatre inscrits sur dix (39,3%) avaient accompli leur devoir de citoyen. Le référendum néerlandais est consultatif, mais le gouvernement a fait savoir qu'il se rallierait au résultat dans le cas où la participation atteindrait au moins 30% et où le résultat serait «sans ambiguïté», c'est-à-dire si le «oui» ou le «non » rassemble au moins 60% des suffrages. Le 20 mai dernier, le Premier ministre Jan Peter Balkenende a refusé de parler de l'après-référendum. «Il y aura un débat au Parlement et celui-ci prendra sa décision après le référendum consultatif» a t-il déclaré.
Selon le dernier sondage réalisé sur six cents personnes par l'institut Interview-NSS et publié le 20 mai, 37% des Néerlandais se prononceraient en faveur de la Constitution, contre 63% qui voteraient « non ». Une autre enquête d'opinion, publiée le même jour et réalisée sur deux mille cinq cents personnes par l'institut Maurice de Hond, révèle que, parmi les électeurs ayant fait leur choix, 40% se prononceraient en faveur de la ratification contre 60% qui s'y opposeraient. Dans une enquête d'opinion publiée le 19 mai et réalisée auprès de mille trois cent trente-huit personnes par l'institut Center Data, enquête qui donnait également le « non » vainqueur, la moitié des personnes s'apprêtant à rejeter la Constitution (55,5%) justifient leur vote négatif par leur désir de s'opposer à l'euro et manifester leur mécontentement face à l'augmentation des prix qui lui a été consécutive.
Il y a quelques semaines, un scandale a éclaté aux Pays-Bas autour de l'introduction, en 2002, de l'euro en remplacement du florin, ancienne monnaie nationale. Le 30 avril dernier, le directeur de la Banque des Pays-Bas, Henk Brouwer, a reconnu que le florin avait été sous évalué de cinq à dix % au moment de l'introduction de l'euro dans le royaume, déclaration confirmée par le ministre des Finances, Gerrit Zalm (VVD). «Les gens se sentent floués. Ils n'ont jamais été consultés sur l'Europe et ils se sentent trompés sur un certain nombre de sujets, dont l'euro» déclare Harry van Bommel, député du Parti socialiste (SP).
Une moitié d'électeurs se prononçant pour le « non » (52,3%) mettent en avant leur volonté de s'opposer à l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne. «La Constitution a été écrite pour répondre à l'élargissement, donc à l'adhésion de la Turquie» déclare Eimert van Middelkoop, député de l'Union chrétienne (CU). «Ce jour-là, la voix d'un Turc pèsera plus lourd que celle d'un Néerlandais» ajoute le leader populiste Geert Wilders, ancien membre du Parti populaire pour la liberté et la démocratie, qui a fondé sa propre formation –le Groupe Geert Wilders- en septembre 2004.
En outre, une enquête d'opinion, publiée le 18 mai, révèle que le gouvernement, dirigé par Jan Peter Balkenende (CDA) et regroupant l'Appel chrétien-démocrate (CDA), le Parti populaire pour la liberté et la démocratie (VVD) et le Parti des démocrates 66 (D'66), bat des records d'impopularité. Moins d'un Néerlandais sur dix (19%) se déclare satisfait de la politique de la coalition gouvernementale. Si ce sondage ne porte pas sur la Constitution européenne, il ne constitue pas un élément positif pour le camp du «oui», qui regroupe, outre les trois partis de la coalition gouvernementale, les deux formations d'opposition, le Parti du travail (PvdA) et la Gauche verte (GL). Le 8 mai dernier, le Premier ministre a tenu à rappeler qu'un vote négatif n'entraînerait, en aucun cas, sa démission.
Nombreux sont les hommes politiques qui craignent que les Néerlandais n'utilisent le référendum du 1er juin pour exprimer un mécontentement plus général envers l'ensemble de la classe politique. «C'est de notre faute, les élites ont oublié, négligé d'impliquer la population dans ce projet européen. La méfiance entre les politiques et la population est installée» souligne Frans Timmermans, porte-parole du Parti du travail pour les affaires européennes.
Devant cette situation, le secrétaire d'Etat aux Affaires européennes, Atzo Nicolaï, n'a pas hésité à faire adopter la rallonge prévue de 3,5 millions d'euro pour financer la distribution de brochures et de spots de publicité dans les médias en faveur de la Constitution. Les formations opposées à la ratification du traité -le Parti socialiste (SP), l'Union chrétienne (ChristenUnie), le Parti politique réformé (SGP) et la Liste Pim Fortuyn (LPF)- se sont élevées contre cette dépense supplémentaire du camp du «oui», elles-mêmes ne pouvant obtenir plus que les quatre cent mille euro que leur a alloués la commission du référendum.
Les responsables politiques de tous bords se sont mobilisés pour recentrer le débat sur l'Europe et expliquer le texte. Après un début de campagne en demi-teinte, le Premier ministre a demandé à l'ensemble des membres de son gouvernement de se lancer dans la bataille. Une campagne cependant jugée contre-productive par 59% Néerlandais selon une enquête d'opinion réalisée par l'institut Maurice de Hond. Le 20 mai dernier, pour la première fois depuis le début de la campagne, Jan Peter Balkenende et ses deux vice-Premiers ministres, Gerrit Zalm et Laurens Jan Brinkhorst (D'66), ont défendu la Constitution dans une émission de télévision consacrée au référendum.
Le ministre des Finances, Gerrit Zalm, s'est emparé du thème du budget, sujet sensible auprès des Néerlandais qui sont les premiers contributeurs par habitant de l'Union européenne. Il a souligné que les Pays-Bas disposaient avec la Constitution «d'une voix décisive sur les dépenses de Bruxelles et sur la contribution néerlandaise. La Constitution établit que nous pourrons nous y tenir jusqu'au moment où l'on trouvera une solution à notre contribution nette trop élevée (...) Pour un pays comme les Pays-Bas, c'est l'un des principaux gains de la nouvelle Constitution européenne» a-t-il conclu.
De son côté, le ministre des Affaires étrangères, Ben Bot (CDA), a mis en garde contre les effets néfastes d'un «non» sur la situation économique du pays. «Soixante-dix à quatre-vingts pour cent de notre import-export passe par l'Union européenne» a-t-il rappelé. «Ceux qui rejetteront la Constitution européenne diront «non» à quelque chose qui est meilleur que ce que nous avons. Ceux qui votent «oui» voteront pour des Pays-Bas plus forts dans une Europe plus forte» a-t-il déclaré.
Du côté de l'opposition, le leader du Parti du travail, Wouter Bos, a appelé à voter en faveur de la Constitution avec laquelle «l'Europe deviendra plus sociale, plus sûre, plus dynamique et plus démocratiqu ». Le leader social-démocrate a cependant affirmé que convaincre ses compatriotes de voter «oui» serait «une sacrée corvée». «Les gens associent l'Union européenne à l'euro cher, aux énormes subventions agricoles, au gaspillage du Parlement européen et au tort fait au Tiers monde. Ils voient l'Europe se mêler de tout et se demandent si les Pays-Bas peuvent rester les Pays-Bas» a-t-il déclaré Pour lui, en limitant l'ingérence de Bruxelles, la Constitution sert mieux les intérêts néerlandais que ne le fait le traité de Nice.
Les chefs d'entreprises sont également entrés dans la bataille électorale. Les deux organisations patronales, VNO-NCW, qui représente plus de cent quinze mille entreprises, et MKB-Nederland, font campagne pour le «oui» en insistant sur les avantages que l'Europe a apportés aux Pays-Bas depuis 1950. «Le marché intérieur a conduit à la création de 2,5 millions d'emplois entre 1992 et 2002 » affirme Jacques Schraven, président de VNO-NCW. «En disant «non» à la Constitution, nous nous brûlerions terriblement les ailes. Non seulement nous ralentirions des améliorations indispensables mais nous perdrions également notre bonne position à Bruxelles. L'image des Pays-Bas subirait un grave préjudice» a t-il déclaré. Un processus décisionnel plus efficace, la conservation par les Pays-Bas de leur droit de veto sur le budget européen et le rôle accru des Etats-membres dans le processus décisionnel constituent trois des raisons essentielles pour voter en faveur du texte selon Loek Hermans, président de MKB-Nederland. Les deux organisations patronales ont édité et distribuent des brochures et font diffuser à la radio des spots dans lesquels les chefs d'entreprises prennent position sur la Constitution.
Du côté des opposants au texte, Geert Wilders parcourt le pays à bord d'un bus, orné du slogan «Les Pays-Bas doivent demeurer», répétant qu'avec cette Constitution, les Néerlandais ne seront plus les maîtres chez eux. «Les Pays-Bas ne sont pas à brader et ne seront pas castrés. Les Pays-Bas doivent rester indépendants. La Constitution européenne doit être rejetée avec force» écrit le leader populiste. A l'extrême gauche, les militants du Parti socialiste mettent, quant à eux, l'accent sur l'élargissement en présentant une affiche sur laquelle l'Europe s'étend jusqu'à la Russie. Selon eux, la Constitution européenne doit être combattue parce qu'elle met en place un «super Etat» qui menace l'identité néerlandaise. Enfin, dans le principal hebdomadaire du pays, Elsevier, qui s'est prononcé pour le «non», l'éditorialiste Syp Winia met en garde les lecteurs en écrivant «Avec ce traité, nous perdons les moyens de contrôler et d'organiser notre immigration et nous offrons à tous les autres Européens le droit d'accès à notre système social qui est le plus généreux du monde».
Répondant aux opposants du traité sur la question précise de l'identité, le Premier ministre a déclaré «La Constitution ne menace pas mais renforce notre identité. Ce qui nous est le plus cher, nos valeurs, nos libertés, nos droits, notre culture et nos traditions, sera justement mieux protégé par ce texte (...) Notre identité nationale et notre structure constitutionnelle sont explicitement respectées dans le texte. Avec cette Constitution, les Pays-Bas ne se livrent pas à l'Europe. Au contraire, ils ont plus de prise sur elle. Des sujets tels que les drogues douces, l'euthanasie et l'avortement relèvent des compétences nationales, rien n'est dicté par Bruxelles» a assuré Jan Peter Balkenende.
La campagne pour le référendum sur la Constitution met à jour les craintes d'une part importante des Néerlandais, peuple de commerçants depuis toujours ouverts sur le reste du monde. Si l'Europe économique et le grand marché n'effraient pas les habitants du royaume, il en va autrement de la constitution d'une Europe politique, en laquelle ils voient une menace pour leur identité. Les Néerlandais, qui se voient comme un «petit» Etat, ont peur de l'influence grandissante des plus grands pays comme la France ou l'Allemagne à qui ils reprochent par exemple leurs entorses –impunies- au Pacte de stabilité. «Le Président élu pour deux ans et demi se tournera vers les grands Etats membres car leurs votes seront suffisants pour le réélire» déclare ainsi André Rouvoet, leader du groupe parlementaire de l'Union chrétienne.
Enfin, la crainte d'une immigration incontrôlée comme d'une éventuelle adhésion de la Turquie sont fortes dans un pays traumatisé par l'assassinat, le 6 mai 2002, du leader d'extrême droite, Pim Fortuyn, et de celui, le 2 novembre 2004, du cinéaste Théo van Gogh poignardé par un jeune islamiste pour avoir évoqué les violences faites aux femmes musulmanes. Le leader populiste, dénonciateur d'une immigration qu'il jugeait excessive et dangereuse -«Les Pays-Bas sont plein» était son slogan- a été, en 2002, le révélateur de la coupure entre les élites et une grande partie de la population. Trois ans plus tard, cette fracture est toujours bien présente et les Néerlandais semblent désireux d'utiliser le référendum sur la Constitution européenne pour exprimer leur malaise devant la mise à mal de leur modèle de consensus et d'ouverture. Un symbole de ces inquiétudes: est que, pour la première fois depuis les années cinquante, le royaume connaît une vague d'émigration vers des pays lointains, Canada et Australie notamment.
A une semaine du scrutin et en dépit des résultats des dernières enquêtes d'opinion, le Premier ministre s'est dit «optimiste» quant à l'issue positive de cette première consultation populaire organisée dans le royaume depuis 1797. Nul doute que le résultat du référendum français, qui aura lieu trois jours avant celui des Pays-Bas, aura un impact sur le vote des Néerlandais. Impossible cependant de dire dans quel sens il pourrait faire pencher la balance. «Si la France vote «oui», il y a peut-être encore une chance que les Pays-Bas l'imitent» déclare Luuk van Middlelaar, conseiller politique du chef du groupe du Parti populaire pour la liberté et la démocratie au Parlement.
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