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Corinne Deloy,
Fondation Robert Schuman
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ENCorinne Deloy
Fondation Robert Schuman
Trois jours après les Français, les Néerlandais se prononceront à leur tour par référendum sur la Constitution européenne le 1er juin. Ils auront à répondre à la question suivante : « Etes-vous pour ou contre l'approbation par les Pays-Bas du traité établissant une Constitution pour l'Europe ? ». Cette consultation populaire sera la première dans le royaume batave depuis plus de deux cents ans, la dernière ayant eu lieu en août 1797. Une très forte majorité des électeurs avaient alors rejeté... le projet de Constitution pour les Pays-Bas qui leur était présenté. Le gouvernement a souhaité que le référendum, dont l'initiative revient au Parlement mais que le gouvernement s'est engagé à soutenir, ait lieu avant le sommet européen de la mi-juin qui sera placé sous le signe du futur budget européen. Les Pays-Bas étant les premiers contributeurs par habitant, le gouvernement craignait que ce sommet puisse avoir un effet négatif sur le résultat de la consultation.
Le référendum du 1er juin sera consultatif mais les formations composant la coalition gouvernementale - l'Appel chrétien-démocrate (CDA), le Parti populaire pour la liberté et la démocratie (VVD) et le Parti des démocrates 66 (D'66)- ont fait savoir qu'elles se rallieront au résultat sous deux conditions : que la participation atteigne au moins 30% et que le résultat soit « sans ambiguïté », c'est-à-dire que le oui ou le non rassemble au moins 60% des suffrages. Interrogé sur le fait de savoir s'il liait son propre avenir politique au référendum, le Premier ministre Jan Peter Balkenende (CDA) a été très clair en répondant « Certainement pas ».
La position des formations politiques
L'ensemble des formations de gouvernement – l'Appel chrétien-démocrate (CDA), le Parti populaire pour la liberté et la démocratie (VVD) et le Parti des démocrates 66 (D'66), actuels membres de la coalition gouvernementale, le Parti du travail (PvdA), principale formation d'opposition, et la Gauche verte (GL)- sont favorables à la ratification de la Constitution et appellent à voter « oui » au référendum du 1er juin prochain. Signalons toutefois qu'une forte division existe au sein des deux formations de gauche, le Parti du travail et la Gauche verte. Dans ce dernier parti, environ 40% des membres sont opposés à la ligne de leur formation et penchent pour le « non » à la Constitution.
Six « petites » formations sont opposées à la ratification du texte européen. Il s'agit des partis protestants -le Parti politique réformé (SGP) et l'Union chrétienne (ChristenUnie)- qui regrettent l'absence de référence religieuse dans le texte ; des formations extrémistes -la Liste Pim Fortuyn (LPF) et Leefbaar Nederland (Les Pays-Bas vivables)- dont le rapport à l'Union européenne est toujours ambigu, voire teinté d'hostilité ; du Groupe Geert Wilders, parti fondé en septembre 2004 et enfin du Parti socialiste (PS), tous deux antieuropéens. Exprimant les raisons de l'opposition de sa formation à la ratification du traité, le porte-parole du Parti socialiste, Jan Marijnissen, a déclaré : « Maintenant que le processus d'intégration économique est pratiquement achevé, l'élite européenne se prépare à réaliser la fédéralisation politique de l'Europe. La Constitution européenne, un curieux mélange de slogans généraux et creux, de vieux textes de traités et de programme politique constitue un premier pas important vers cette Europe fédérale. A l'intérieur de cette future fédération, les grands pays, cela va de soi, domineront. Le poids respectif de notre pays sera ramené à 3% des votes, encore moins que la représentation de la Frise à la Première Chambre. Nous deviendrons une province sans pouvoir ».
Grontwet nee (Constitution non) a vu le jour à l'occasion du référendum regroupant, à côté du Parti socialiste, une vingtaine d'organisations issues pour la majorité d'entre elles du mouvement altermondialiste. Par ailleurs, sous l'égide de la Fondation Edmund Burke, quatorze personnalités politiques, journalistes et intellectuels des deux bords de l'échiquier politique -parmi lesquels Anton van Schijndel (VVD), Harrie Verbon (CDA), Eimert van Middlekoop (ChristenUnie), Mat Herben (LPF), André Rouvoet (ChristenUnie), Geert Wilders (Groupe Wilders), Paul Bordewijk (PvdA) et Syp Wynia (de l'hebdomadaire Elsevier)- se sont réunies pour s'opposer à la ratification de la Constitution européenne. Ils sont à l'origine de la publication d'un ouvrage collectif intitulé : Faibles ensemble, plaidoyers contre la Constitution européenne.
Le débat public et la campagne électorale
A un mois du référendum, le débat porte essentiellement sur la question des éventuels transferts de compétence des Pays-Bas vers l'Union européenne qui pourraient résulter de la Constitution. Les personnes, favorables au texte, mettent en avant l'amélioration du fonctionnement de l'Union qu'apporte le texte, les bénéfices que tirent les Pays-Bas de leur appartenance à l'Union européenne et enfin la crise que ne manquerait pas de faire surgir un rejet du texte. Le coût que représente l'Union pour les Néerlandais constitue l'un des arguments les plus souvent avancés par les opposants souverainistes à la Constitution européenne. Parmi les motivations des électeurs se déclarant hostiles à la Constitution figurent également le rejet d'une adhésion future de la Turquie comme le mécontentement à l'égard du dernier élargissement.
Dans une lettre ouverte publiée le 28 avril par le premier quotidien des Pays-Bas, De Telegraaf, le Premier ministre Jan Peter Balkenende a décliné les raisons pour lesquelles « les Néerlandais doivent le 1er juin voter en faveur de la Constitution européenne (...) Parce que la Constitution rend plus efficace la lutte contre le terrorisme, la lutte contre la pollution de l'environnement et la politique d'asile. Parce que les Pays-Bas, en tant que pays commerçant, ont plus que tout autre besoin d'une économie européenne ouverte. Parce que les citoyens qui veulent réduire l'ingérence de Bruxelles en auront largement la possibilité avec ce texte, le premier traité européen qui en offre la possibilité. Et parce qu'il faut ancrer l'immense bénéfice de soixante ans de paix », tels sont les arguments avancés par Jan Peter Balkenende. « L'Union européenne marche » affirme le Premier ministre, reconnaissant toutefois que beaucoup reste à faire en termes « d'écoute, d'ouverture et d'efficacité », points sur lesquels précisément « la Constitution apporte des améliorations ». Il tente de rassurer les électeurs qu'effraierait une éventuelle dilution de l'identité néerlandaise au sein de l'Europe. « La Constitution stipule que l'identité nationale doit être respectée, elle précise les limites des compétences de l'Union » écrit-il avant de s'élever en faux contre certaines affirmations relayées par des opposants au texte comme la facilitation de l'entrée de la Turquie dans l'Union avec ce texte. « Les opposants n'offrent aucune perspective pour une meilleure Europe » conclut-il.
Le ministre des Affaires étrangères, Bernard Bot (CDA), s'est élevé contre certains arguments de campagne des membres de sa formation qu'il a souhaité tempérer en soulignant la nécessité de mener « une campagne positive ». « Plus les gens seront informés, plus ils iront voter « oui ». Les gens ne sont pas stupides ; ils savent ce qui est en jeu, ils vont voter « oui » » a-t-il déclaré. Le ministre répondait aux propos de son collègue de la Justice, Piet Hein Donner, qui avait déclaré quelques jours plus tôt : « Si vous voulez mettre l'avenir en danger, il faut surtout voter « non » au référendum. Une répétition du scénario qui a plongé la Yougoslavie dans la guerre sera alors possible. Sans Constitution européenne, l'irritation et la méfiance entre les pays de l'Union européenne croîtront ».
De son côté, le président du groupe parlementaire du Parti populaire pour la liberté et la démocratie, Jozias van Aartsen, a mis en avant « l'immense intérêt que représente la Constitution européenne pour l'emploi néerlandais, la sécurité des Pays-Bas et l'identité néerlandaise (...) Les Pays-Bas ont une économie ouverte, nous gagnons notre argent avec le commerce et les transports. Le marché intérieur européen, ancré dans la Constitution et placé sous la surveillance constante de la Commission européenne, génère la prospérité et des centaines de milliers d'emplois dans notre pays » a-t-il déclaré.
Enfin, le président du groupe parlementaire de l'Appel chrétien-démocrate, Maxime Verhagen, a demandé à Wouter Bos, président du groupe du parti du travail, Jozias van Aartsen du Parti populaire pour la liberté et la démocratie, Boris Dittrich du Parti des démocrates 66 et Femke Halsema de la Gauche verte de se regrouper pour poser, tous ensemble, sur une affiche appelant à voter « oui » à la Constitution européenne. Maxime Verhagen a estimé que « la lutte pour le « oui » dépasse les limites de la politique de parti » et appelé ses collègues à « concilier ce qui paraît inconciliable ».
La commission du référendum dispose de quatre cent mille euro de subvention en faveur du camp du « oui », de la même somme pour le camp du « non » et de deux cent mille euro pour des projets « neutres » liés au référendum. Cependant, si les adversaires de la Constitution se lancent dans une campagne de grande envergure, le gouvernement pourra puiser dans une « caisse de guerre » d'un million et demi d'euro. « Si l'on a recours aux grands moyens, le gouvernement ne doit pas avoir les mains liées » a souligné le secrétaire d'Etat aux Affaires européennes, Atzo Nicolai.
Aux Pays-Bas, les différentes organisations de la société civile sont, dans leur grande majorité, favorables à la ratification du texte européen. Le patronat et le mouvement syndical se sont ainsi déclarés en faveur du «oui » même si, officiellement, ces organisations ne donnent jamais de consigne de vote. « En tant que FNV, nous faisons des déclarations uniquement dans les domaines dans lesquels nous avons de l'autorité et des connaissances. Par conséquent, s'agissant de la politique étrangère de l'Union européenne, nous ne formulons pas de jugement ou de consigne de vote mais nous nous exprimons en revanche sur les sujets socioéconomiques et nous estimons que la Constitution est un progrès par rapport au traité de Nice » souligne Lodewijk de Waal, président de la Fédération néerlandaise du mouvement syndical (FNV), organisation syndicale la plus puissante du pays (la FNV regroupe quatorze syndicats et plus d'1,2 million d'adhérents). Dans une déclaration commune accessible sur Internet, les organisations patronales et syndicales soulignent que la Constitution européenne constitue un « pas en avant parce qu'elle rapproche de l'Europe sociale, constituant un progrès dans le domaine de la démocratie, du dialogue social et de l'économie sociale de marché ». Les partenaires sociaux trouvent positif que le texte accroisse « les compétences et la participation du Parlement européen, par exemple dans le domaine de la sécurité sociale des travailleurs migrants ».
Le gouvernement a demandé à une centaine d'organisations (églises, associations d'enseignants, d'automobilistes, etc.) de soutenir la campagne en faveur du « oui » à la Constitution européenne. Le gouvernement a ouvert un site Internet (www.grondweteu.nl) sur lequel on peut lire le journal en ligne du secrétaire d'Etat aux Affaires européennes, Atzo Nicolai. « En tant que pays moyen, stratégiquement bien situé et avec une économie ouverte, nous profitons comme nul autre d'une Europe forte. Les Pays-Bas sont en pleine Union européenne, ils la connaissent bien et ils y ont beaucoup de vieux et nouveaux amis. Grâce à l'Europe, les Pays-Bas peuvent être plus performants sur le plan économique et mieux faire entendre leur voix » écrit-il.
La dernière enquête d'opinion réalisée sur deux mille deux cents personnes par l'institut Maurice de Hond pour la chaîne de télévision publique NOS et publiée le 23 avril dernier révélait que, pour la première fois, parmi les personnes interrogées affirmant qu'elles se rendraient aux urnes le 1er juin prochain (32%), une majorité (52%) déclarent s'apprêter à voter « non » au référendum, 48% se prononçant en faveur de la ratification de la Constitution européenne. Un deuxième sondage réalisé le 24 avril par l'institut pour le public et la politique (IPP) indique également qu'une majorité d'enquêtés (58,2%) s'apprêtent à voter « non », contre 41,8% se prononçant pour le « oui ». Précisons néanmoins que cette enquête, effectuée auprès de sept mille cinq cents internautes s'étant rendus sur le site www.referendumwijzer.nl, n'est pas véritablement représentative de la population néerlandaise. Enfin, le 29 avril, l'émission politique Nova, diffusée par la télévision publique, faisait état d'une nouvelle enquête d'opinion réalisée sur six cents personnes qui révélait que 37% des personnes interrogées comptaient se rendre aux urnes le 1er juin prochain. Parmi celles-ci, 32% affirment qu'elles voteront « non », 30% qu'elles se prononceront en faveur du « oui » et 38% sont encore indécises.
Le résultat du référendum français aura certes une importance majeure aux Pays-Bas, tout comme, d'ores et déjà, la campagne et les débats qui ont lieu dans l'Hexagone ne manquent pas d'influencer la campagne néerlandaise. Force est de constater que, même si peu d'enquêtes d'opinion ont été réalisées à ce jour, à mesure que se rapproche la date du référendum, s'effrite le soutien à la Constitution. « Nous ne sommes pas inquiets car il nous reste encore du temps et de la marge pour convaincre notamment les nombreux indécis » a affirmé Jan Jacob van Dijk, porte-parole de l'Appel chrétien-démocrate pour la Constitution européenne. De son côté, le Premier ministre qui, la semaine dernière, a décidé d'écouter ceux de son camp qui lui reprochait son immobilisme et de s'engager plus activement dans la campagne, s'est dit convaincu qu'une campagne forte lui permettra de gagner le référendum. La campagne officielle débutera le 14 mai prochain.
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