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Le parti d'Andrej Babis, ANO, arrive en tête des élections législatives tchèques

Élections en Europe

Corinne Deloy

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23 octobre 2017
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Corinne Deloy

Chargée d'études au CERI (Sciences Po Paris), responsable de l'Observatoire des élections en Europe à la Fondation Robert Schuman

ANO (OUI), dont l'acronyme signifie à la fois " oui " et Action des citoyens insatisfaits, parti populiste membre de la coalition gouvernementale sortante dirigé par le milliardaire Andrej Babis, est arrivé largement en tête des élections législatives en République tchèque les 20 et 21 octobre avec 29,64% des suffrages et 78 sièges (+ 31 par rapport au précédent scrutin législatif des 25 et 26 octobre 2013).

Le Parti démocrate-civique (ODS), parti eurosceptique de droite dirigé le par Petr Fiala, est arrivé en deuxième position avec 11,32% des voix et 25 sièges (+ 9). Il est suivi par le Parti pirate (P), qui a recueilli 10,79% des voix et remporté 22 sièges (+ 22). Les Pirates accèdent au parlement pour la première fois de leur histoire. " Je crois que nous sommes parvenus à mobiliser non seulement tous ceux qui votent pour la première fois mais aussi ceux qui n'ont pas voté lors des 10 à 15 dernières années " a souligné leur dirigeant Ivan Bartos.

Le parti nationaliste Liberté et démocratie directe (SPD), parti populiste de droite conduit par Tomio Okamura, a pris la quatrième place avec 10,64% des suffrages et 22 sièges (+ 22). " Je suis heureux que nos idées et notre programme, qui visent à introduire la démocratie directe, à donner le pouvoir aux citoyens, à arrêter l'islamisation de la République tchèque et à stopper tout accueil de migrants, aient bénéficié d'un si grand soutien " a déclaré le dirigeant du parti à l'annonce des résultats.

Le Parti communiste de Bohème et Moravie (KSCM), dernier parti communiste non réformé d'Europe centrale dirigé par Vojtech Filip, a obtenu 7,76% des suffrages et 15 sièges (- 18). Il a donc devancé le Parti social-démocrate (CSSD) du Premier ministre sortant, Bohuslav Sobotka. qui a subi un important revers et a recueilli seulement 7,27% des voix et remporté 15 sièges (- 35), soit le plus faible résultat de son histoire.

Trois autres partis seront représentés à la Chambre des députés, chambre basse du parlement. Il s'agit de l'Union chrétienne-démocrate-Parti du peuple (KDU-CSL), parti centriste dirigé par Pavel Belobradek, qui a obtenu 5,80% des suffrages et 11 sièges (- 3) ; de Tradition, responsabilité, prospérité 09 (TOP 09), parti de centre droit présidé par Miroslav Kalousek, qui a obtenu 5,31% des suffrages et 6 sièges (- 20) et enfin des Maires et indépendants (STAN), parti conduit par Petr Gazdik, qui a recueilli 5,18% des voix et remporté 6 sièges (+ 6).

La participation a été quasiment équivalente à celle enregistrée lors des précédentes élections législatives des 25 et 26 octobre 2013. Elle s'est élevée à 60,84%, soit +1,36 point.

Au total, 9 partis seront représentés à la Chambre des députés qui sera donc une assemblée très fragmentée. A l'issue du scrutin, la scène politique tchèque est ébranlée. " Nous sommes devant un tremblement de terre, une révolte totale contre les partis traditionnels et l'orthodoxie. Depuis 1990, je n'ai pas de souvenir d'élections ayant autant bouleversé le paysage politique tchèque " a souligné Milan Nic, analyste pour le think tank Conseil allemand sur les relations extérieures (DGAP).

Andrej Babis devrait donc être le prochain chef du gouvernement tchèque. Le président de la République Milos Zeman a indiqué durant la campagne électorale qu'il désignerait le dirigeant du parti qui arriverait en tête du scrutin législatif au poste de Premier ministre. Chacun des partis politiques avaient également annoncé qu'il ne gouvernerait pas avec Andrej Babis. Néanmoins, comme l'a déclaré Michal Klima de l'université de Prague : " Si ANO gagne les élections législatives avec une réelle avance, il deviendra une fiancée très riche, qui pourra choisir entre quatre ou cinq autres partis et pourra même créer une coalition avec un seul partenaire ".

Lukas Macek, directeur de Sciences-Po Dijon, a confirmé : " Dans les négociations, ANO sera incontournable. Si certains ont pensé qu'il pourrait y avoir une coalition anti-Babis de tous les petits partis qui s'allieraient contre ANO, ce scénario est quasiment impossible. L'avance d'ANO est tellement écrasante et la diversité des partis qui entreront au parlement est trop grande pour que l'on puisse envisager une telle possibilité. ANO sera au gouvernement et mènera la danse " a-t-il indiqué. Andrej Babis a néanmoins affirmé qu'il excluait de gouverner avec les extrêmes, soit avec le Parti communiste de Bohème et Moravie ou avec Liberté et démocratie directe.

" Andrej Babis est un populiste par excellence, un oligarque imprévisible, qui voudrait gouverner le pays comme une entreprise familiale. Un autocrate peu féru de démocratie, qui ressemble finalement beaucoup à Donald Trump " affirme Jiri Pehe, directeur de la New York University à Prague. Jacques Rupnik, chercheur à Sciences Po, qualifie le vainqueur des élections législatives de " populiste entrepreneurial ", soit " un entrepreneur qui a réussi dans les affaires et qui, en quelque sorte, veut prolonger son succès ou transformer l'essai en entrant dans le jeu politique. Donc, d'une certaine façon, il achète son ticket d'entrée sur la scène politique et il le fait en brisant la structure partisane existante. Généralement, il a un grand thème : la lutte contre la corruption mais aussi l'efficacité " précise-t-il.

" Andrej Babis se présente comme la seule personne capable de maintenir l'ordre dans le pays. Beaucoup d'électeurs sont convaincus qu'il sera un bon manager, notamment parce qu'il est millionnaire et que donc, il n'aura pas besoin de voler l'Etat " analyse Josef Mlejnek, politologue à l'université Charles de Prague.

Agé de 63 ans, Andrej Babis est né à Bratislava. Fils de diplomate, il a vécu en France et en Suisse et est diplômé d'économie de l'université de Bratislava. Il a débuté sa carrière dans le commerce international, dirigeant la délégation commerciale tchécoslovaque au Maroc durant six ans. En 1993, il a fondé Agrofert, qui rassemble des entreprises du secteur agroalimentaire, chimique et de l'industrie du bois. Plus de 50 000 personnes travaillent pour ce holding qui est le premier employeur privé de la République tchèque. La fortune personnelle d'Andrej Babis est estimée à 3 milliards €. L'homme est également propriétaire du groupe de médias Mafra, qui édite notamment Mlada fronta Dnes et Lidove noviny, les deux quotidiens les plus lus du pays.

Le 11 mai 2011, Andrej Babis a fondé ANO, parti dont il est toujours le président. Il avait recueilli 18,66% des suffrages aux élections législatives des 25 et 26 octobre 2013 et était entré au gouvernement dirigé par le social-démocrate Bohuslav Sobotka. Andrej Babis avait été nommé ministre des Finances en 2014, un poste qu'il a occupé jusqu'à son éviction le 24 mai dernier.

Le 6 septembre, la Chambre des députés a voté par 123 voix pour (4 contre et 7 abstentions) la levée de son immunité parlementaire et de celle de Jaroslav Faltynek, vice-président d'ANO et ancien membre de la direction d'Agrofert. Les deux hommes sont soupçonnés d'avoir, en 2009, fait profiter de façon illicite Capi hnizdo (Nid de cigognes), un centre de conférences et de villégiature situé au sud-est de Prague, de 50 millions de couronnes (1,85 million €) de subventions européennes délivrées en faveur des petites et moyennes entreprises et du tourisme. Le 9 octobre, Andrej Babis a été mis en examen, décision contre laquelle il a immédiatement fait appel.

Le 21 octobre, Andrej Babis a donc réussi son pari en faisant de son parti la première force politique de la République tchèque, ce qui devrait lui permettre d'atteindre son objectif et de gouverner le pays durant les 4 années à venir. " J'ai réussi tout ce que je voulais au cours de ma vie. C'est pourquoi j'ai aujourd'hui l'impression qu'il me faut mettre mes forces et mon expérience au service des citoyens de notre pays " a déclaré le dirigeant d'ANO, dont l'idéologie est aussi floue que le programme est fluctuant. Difficile donc de savoir exactement de savoir à quoi ressemblera la prochaine législature tchèque.

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