Analyse

Le Rassemblement démocratique (DISY) pourrait conserver le pouvoir à Chypre à l'issue des élections législatives du 30 mai

Élections en Europe

Corinne Deloy

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17 mai 2021
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Corinne Deloy

Chargée d'études au CERI (Sciences Po Paris), responsable de l'Observatoire des élections en Europe à la Fondation Robert Schuman

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557 589 Chypriotes sont appelés aux urnes les 30 mai prochain pour désigner les 56 membres de la Vouli antiprosopon (Chambre des représentants), chambre unique du Parlement, qui a été dissoute le 22 avril dernier. 1 160 bureaux de vote mobiles sillonneront le pays pour permettre aux personnes infectées par le coronavirus de remplir leur devoir civique à partir de leur domicile. Par ailleurs, 10 bureaux de vote seront ouverts à l'étranger : 4 à Londres comme à Athènes et 2 à Thessalonique.

Au total, 659 candidats issus de 15 partis politiques et groupements de citoyens sont en lice. Ces élections législatives pourraient bien inaugurer une nouvelle ère politique pour Chypre avec l'entrée à la Chambre des représentants de plusieurs " petits " partis, ce qui conduirait à une fragmentation inédite du Parlement.

Selon une enquête d'opinion réalisée par l'institut CyBC, seuls 22% des Chypriotes se déclarent satisfaits du fonctionnement de la démocratie sur leur île et 80% disent qu'ils ne font pas confiance au système politique, le chiffre le plus élevé jamais enregistré. " Nous devions nous y attendre. Ces élections du 30 mai arrivent à la fin d'une décennie marquée par la crise financière, la pandémie de coronavirus, la corruption et les hauts et les bas des négociations sur la division de l'île " a affirmé Yannis Mavris, chercheur.

Il y a quelques mois, Chypre a été touché par le scandale des " passeports dorés ". L'île a en effet délivré des passeports à des milliers investisseurs étrangers en échange d'un investissement de 2,5 millions €, qui pouvait consister en l'achat d'une résidence. Lancé en 2007, le Cyprus Investment Programme (CIP) s'est surtout développé après la crise économique de 2013 alors que le pays était au bord de la faillite. Selon le ministère de l'Intérieur, environ 4 000 étrangers ont bénéficié de ce programme qui a généré quelque 8 milliards € de recettes. Ce dispositif peut être utilisé par des personnes liées au crime organisé qui peuvent de cette façon infiltrer l'Union européenne, en favorisant la corruption et le blanchiment d'agent. Néanmoins, une vingtaine d'Etats membres offrent ce genre de prestations. La Commission européenne dénonce d'ailleurs régulièrement le laxisme de certains Etats dans le contrôle des candidats et le manque de transparence sur les procédures d'octroi, les " risques " que ces procédures représentent pour la " sécurité ", les possibilités de " blanchiment d'argent " et d'" évasion fiscale " qu'elles constituent. Dans un reportage, des journalistes de la chaîne Al-Jazeera se sont fait passer pour des représentants d'un personnage fictif possédant un important casier judiciaire, qui souhaitait avoir accès au programme d'investissement à Chypre. En dépit de ce fait, le reportage montre que plusieurs fonctionnaires et personnalités n'hésitent pas à l'aider à obtenir un passeport chypriote. A la suite de sa diffusion, le président du parlement, Demetris Syllouri (Mouvement solidaire, KA), impliqué dans la transaction, a été contraint à la démission. Le système dit des passeports dorés a été supprimé le 1er novembre dernier. Les autorités chypriotes réexaminent les dossiers des 4 000 personnes qui ont bénéficié du dispositif. La semaine dernière, elles ont annoncé la révocation de sept passeports.

Une campagne électorale difficile

Il n'est donc pas étonnant que, selon une enquête d'opinion réalisée en mars dernier par l'institut CyBC, la lutte contre la corruption constitue le premier enjeu électoral pour les Chypriotes, suivi de la gestion de la crise sanitaire.

Le Rassemblement démocratique (DISY) au pouvoir est écartelé entre sa droite qui en appelle au patriotisme pour ne pas perdre ses électeurs les plus conservateurs et essayer de rallier les sympathisants de partis plus à droite comme ceux du Front populaire national (ELAM), et sa gauche qui cherche à attirer les électeurs du centre pour l'emporter le 30 mai.

Le Parti progressiste des travailleurs (AKEL) accuse le gouvernement sortant de négliger le problème de la division de l'île et de ne pas s'intéresser aux Chypriotes vivant dans la partie nord de l'île. Le principal parti d'opposition regrette la quasi-absence d'Etat-providence et de politique sociale dans le pays. Pour remédier à cette situation, il propose donc de moderniser l'Etat-providence et de décentraliser la politique sociale. Il promet d'accorder plus d'argent aux communautés locales pour un meilleur encadrement des plus jeunes comme des plus âgés. Il veut rendre plus aisée l'accession à la propriété immobilière par la régulation des loyers et des hypothèques sur des critères socioéconomiques et par des baisses d'impôts qui seraient accordées aux jeunes propriétaires. Enfin, il promet d'abandonner la pénalité de 12% appliquée aux personnes qui cessent de travailler à 63 ans.

Le Parti démocratique (DIKO) reproche au gouvernement sortant sa gestion de la crise sanitaire dans une île qui vit en grande partie du tourisme.

Le Mouvement des écologistes-Coopération citoyenne (KOSP) tente de se poser en force alternative aux partis traditionnels. Selon certains analystes politiques, les écologistes pourraient réaliser un résultat élevé du fait du positionnement de leur nouveau dirigeant, Charalambos Theopemptou, davantage centré sur les questions d'environnement et moins sur la division de l'île que l'était son prédécesseur.

Un nouveau parti, Famagouste pour Chypre, pourrait créer la surprise le 30 mai. Il a été fondé par des réfugiés mécontents de la gestion politique de la division de Chypre. Il critique l'utilisation de la division de l'île par les partis politiques pour préserver le statu quo partisan. Le parti soutient une solution fédérale. Il présente 19 candidats dans chacune des circonscriptions, dont un grand nombre de femmes et de jeunes. Il se bat contre la corruption et souhaite développer un système éducatif capable de permettre aux enfants de devenir de véritables citoyens.

Selon une enquête d'opinion réalisée par l'institut Pulse entre les 4 et 7 mai derniers, le Rassemblement démocratique (DISY) devrait arriver en tête des élections avec 25,7% des suffrages devant le Parti progressiste des travailleurs (AKEL), 22,9%, le Parti démocratique (DIKO), 12,1%, le Mouvement des écologistes-Coopération citoyenne, 7,10% des voix à égalité avec le Front populaire national (ELAM), le Mouvement pour la social-démocratie-Alliance des citoyens (EDEK-SYPOL), 5,7%, le Front démocratique (DIPA), parti centriste créé en 2018 par des membres du DIKO opposés à Nikolas Papadopoulos et dirigé par Marios Garoyian, 3,6% comme le Changement de génération (Allagi Genias), ancien Mouvement des indépendants, conduit par Anna Theologou et, enfin, le Mouvement solidaire, 2,9%.

Une île divisée depuis bientôt 47 ans

De très nombreux Chypriotes n'ont jamais connu leur île unifiée. Depuis juillet 1974, celle-ci est traversée par une ligne verte contrôlée par les Casques bleus de l'ONU. Cette organisation est présente à Chypre depuis 1963, année des premiers affrontements entre les deux communautés grecque et turque qui peuplent l'île. Le 15 juillet 1974, la Garde nationale, inspirée par la junte militaire en place en Grèce depuis 1967, a renversé le président chypriote, l'archevêque Makarios III, et l'a remplacé par Nikos Sampson. Le 20 juillet, les troupes turques ont débarqué à Kyrénia pour protéger la minorité turque. Avec l'aide de l'armée grecque, le gouvernement de Nikos Sampson est parvenu à les maintenir derrière une ligne (qui deviendra la ligne verte) avant de s'effondrer quatre jours plus tard. La Turquie a toutefois refusé de quitter la partie nord de l'île qu'elle occupait, y compris après la chute de Nikos Sampson.

Le 30 juillet 1974, la Turquie, la Grèce et le Royaume-Uni ont institué une zone de sécurité gardée par les Casques bleus de l'ONU et les trois pays ont reconnu l'existence de deux administrations autonomes. Le 13 février 1975, le dirigeant turc, Rauf Denktash, a proclamé l'Etat autonome, laïc et fédéré dont il a été élu président en 1976. En janvier 1977, Rauf Denktash et Makarios III se sont accordés sur le principe d'un Etat fédéral bicommunautaire mais la mort de ce dernier, le 3 août 1977, a mis un terme aux négociations.

La République turque de Chypre du Nord a proclamé son indépendance en 1983. La Turquie est le seul Etat à la reconnaître au niveau international. A ce jour, 35 000 soldats turcs sont toujours stationnés dans la partie nord de l'île. Le conflit a fait environ 3 000 morts, 1 400 disparus et des dizaines de milliers de déplacés.

Le 11 novembre 2002, l'ONU a proposé un troisième plan de paix et de réunification (après ceux de 1986 et de 1992). Ce plan Annan (du nom du Secrétaire général de l'ONU de l'époque) proposait la création d'une République unie de Chypre sous la forme d'une confédération de deux Etats constituants largement autonomes inspirée du modèle de la Confédération helvétique. Ce plan a été soumis par référendum à l'ensemble des habitants de l'île le 24 avril 2004. Les Chypriotes l'ont rejeté à 75,83% quand 64,9% des habitants de la partie septentrionale de l'île l'ont approuvé. 89,18% des électeurs se sont rendus aux urnes à Chypre et 87% dans la partie nord.

Alors qu'elles s'étaient intensifiées en 2016, les négociations sur la réunification de l'île entre la République de Chypre et la partie nord de l'île dirigée par le président, Mustafa Akinci, sont à l'arrêt depuis le 6 juillet 2017, les deux parties n'ayant pas réussi à se mettre d'accord sur le statut des forces turques présentes sur l'île et Ankara ayant refusé de renoncer à ses droits d'intervention lors de discussions qui se sont tenues sous l'égide de l'ONU à Crans-Montana en Suisse.

A la fin du mois d'avril dernier, les deux parties se sont retrouvées une nouvelle fois en Suisse, à Genève sous l'égide du Secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, mais les pourparlers, auxquels participaient les trois pays garants de l'île, ont de nouveau échoué à déboucher sur un début de solution. Aucun point commun n'est apparu qui aurait pu permettre la reprise des discussions pour résoudre la question de la division de l'île.

Ersin Tatar (Parti de l'unité nationale, UBP), Premier ministre de la partie nord, est un dur, aligné à 100% sur les positions de Recep Tayyip Erdogan. Ce dirigeant est un ennemi affiché de la réunification et d'une solution fédérale. Il est peu probable qu'il recherche un compromis " a indiqué Hubert Faustmann, professeur de relations internationales à l'université de Nicosie. " Le président de la République de Chypre, Nicos Anastasiades, est bloqué dans les négociations par son opposition qui ne cherche aucun apaisement, aucune solution avec le nord de l'île. Ce sont des postures électorales qui, à quelques semaines des élections législatives, risquent de bloquer tout le processus de paix " a affirmé Tozun Bahcheli, professeur de science politique de l'université d'Ontario, spécialiste de Chypre.

Selon Gilles Bertrand, maître de conférences en science politique au Centre Emile Durkheim de Sciences Po Bordeaux, " le règlement du problème chypriote ne pourra venir que de la société civile elle-même, bien plus que des autorités en place ". Ainsi, explique-t-il, " ce sont bien les manifestations qui se sont déroulées en 2002 dans la partie nord contre la crise financière et la dépendance à la Turquie qui ont conduit au plan Annan ".

Le système politique chypriote

La Constitution de 1960 n'est plus appliquée dans l'île depuis les troubles intercommunautaires de 1963. Le président de la République de Chypre, élu au suffrage universel pour un mandat de 5 ans, occupe également la fonction de chef du gouvernement. L'actuel président Nicos Anastasiades (DISY) a succédé à Demetris Christofias (AKEL), le 24 février 2013, recueillant 57,48% des suffrages face à Stavros Malas (AKEL). Il a été réélu cinq ans plus tard le 4 février 2018 avec 55,99% des voix contre le même adversaire.

La Vouli antiprosopon (Chambre des représentants) est la chambre unique du Parlement. En juillet 1985, les députés ont adopté une loi qui a porté à 80 le nombre de sièges : 56 (70%) sont élus par les Chypriotes grecs et 24 (30%) réservés à la communauté turque. Ces derniers sièges sont donc vacants et ne seront donc pas renouvelés le 30 mai prochain.

Les candidats au scrutin législatif doivent obligatoirement être âgés d'au moins 35 ans.

Le vote s'effectue selon la méthode de Hare Niemeyer au sein de 6 circonscriptions : Nicosie, 20 députés ; Limassol, 12 ; Famagouste, 11 ; Larnaka, 6 ; Paphos, 4 et Kyrenia, 3. Les électeurs peuvent voter pour un seul parti (en classant les candidats de ce parti par ordre de préférence) ou pour des candidats de différents partis.

Enfin, le parlement chypriote comprend 3 députés qui représentent les minorités religieuses du pays (Arméniens orthodoxes, Maronites catholiques et Latins catholiques) et qui sont chacun élus par les seuls membres de leur communauté. Chaque communauté compte environ 5 000 membres et est regroupée dans une enclave. Les pouvoirs législatifs de ces députés sont limités aux domaines de l'éducation et des questions ethniques et religieuses.

8 partis politiques ont obtenu des élus à la Chambre des représentants lors des précédentes élections législatives du 22 mai 2016 :

– le Rassemblement démocratique (DISY), parti du président de la République Nicos Anastasiades, situé à droite sur l'échiquier politique. Fondé en 1976 et dirigé par Averof Neophytou, il possède 20 sièges ;

– le Parti progressiste des travailleurs (AKEL), créé en 1926 sous le nom de Parti communiste (CPC) mais qui a abandonné une partie de ses idéaux marxistes-léninistes. Conduit par Andros Kyprianou, il compte 19 députés ;

– le Parti démocratique (DIKO), parti de centre-gauche fondé en 1976 et dirigé par Nikolas Papadopoulos, possède 9 sièges ;

– le Mouvement pour la social-démocratie (EDEK), créé en 1969 et présidé par Marinos Sizopoulos, compte 5 députés ;

– l'Alliance des citoyens (SYPOL), dirigée par Giorgos Lillikas opposée à tout plan d'austérité et qui se bat pour la réunification et rejette toute idée de fédération, possède 3 sièges ;

– le Mouvement solidaire (KA), parti fondé Eleni Theocharous en 2015 , compte 3 députés ;

– le Mouvement des écologistes-Coopération citoyenne (KOSP), parti vert conduit par Charalambos Theopemptou, possède 2 sièges ;

– le Front populaire national (ELAM), parti de droite radicale et nationaliste dirigé par Christos Christou, compte 2 députés.

Rappel des résultats des élections législatives du 22 mai 2016 à Chypre

Participation : 66,74%

Source : Site internet des élections

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