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Corinne Deloy,
Fondation Robert Schuman
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ENCorinne Deloy
Fondation Robert Schuman
Le 14 septembre dernier, les députés de la Chambre des représentants de Biélorussie (Palata pretsaviteley) votaient à une très large majorité (108 des 110 députés) en faveur d'un simulacre d'élection présidentielle le 19 décembre prochain. Selon toute vraisemblance, l'actuel titulaire du poste, Alexandre Loukachenko, au pouvoir depuis le 20 juillet 1994, devrait être reconduit et probablement dès le 1er tour, comme habituellement en Biélorussie! Il devrait cependant avoir un peu plus de difficultés à s'imposer même si les forces de l'opposition, qualifiées d'ennemis du peuple par lui, ne croient pas à l'organisation d'élections libres et transparentes sous son régime dictatorial.
La parodie "d'élections" est anticipée de 3 mois. Principale raison : les tensions actuelles entre la Biélorussie et la Russie. Moscou reproche à Minsk de ne pas avoir honoré sa promesse en refusant de reconnaître l'indépendance de l'Ossétie du Sud et de l'Abkhazie et d'avoir accordé l'asile à Kurmanbek Bakiev. Début septembre, Alexandre Loukachenko a accusé la Russie d'avoir organisé un attentat contre son ambassade afin de discréditer le régime biélorusse.
"La campagne électorale est construite sur des thématiques antirusses et des accusations directes contre Moscou. Par ses propos, Alexandre Loukachenko n'a pas seulement bafoué les normes diplomatiques mais également celles de la décence humaine" a déclaré le Président russe, Dmitri Medvedev (Russie unie, ER). "Les autorités biélorusses sont connues pour travailler continuellement à créer un ennemi à donner en pâture au peuple. Auparavant, cela a été l'Amérique, puis l'Europe, puis l'Occident en général. Maintenant, il s'agit de la Russie, pays qui a été promu principal ennemi de Minsk" a-t-il ajouté. Il n'a pas hésité à renvoyer Alexandre Loukachenko à ses problèmes intérieurs en lui demandant d'instruire les nombreuses affaires de disparition (ou de morts suspectes) qui ont eu lieu dans le pays ces dernières années. Le dernier cas en date est celui d'Oleg Bebenine, journaliste, fondateur et dirigeant du plus important site internet d'opposition biélorusse Charter97.org, âgé de 36 ans, retrouvé pendu le 3 septembre dernier dans sa datcha. Réagissant à ces propos, Alexandre Loukachenko a, fin septembre, accusé l'administration de Dmitri Medvedev "d'orchestrer un flux de mensonges éhontés, d'absurdités et de désinformation sur la Biélorussie".
Dans cette bataille entre les deux pays, Moscou possède une arme importante : la richesse de son sous-sol. En effet, Dmitri Medvedev a rappelé à son "homologue" biélorusse que son pays procurait à Minsk pétrole et gaz à des conditions avantageuses (185 $ les 1000 m3 de gaz) pour 4 milliards $ par an. La Russie pourrait ainsi revoir à la hausse les prix de son gaz (les 1000 m3 pourraient passer à 200 $).
Alexandre Loukachenko, qui a promis d'augmenter le salaire moyen en le faisant passer de 430 à 500 $, a entrevu le mécontentement qu'une hausse des tarifs du gaz (qui intervient généralement en fin d'année et annulerait les effets d'une augmentation des salaires) ne manquerait pas de susciter au sein de la population. Il était donc devenu urgent pour lui d'organiser la pseudo-élection au plus vite.
La fonction présidentielle
La Biélorussie vit sous un régime autoritaire dans lequel Alexandre Loukachenko détient tous les pouvoirs. Nostalgique de l'ère soviétique et adepte de ses méthodes répressives, il règne en maître absolu sur le pays qu'il dirige d'une main de fer.
Le régime biélorusse contrôle les partis politiques – de nombreux opposants politiques sont emprisonnés – les syndicats, les associations, les médias, l'ensemble de l'administration et enfin la société. Le pays détient le triste record du plus grand nombre de résolutions du Parlement européen condamnant les agissements de ses autorités.
Mis au ban de la communauté internationale pour ses atteintes aux droits de l'Homme, Alexandre Loukachenko est interdit de séjour dans l'Union européenne et aux Etats-Unis, il a verrouillé la Biélorussie qu'il a isolée du reste du monde, ayant mis en place une idéologie d'Etat enseignée dans les établissements d'enseignement secondaire et supérieur comme dans les entreprises
En novembre 1996, 2 ans après son accession à la présidence (20 juillet 1994), Alexandre Loukachenko a organisé un référendum lui permettant de prolonger de 2 ans le terme de son mandat et d'élargir ses prérogatives, et ce alors que la loi électorale interdisait toute modification de la Constitution du pays par référendum. Il a été ensuite reconduit à la magistrature suprême pour un mandat de 5 ans, le 9 septembre 2001, dès le 1er tour de scrutin avec 75,65% des suffrages contre 15,65% à son principal adversaire, Vladimir Gontcharik. Ce scrutin n'a pas été reconnu comme valide par les observateurs de l'OSCE et a été vivement contesté par l'opposition.
Le 17 octobre 2004, jour où étaient organisées des "élections" législatives, dénoncées comme frauduleuses par les observateurs chargés de surveiller le scrutin, la Constitution lui interdisant de se présenter une 3e fois, Alexandre Loukachenko a organisé une nouvelle consultation populaire par laquelle il a obtenu l'adoption d'un amendement à la Constitution levant la limitation du nombre d'élection d'une même personne à la Présidence. Alexandre Loukachenko est donc en lice pour un 4e mandat consécutif.
Les candidats au scrutin
10 personnes sont à ce jour (la clôture des candidatures est fixée au 23 novembre) candidates :
- Alexandre Loukachenko, au pouvoir depuis le 20 juillet 1994 ;
- Vladimir Nekliaiev, 64 ans, poète et leader du mouvement "Dis la vérité !", vu comme le seul véritable adversaire. Allié d'Alexandre Loukachenko lors de son 1er mandat, il s'est ensuite exilé à l'étranger et, durant 5 ans, a vécu en Finlande et en Pologne. "Je suis là pour vous apporter la victoire" est le slogan choisi par celui qui a déclaré avoir décidé de participer au scrutin en raison du manque de perspectives des opposants à Loukachenko ;
- Ryhor Kastusyow, président du Front populaire ;
- Dmitri Us, directeur de la société Tryvium ;
- Nikolaï Statkevich, co-fondateur du Parti social démocrate ;
- Jaroslav Romantchouk, 44 ans, économiste et vice-président du Parti de l'unité civile ;
- Vitali Rimachevski, co-président du Parti de la démocratie chrétienne ;
- Andreï Sannikov, leader de Biélorussie européenne, mouvement créé en 2008 pour faire avancer la cause de l'adhésion de Minsk à l'UE;
- Alexeï Mikhalevich, avocat et membre de l'Union de la modernisation ;
- Viktor Terechtchenko, ancien chef de l'institut international du management de Minsk, président du Conseil de l'Association des petites et moyennes entreprises, candidat malheureux aux précédents scrutins de 1994 et 2001.
Toute personne souhaitant participer au "scrutin" doit obligatoirement recueillir les signatures de 100 000 électeurs pour être enregistrée de façon officielle.
Alexandre Milinkevitch, président du Mouvement pour la liberté, candidat unique de l'opposition démocratique lors du scrutin du 19 mars 2006 (officiellement, il a recueilli 6% des suffrages mais a toujours affirmé avoir obtenu 18% des voix), a choisi de ne pas être candidat. "Je ne veux pas être un simple figurant et je ne peux pas participer à des élections qui ne sont pas transparentes" a déclaré celui à qui le Parlement européen a décerné le prix Sakharov pour la liberté d'expression en 2006 et qui, en refusant de participer, souhaite mettre l'accent sur l'illégitimité du vote.
Alexandre Milinkevitch considère le scrutin de 2010 très différent de celui de 2006. "En 2006, le pouvoir était plus fort et il n'y avait pas de conflit avec la Russie. Aujourd'hui, Alexandre Loukachenko est plus faible que jamais, l'économie est au bord du gouffre et nous sommes en guerre de l'information avec la Russie" a-t-il souligné.
Alexandre Milinkevitch regrette la division de l'opposition qui, selon lui, a perdu de l'influence depuis 2007, année où les luttes internes ont débuté. "La désunion de l'opposition est la raison principale pour laquelle j'ai refusé de participer au scrutin présidentiel. Les Biélorusses le perçoivent de façon négative, ce qui veut dire que nous ne parviendrons pas à mobiliser les électeurs" a-t-il déclaré.
Alexandre Milinkevitch s'attend à la victoire d'Alexandre Loukachenko le 19 décembre, qu'il qualifie d'ores et déjà d'illégitime. Il soutiendra le candidat qui lui semblera le plus engagé en faveur d'un rapprochement de la Biélorussie avec l'Union européenne.
Début novembre, Guido Westerwelle (Parti démocrate-libéral, FDP) et Radoslaw Sikorski (Plateforme civique, PO), respectivement ministres des Affaires étrangères d'Allemagne et de Pologne, se sont rendus à Minsk et ont rencontré Alexandre Loukachenko. "La voie de la Biélorussie vers l'Europe passe par la tenue d'une élection présidentielle honnête et libre" ont-ils déclaré. "Nous constatons l'absence de conditions pour des élections démocratiques en Biélorussie" a indiqué Ronald Pofalla, chef de la Chancellerie allemande.
Pourtant, Alexandre Loukachenko a réaffirmé sa volonté de collaborer avec l'Europe indiquant que son pays avait besoin de l'Europe et que l'Europe avait également besoin de la Biélorussie. "Les démarches entreprises par l'Union européenne ne contribuent pas à l'amélioration rapide des relations : je parle des sanctions et des restrictions économiques. Ces méthodes devraient être abandonnées" a-t-il indiqué. Bruxelles a assoupli en octobre dernier les restrictions pesant sur les visas de plusieurs personnalités biélorusses.
Le comportement des autorités biélorusses, prises entre tensions avec leur voisin russe et leur besoin de reconnaissance internationale, à l'égard de l'opposition s'est légèrement assoupli. Ainsi, les candidats n'ont pas rencontré de problèmes particuliers pour recueillir les signatures d'électeurs indispensables pour leur enregistrement auprès de la Commission électorale centrale. En outre, celle-ci a adopté le 5 novembre dernier une résolution autorisant les candidats à lever des fonds pour leur campagne. L'argent dont ils disposeront pourra être utilisé pour acheter du temps d'antenne à la télévision ou à la radio, dans les journaux, louer des bureaux, régler les frais de transport ou d'équipement, etc.
Les partis d'opposition, très divisés, sont peu soutenus par l'opinion publique qui voit en Alexandre Loukachenko un élément de stabilité indispensable au pays. Le 25 avril dernier ont eu lieu des élections locales. Parmi les 25 035 personnes en lice, seules 240 étaient des candidates de l'opposition. Aucune n'a été élue.
A un mois du scrutin, personne n'envisage qu'Alexandre Loukachenko ne soit pas reconduit à la tête de la Biélorussie le 19 décembre prochain.
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