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Corinne Deloy,
Fondation Robert Schuman
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ENCorinne Deloy
Fondation Robert Schuman
"Consentez-vous à la révision de l'article 29 de la Constitution afin de permettre à l'Etat de ratifier le traité de Lisbonne ?", telle est la question à laquelle 3 millions d'Irlandais devront répondre le 2 octobre.
Le 12 juin 2008, 53,4% des votants avaient rejeté cette ratification et 46,6% s'étaient prononcés pour. 53,1% des inscrits s'étaient déplacés pour remplir leur devoir civique.
C'est la 2e fois que les Irlandais sont appelés à s'exprimer sur la ratification d'un traité européen après avoir rejeté le texte lors d'un 1er référendum. Le 19 octobre 2002, 62,89% des votants avaient approuvés la ratification du traité de Nice après avoir majoritairement voté contre (par 53,87% des suffrages) le 7 juin 2001.
Selon les enquêtes post-électorales, les difficultés de compréhension du traité constituent la première raison évoquée par les personnes ayant opté pour le "non" pour expliquer leur vote. Ces enquêtes ont montré que les Irlandais voyaient la construction européenne comme une chose positive et souhaitaient le maintien de leur pays dans l'Union.
Le texte sur lequel les électeurs se prononceront le 2 octobre est assorti de plusieurs garanties que le gouvernement irlandais a obtenues de ses partenaires européens. Celles-ci concernent la défense (maintien de la politique de neutralité militaire), les affaires sociales (maintien des dispositions de la Constitution sur le droit à la vie, l'éducation et la famille) et la fiscalité (aucune modification des compétences actuelles des Etats membres). L'Irlande est par ailleurs assurée de conserver son Commissaire dans une Commission européenne resserrée.
Pour cette campagne électorale, les médias ont modifié leurs règles d'attribution du temps d'antenne. Si en 2008, celui-ci avait été identique pour chacun des camps (la presse avait suivi cette règle), la Broadcasting Commission of Ireland a indiqué que ce respect de l'équité n'était pas forcément juste après avoir constaté que les opposants au traité de Lisbonne, moins nombreux que les partisans du texte, avaient été mieux identifiés et mieux entendus du fait de leurs passages plus fréquents dans les médias. En Irlande, le gouvernement n'est pas autorisé lors d'un référendum à utiliser les fonds publics pour tenter de convaincre les Irlandais de voter dans un sens ou dans l'autre mais ne peut qu'informer la population sur l'enjeu de la consultation (jurisprudence McKenna de la Cour suprême).
"Il est évident qu'un 2e vote "non" au traité de Lisbonne aurait des conséquences sérieuses et dommageables pour l'Irlande surtout maintenant que nos partenaires nous ont accordé ce que nous demandions" a déclaré le Premier ministre Brian Cowen.
La mobilisation des autorités européennes
Selon les enquêtes d'opinion, le premier clivage sur la question de l'approbation du traité de Lisbonne est partisan : les sympathisants du Fianna Fail au pouvoir se montrent les plus enthousiastes, les proches du Sinn Fein (SF), seul parti politique favorable au "non" représenté au Dail Eireann (Chambre des représentants), Chambre basse de l'Oireachtas (Parlement), sont les plus enclins à voter "non".
Le président du Parlement européen, Jerzy Buzek, s'est rendu en Irlande le 8 septembre. "Ce référendum n'est pas un test de popularité de votre gouvernement, il concerne notre avenir commun dans l'Union européenne" a-t-il indiqué. Il a souligné qu'il n'était pas venu pour "dire aux Irlandais ce qu'il faut voter", "j'ai vécu trop longtemps sous un régime dictatorial pour seulement oser y penser" a-t-il ajouté.
José Manuel Barroso, président de la Commission européenne, était à Limerick le 21 septembre. Il a déclaré aux Irlandais qu'ils devaient impérativement voter en faveur du traité de Lisbonne s'ils souhaitaient conserver un Commissaire à Bruxelles (le traité de Nice prévoit une réduction du nombre des Commissaires) et critiqué ceux "qui jouent avec la peur" en affirmant que le niveau du salaire minimum irlandais sera abaissé si le traité de Lisbonne est adopté. Le 19 septembre, José Manuel Barroso a fait un geste en direction de l'Irlande en proposant le vote d'une aide de 14,8 millions € pour la reconversion des 2 400 salariés de l'usine Dell de Limerick récemment licenciés. "L'Union européenne est fondée sur la solidarité. Notre réponse naturelle est de venir en aide à ceux qui connaissent des difficultés" a-t-il déclaré. Cette aide doit encore être votée par le Parlement européen et acceptée par les 27 gouvernements de l'Union.
"Le traité de Lisbonne est le résultat de 8 années de négociations longues et difficiles entre 15 puis 27 partenaires. Il n'est pas parfait, les compromis ne le sont jamais, mais la raison pour laquelle nous sommes tous prêts à investir autant de temps et d'énergie dans ce texte est précisément parce que celui-ci nous permettra de mieux gérer les défis que représentent la crise financière, la mondialisation, le changement climatique et les migrations" a déclaré Margot Wallström, vice-présidente de la Commission européenne. L'ancien président polonais (1990-1995), Lech Walesa, a effectué une visite à Dublin les 17 et 18 septembre pour soutenir le "oui" au référendum.
"Nous accepterons le résultat et s'il est négatif, nous continuerons d'appliquer le traité de Nice" a indiqué le ministre irlandais des Finances, Brian Lenihan. Il a tenu à rappeler aux plus jeunes électeurs qu'avant 1973 (date de l'entrée de l'île dans la CEE), l'Irlande dépendait fortement du Royaume-Uni. De nos jours, le pays vend ses produits et ses services dans le monde entier et ses exportations ont cru de 600% durant ces 36 dernières années. Brian Lenihan a indiqué que, sans la Banque centrale européenne (BCE), le système financier irlandais aurait sombré en 2008 lorsque les banques étrangères ont retiré leurs liquidités.
Enfin, la Conférence des évêques catholiques a voulu rassurer les fidèles en indiquant que le texte européen ne conduirait nullement à une légalisation de l'avortement. "Le traité de Lisbonne ne remet pas en cause l'existence des garanties légales pour les fœtus en Irlande" peut-on lire dans le communiqué publié le 21 septembre.
Pour le gouvernement, le scrutin à ne pas perdre
"Il y a plusieurs raisons pour lesquelles nous devons voter "oui" mais la plus importante est que l'Irlande a besoin d'une Europe qui fonctionne. Un vote négatif ne signifiera pas que nous serons jetés hors de l'Union européenne mais il ne sera cependant pas sans conséquences" répète le Taoiseach (Premier ministre) Brian Cowen. "Il ne s'agit pas de savoir si vous soutenez ou non le gouvernement ou si vous êtes ou non d'accord avec Brian Cowen" rappelle t-il, averti de la faiblesse de sa cote de popularité et de l'insatisfaction de la majorité des Irlandais envers le gouvernement qu'il dirige. "Si la crise économique internationale vous a indigné ou mis en colère, vous avez justement, avec votre vote, l'occasion de faire quelque chose de positif" souligne le Premier ministre, tentant de convaincre ses administrés que l'Union européenne constitue la seule entité en mesure de faire évoluer le système financier. "C'est le moment d'utiliser le sens commun qui est la marque du caractère irlandais, de reconnaître que nous avons besoin de l'Europe et que l'Europe a besoin de l'Irlande" a-t-il conclu.
Le ministre des Affaires étrangères, Micheal Martin (FF), directeur de campagne de son parti pour le référendum, est intervenu sur l'avenir européen de l'île. "Nous serons très mal à l'aise si nous restons dans l'Union européenne en étant marginalisés et incapables de tenir le rôle qui est le nôtre depuis 36 ans" a-t-il déclaré, ajoutant que la réputation internationale du pays souffrirait d'un vote négatif.
"L'Union européenne est-elle essentielle pour notre avenir ? Telle est la question à laquelle nous devons répondre le 2 octobre prochain" affirme Mary Coughlan, Tanaiste (vice-Premier ministre) et ministre des Entreprises, du Commerce et de l'Emploi, dans le quotidien The Irish Times. "Pour les emplois, la croissance et la protection des travailleurs, l'Irlande a besoin du traité de Lisbonne" écrit-elle. Le Premier ministre Brian Cowen a rappelé que les 2/3 des emplois irlandais étaient liés à l'Europe.
Enda Kenny, leader du Fine Gael (FG), principal parti d'opposition, est favorable à la ratification du traité de Lisbonne et fait campagne sur le fait qu'un "non" au référendum équivaut à un "non" à l'emploi. Il a souligné combien l'appartenance de l'Irlande à l'Union européenne a permis d'attirer les investisseurs étrangers dans le pays et rappelé que sans l'Union, le pays n'aurait jamais atteint une telle prospérité économique. "C'est devenu un cliché de dire que seule une lettre sépare l'Irlande de Islande. En réalité, la différence entre les deux pays tient en deux lettres : le "e" et le "u"" a indiqué Gay Mitchell, député (FG) "Un vote négatif pousserait l'Irlande vers le Royaume-Uni et les eurosceptiques. Nous n'avons rien à gagner à poursuivre les intérêts des eurosceptiques britanniques" a-t-il ajouté.
Le "oui" est également porté par la société civile et le monde des affaires qui se sont fortement mobilisés pour ce 2e référendum. L'Irlande pour l'Europe, dirigé par le président du Mouvement européen et ancien président du Parlement européen, Pat Cox, a consacré 500 000 € à la campagne. La compagnie aérienne Ryanair a fait peindre le slogan "Votez oui à l'Europe" sur l'un de ses avions. La société de microprocesseurs Intel a dépensé 200 000 € pour la confection d'affiches en faveur du "oui" au traité de Lisbonne. Enfin, David Cochrane et Naoise Nunn, porte-parole du mouvement Libertas, ont appelé les Irlandais à se prononcer en faveur de la ratification après avoir été assurés que l'Irlande conserverait son Commissaire à Bruxelles.
L'organisation Coir (justice en gaélique) est l'une des plus mobilisées contre la ratification. Parmi ces groupes opposés au texte se trouvent aussi le Mouvement du peuple dont le président, Robert Ballagh, accuse les partis politiques d'effrayer les Irlandais qui souhaitent voter "non". Enfin, Richard Boyd Barrett de l'Alliance "Le peuple avant les profits" affirme que l'Union européenne a échoué à gérer la crise économique internationale actuelle. 136 conseillers locaux ont signé un texte pour dire leur opposition au traité de Lisbonne, affirmant que celui-ci entraînerait la privatisation des services publics et créerait une Europe militarisée. Parmi ces conseillers se trouvent plusieurs membres du parti d'extrême gauche, le Sinn Fein. Kieran Allen, Parti socialiste des travailleurs (SWP), tente de jouer sur l'insatisfaction et le mécontentement des Irlandais. "Voter "non" est une bonne façon de pousser le gouvernement vers la sortie" a-t-il affirmé. Mais l'événement au sein de la campagne pour le "non" a été créé par Declan Ganley qui a publiquement annoncé, le 12 septembre dans une interview au Wall Street Journal, son retour sur la scène politique et son nouvel engagement dans le combat contre la ratification du traité de Lisbonne. Le leader de Libertas a justifié son retour par sa volonté de réagir aux "insanités proférées par le camp du oui". Selon lui, ce nouveau référendum est antidémocratique. Declan Ganley, qui a échoué dans sa tentative d'imposer son parti Libertas lors des dernières élections européennes de juin dernier, n'est plus guère crédible alors qu'il avait publiquement annoncé son retrait s'il perdait aux élections européennes. "Declan Ganley est fondamentalement opposé à l'Union européenne, il partage l'approche hostile des eurosceptiques qui veulent utiliser le référendum pour atteindre leurs objectifs antieuropéens" a déclaré le ministre des Affaires européennes, Dick Roche.
"Les Irlandais ratifieront le texte par plus de 55%" affirme Dick Roche, qui se veut confiant quant à l'issue du référendum du 2 octobre. A une semaine du scrutin, les enquêtes d'opinion lui donnent raison. Selon celles-ci, 53% des Irlandais s'apprêteraient à voter "oui" et 26% "non" ; 2 personnes sur 10 (21%) sont toujours indécises. Une autre enquête d'opinion réalisée par l'institut Red C et publiée par le Farmers Journal révèle que 69% des agriculteurs se prononcent en faveur du traité de Lisbonne contre 15% qui le rejettent ; 16% n'ont toujours pas fait leur choix.
"Cette campagne est marquée par une motivation plus importante du camp du oui" analyse le chercheur à l'Institut des relations internationales et européennes de Dublin, Peadar O'Broin, qui met cependant en garde contre la possibilité d'un vote sanction (le PIB irlandais devrait baisser de 7,7% en 2009).
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