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Corinne Deloy,
Fondation Robert Schuman
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Corinne Deloy

Fondation Robert Schuman
35,3 millions d'Espagnols sont appelés aux urnes le 9 mars prochain pour renouveler l'ensemble du Parlement (Cortes generales), soit 350 députés et 208 sénateurs. La campagne officielle a débuté le 22 février et s'achèvera le 7 mars. La bataille promet d'être serrée entre les deux principaux partis – le Parti socialiste ouvrier (PSOE) du Premier ministre José Luis Rodriguez Zapatero et le Parti populaire (PP) dirigé par Mariano Rajoy – qui sont au coude à coude dans les enquêtes d'opinion.
Le 21 février, le ministre de l'Economie, Pedro Solbes, a débattu sur le plateau de la chaîne de télévision Antena 3 des questions économiques avec Manuel Pizarro, ancien dirigeant d'Endesa et actuel membre du conseil d'administration de la plus grande entreprise de télécommunications d'Espagne, Telefonica, pressenti comme le futur ministre de l'Economie en cas de victoire du PP. "Les Espagnols ont le choix entre deux modèles : celui des socialistes qui est celui du chômage, de l'inflation et de l'incertitude et le modèle alternatif du Parti populaire qui est celui de la sécurité et de l'emploi" a affirmé Manuel Pizarro. Pedro Solbes a souligné que les propositions de baisse d'impôt du PP "favorisent les plus riches et mettent les programmes sociaux en danger". La majorité des téléspectateurs (47,4%) ont trouvé le ministre de l'Economie plus convaincant que son adversaire (37,1%) selon les enquêtes d'opinion réalisées à l'issue de l'émission.
Le 25 février, le Premier ministre, José Luis Rodriguez Zapatero, affrontait le leader du PP, Mariano Rajoy, dans un débat télévisé retransmis par une douzaine de chaînes nationales et régionales, une opération assez inhabituelle dans un pays qui n'a connu que deux débats pré-électoraux depuis la mort du dictateur Franco en 1975. Le dernier avait opposé Felipe Gonzalez (PSOE) à José Maria Aznar (PP) en 1993. 13 millions de téléspectateurs ont suivi ce débat.
"Vous êtes un menteur" a déclaré Mariano Rajoy à l'adresse du Premier ministre à propos des négociations menées avec l'organisation séparatiste et terroriste basque ETA. "Vous êtes ceux qui ont menti. Vous avez menti pour faire croire à une conspiration, vous faites partie des menteurs" lui a répondu le Premier ministre évoquant les attentats terroristes d'Al Qaida du 11 mars 2004. José Luis Rodriguez Zapatero a également souligné que l'opposition ne l'avait pas soutenu dans sa lutte contre le terrorisme séparatiste basque qui, traditionnellement en Espagne, rassemble les deux bords de l'échiquier politique. Le ton du débat a été assez agressif à l'image d'ailleurs de ces 4 dernières années durant lesquelles le PP n'est jamais véritablement parvenu à admettre sa défaite aux élections du 14 mars 2004.
Une enquête d'opinion réalisée par l'institut Metroscopia pour le quotidien El Pais montre que 46% des téléspectateurs considèrent que José Luis Rodriguez Zapatero est sorti victorieux de ce débat, contre 42% qui ont jugé Mariano Rajoy plus convaincant. Un sondage réalisé par l'institut Sigma dos pour El Mundo va dans le même sens : 45,5% des téléspectateurs estiment que le Premier ministre a remporté le débat, contre 42% à Mariano Rajoy.
La lutte contre l'organisation terroriste basque ETA s'est accentuée ces derniers mois. De nombreuses arrestations ont eu lieu et le procureur général, Baltazar Garzón, a suspendu pour 3 ans, prorogeables durant 2 ans, l'activité de 2 partis basques : le Parti communiste des terres basques (PCTV-EHAK) et l'Action nationaliste basque (ANV). Le 10 février, 14 dirigeants de Batasuna (coalition nationaliste d'idéologie marxiste-léniniste) étaient interpellés. Le 14 février, 4 personnes dont 2 membres présumés d'ETA (José Antonio Martinez Mur et sa compagne Asuncion Bengoechea Arano) ont été arrêtées à Saint-Jean-de-Luz (France). Ils sont soupçonnés de faire partie du commando Elurra qui a provoqué la mort de 2 personnes et fait 18 blessés à l'aéroport de Madrid dans un attentat le 30 décembre 2006. Les autorités affirment que, depuis l'automne dernier, une dizaine d'attentats auraient été déjoués et 3 commandos terroristes démantelés. Le 23 février, la police a fait exploser une bombe placée par l'ETA près de Bilbao. "Nous croyons que ETA va tenter de tuer avant les élections" a déclaré le ministre de l'Intérieur, Alfredo Perez Rubalcaba, qui a décrété l'état d'alerte maximum, une procédure assez habituelle en période électorale dans un pays où le terrorisme constitue un impondérable lors de chaque scrutin.
La mobilisation du gouvernement de José Luis Rodriguez Zapatero a fait sortir la question basque de la campagne électorale. Si le Premier ministre a avoué que les négociations avec ETA s'étaient poursuivies après l'attentat de Madrid, il a affirmé, le 11 février, qu'"il n'y aura aucun dialogue avec ETA lors de la prochaine législature". Le principal reproche fait au PSOE est moins son échec, partagé par l'ensemble des précédents chefs de gouvernement depuis 33 ans, que d'avoir accepté de négocier sur la base de l'agenda politique de l'ETA.
"Il est étonnant que José Luis Rodriguez Zapatero n'ait pas convoqué les élections plus tôt" déclare Juan Carlos Martinez Lazaro, professeur d'économie à l'institut Empresa (business school de Madrid), qui ajoute "en termes électoraux, nous avons fait une erreur parce qu'à partir de maintenant les résultats économiques vont être moins bons". "Les Espagnols vont se rendre aux urnes à un moment où les indicateurs économiques qui les concernent le plus se détériorent à grande vitesse" confirme Javier Perez de Azpillaga, économiste chez Goldman Sachs. Le ralentissement économique est au cœur des débats électoraux. Selon une enquête d'opinion publiée le 10 février dans le quotidien El Pais, 50% des Espagnols jugent la situation économique mauvaise.
Le PSOE met pourtant en avant ses bons résultats économiques : une croissance du PIB de 3,8% en 2007, soit au-dessus de la moyenne des pays de la zone euro (2,7%), 3 millions d'emplois créées en 4 ans, un taux de chômage tombé à 8,6%, un PIB par habitant qui a dépassé celui de l'Italie et qui est supérieur à la moyenne de l'Union européenne pour la première fois de l'histoire espagnole, un excédent budgétaire de 50 milliards d'euro, soit 2,3% du PIB. Le PSOE a toutefois tendance à minimiser le ralentissement économique de ces derniers mois. "Il est inévitable que les gens se sentent concernés mais il n'y a pas besoin de prendre des mesures d'urgence" affirme le ministre de l'Economie, Pedro Solbes, qui ajoute "il est vrai que l'inflation était à 3% en 2003 mais le baril de pétrole coûtait alors 28 dollars. L'année passée, notre inflation s'est élevée à 4,3% mais le baril coûtait 72,5 dollars". Le gouvernement met en avant le fait que l'excédent public lui donne des moyens de compenser la dégradation de la conjoncture internationale. Sur ce point, les promesses électorales du PP ne sont pas très différentes de celles du PSOE, les 2 partis envisagent de baisser les impôts et d'augmenter les salaires et les aides sociales pour relancer la consommation.
Les prix des logements, qui avaient doublé depuis 1998, sont repartis à la baisse à la suite de la crise des subprimes aux Etats-Unis, entraînant le secteur du bâtiment et de l'immobilier dans la dépression. Le nombre des chantiers devrait être de 450 000 cette année, contre 700 000 en 2006, soit plus que la France, le Royaume-Uni et l'Allemagne réunis. La croissance du PIB au 4e trimestre de 2007 a été la plus faible depuis septembre 2005 (3,5%) et de nombreux économistes prévoient que celle-ci ne dépassera pas 2,5% en 2008. Le taux de chômage a augmenté de 0,6 point lors du 4e trimestre 2007, une première depuis 5 ans, l'inflation reste élevée et représente plus du double de la moyenne de l'Union européenne. Enfin, l'indice de confiance des consommateurs est en recul pour le 9e mois consécutif.
L'Espagne semble à la fin d'un cycle économique. Durant ces 30 dernières années, elle a rattrapé son retard, notamment grâce à son entrée dans l'Union européenne. L'Espagne comme l'Irlande, fait partie des grandes réussites économiques européennes et constitue le parfait exemple du levier que peut être l'adhésion à l'UE. Mais l'économie espagnole doit être réformée en profondeur : spécialisation technologique, renforcement de la compétitivité, de la productivité, de la flexibilité du marché et des investissements dans la recherche et le développement (1,2% du PIB, soit au-dessous des autres "grands" pays européens).
A côté du pouvoir d'achat, l'immigration est devenue, pour la première fois dans l'histoire du pays, l'un des principaux thèmes de campagne. Les étrangers représentent environ 10% de la population (23% en Catalogne). Mariano Rajoy, qui a imposé la question au sein du débat électoral, propose de créer une agence de l'immigration, de mettre en place un système de visa à points pour favoriser les étrangers jugés les plus aptes à s'intégrer et souhaite réexaminer la question du port du foulard. Il veut également faire signer un contrat d'intégration aux étrangers lors du renouvellement de leur titre de séjour. "Si le Parti populaire gagne les élections, il n'y aura plus jamais de régularisation massive d'immigrés en situation irrégulière" affirme t-il. La dernière régularisation d'immigrés illégaux en Espagne, en 2005, a concerné 600 000 personnes.
Le PSOE conteste les chiffres de l'immigration avancés par le PP. Le ministre du Travail et des Affaires sociales, Jésus Caldera, affirme que le nombre des étrangers illégaux est inférieur à 300 000 (1 million selon le PP) et qu'il est en diminution. Le ministre de l'Intérieur, Alfredo Perez Rubalcaba, a déclaré le 9 janvier que 18 000 étrangers en situation irrégulière avaient rejoint les îles Canaries et le Sud de l'Espagne en 2007, soit -54% par rapport à 2006. Enfin, José Luis Rodriguez Zapatero rappelle que Mariano Rajoy a procédé à 5 régularisations massives lorsqu'il était ministre de l'Intérieur.
Cependant, l'immigration est citée comme l'une de leurs principales préoccupations par 56% des Espagnols dans les enquêtes d'opinion. Le ralentissement du secteur du bâtiment, qui emploie un grand nombre de personnes sans qualification, et de l'économie espagnole en général, devrait toucher de plein fouet les immigrés qui sont traditionnellement les premières victimes des licenciements, et pourrait entraîner des tensions sociales.
Le 20 février, le Premier ministre a reçu le soutien d'une "coalition culturelle" affirmant représenter un million de salariés et qui a publié un manifeste exprimant "le rejet et l'indignation face à la campagne calomnieuse du PP". Au début du mois, 5000 personnalités - artistes, universitaires et scientifiques – avaient publié une plateforme de soutien à José Luis Rodriguez Zapatero, intitulée PAZ (paix en espagnol) dans laquelle ils défendaient "la gestion raisonnablement positive" du gouvernement et se félicitaient de l'adoption du mariage homosexuel et de la loi sur la parité hommes/femmes tout en fustigeant "une droite rétrograde et radicale". Parmi les artistes signataires de ce texte : le cinéaste Pedro Almodovar, le peintre et sculpteur Miguel Barcelo et l'écrivain Juan Goytisolo. "Je laisse les artistes à Zapatero qui leur accorde tout ce qu'ils veulent" a commenté Mariano Rajoy.
Selon le politologue Ismael Crespo, 3 facteurs peuvent influer sur le résultat final des élections du 9 mars : la mobilisation (selon lui, si celle-ci est supérieure à 70%, le PSOE serait quasiment assuré de la victoire), un éventuel attentat d'ETA et les débats télévisés. Le PSOE craint la démobilisation de ses troupes, comme lors des élections locales du 27 mai dernier, notamment en Andalousie et en Catalogne, 2 régions qui constituent ses plus importants réservoirs de voix. Lors du scrutin législatif du 14 mars 2004, la participation électorale avait été exceptionnelle (77,21%), les électeurs s'étant notamment mobilisés en raison de la gestion désastreuse des attentats du 11 mars par José Maria Aznar et contre la guerre en Irak. "Nous allons demander aux gens de voter avec toutes leurs forces car en face, le Parti populaire espère récupérer le pouvoir grâce à l'abstention" déclare José Blanco, n°2 du PSOE.
Les dernières enquêtes d'opinion donnent le PSOE vainqueur du scrutin.
Un sondage de l'institut Metroscopia pour le journal El Pais lui accorde 42,3% contre 38,6% au PP. Une 2e enquête réalisée par l'institut Publiscopio pour le quotidien Publico crédite le PSOE de 44% des suffrages, contre 40% au PP. Enfin, un 3e sondage de l'institut Opina pour la radio Cadena Ser montre que le PSOE recueillerait 44,5% des voix, contre 41,5% au PP.
La cote de popularité du Premier ministre José Luis Rodriguez Zapatero reste supérieure à celle de Mariano Rajoy. Aucun sondage n'a, depuis le début de la campagne électorale, donné le PP en tête des intentions de vote.
Si le résultat des élections du 9 mars prochain est aussi serré que le prévoient les enquêtes d'opinion, la victoire appartiendra au parti capable de conclure des alliances avec les "petits" partis, et notamment les partis régionaux.
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