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Élections en Europe
Corinne Deloy
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Le Fianna Fail (FF) (Soldats de la destinée), dirigé par Micheal Martin, est arrivé en tête des élections législatives le 29 novembre en Irlande, recueillant 21,9% des suffrages (de première préférence). Il devance le Fine Gael (FG) (Clan des Gaels), parti du Taoiseach (nom du Premier ministre en Irlande) Simon Harris, qui a obtenu 20,8% des voix. Le Sinn Fein (SF) (Nous-mêmes), parti nationaliste de gauche radicale dirigé par Mary Lou McDonald, a pris la 3e place avec 19%.
Les résultats de ce scrutin diffèrent quelque peu de ce qu’avaient prédit les enquêtes d’opinion. « Les gens changent souvent d'avis lors des campagnes électorales dans toute l'Europe » a déclaré Theresa Reidy, maître de conférences en politique à l'University College de Cork, ajoutant « Les anciens liens qui existaient entre les électeurs et les partis politiques n'existent tout simplement plus et la campagne électorale a beaucoup d'importance ».
Simon Harris, celui que l’on nomme le Taoiseach TikTok, en raison de sa présence sur les réseaux sociaux, a été l’auteur d’une gaffe une semaine avant le vote en s’éloignant d'une aide-soignante qui lui faisait part de l’insuffisance des services accordés aux personnes handicapées. Son comportement - tourner le dos à cette femme sans lui répondre - a eu un effet négatif sur son image même si le Premier ministre s’est excusé à plusieurs reprises pour sa réaction.
Le Parti vert (GP), conduit par le ministre sortant des Transports Eamon Ryan, a enregistré un recul important : 3% des suffrages. « Il s'agit sans aucun doute d'un résultat décevant pour notre parti », a déclaré le dirigeant écologiste, ajoutant « Il est difficile pour un petit parti d'entrer au gouvernement, c'est la tradition, l'histoire de l'Irlande. Nous espérions, au moment des élections, nous démarquer de cette situation, mais nous n'avons pas été en mesure de le faire ». « Les personnes qui souhaitaient conserver le gouvernement actuel ont voté pour le Fianna Fail ou pour le Fine Gael mais pas pour nous » a souligné l'ancien dirigeant des Verts (2011-2019) et ministre sortant de l'Enfance, de l'Égalité, du Handicap, de l'Intégration et de la Jeunesse Roderic O'Gorman.
Les indépendants ont atteint 13,2% des suffrages. Ce résultat témoigne de la désaffection des électeurs pour les partis traditionnels. « Les indépendants sont devenus la 4e force du pays. L’existence de ces candidats affiliés à aucun parti est un phénomène typiquement irlandais, lié à la faiblesse de nos institutions locales et au système électoral, super proportionnel » a déclaré Gary Murphy, professeur de science politique à la Dublin City University (DCU).
Les Sociaux-démocrates, dirigés par Holly Cairns, ont recueilli 4,8% des voix ; le Parti travailliste (Labour), emmené par Ivana Bacik, 4,7%. Aontu, parti de Peadar Toibin, a recueilli 3,9%; Irlande indépendante, parti de droite dirigé par Michael Collins, 3,6% et enfin Solidarité. Nos vies avant leurs profits (S-PBP), parti de gauche radicale, 2,8%.
La participation a été la plus faible jamais enregistrée depuis 1923. Elle s’est élevée à 59,7%, soit - 3,01 points par rapport aux précédentes élections législatives du 8 février 2020.
Résultats des élections législatives du 29 novembre 2024 en Irlande
Participation : 59,7 %
Source : https://www.rte.ie/news/election-24/results/#/national
Nombre de sièges encore provisoires
A l’issue des résultats, le maintien d’une coalition qui rassemble le Fianna Fail, le Fine Gael et un autre, voire deux, partis(s) semble le scénario le plus probable. Le soutien d’un 4e parti pourrait en effet s’avérer indispensable pour garantir la stabilité du futur gouvernement.
Le Fianna Fail et le Fine Gael se sont succédé au pouvoir depuis l'indépendance de l'Irlande en 1921. Positionnés tous deux au centre-droit, ils sont politiquement très proches mais, issus de camps opposés de la guerre civile (1922-1923), ils restent des adversaires.
Les deux principaux partis pourraient faire alliance avec le Parti travailliste ou encore avec les indépendants pour former le prochain gouvernement. La dirigeant travailliste Ivana Bacik a toutefois affirmé que sa priorité était de « construire une plateforme à gauche ».
La coalition gouvernementale sortante a pu afficher la bonne situation économique de l’Irlande : un taux de croissance attendu de 4% en 2025 et un excédent public de 25 milliards €, représentant 4,40% de son PIB Les résultats économiques de l’Irlande s’expliquent en partie par les recettes apportées par l’impôt sur les bénéfices payé par plusieurs multinationales américaines (dont Apple et Google) qui se sont installées dans le pays en raison de la faiblesse de son taux d’imposition sur les sociétés (12,5%). Ces recettes ont permis au gouvernement d’être généreux et d’accorder de nombreuses aides à sa population (pour l’achat d’une première maison ou pour les factures d’énergie). « Ces allocations ont amorti la crise du pouvoir d’achat, c’est pour cela que l’Irlande a échappé en partie aux frustrations liées à l’inflation » a souligné Tom McDonnell, directeur du Nevin Economic Research Institute. Cette situation est cependant fragilisée par l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis qui a pour projet d’augmenter les droits de douane et de réduire l'impôt sur les sociétés aux Etats-Unis.
Plus ancien parti d’Irlande, le Sinn Fein, isolé sur la scène politique, semble condamné à rester dans l’opposition. Depuis 2020 où il est arrivé en tête aux élections législatives, il s'est imposé comme un acteur politique incontournable. Le parti s'est normalisé en promettant de régler la crise du logement dans le pays. Le Sinn Fein est issu de l'ancienne aile politique de l'Armée républicaine irlandaise (IRA), organisation paramilitaire qui s’est battu durant des décennies pour l'indépendance et l'unification de l'Irlande. L’accord de paix du Vendredi saint, signé le 10 avril 1998 en faveur d’une solution politique au conflit entre nationalistes irlandais et unionistes favorables au Royaume-Uni, a mis fin aux trente années de « troubles » qui ont fait 3 480 morts. Mary Lou McDonald a travaillé à éloigner le parti de son passé militant, en mettant l’accent sur le volet social et, notamment, sur la crise du logement que connaît le pays depuis de nombreuses années. Selon Eurostat, les dépenses de logement représentent la moitié des revenus des ménages irlandais et que les loyers ont augmenté de 68% entre 2010 et 2021.
Récemment, le Sinn Fein avait été critiqué lors des émeutes anti-migrants qui ont eu lieu en Irlande fin novembre 2023. Mary Lou McDonald avait à cette époque appelé à la démission de la ministre de la Justice et du chef de la police. « Elle a montré du doigt les responsables de l’ordre au lieu de dénoncer les émeutiers, c’est très mal passé dans l’opinion. Nous sommes attachés à la propriété privée et à l’ordre, dans un pays qui a vécu la violence pendant des décennies en Irlande du Nord » a souligné John Lee, rédacteur en chef du Irish Daily Mail.
Conscient de l’inquiétude d’une partie de son électorat traditionnel, issu de la classe ouvrière, à l’égard du nombre d’immigrés admis dans le pays, le Sinn Fein a ensuite modifié son discours sur l’immigration pour les rassurer. Au risque de déplaire à son électorat centriste et progressiste, ses partisans plus jeunes ou ceux appartenant à la classe moyenne. « Le Sinn Fein a toujours été un parti de gauche mais sa base était très diversifiée. Ce qui ne pouvait que poser un problème car il lui est impossible d'adopter une position à même de satisfaire l'ensemble de ses électeurs » a affirmé Rory Costello, professeur de science politique de l'université de Limerick, ajoutant « Les gens qui soutenaient autrefois le Sinn Fein et que l’immigration inquiétait ne le soutiennent plus vraiment aujourd'hui (…) Je pense que le parti va avoir du mal à les récupérer ».
« Le Sinn Fein s'est vu confier un mandat puissant et fort et il discutera avec de potentiels partenaires de coalition des possibilités de gouvernement (…) Le bipartisme n'existe plus. Il a été relégué dans les poubelles de l'histoire. En soi, c'est très important. La question qui se pose maintenant à nous est de savoir ce que nous allons en faire. Il est clair que nous voulons changer la vie des gens. Je pense que cinq années supplémentaires de Fianna Fail et de Fine Gael sont une mauvaise nouvelle pour la société » a déclaré Mary Lou McDonald à l’annonce des résultats.
Agé de 64 ans et originaire de Cork, Micheal Martin pourrait devenir le prochain Taoiseach. Diplômé d’arts, d’histoire politique et de pédagogie, il a débuté sa carrière comme professeur d’histoire dans sa ville natale. Il a rejoint le Fianna Fail et a été élu député pour la première fois en 1989. Quelques années plus tard, en 1997, il est devenu ministre (de l’Education et des Sciences) pour la première fois, puis s’est vu confier différents portefeuilles dont la Santé (2000-2004) et les Affaires étrangères (2008-2011) jusqu’à devenir Premier ministre à l’issue des dernières élections législatives du 8 février 2020. Dirigeant du Fianna Fail depuis 2011, Micheal Martin devrait donc retrouver le Steward's Lodge à Farmleigh, résidence du Taoiseach.
Les 174 teachtai dala (députés) du Dail Eireann (Chambre des représentants) élus le 29 novembre se réuniront pour la première fois le 18 décembre.
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