Analyse
Élections en Europe
Corinne Deloy
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Corinne Deloy
Le 6 novembre, le Taoiseach (nom du Premier ministre en Irlande) Simon Harris (Fine Gael, FG, Clan des Gaels) a déclaré qu’il demandait la dissolution du Dail Eireann, chambre basse du Parlement. Le 8 novembre, le président irlandais Michael D. Higgins a signé le décret de dissolution et la convocation d’élections législatives anticipées qui se tiendront le 29 novembre. Environ, 3,6 millions d’Irlandais sont appelés aux urnes pour désigner leurs 174 députés.
Les résultats, plus élevés qu’espérés, du Fine Gael aux élections européennes et locales du 7 juin (respectivement 29,6% et 23% des suffrages, soit la première place dans chacun des scrutins) et la possibilité de profiter de la faiblesse du Sinn Fein (FF, Nous-mêmes), principal parti d’opposition, ont poussé Simon Harris à avancer le scrutin législatif. En outre, le Taoiseach peut s’appuyer sur la forte hausse de sa cote de popularité qui a augmenté de 17 points depuis sa prise de fonction en avril et qui a atteint 55% en septembre.
Selon la dernière enquête d’opinion réalisée par l’institut Opinions pour le Sunday Times et publiée le 16 novembre, le Fine Gael devrait arriver en tête des élections législatives avec 25% des suffrages. Le Fianna Fail (FF, Soldats de la destinée) de Micheal Martin, ministre sortant des Affaires étrangères et de la Défense, en recueillerait 20% devant le Sinn Fein, parti de gauche radicale dirigé par Mary Lou McDonald, 18%. Les Sociaux-démocrates, conduits par Holly Cairns, suivraient avec 6% ; le Parti travailliste (Labour), emmené par Ivana Bacik, et le Parti vert (GP) de Roderic O'Gorman, chacun 4%. Solidarité, Nos vies avant leurs profits (S-PBP) et Aontu, parti de Peadar Toibin, recueilleraient 2% chacun.
Les indépendants obtiendraient un cinquième des voix (21%).
Ces chiffres sont toutefois à prendre avec prudence, les derniers scrutins en Irlande ayant montré une forte volatilité de l’électorat.
A l’issue des dernières élections législatives du 8 février 2020 dominées par le Sinn Fein, le Fine Gael, pourtant arrivé en 3e position, et le Fianna Fail avaient accepté de partager le pouvoir en optant pour une rotation des partis au poste de Taoiseach. Michael Martin avait été nommé en juin 2020 et avait occupé la fonction jusqu’en décembre 2022, date à laquelle il a été remplacé par Leo Varadkar (FG). Celui-ci a cédé sa place à Simon Harris en avril dernier. Le Parti vert a été le partenaire de ces 2 partis politiques au sein de la coalition gouvernementale sortante.
Selon la dernière enquête d’opinion sur la campagne électorale, la préoccupation première des Irlandais est le coût de la vie (30%). Viennent ensuite la santé (18%), le logement (17%), l’immigration (9%) et le réchauffement de la planète (4%).
La campagne électorale sera donc de très courte durée.
Le Dail Eireann, élu le 29 novembre, se réunira pour la première fois le 18 décembre.
Le Fine Gael est le mieux placé
Le Fine Gael, au pouvoir depuis 2011 en Irlande, est le favori du scrutin. Simon Harris, qui a véritablement relancé le parti depuis son accession au pouvoir il y a six mois, met en avant le bilan de la coalition gouvernementale sortante, qui a fait faire d’importants progrès à l’Irlande et qui a su gérer au mieux le pays alors que celui-ci faisait face à la pandémie de Covid-19, à l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022 et au conflit qui s’en est suivi. « Nous n’étions pas d’accord sur tout mais nous avons bien travaillé ensemble » a souligné le Premier ministre, ajoutant « Je suis tout à fait conscient que ce pays et l'Union européenne pourraient subir un choc commercial transatlantique » en référence à l’élection de Donald Trump à la tête des États-Unis, annoncée au moment où la campagne s’ouvre.
Le logement et l’immigration sont pour le Fine Gael les deux enjeux importants des cinq prochaines années. Il s’engage à construire de nouveaux logements et à mieux réguler le marché locatif. Même s’il reste des problèmes comme le coût élevé des logements ou le manque de ressources des services publics, Simon Harris met en avant l’effort fait pour assainir les finances publiques : « Nous avons su épargner et mes enfants n’auront jamais à vivre ce que nous avons traversé, soit l’expérience de l’austérité ».
La crise financière de 2008 était la conséquence de l'éclatement d'une bulle immobilière alimentée par des prêts excessifs des banques. Plusieurs grandes banques irlandaises ont fait face à d'énormes pertes, qui ont obligé le gouvernement à garantir les dettes bancaires, une décision qui a lourdement alourdi les finances publiques. En 2010, l'Irlande a obtenu un prêt de 85 milliards € auprès de l'Union européenne et du Fonds monétaire international (FMI) en échange de réformes économiques sévères. Cette crise a provoqué une récession profonde, un chômage élevé et des mesures d'austérité. L’Irlande a mis plusieurs années à se redresser économiquement, les conséquences sociales et financières ont, elles, duré bien au-delà de la crise. Actuellement, les analyses montrent que l’excédent budgétaire du pays devrait s’élever à 65,2 milliards € d’ici à 2027, soit une somme considérable pour un pays dont la politique est centrée sur ses capacités à attirer les entreprises étrangères qui sont faiblement imposées.
Le Fine Gael et le Fianna Fail chassent sur les mêmes terres. Le parti du Taoiseach s’est engagé à ne jamais coopérer avec le Sinn Fein. Micheal Martin, dirigeant du Fianna Fail, a aussi exclu toute collaboration avec le parti de Mary Lou McDonald : « Il est clair qu'ils ne comprennent pas notre modèle économique. Ils ne comprennent pas le modèle d'entreprise, ils ne croient pas au libre-échange. Ils n'ont pas soutenu l'application de l'accord commercial entre le Canada et l'Union européenne, ce qui est révélateur de leur attitude à l'égard de l'économie, qui témoigne d’une déconnexion ».
Comme Simon Harris, Micheal Martin a mis en avant les réalisations de la coalition gouvernementale sortante depuis 2020 et sa « capacité à diriger le pays dans une époque très difficile », ajoutant « Le plus grand danger pour l’économie irlandaise vient de l’extérieur et nous avons besoin de l’expérience du leadership qui a déjà montré sa capacité à affronter les événements importants et les chocs pour nous diriger durant les cinq années à venir qui vont constituer un véritable défi, notamment au niveau économique ».
Le Sinn Fein, une opposition à la peine
Arrivé en tête des élections législatives du 8 février 2020, le Sinn Fein avait été critiqué pour sa stratégie électorale, notamment pour ne pas avoir présenté un nombre suffisant de candidats. Cette année, il est critiqué pour avoir fait concourir trop de candidats aux élections locales le 7 juin. « Nous présentons environ 70 candidats et nous sommes là pour gagner. Lorsque nous disons que nous voulons un changement de gouvernement, … nous sommes là pour gagner » a déclaré Mary Lou McDonald.
Le Sinn Fein connaît cependant une chute notable du soutien dont il bénéficie. Il y a un an, le parti semblait en mesure d’empêcher le Fine Gael d’accomplir un 4e mandat, caracolant à plus de 30% des intentions de vote. Depuis juin dernier, les chiffres sont à la baisse quand ceux du Fine Gael remontent. Le Sinn Fein a connu quelques tensions internes et plusieurs controverses autour de problèmes considérés comme mal réglés par de nombreux membres du parti.
En outre, il est pris en étau entre ses électeurs traditionnels, membres de la classe ouvrière qui se déclarent inquiets du nombre d’immigrés admis dans le pays, et certains partisans plus jeunes ou appartenant à la classe moyenne que ce phénomène inquiète moins. Les deux groupes n’ont pas les mêmes priorités. Écartelé, le Sinn Fein perd du soutien dans chacun des groupes.
Mary Lou McDonald a admis que de récentes erreurs avaient nui à son parti et elle a affirmé que le Sinn Fein s'engageait à reconquérir sa base ouvrière au cours de la campagne électorale.
« Le jour des élections, tout le débat politique se cristallisera sur un choix très simple : soit repartir pour la même chose, un gouvernement de nouveau dirigé par le Fine Gael et le Fianna Fail, soit, pour la première fois, un gouvernement conduit par le Sinn Fein (…) Ceux qui tiennent les rênes du pouvoir depuis un siècle pensent que ces élections sont gagnées par avance, qu'ils disposeront à nouveau de tout ce qu'ils veulent et qu'ils retrouveront simplement les bâtiments du gouvernement qu’ils ont quittés », ajoutant « Mais le peuple irlandais a son mot à dire à ce sujet ».
Le système politique irlandais
L'Oireachtas (parlement) est bicaméral. Il comprend le Dail Eireann (Chambre des représentants) élus pour 5 ans.
La croissance démographique du pays qui compte 5,1 millions d’Irlandais (chiffre du recensement de 2022) a obligé à augmenter le nombre de membres du Dail Eireann (au moins 171, au plus 181), l'article 16.6.2 de la Constitution irlandaise stipulant qu’un député doit être élu par au moins 20 000 habitants et au plus 30 000 habitants. En août 2023, la Commission électorale a proposé que le Dail Eireann, qui comptait jusqu’alors 160 élus, en compte désormais 174, répartis non plus dans 39 circonscriptions, mais 43, soit une augmentation de 14 députés et de 4 circonscriptions. La majorité absolue au Dail Eireann est donc dorénavant de 88 députés.
Chaque circonscription désigne 3, 4 ou 5 députés. Ceux-ci sont élus au scrutin proportionnel selon le système du vote unique transférable. L'électeur désigne parmi une liste de candidats celui/celle (ou ceux/celles) à qui il souhaite accorder sa voix par ordre de préférence. Il inscrit le chiffre 1 devant le candidat qui a sa préférence puis, s'il le souhaite, 2, 3, 4, etc. devant les noms des autres candidats de la liste. Le calcul du quotient électoral, c'est-à-dire du nombre de suffrages minimum que doit obtenir un candidat pour être élu, constitue la première opération du dépouillement. Ce quotient correspond à l'ensemble des voix exprimées divisé par le nombre de sièges à pourvoir (3, 4 ou 5 selon les circonscriptions) augmenté d'une unité. Tout candidat qui recueille ce nombre de suffrages est élu. Les voix excédentaires qu'il a obtenues sont alors réparties entre les candidats ayant été retenus en « deuxième » préférence.
Les Irlandais sont très attachés à leur système de vote qu'ils partagent avec deux autres pays dans le monde (Malte et l'Australie), au point de refuser par deux fois (1959 et 1968) qu'il soit modifié. Le vote unique transférable ayant été inscrit dans la Constitution irlandaise en 1937, sa modification ou son abandon ne sont possibles que par référendum. Permettant une représentation fidèle des partis politiques, le système est parfois critiqué pour la forte concurrence qu'il engendrerait entre les candidats d'un même parti. Ainsi, les députés regrettent parfois que ce mode de scrutin les oblige à consacrer beaucoup de temps aux demandes individuelles de leurs concitoyens et les empêche de se concentrer sur les questions politiques nationales.
Une loi votée en 2012 oblige les partis politiques à présenter au moins 40% de femmes aux élections législatives sous peine de voir la dotation qu'ils perçoivent de l'État être réduite de 50%. Cette année, le pays enregistre le plus grand nombre de femmes candidates (248 sur un total de 685 candidats, soit 36,2%), une augmentation de 53% par rapport au précédent scrutin législatif du 8 février 2020.
Le Seanad Eireann, Chambre haute du parlement, comprend 60 membres, dont 43 sont élus au scrutin proportionnel (selon le système du vote unique) par 5 grands corps constitués de parlementaires (les sénateurs sortants et les députés nouvellement élus) et d'élus locaux (conseillers de comtés et conseillers des villes de comtés) représentant divers secteurs de la société (culture, éducation, agriculture, travail, industrie, commerce et administration publique). 11 membres du Seanad Eireann sont nommés par le Premier ministre et 6 par les citoyens inscrits sur les listes électorales ayant obtenu un diplôme de 3e année de l'université nationale d'Irlande ou de l'université de Dublin (Trinity College).
Le Seanad Eireann, qui ne sera pas dissout avant l'élection de la nouvelle chambre, est élu traditionnellement au plus tard 90 jours après le Dail Eireann.
Le gouvernement irlandais peut comprendre jusqu'à 15 membres. 2 d'entre eux peuvent être membres du Seanad Eireann, tous les autres doivent obligatoirement être députés.
9 partis politiques sont représentés dans l'actuel Dail Eireann :
- Le Sinn Fein (SF) a la particularité d'exister (et de participer aux élections) dans deux États européens : l'Irlande et le Royaume-Uni. Parti nationaliste de gauche radicale dirigé par Mary Lou McDonald, il détient 37 sièges ;
- le Fine Gael (FG), du Premier ministre sortant Simon Harris, créé en 1933 et situé au centre-droit, compte 37 élus ;
- le Fianna Fail (FF), parti de droite fondé en 1926 et dirigé par Micheal Martin, possède 35 sièges ;
- Le Parti vert (GP), conduit par Roderic O'Gorman, compte 12 élus ;
- Le Parti travailliste (Labour), fondé en 1912 et emmené par Ivana Bacik, possède 6 sièges ;
- Les Sociaux-démocrates, fondés en 2015 et dirigés par Holly Cairns, comptent 6 députés ;
- Solidarité. Nos vies avant leurs profits (S-PBP) (direction collégiale), parti de gauche radicale, possède 5 sièges ;
- Aontu, soit la formation de la République d’Irlande et d’Irlande du Nord issue d’une scission du Sinn Fein, créée en 2019 par Peadar Toibin qui la dirige depuis lors. Le parti est économiquement plutôt positionné à gauche sur l’échiquier politique mais situé à droite en ce qui concerne les questions de sociétés, compte 1 élu ;
- les Indépendants pour le changement, parti de gauche radicale, possèdent 1 siège.
Enfin, le Dail Eireann compte 19 députés indépendants.
Les Irlandais élisent -- au suffrage universel direct leur président de la République. Ce dernier ne possède toutefois qu'un pouvoir de représentation. Désigné tous les 7 ans, son mandat ne peut être renouvelé qu'une seule fois. L'actuel chef de l'Etat, Michael D. Higgins, est en fonction depuis le 27 octobre 2011. Il a été réélu à la tête de l'Irlande avec 55,81% des suffrages le 26 octobre 2018.
Rappel des résultats des élections législatives du 8 février 2020 en Irlande
Participation : 62,71 %
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