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L’opposition social-démocrate pourrait s’imposer lors des élections législatives en Lituanie

Élections en Europe

Corinne Deloy

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16 septembre 2024
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Corinne Deloy

Chargée d'études au CERI (Sciences Po Paris), responsable de l'Observatoire des élections en Europe à la Fondation Robert Schuman

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Les Lituaniens renouvelleront les 141 membres du Seimas, chambre unique du Parlement, les 13 et 27 octobre. 1 740 personnes issues de 19 partis et mouvements politiques et 18 candidats indépendants se présenteront à ce scrutin. 700 d’entre eux concourent dans les 71 circonscriptions qui votent au scrutin majoritaire. 
3 nouveaux partis participent à ce scrutin, un phénomène assez habituel dans la République balte. Cette année, il s’agit de l’Union des démocrates pour la Lituanie (DSVL), créé par Saulius Skernelis, ancien Premier ministre (2016-2020) ; du Parti chrétien-démocrate (LKDP), fondé par Mindaugas Puidokas, et surtout de l’Aurore de Nemunas (Nemuno ausra), parti populiste de Remigijus Zemaitaitis, qui pourrait créer la surprise.

Une victoire annoncée ?

En tête de toutes les enquêtes d’opinion depuis l’été 2021, les sociaux-démocrates (LSP) sont les favoris. Selon le dernier sondage réalisé par l’institut Baltijos tyrimai, le parti dirigé par Vilija Blinkeviciute recueillerait 21,9% des suffrages et devancerait l’Union des démocrates pour la Lituanie (DSVL), qui obtiendrait 12, 8%, suivie de près par l’Union de la patrie-Chrétiens-démocrates (TS-LKD), emmenée par Gabrielius Landsbergis, avec 12,5% des suffrages puis par le Parti paysan et vert (LVZS) de Ramunas Karbaukis, 11,6% et par l’Aurore de Nemunas, avec 11,1%. Le Parti du travail (DP) de Viktor Ouspaskich recueillerait 7,7% et le Mouvement libéral (LRLS), dirigé par Viktorija Cmilyte-Nielsen, 5,7%. Au total, 7 partis entreraient au Seimas à l’issue du scrtuin des 13 et 27 octobre. 

Quoique favoris du scrutin, les sociaux-démocrates sont arrivés en 2e position lors du scrutin européen du 9 juin avec 17,98% des voix, devancés par l'Union de la patrie-Chrétiens-démocrates emmenée par la Première ministre sortante Ingrida Simonyte (21,33%). Certes, le scrutin européen ne peut être comparé aux élections législatives et la participation y a été très faible (28,94%) mais le résultat des sociaux-démocrates témoigne d’une certaine fragilité. 
En 2024, les Lituaniens ont été appelés aux urnes à trois reprises : ils ont voté pour leur président de la République le 26 mai (le chef de l’Etat sortant Gitanas Nauseda a été réélu avec 75,29% des suffrages). A cette occasion, le Parti social-démocrate avait choisi de ne pas présenter de candidat et de soutenir le chef de l’Etat sortant. Certains membres du parti avaient émis des réserves sur cette décision, arguant du fait que les autres partis de gauche pourraient aisément critiquer l’appui des sociaux-démocrates à un banquier et un économiste (Gintanas Nauseda a en effet été économiste en chef auprès du président de la banque SEB entre 2008 et 2018 et directeur de la politique monétaire de la Banque centrale de Lituanie entre 1996 et 2000). D’autres avaient mis en avant le fait que sans candidat, les sociaux-démocrates seraient par conséquent absents de la campagne électorale et qu’ils ne pourraient défendre leurs idées.
Les Lituaniens ont voté pour les élections européennes le 9 juin et ils renouvellent le parlement en octobre. La multiplicité des scrutins entraîne toujours une certaine désaffection. Par ailleurs, la capacité de mobilisation de leurs électeurs est l’une des forces de l'Union de la patrie-Chrétiens-démocrates.
Le président de la République a affirmé que les Lituaniens étaient las de la rivalité existante entre les différentes institutions de l’Etat. « Souhaitez-vous que cette situation perdure ? » a-t-il demandé à ses compatriotes.

Freiner l'impact de la hausse des prix, assurer la pleine sécurité des citoyens, renforcer les secteurs de la santé et de l'éducation, modérer la consommation d’énergie des entreprises et apporter une aide significative aux familles, tels sont les objectifs que Vilija Blinkeviciute s’est fixés. 
S’il remporte le scrutin, le Parti social-démocrate devra trouver des partenaires pour gouverner. La dirigeante du parti a d’ores et déjà refusé toute coalition avec l'Union de la patrie-Chrétiens-démocrates. « L'Union de la patrie-Chrétiens-démocrates et son dirigeant Gabrielius Landsbergis sont des dangers pour la Lituanie » a-t-elle indiqué. Elle affirme que les électeurs ne comprendraient pas que son parti fasse alliance avec ce parti et que cela ne ferait que bénéficier aux forces politiques les plus radicales. 
Pour Vilija Blinkeviciute, l’un des grands défis des sociaux-démocrates est de parvenir à attirer les électeurs de Vilnius. Il faut savoir qu’en Lituanie, contrairement à ce qui se passe dans l’ensemble de l’Europe, les personnes résidant en zone urbaine se prononcent davantage pour les partis de droite alors que les « ruraux » donnent plus volontiers leurs voix aux partis de gauche. Les électeurs de Vilnius votent donc majoritairement pour l'Union de la patrie-Chrétiens-démocrates.

Aine Ramonaite, professeur de science politique de l'Institut des relations internationales et des sciences politiques de l'université de Vilnius, qualifie d’étrange une coalition qui rassemblerait le Parti social-démocrate et le Parti paysan et vert. La dernière alliance de ce type a conduit, en 2017, à une division du Parti social-démocrate qu’une partie de ses membres a quitté pour fonder le Parti social-démocrate du travail (LSDP). Elle envisage plutôt une alliance entre les sociaux-démocrates, l’Union des démocrates pour la Lituanie et le Mouvement libéral. Si elle a fait d’une coalition avec l'Union de la patrie-Chrétiens-démocrates une véritable ligne rouge, Vilija Blinkeviciute n’a en revanche pas fermé la porte à une alliance avec l’Aurore de Nemunas.

La Lituanie touchée à son tour ?

Jusqu’alors relativement épargnée par le phénomène, la Lituanie connaît la montée d’un parti radical. Dans les intentions de vote, mais aussi dans les urnes puisque Remigijus Zemaitaitis, dirigeant de L’Aurore de Nemunas, a pris, avec 9,28%, la 4e place au 1er tour de l’élection présidentielle du 12 mai. Son parti se présente cependant comme un parti de gauche, libéral et chrétien. Il a été fondé en novembre 2023 par Remigijus Zemaitaitis à la suite de son éviction au mois de mai précédent de Liberté et justice, parti libéral dirigé par Arturas Zuokas, en partie pour des propos antisémites. 2 députés du Parti paysan et vert l’ont rejoint, il dispose par conséquent de 3 sièges au Seimas. Au début de l’année, la Cour constitutionnelle a reconnu que le député avait violé à plusieurs reprises son serment de parlementaire et la Constitution en tenant des propos à teneur antisémite, notamment en niant la réalité de la Shoah. Remigijus Zemaitaitis a évité la destitution en démissionnant du Seimas en avril. Populiste, il se présente comme l’homme du peuple en lutte contre les élites du pays.

« Remigijus Zemaitaitis, qui a été candidat à l’élection présidentielle, est un atout pour son parti. Il est évident que ce scrutin a été un succès pour lui. Il a bénéficié d’une grande d’attention et il s’est bien défendu dans les débats. Son véritable but en étant candidat à l’élection présidentielle était bien sûr en premier lieu de faire la promotion de son nouveau parti et cela a très bien fonctionné. La question qui demeure est la suivante : réussira-t-il à maintenir son parti sous les feux des projecteurs jusqu’aux élections législatives ? » analyse Matas Baltrukevicius, responsable du département de politique et d'analyse de l'information à la Bibliothèque nationale de Lituanie.

Face à la percée de L'Aurore de Nemunas, de nombreux responsables politiques ont proposé de former un cordon sanitaire pour empêcher Remigijus Zemaitaitis d’accéder au pouvoir. Viktorija Cmilyte-Nielsen, dirigeante du Mouvement libéral, a indiqué qu’il était « plus que jamais essentiel pour la Lituanie de maintenir une position cohérente et résolue sur la sécurité et la défense et les affaires étrangères » ajoutant « Les propos antisémites sont ce dont le pays a le moins besoin, tout comme les positions ambiguës sur la guerre en Ukraine ». 
Austrine Armonaite, cheffe du Parti de la liberté, a souligné que la Lituanie pourrait avoir besoin de former un gouvernement arc-en-ciel face à des forces politiques radicales qui se battent pour le retrait de la Lituanie de l’Union européenne et de l’OTAN. 
Enfin, le président de la République Gitanas Nauseda a fortement regretté que les positions de Remigijus Zemaitaitis sur la Russie et sur la Biélorussie manquent de clarté. « Le prochain chef du gouvernement devra prendre ses responsabilités lors du choix des ministres » a mis en garde le chef de l’Etat. 

« En Lituanie, nous sommes face à la possibilité de la montée de l’extrême droite, un phénomène que l’on observe ailleurs en Europe. Accusé à juste titre d’avoir proféré des propos antisémites, des propos qu’il continue de tenir en les justifiant, Remigijus Zemaitaitis pourrait mettre en danger l’avenir de la Lituanie » a déclaré Gabrielius Landsbergis, dirigeant de l'Union de la patrie-Chrétiens-démocrate, qui a également demandé la mise en place d’un cordon sanitaire pour empêcher L'Aurore de Nemunas d’accéder au pouvoir.
Andrius Kubilius (TS-LKD), député européen, ancien Premier ministre (2008-2012) et prochain commissaire européen de Lituanie, a mis en garde ses compatriotes. « La radicalisation politique s’observe à travers toute l’Europe et la Lituanie ne fait pas exception mais les élections législatives à venir constituent un réel danger pour l’avenir du pays (…) Les forces pro-européennes doivent s’entendre et empêcher ce parti d’arriver au pouvoir ».

Le système politique lituanien

La Lituanie possède un parlement monocaméral. Le Seimas compte 141 membres, élus tous les 4 ans selon un mode de scrutin mixte : 71 députés sont désignés au système majoritaire et 70 au scrutin proportionnel de liste avec répartition proportionnelle des sièges sur la base du quotient simple et au plus fort reste, la Lituanie formant, pour ce système de vote, une circonscription unique. Les électeurs peuvent exprimer un vote préférentiel.

Un parti doit obligatoirement recueillir 5% des suffrages exprimés pour être représenté au parlement (7% dans le cas d'une coalition). Dans les circonscriptions où l'on vote au scrutin majoritaire, tout candidat obtenant la majorité absolue des suffrages dès le 1er tour est déclaré élu, à condition que la participation atteigne au moins 40%. Si elle est inférieure, le candidat ayant recueilli le plus grand nombre de suffrages (et les voix d'au moins 1/5e des inscrits) est élu. Un 2e tour est organisé si ces conditions ne sont pas remplies. Dans ces circonscriptions, les partis ou les candidats indépendants doivent recueillir la signature d’au moins 1 000 électeurs pour pouvoir concourir. 

Tout parti souhaitant participer aux élections législatives doit compter au minimum 1 000 membres. L’âge d’éligibilité a été récemment abaissé : les candidats doivent désormais être âgés d'au moins 21 ans. Les Lituaniens résidant à l'étranger sont représentés dans une circonscription spécifique.

7 partis politiques sont actuellement représentés au Seimas: 

– l'Union de la patrie-Chrétiens-démocrates (TS-LKD), parti de la Première ministre sortante Ingrida Simonyte, fondé en 1993 et dirigé depuis 2014 par Gabrielius Landsbergis, 50 sièges ;
– le Parti paysan et vert (LVZS), emmené par Ramunas Karbaukis,  32 élus ;
– le Parti du travail (DP), fondé en 2003 et emmené par Viktor Ouspaskich, 10 sièges ;
– le Parti social-démocrate (LSP), plus ancien parti politique créée en 1896 et conduit depuis 2017 par Vilija Blinkeviciute, 13 députés ;
– le Parti de la liberté (LP), parti social-libéral fondé en 2019 par Austrine Armonaite, 11 sièges ;
– le Mouvement libéral (LRLS), fondé en 2006 et conduit par Viktorija Cmilyte-Nielsen, 13 députés ;
– l’Action électorale polonaise-Alliance des familles chrétiennes (LLRA-KSS), créée en 1994 et emmenée par Waldemar Tomaszewski, 3 sièges ;
–  le Parti social-démocrate du travail (LSDDP), parti issu d’une scission d’avec le Parti social-démocrate en 2017 devenu le Parti des régions lituaniennes en juillet 2021 et dirigé par Jonas Pinskus, 3 députés.

Les Lituaniens élisent également leur président de la République au suffrage universel direct tous les 5 ans. Le 26 mai 2024, le chef de l’Etat sortant Gitanas Nauseda a largement remporté le 2e tour de l’élection présidentielle en recueillant 75,29% des suffrages contre la Première ministre Ingrida Simonyte (Union de la patrie-Chrétiens-démocrates, TS-LKD), qui a obtenu 24,71% des suffrages. Il s’agit de la plus large victoire d'un candidat à une élection présidentielle depuis que la Lituanie a recouvré son indépendance en 1990. Moins de la moitié des Lituaniens se sont rendus aux urnes : la participation s’est élevée à 48,99% au 2e tour de scrutin.

Résultats des élections législatives des 11 et 25 octobre 2020 en Lituanie
Participation : 47,55 % (1er tour) et 38,96 % (deuxième tour)

Source : https://www.vrk.lt/en/2020-seimo/rezultatai

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