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Corinne Deloy
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L’Alliance démocratique, qui regroupe le Parti social-démocrate (PSD) dirigé par Luis Montenegro, le Centre démocrate social/Parti populaire (CDS/PP), chrétien-démocrate emmené par Nuno Melo, et le Parti populaire monarchiste (PPM), est arrivée en tête des élections législatives le 10 mars au Portugal avec 29,52% des suffrages, soit 80 des 230 sièges de l'Assemblée de la République, chambre unique du parlement (+ 8 par rapport aux précédentes élections législatives du 30 janvier 2022). L’alliance a devancé le Parti socialiste (PS), conduit par Pedro Nuno Santos, qui a obtenu 28,63% des voix et 76 élus (- 44).
Chega (Assez) (CH), parti de droite radicale d’André Ventura, a pris la troisième place du scrutin avec 18,06% des suffrages (48 députés, + 36). Il réalise la percée importante que lui prédisaient les enquêtes d’opinion pré-électorales et triple son nombre de sièges. « Jusqu’en 2019, le Portugal était décrit comme une sorte de port d’abri, libre de populisme, mais ce n’était clairement qu’une question de temps avant qu’on n’assiste à son avènement » a indiqué José Santana Pereira, professeur de science politique à l’Institut universitaire de Lisbonne (ISCTE), ajoutant « Le terrain était prêt, il manquait seulement quelqu’un capable de présenter un projet politique convaincant et cette personne a été André Ventura ».
Initiative libérale (IL), parti dirigé par Rui Rocha, a recueilli 5,08% des voix et conquis 8 sièges (=). Il est suivi par le Bloc des gauches (BE), parti de gauche radicale dont Mariana Motagua est la porte-parole, avec 4,46% et 5 élus (=) ; la Coalition démocratique unitaire (CDU), alliance du Parti communiste (PCP), du Parti écologiste-Les Verts (PEV) et de l'Intervention démocratique (ID) conduite par Paulo Ramundo, avec 3,3% et 4 sièges (- 2) ; LIVRE (Libre) (L), parti écologiste de gauche dont Rui Tavares et Teresa Mota sont les porte-paroles, avec 3,26% et 4 députés (+ 3) et enfin Personnes-animaux-nature (PAN), dont Ines Sousa Real est la porte-parole, avec 1,93% et 1 siège (=).
Le scrutin du 10 mars était anticipé de 2 ans et faisait suite à la démission du Premier ministre sortant Antonio Costa (PS) le 7 novembre 2023 après 8 ans passés au pouvoir. Sa démission était consécutive à la mise en examen et en détention provisoire de son chef de cabinet Vitor Escaria. Le chef du gouvernement, soupçonné d’avoir aidé à débloquer les procédures dans l’attribution de contrats de quatre projets industriels liés à un centre de stockage de données près du port de Sines, à des mines de lithium et à la production d’hydrogène vert, faisait lui-même l’objet d’une enquête.
La participation a été très élevée pour un pays habituellement très abstentionniste puisque les deux tiers des électeurs ont rempli leur devoir civique : 66,23%, soit + 14,77 points par rapport aux précédentes élections législatives du 30 janvier 2022. Il semble que Chega ait réussi à convaincre de nombreux abstentionnistes de retrouver le chemin des urnes.
Résultats des élections législatives du 10 mars 2024 au Portugal
Participation : 66,23%
Source : https://www.legislativas2024.mai.gov.pt/resultados/globais
« Le Portugal a besoin d’un nettoyage », « Nous sommes les extrémistes de la lutte contre la corruption », ces slogans de Chega ont visiblement fait mouche parmi les électeurs. La percée du parti Chega constitue l’événement de ce scrutin et son résultat met fin à l’exception portugaise puisque le pays était l’un des très rares (avec l’Irlande et Malte) à ne pas posséder de parti de droite populiste conséquente. « En réalité, dès la consolidation de la démocratie, après la révolution des œillets de 1974, nous savions qu’entre 18% et 20% de la société portugaise exprimait des opinions conservatrices autoritaires. Cependant, les deux partis de la droite – le Parti social-démocrate et le Centre démocrate social/Parti populaire – qui venaient de l’opposition modérée au salazarisme les contenaient » a indiqué Antonio Pinto, professeur de science politique à l’institut des sciences sociales de l’université de Lisbonne.
André Ventura dénonce la corruption – financière et morale – des élites, il affirme que les deux « grands » partis du Portugal, qui gouvernent le pays en alternance depuis l’avènement de la démocratie en 1974, ne sont que « les deux faces d’une même pièce ». Il veut réguler l’immigration en reprenant le contrôle des frontières, mettre fin à l’islamisation de l’Europe, interdire l’avortement, rétablir la peine de mort. Libéral sur le plan économique, il préconise une baisse des impôts, des hausses de salaire, des privatisations dans les domaines de la santé et de l’éducation, la fin de l'aide sociale pour les personnes au chômage. Il a néanmoins récemment quelque peu atténué son discours libéral pour défendre des mesures plus sociales.
« André Ventura ne cesse de mettre en avant les "bons Portugais" dont il serait l'incarnation, c'est-à-dire des gens qui travaillent et qui ne dépendent pas des subventions ou des aides de l'État. C'est un discours qui a touché une partie des abstentionnistes et des électeurs mécontents » a souligné Victor Pereira, professeur d’histoire à l’université de Lisbonne.
Le parti de droite radicale a sans doute bénéficié de la série de scandales de corruption qui ont touché les forces de droite et de gauche au cours des dernières années. Quelques mois avant l’affaire qui a conduit le Premier ministre sortant Antonio Costa à la démission, le Portugal avait déjà été secoué par le scandale lié à la privatisation de la compagnie aérienne nationale TAP Air Portugal. Un conflit d’intérêt avait provoqué une crise gouvernementale et la démission du ministre des Infrastructures et du Logement, Pedro Nuno Santos (PS), et de la secrétaire d’État au Trésor, Alexandra Reis. Cela n’a pas empêché Pedro Nuno Santos de prendre la tête du PS en décembre 2023 et de conduire le parti pour le scrutin du 10 mars.
André Ventura s’est félicité d’« un résultat absolument historique » et il s’est déclaré « disponible pour donner un gouvernement stable au Portugal au sein d’une majorité forte à droite ». « Les Portugais ont été clairs. L’Alternative démocratique demandait une majorité absolue, elle en est loin. Le Parti socialiste voulait une majorité relative, il en est loin. Chega voulait devenir la pièce centrale du système politique, il a réussi » a-t-il ajouté, précisant : « Nous ne pouvons pas laisser le Parti socialiste gouverner s’il y a une majorité de droite. Les élections ont clairement montré que les Portugais veulent un gouvernement de l'Alternative démocratique et de Chega ».
Arrivé en tête du scrutin, l’Alliance démocratique emmenée par Luis Montenegro ne dispose donc pas de la majorité absolue même en s’unissant avec Initiative libérale. Tout au long de la campagne électorale, Luis Montenegro a répété qu’il ne collaborerait pas avec Chega. « Não é não (Non, c’est non) » a-t-il affirmé. Rappelons que son refus d’envisager tout rapprochement avec la droite radicale avait été la cause de sa rupture avec l’ancien Premier ministre (2011-2015) et leader du Parti social-démocrate (2010-2018) Pedro Passos Coelho. « Nous sommes prêts à commencer à gouverner et à changer de politique (…) C’est avec un sens élevé des responsabilités que je transmettrai au président de la République notre volonté de gouverner » a déclaré Luis Montenegro. « La mise en œuvre de notre politique devra passer par le dialogue » a-t-il en appelant « tous les partis à assumer leurs responsabilités ».
Le dirigeant socialiste Pedro Nuno Santos a indiqué qu’il ne ferait pas obstacle à la formation d’un gouvernement minoritaire de droite. Rappelons que jusqu’en 2015 prévalait au Portugal le système suivant : le parti arrivé en tête des élections législatives gouvernait le pays, celui qui prenait la 2e place le laisser diriger. Cette règle a cessé d’être respectée lors des élections législatives du 4 octobre 2015 lorsque le PS, arrivé deuxième du scrutin, a fait alliance avec le Bloc des gauches et la Coalition démocratique unitaire pour former un gouvernement. « Malgré la différence minime entre nous et l'Alternative démocratique, nous n'avons pas gagné les élections et nous irons dans l'opposition (…) Le Parti socialiste ne provoquera pas d'impasse constitutionnelle » a indiqué João Torres, directeur de campagne du PS, qui a précisé : « Le Parti socialiste n'est pas un partenaire naturel de l'Alliance démocratique. Personne n'attend que nous facilitions ses budgets ».
Le Parti social-démocrate se retrouve donc dans une situation fragile, soumis à la bonne volonté du Parti socialiste. Néanmoins, celui-ci, qui n’a aucun intérêt à retourner devant les électeurs, devrait, tout au moins pour quelque temps, privilégier la stabilité du pays.
Les élections législatives du 10 mars étaient la conséquence de la démission du Premier ministre sortant Antonio Costa (PS). Le président de la République Marcelo Rebelo de Sousa a choisi de dissoudre l'Assemblée de la République, et de convoquer un scrutin anticipé. Il aurait pu faire un autre choix comme ses prédécesseurs en 2004 et en 1981. Le chef du gouvernement sortant avait d’ailleurs proposé le nom de Mario Centeno, actuel gouverneur de la Banque du Portugal et ancien ministre des Finances pour le remplacer. Le conseil d’Etat avait émis, le 9 novembre, un avis réservé sur un retour aux urnes.
Marcelo Rebelo de Sousa a sans doute vu dans l’organisation de nouvelles élections législatives une opportunité d’aider son parti d’origine, le PSD, écarté du pouvoir depuis 8 ans.
Le résultat de Chega est venu quelque peu troubler la situation et ce à un peu plus d’un mois du 50e anniversaire de la révolution des Œillets qui a mis fin en 1974 à la dictature instituée par Antonio Salazar en 1933.
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