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Droite et gauche au coude-à-coude à trois semaines des élections législatives au Portugal

Élections en Europe

Corinne Deloy

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19 février 2024
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Corinne Deloy

Chargée d'études au CERI (Sciences Po Paris), responsable de l'Observatoire des élections en Europe à la Fondation Robert Schuman

Droite et gauche au coude-à-coude à trois semaines des élections législatives au...

PDF | 164 koEn français

Le 9 novembre dernier, le président portugais, Marcelo Rebelo de Sousa, a dissous l'Assemblée de la République, chambre unique du Parlement, et annoncé la tenue d’élections législatives le 10 mars 2024. Celles-ci, qui devaient être organisées avant le 11 mars 2026 au plus tard, sont donc anticipées de deux ans.

Le Portugal en pleine crise politique

La décision du chef de l’Etat est consécutive à la démission du Premier ministre Antonio Costa (Parti socialiste, PS) le 7 novembre 2023 après huit années passées au pouvoir à la suite de la mise en examen et en détention provisoire de son chef de cabinet Vitor Escaria. Le chef du gouvernement fait l’objet d’une enquête : il est soupçonné d’avoir aidé à débloquer les procédures dans l’attribution de contrats de quatre projets industriels liés à un centre de stockage de données près du port de Sines, à des mines de lithium et à la production d’hydrogène vert.
Plusieurs perquisitions ont eu lieu à la résidence du Premier ministre et dans différents ministères (Environnement, Infrastructures et Organismes publics). Plusieurs personnes ont été mises en examen dont le ministre des Infrastructures et Organismes publics, Joao Galamba (PS), dont le rôle dans l’attribution des concessions pour l’exploitation du lithium alors qu’il était secrétaire d’Etat à l’Energie est considéré ambigu. Le maire de Sines, Nuno Mascarenhas (PS), a été arrêté. « La dignité de la fonction de Premier ministre n’est pas compatible avec de quelconques soupçons sur son intégrité, sa bonne conduite et encore moins encore avec une suspicion de pratique criminelle » a déclaré Antonio Costa lors de sa démission.

Quelques mois auparavant, le Portugal avait été secoué par le scandale lié à la privatisation de la compagnie aérienne nationale TAP Air Portugal. Un conflit d’intérêt avait provoqué une crise gouvernementale et la démission du ministre des Infrastructures et du Logement, Pedro Nuno Santos (PS), et de la secrétaire d’État au Trésor, Alexandra Reis.

Le président de la République aurait pu choisir de nommer un nouveau Premier ministre pour remplacer Antonio Costa, comme ses prédécesseurs l’avaient fait en 2004 et en 1981. Le chef du gouvernement sortant avait proposé le nom de Mario Centeno, actuel gouverneur de la Banque du Portugal et ancien ministre des Finances pour le remplacer. Le conseil d’Etat a également émis, le 9 novembre 2023, un avis réservé sur un retour aux urnes. Les Portugais sont favorables à l’organisation d’élections législatives : les deux tiers des personnes interrogées par les instituts d’opinion expriment ce souhait. Marcelo Rebelo de Sousa a affirmé qu’il souhaitait que le prochain Premier ministre soit légitimé par le Parlement ; il espère sans doute que le scrutin législatif permettra au Parti social-démocrate (PSD), de revenir au pouvoir. « Le gouvernement s’est écroulé de l’intérieur, la légitimité du PS s’est effondrée. (…) Les élections assureront la stabilité économique et sociale indispensable au pays » a déclaré le dirigeant du PSD, Luis Montenegro. 

Selon l’enquête d’opinion réalisée par l’institut Consulmark2 entre le 6 et 12 février, l’Alliance démocratique devrait arriver en tête du scrutin d’une très courte tête avec 30% des suffrages devant le Parti socialiste qui recueillerait 27,4% des voix. Ces deux partis devanceraient Chega (Assez) (CH), parti populiste de droite de André Ventura, qui obtiendrait 18,1%. Initiative libérale (IL), parti dirigé par Rui Rocha, recueillerait 5,5% et le Bloc des gauches (BE), formation de gauche radicale dont Mariana Motagua est la porte-parole, 4,2%. LIVRE (Libre) (L), parti écologiste de gauche dont Rui Tavares et Teresa Mota sont les porte-paroles, obtiendrait 2,9% ; la Coalition démocratique unitaire (CDU), alliance du Parti communiste (PCP) et du Parti écologiste-Les Verts (PEV) et de l'Intervention démocratique (ID) conduite par Paulo Ramundo, recueillerait 2,6% et, enfin, Personnes-animaux-nature (PAN), dont Ines Sousa Real est la porte-parole, 1,1%.

A priori, aucun des 2 « grands » partis n’obtiendrait la majorité absolue le 10 mars. Le dirigeant socialiste a exclu toute « grande coalition », appelée au Portugal Bloco central, avec le PSD. « Le système démocratique du Portugal propose une alternative. Nous avons des visions très différentes du Portugal, de notre société et des politiques que nous souhaitons mettre ne place. Une grande coalition est donc quasiment impossible » a déclaré Pedro Nuno Santos.

L’état des forces politiques

En 2022, lors des élections législatives du 30 janvier, le PS s’était largement imposé, obtenant la majorité absolue au Parlement. Le scrutin, troisième victoire consécutive du parti dans les urnes, avait mis au jour la fragmentation de la droite portugaise.
Au cours de ses huit années à la tête du pays, Antonio Costa a su remettre les comptes publics du Portugal à l’équilibre mais, ses compatriotes ont le sentiment de voir leurs conditions de vie se dégrader, leurs salaires stagner alors que l’inflation met à mal leur pouvoir d’achat. Ils sont notamment préoccupés par l’état du service public de santé (53% estiment que ce devrait être la priorité du futur gouvernement) ; un tiers (38%) citent la lutte contre l’inflation et un quart (27,5%) l’état de l’éducation et les difficultés pour se loger. 
Les prix des logements ont en effet augmenté de 11,8% en 2023. Pour lutter contre la spéculation immobilière, le gouvernement a supprimé les visas dorés, nom donné aux permis de séjour accordés à de riches étrangers qui investissent dans le pays en achetant des biens immobiliers. Depuis la fin de l’année 2022, le Portugal a traversé des tensions sociales et connu de nombreuses manifestations de personnes travaillant dans les secteurs de l’éducation, de la santé, de la justice en lutte pour une amélioration de leurs conditions de vie ou encore d’autres protestant contre l’augmentation du coût de la vie et des loyers.

Le PS reste toutefois bien implanté localement. Il est désormais emmené par Pedro Nuno Santos, qui a remplacé le Premier ministre Antonio Costa en décembre à la tête du parti. Son programme est centré sur un « nouvel équilibre » entre la réduction de la dette et la hausse des investissements publics. Le PS propose des réductions d’impôts, notamment pour les classes moyennes, des aides au logement pour faciliter l’accès à des prêts bancaires, en particulier à des personnes de plus de 40 ans non encore propriétaires et une hausse du salaire minimum qui devrait atteindre au moins 1000 € à la fin de la législature. 

A droite, le Parti social-démocrate (PSD) est dirigé par Luis Montenegro qui a remplacé Rui Rio à l’été 2022. Le PSD se présente en coalition avec le Centre démocrate social/Parti populaire (CDS/PP), parti chrétien-démocrate emmené par Nuno Melo, et le Parti populaire monarchiste (PPM). Cette coalition a pris le nom d’Alliance démocratique. Elle propose une baisse générale des impôts et une hausse des salaires et des pensions de retraites. Elle souhaite ainsi augmenter le montant du minimum retraite à 820 € d’ici à 2028 et le salaire minimum à 1 000 €. 
Deux solutions s’offrent donc aux forces de droite : constituer une « grande coalition » avec le PS ou bien s’allier d’une façon ou d’une autre avec Chega. 

Le parti populiste de droite semble en effet avoir le vent en poupe, ce qui s’explique en partie par le scandale qui a secoué le gouvernement, la dénonciation de la corruption des élites constituant le premier élément du programme de Chega, dont le slogan est d’ailleurs Nettoyons le Portugal ! « Un tel choc autour du thème de la corruption associant l’élite gouvernementale aux affaires augmente le vote de protestation pour Chega » a déclaré Antonio Pinto, professeur de science politique à l’institut des sciences sociales de l’université de Lisbonne. « André Ventura ne pouvait rêver mieux pour alimenter son discours populiste du grand nettoyage des bandits et pour attiser la peur et le ressentiment avec un discours justicier sécuritaire et xénophobe » confirme Mafalda Anjos, directrice du magazine Visao.

Le dirigeant de Chega aime à affirmer que les électeurs ont le choix entre le Portugal moderne qu’il incarne et celui du passé de Pedro Nuno Santos. Ironie de l’histoire, le Portugal fêtera le 25 avril prochain le 50e anniversaire de la révolution des Œillets qui a mis fin en 1974 à la dictature instituée par Antonio Salazar en 1933.

« Toutes les études montrent que la corruption est un sujet qui préoccupe particulièrement les Portugais et lorsqu’elle contamine la vie politique, Chega avec sa croisade antisystème en sort toujours gagnant (…) La montée de Chega a eu lieu sur fond de crise de la droite traditionnelle et de la disparition du parti le plus conservateur de cette tendance, le Centre démocrate social/Parti populaire, qui a libéré un espace pour un discours radical populiste » a précisé Antonio Pinto.
Pour Chega, l’enjeu est important. Va-t-il s’imposer comme un parti capable de gouverner ? 

Le 4 février dernier, des élections régionales anticipées ont été organisées dans l’archipel des Açores après la chute de l’alliance des partis de droite consécutive à des désaccords sur le budget régional. La coalition sortante était soutenue par Chega. Le scrutin a débouché sur la reconduction du gouvernement de José Manuel Bolieiro formé par le PSD, le CDS/PP et le Parti populaire monarchiste. Le dirigeant a affirmé ne pas souhaiter gouverner avec le soutien de Chega, qui est sorti renforcé des élections. 
Le Premier ministre sortant Antonio Costa brandit régulièrement la menace de la situation aux Açores, affirmant que l’alliance politique qui a été mise en place dans l’archipel n’est que la répétition générale de ce que le PSD souhaite réaliser sur le plan national. Une alliance qui ne peut qu’entraîner le pays dans la crise politique. Luis Montenegro a toutefois exclu de gouverner avec le soutien de Chega. 

Fait notable : tous les partis politiques portugais ont élu un nouveau dirigeant depuis les dernières élections législatives du 30 janvier 2022. Nuno Melo a pris la tête du CDS/PP) en avril 2022 ; Luis Montenegro celle du PSD en mai 2022 ; Paulo Ramundo a été élu à la tête de la Coalition démocratique unitaire en novembre2022 ; Rui Rocha est devenu le leader de l’Initiative libérale début 2023 ; Mariana Motagua a été désignée porte-parole du Bloc des gauches en mai et enfin, Pedro Nuno Santos a remplacé le Premier ministre sortant Antonio Costa à la tête du PS en décembre.

« A l’issue des élections législatives du 10 mars, nous risquons d’avoir un parlement très fragmenté avec un gouvernement fragile dépendant d’accords parlementaires » a indiqué Bruno Ferreira da Costa, professeur de science politique de l’université Beira Interior.

Le système politique portugais

Le Parlement portugais est monocaméral. L'Assemblée de la République compte 230 membres, élus pour 4 ans au scrutin proportionnel au sein de 22 circonscriptions plurinominales. Le pays compte 18 circonscriptions métropolitaines et 2 régions autonomes – Madère et Açores – qui forment chacune une circonscription. Par ailleurs, les Portugais résidant à l'étranger sont divisés en 2 circonscriptions : ceux qui vivent en Europe élisent 2 députés et ceux du reste du monde qui en désignent 2 aussi.

Les listes de candidats aux élections législatives sont bloquées, les électeurs ne peuvent donc exprimer aucune préférence au sein de la liste pour laquelle ils votent. A l'issue du scrutin, la répartition des sièges se fait à la proportionnelle selon la méthode d'Hondt sans seuil préélectoral défini.

8 partis politiques ont obtenu des élus à l'Assemblée de la République lors du scrutin législatif du 2022 :
– le Parti socialiste (PS), fondé en 1973 et conduit par Pedro Nuno Santos. Parti du Premier ministre sortant Antonio Costa, il compte 120 députés ;
– le Parti social-démocrate (PSD), parti créé en 1974 et emmené par Luis Montenegro, possède 72 sièges ;
– Chega (Assez) (CH), parti populiste de droite fondé en 2019 par André Ventura, compte 12 élus ;
– Initiative libérale (IL), parti créé en 2017 et conduit par Rui Rocha, possède 8 sièges ;
– le Bloc des gauches (BE), parti de gauche radicale fondé en 1999 et dont Mariana Motagua est la porte-parole, compte 5 élus ;
– la Coalition démocratique unitaire (CDU), alliance du Parti communiste (PCP), créé en 1921, du Parti écologiste-Les Verts (PEV), fondé en 1982, et de l'Intervention démocratique (ID, possède 6 sièges ;
– Personnes-animaux-nature (PAN), parti défenseur des droits des animaux et de la nature, fondé en 2009 et dont Ines Sousa Real est la porte-parole, compte 1 député ;
– LIVRE (Libre) (L), parti écologiste de gauche dont Rui Tavares et Teresa Mota sont les porte-paroles, possède 1 siège.

Les Portugais élisent également tous les 5 ans leur président de la République au suffrage universel direct. L'actuel chef de l'Etat, Marcelo Rebelo de Sousa, ancien dirigeant du Parti social-démocrate (PSD) (1996-1999), a été réélu pour un deuxième mandat avec 60,66% des suffrages le 24 janvier 2021 dès le 1er tour de scrutin. Il a devancé Ana Gomes (PS), qui se présentait sans l'aval de son parti (12,96% des voix), et André Ventura (CH) (11,93%). Quatre Portugais sur dix (39,26%) s'étaient rendus aux urnes.

Rappel des résultats des précédentes élections législatives du 30 janvier 2022 au Portugal
Participation : 51,46%

Source : https://www.cne.pt/sites/default/files/dl/2022ar_mapa_oficial_resultados.pdf

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