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Après quatre vingt-huit années d'union avec la Serbie, le Monténégro retrouve son indépendance

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Corinne Deloy,  

Fondation Robert Schuman

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22 mai 2006
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Corinne Deloy

Chargée d'études au CERI (Sciences Po Paris), responsable de l'Observatoire des élections en Europe à la Fondation Robert Schuman

Robert Schuman Fondation

Fondation Robert Schuman

Quinze ans après la sécession de la Slovénie (25 juin 1991), début de l'éclatement de l'ex-Yougoslavie, le processus de démantèlement de l'ancienne République des Balkans touche à son terme avec le résultat du référendum historique qui s'est déroulé le 21 mai au Monténégro et par lequel la majorité des Monténégrins se sont prononcés en faveur de l'indépendance de leur Etat. Ce scrutin signe la fin du rêve de la «grande Serbie» qui fût celui de nombreux nationalistes emmenés par Slobodan Milosevic et qui fit ces dernières années des milliers de morts.

Les 484 718 électeurs appelés aux urnes dans les 1 118 bureaux de vote des 21 municipalités pour ce référendum ont voté à 55,5% pour l'indépendance de leur Etat, 44,5% des électeurs se sont prononcés en faveur du maintien de l'union de leur pays avec la Serbie. Le résultat remplit les deux conditions imposées par l'Union européenne pour que la consultation populaire soit valide, à savoir une indépendance approuvée par au moins 55% des votants et une participation d'au moins 50% des inscrits. Celle-ci s'est en effet élevée à 86,6%, soit le taux le plus élevé enregistré au Monténégro depuis que ce pays organise des élections libres et démocratiques. Dès l'annonce des premières estimations, les partisans de l'indépendance ont envahi les rues de la capitale Podgorica et laissé éclater leur joie. De nombreuses personnes ont brandi le drapeau monténégrin de couleur rouge et frappé de l'aigle royal, du lion de Venise et de la couronne des Petrovic-Njegos, ancienne dynastie dirigeante du pays.

« J'ai le plaisir d'annoncer que ce soir, le Monténégro est devenu un Etat indépendant. La victoire dépasse les 55% requis pour que le Monténégro devienne indépendant » a affirmé Predrag Sekulic, porte-parole de l'Union démocratique des socialistes (DPS). « Par la volonté de ses citoyens, le Monténégro a rétabli son indépendance. C'est le jour le plus important dans l'histoire récente du Monténégro. Aujourd'hui, les citoyens du Monténégro ont choisi de recouvrer leur souveraineté » a déclaré le Premier ministre Milo Djukanovic (DPS). « En réglant le dilemme du référendum, le Monténégro ouvrira une perspective pour son intégration dynamique à l'Europe » avait-il souligné en rejoignant son bureau de vote

Milo Djukanovic, qui avait lié son avenir au résultat du référendum, a donc réussi son pari. Le Premier ministre, et ancien Président de la République (1997-2002), leader de l'Union démocratique des socialistes, devient l'homme par qui le Monténégro a recouvré son indépendance. Agé de 44 ans, l'homme a déjà une longue carrière derrière lui. Entré en politique dans les années quatre-vingts, il devient Premier ministre en 1991. Après avoir soutenu Slobodan Milosevic, il rompt avec le dictateur serbe en 1997 puis, dans les années suivantes, avec l'idéologie communiste.

A l'annonce des premiers résultats, Predrag Bulatovic, le leader des anti-indépendantistes et chef du Parti socialiste populaire, (SNP) a appelé la population à garder son calme. « J'exhorte le gouvernement à appeler les gens à quitter les rues et à rentrer chez eux. J'appelle à la paix, à la tolérance et à la retenue. Je demande à nos partisans d'attendre patiemment les résultats » a t-il déclaré. Il avait lancé plusieurs appels au calme durant les derniers jours de la campagne, demandant à chacun de penser à l'avenir de tous les Monténégrins, et ce quelle que doive être l'issue du référendum. « Après le vote, nous devons nous réconcilier et songer à l'avenir européen du Monténégro » avait-il souligné en déposant son bulletin dans l'urne. Il a promis de reconnaître la victoire du « oui » si aucune irrégularité ne venait entacher le vote. « Dans ce cas, nous nous serrerons la main et je les féliciterai pour leur victoire, car seul un comportement pareil contribuera à atténuer les divisions internes du Monténégro (...) Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour préserver une démocratie européenne au Monténégro après le référendum car ce serait une catastrophe pour le pays si nous sombrions dans l'instabilité » a t-il conclu.

D'une superficie de 13 812 km2, le Monténégro est frontalier de trois Etats : la Bosnie-Herzégovine, l'Albanie et la Serbie. Peuplé de 620 145 habitants, le pays compte 43,16% de Monténégrins, 32% de Serbes, 7,77% de Musulmans, 5,05% d'Albanais, 1 % de Croates et 0,5 % de Roms (chiffres du recensement de 2003). Sa capitale, Podgorica (l'ancienne Titograd), compte environ 150 000 habitants. La langue parlée est l'ijekavsk, le monténégrin, très proche de l'ekavski (serbe) et la principale religion, l'orthodoxie.

Principauté montagnarde indépendante à partir du XVIIIème siècle et dirigée par un Prince-évêque issu de la lignée des Petrovic-Njegos, le Monténégro, qui avait alors pour capitale Cetinje, est le seul Etat des Balkans à avoir résisté aux invasions de l'Empire ottoman. L'indépendance du pays, devenu une monarchie au début du XIXème siècle, a été reconnue internationalement par le congrès de Berlin en 1878. De 1878 à 1918, le Monténégro a été dirigé par le roi Nicolas I, poète et soldat. En 1916, le roi Nicolas, dont le pays était entré en guerre aux côtés de la Serbie, fût envoyé en exil en France par l'armée austro-hongroise qui avait envahi le Monténégro, où il mourut en 1921. En décembre 1918, à la fin de la Première Guerre mondiale, son petit-fils, le Prince Alexandre de Serbie, unit alors le Monténégro à la Serbie et à d'autres régions du défunt Empire austro-hongrois peuplées de slaves. La Yougoslavie était née, mais cette union des deux pays fût vécue comme une annexion par de nombreux Monténégrins qui se soulevèrent alors contre la Serbie. A la fin de la Deuxième Guerre mondiale, le Monténégro devint l'une des six Républiques constitutives du nouvel Etat de Yougoslavie devenu communiste.

En 1992, le Monténégro choisit de nouveau de rester uni à la Serbie. Dix ans plus tard, le 14 mars 2002, une nouvelle structure, l'Etat de Serbie et Monténégro, remplace la République fédérale de Yougoslavie. Présidé par le Monténégrin Svetozar Marovic, disposant d'un Président et d'un gouvernement, composé de cinq ministres, ainsi qu'un Parlement monocaméral de 126 députés, dont 91 pour la Serbie et 35 pour le Monténégro, cet Etat a été créé sous la pression de l'Union européenne, pour apaiser la situation dans les Balkans au moment où le Kosovo, à majorité albanaise, souhaitait se séparer unilatéralement de la Serbie. Les accords de Belgrade, signés par la Serbie et le Monténégro, autorisaient les deux entités serbe et monténégrine à décider, à l'issue d'une période probatoire de trois ans, si elles souhaitaient poursuivre leur union ou se séparer. Au total, Serbes et Monténégrins auront donc partagé le même Etat durant quatre vingt-huit ans.

L'argument des indépendantistes ayant eu le plus fort retentissement est celui selon lequel en restant lié avec la Serbie, le Monténégro était tenu pour responsable de problèmes qui n'étaient pas les siens et son rapprochement avec l'Union européenne était ainsi menacé. La récente décision de Bruxelles de suspendre ses négociations de rapprochement avec l'Etat de Serbie-et-Monténégro après l'expiration, le 30 avril dernier, de l'ultimatum imposé à la Serbie pour livrer au Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie de La Haye (TPIY) le général serbe Ratko Mladic, accusé de crimes de guerre (meurtre de 8 000 musulmans à Srebrenica) et de génocide (ayant entraîné la mort de plus de 10 000 personnes à Sarajevo), a certainement contribué à renforcer cet argument.

Le Monténégro se considérait également pris en otage par la Serbie au niveau économique. Ces dernières années, le Premier ministre Milo Djukanovic a mis en œuvre dans son pays de nombreuses réformes économiques et sociales qui contrastent avec l'immobilisme de la Serbie voisine, engluée dans une interminable crise économique. La croissance du PIB monténégrin atteint 4%, l'inflation 1,9% et le déficit budgétaire 2,1%. Enfin, le revenu par habitant est d'environ 780 euro et le salaire moyen de 236 euro mensuels. Le chômage reste cependant élevé, touchant environ 30% de la population active. Il n'est pas sûr toutefois que les arguments économiques soient ceux qui aient le plus conduit les Monténégrins à choisir l'indépendance. Ils avaient tout simplement peine à croire qu'ils pourraient être un jour les égaux des Serbes, treize fois plus nombreux qu'eux, au sein d'un seul et même pays.

Depuis quatre ans, et en dépit de nombreux liens historiques, culturels et religieux existant entre la Serbie et le Monténégro, l'union des deux pays dans l'Etat de Serbie et Monténégro était restée inachevée. Censé représenter un seul pays au niveau international, cet Etat rassemblait de facto deux Etats ayant chacun leur propre monnaie (le dinar pour la Serbie et l'euro pour le Monténégro), leur propre organisation administrative et politique, leur propre système fiscal et douanier, leurs lois, leur compagnie aérienne, leurs timbres, etc. «Nous disposons déjà de 90 à 95 % des attributs de la souveraineté» déclarait le Premier ministre à la veille du référendum.

Les autorités monténégrines ont défendu l'indépendance comme le moyen de se rapprocher au plus vite de l'Union européenne. « Je suis convaincu que le 22 mai le Monténégro sera un état indépendant et nous prouvons par ce référendum démocratique que nous avons toutes les chances d'intégrer l'Union Européenne. Demain, nous serons les maîtres de notre destin » déclarait ainsi Milo Djukanovic quelques jours avant le scrutin.

Le référendum ne devrait pas laisser indifférents les peuples des Balkans et notamment les habitants du Kosovo, région serbe peuplée en majorité d'Albanais. Selon le calendrier de Martti Ahtisaari, envoyé spécial de l'ONU, le statut du Kosovo devrait être définitivement entériné avant la fin de cette année mais il reste difficile d'imaginer un rétablissement de la souveraineté des autorités de Belgrade sur cette région. « En cas de séparation de la Serbie et du Monténégro, il deviendra très difficile d'expliquer aux Kosovars que les Monténégrins, qui sont beaucoup plus proches des Serbes slaves, parlant la même langue, pratiquant la même religion, dont ils sont en quelque sorte les « cousins , aient à 650 000, le droit de choisir l'indépendance alors que les Albanais, qui ne sont pas slaves, ne parlent pas la même langue et sont beaucoup plus nombreux que les Monténégrins, devraient rester dans un Etat commun avec la Serbie » écrit Jacques Rupnik, directeur de recherche au Centre d'études et de recherches internationales (CERI). « L'indépendance du Kosovo ne dépend pas de l'indépendance du Monténégro » a cependant affirmé ''actuel Premier ministre du Kosovo, Agim Ceku. Après ce référendum, les Serbes de la République serbe de Bosnie-Herzégovine pourraient se sentir autorisés à demander l'organisation d'une consultation populaire pour affirmer leur indépendance (ou leur rattachement à la Serbie) tout comme les Albanais de Macédoine ou encore les habitants de la région serbe de Voïvodine. Le référendum apporte sans aucun doute une nouvelle légitimité aux revendications des autres peuples des Balkans.

Après la publication officielle des résultats, les autorités monténégrine et serbe (ces dernières n'avaient pas réagi dimanche soir au résultat du référendum) vont entrer dans une phase de négociations. « Si les indépendantistes remportent le référendum, il faudra qu'ils comprennent que l'avenir du pays passe aussi par la reconstruction des bonnes relations traditionnelles avec la Serbie » prévenait le Prince du Monténégro, Nicolas Petrovic Njegos, quelques semaines avant le scrutin. Le Parlement monténégrin devrait déclarer le Monténégro souverain et indépendant ; la Charte constitutionnelle et l'Etat de Serbie et Monténégro seront officiellement abolis. Le Premier ministre Milo Djukanovic ou le Président de la République, Filip Vujanovic, devraient adresser une lettre à chacun des Etats membres de l'Union européenne les informant des résultats du référendum et de l'intention des autorités monténégrines d'établir des relations bilatérales avec les Vingt-cinq. La Serbie étant la seule héritière des engagements internationaux de l'Etat de Serbie-Monténégro, le nouvel Etat devra ensuite ouvrir des représentations diplomatiques à l'étranger, opération qui devrait prendre entre trois et six mois. Les autorités monténégrines ont déjà préparé les nouveaux passeports qui devraient être délivrés à la fin de cette année (les passeports de l'Etat de Serbie et Monténégro devraient cependant rester valides durant trois ans). Enfin, le Monténégro indépendant demandera son adhésion à l'Organisation des Nations Unies (ONU), probablement en septembre prochain lors de la réunion de l'Assemblée générale de l'organisation internationale.

Le Premier ministre, Milo Djukanovic, a d'ores et déjà prévu de se rendre à Bruxelles dès le 29 mai prochain.

Résultats du référendum du 21 mai 2006 sur l'indépendance du Monténégro

Source : agence france-presse

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