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Corinne Deloy,
Fondation Robert Schuman
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ENCorinne Deloy
Fondation Robert Schuman
La tradition allemande veut que, depuis 1949, aucun gouvernement allemand n'ait été chassé du pouvoir à l'issue d'une première législature. Le 22 septembre prochain, les électeurs allemands y seront-il fidèles ou bien décideront-ils, à l'instar des Portugais, des Néerlandais et des Français en cette année 2002, de changer de majorité et de passer de gauche à droite ? Aujourd'hui, seuls quatre pays des quinze que compte l'Union européenne, la Grèce, le Royaume Uni, la Suède et l'Allemagne sont dirigés par les sociaux-démocrates. Si la Suède devrait, selon toute probabilité, reconduire le gouvernement de Göran Persson le 15 septembre prochain, en Allemagne, les choses sont beaucoup plus indécises. Donné victorieux en début d'année par les sondages, le SPD de Gerhard Schröder a chuté au fil des mois jusqu'à se retrouver en termes d'intentions de vote plus de dix points derrière la CDU de son rival chrétien démocrate Edmund Stoiber, un écart qui toutefois se réduit un peu en fin de campagne.
Le système politique allemand
Les élections législatives ont lieu outre-Rhin tous les quatre ans selon le système de la proportionnelle personnalisée. Lors du scrutin, l'électeur dispose de deux voix, l'une pour élire l'un des candidats de sa circonscription, l'autre pour voter pour un parti représenté par une liste de candidats au niveau du Land (l'Allemagne est aujourd'hui divisée en seize Länder). Le pourcentage des secondes voix détermine le nombre de sièges revenant proportionnellement aux différents partis qui se doivent d'atteindre les 5% de suffrages exprimés pour être représentés au Bundestag, la chambre basse du Parlement allemand.
Si à l'issue de la guerre, en 1949, onze formations politiques étaient présentes au Bundestag, elles n'étaient plus que quatre en 1957 et seulement trois entre 1961 et 1983 (SPD, CDU-CSU et FDP). Les choses changent en 1983 lorsque les Verts parviennent à franchir la barre des 5%, puis en 1998 avec l'entrée du PDS, issu du Parti socialiste de l'ex-Allemagne de l'Est.
La chute des deux principaux partis (CDU et SPD) s'est logiquement accompagné du déclin des institutions sur lesquelles ceux-ci s'appuyaient : les syndicats pour le SPD (l'Allemagne comptait 11,8 millions de travailleurs syndiqués en 1991 contre 7,8 millions en 2000) et l'église pour la CDU.
On notera également que lors des élections législatives, les Allemands votent généralement davantage pour un parti qu'en faveur d'un homme. La nuance est importante car si le Parti social-démocrate (SPD) est aujourd'hui distancé par l'Union chrétienne-démocrate (CDU-CSU) dans tous les sondages, le candidat Gerhard Schröder bénéficie jusqu'ici d'une meilleure cote personnelle qu'Edmund Stoiber. Le système allemand condamne donc le candidat Schröder à trouver les moyens de faire bénéficier son parti de sa propre popularité pour espérer remporter les élections. « La personnalisation est plus grande dans l'esprit des stratèges électoraux que dans celui des électeurs. Ces derniers continuent de juger en fonction de grands problèmes comme l'emploi, les politiques de santé, la diplomatie. Le degré de sympathie ne suffit pas. Ce sont les propositions des partis susceptibles de former le gouvernement qui demeurent primordiales » déclare Michael Greven, professeur à l'Institut des sciences politiques de l'université de Hambourg.
Cinq formations politiques sont représentées dans le Bundestag actuel qui compte 656 membres :
- Le Parti social-démocrate (SPD), formation majoritaire de gauche,
- L'Union chrétienne-démocrate et l'Union chrétienne-sociale (CDU-CSU), située à droite de l'échiquier politique est l'autre grand parti (la CSU n'est présente qu'en Bavière, fief d'Edmund Stoiber)
- L'Alliance 90-Les Verts (B'90-Die Grünen), issus de la fusion en 1993 d'Alliance 1990, mouvement pour les droits civiques de l'ex-Allemagne de l'Est, et du parti écologiste,
- Le Parti libéral démocrate (FDP), parti qui a précédemment participé à tous les derniers gouvernements de coalition avec la CDU-CSU mais aussi, il y a plus longtemps, avec le SPD.
- Le Parti du socialisme démocratique (PSD), parti communiste, successeur du Parti socialiste unifié (SED) de l'ex-Allemagne de l'Est.
Le Parlement allemand comprend également une chambre haute, le Bundesrat, composé des membres des gouvernements des seize Länder. Chaque Land y dispose d'au moins trois voix ; les Länder qui comptent plus de deux millions d'habitants ont quatre voix, ceux de plus de six millions, cinq voix et enfin ceux de plus de sept millions, six voix. Le Bundesrat actuel compte soixante-neuf membres.
Les enjeux du scrutin
Les élections législatives allemandes voient s'affronter pour le poste de chancelier deux hommes aux styles et aux parcours très différents.
A droite, le leader de la CSU, Edmund Stoiber, 60 ans, ministre-président de Bavière depuis 1993, l'un des Länder les plus prospères d'Allemagne (deuxième plus bas taux de chômage du pays avec 5,5%) dont le programme comprend deux priorités : encourager le pouvoir d'innovation des classes moyennes et aménager l'enseignement scolaire et universitaire. Le candidat de la CDU-CSU a l'image d'un homme attaché aux valeurs traditionnelles, opposé au contrat d'union des homosexuels voté par la gauche. Il est très favorable à une relance de la relation franco-allemande, ce qu'il a longuement évoqué avec le Président français Jacques Chirac lors d'un entretien à Paris au mois de juillet dernier.
A gauche, le social-démocrate Gerhard Schröder, 58 ans, surnommé le chancelier des médias, arrivé à la tête de l'Etat en 1998 après seize années de pouvoir de la CDU dont les mots d'ordre de sa campagne sont « Renouvellement et solidarité ».
Toutefois, le chancelier a échoué dans la principale mission qu'il s'était confiée pour les quatre années de son mandat, à savoir la diminution du chômage. « Si je ne réussis pas à réduire le chômage, je ne mériterai pas d'être réélu » déclarait–il après son élection en 1998 ; une promesse qu'Edmund Stoiber ne manque pas de lui rappeler maintenant. En effet, en septembre 1998, l'Allemagne comptait 4,1 millions de demandeurs d'emploi, un chiffre que Gerhard Schröder s'était engagé à réduire durant sa législature à 3,5 millions. Quatre ans plus tard, la situation ne s'est pas améliorée, puisque le nombre de chômeurs vient de franchir de nouveau la barre symbolique des quatre millions, 4, 04 millions précisément, soit 9,9% de la population active.
Puissance exportatrice et industrielle, l'Allemagne, très dépendante de son commerce extérieur, a été davantage que ses voisins sensible aux crises russe et japonaise, au ralentissement de l'économie américaine (l'Allemagne réalise 10% de ses exportations aux Etats-Unis) ou à l'instabilité en Amérique Latine. Mais ces raisons conjoncturelles n'expliquent pas tout. La crise est aujourd'hui structurelle, affectant le fameux modèle rhénan (modèle de cogestion, de coopération entre l'ensemble des acteurs économiques, entreprises et salariés, patrons et syndicalistes, réalisée sous l'égide de l'Etat, garant de l'équilibre et de la redistribution) qui assura, après la guerre, l'expansion économique de l'Allemagne. La relance par la demande n'a pas permis de résoudre la crise économique que traverse le pays. La réunification, plus difficile et plus lente que prévue, n'a fait que confirmer les difficultés du système. Les Allemands sont dorénavant au pied du mur et ne doivent rien moins qu'inventer un nouveau modèle de société.
Si le chancelier a initié durant sa législature une politique qui se voulait réformatrice (sortie du nucléaire, nouveau code de la nationalité, loi sur l'immigration, réforme fiscale, réforme des retraites), il n'a pas su réformer le marché du travail, jugé trop rigide par de nombreux économistes comme par les employeurs. Il y a un mois, il s'est rendu compte de l'urgence qu'il y avait à proposer des solutions concrètes au problème de l'emploi et a confié à Peter Hartz, directeur du personnel de Volkswagen et proche du SPD, le soin d'établir un plan d'attaque anti-chômage. Celui-ci a remis au chancelier le 16 août dernier le rapport établi par la commission d'experts qu'il dirigeait présentant différentes mesures qui, parce qu'elles requièrent le vote de lois, ne pourront pas être mises en place avant les élections. Un plan d'attaque qui, quoi qu'il en soit, arrive bien tard.
Concernant l'emploi, les solutions proposées par le candidat de la CDU-CSU peuvent être résumées par la formule : « 3 fois 40 » c'est-à-dire ramener le taux de cotisations sociales à 40% des salaires, le taux maximal de l'impôt à 40% des revenus et la part des dépenses publiques à 40% du PIB. Des mesures qui seraient financées en utilisant une partie du bénéfice 2001 de la Bundesbank, soit 7,7 milliards d'euros. Edmund Stoiber a également annoncé qu'il remettrait en cause la réforme fiscale de son rival et le Conseil économique de la CDU a suggéré de repousser de 2004 à 2006 l'échéance européenne du retour à l'équilibre des finances publiques et d'utiliser la marge de manœuvre ainsi dégagée pour accorder des baisses d'impôts.
Par ailleurs, pour la première fois en Allemagne, la famille constitue l'un des thèmes majeurs de la campagne électorale, le vieillissement de la population inquiétant tous les responsables politiques. Le SPD s'est ainsi fixé pour objectif d'offrir à tout jeune sortant de l'école un emploi ou une formation, d'augmenter progressivement les allocations familiales de 154 à 200 euros par enfant et par mois, d'alléger les impôts des personnes élevant seules leurs enfants, de créer des infrastructures d'encadrement pour les tout-petits (l'Allemagne souffre d'un manque de crèches) et d'ouvrir toute la journée dix mille écoles d'ici à 2006 (les enfants allemands n'ont classe que le matin). Le SPD consacrerait quatre milliards d'euros à l'éducation, l'une des plus médiocres des pays industrialisés selon une récente étude de l'OCDE. Le candidat de la CDU-CSU, quant à lui, promet d'augmenter les prestations sociales en direction des familles (un chèque de six cents euros serait ainsi versé aux parents de jeunes enfants) et des bas salaires.
Autre grande première de cette campagne électorale : l'organisation de débats télévisés entre les deux principaux candidats. Le premier a eu lieu le 25 août sur deux chaînes commerciales (RTL et Sat1), le second aura lieu le 8 septembre sur une chaîne publique.
Les «petits» partis
Si, selon toute probabilité, le futur chancelier est issu de l'un des deux grands partis allemands, l'ensemble des formations politiques est engagée dans la campagne électorale. Les libéraux du FDP sont emmenés par Guido Westerwelle, 40 ans, qui s'est fixé pour objectif d'obtenir un score de 18%, soit près de trois fois celui de son parti aux élections législatives de 1998 (6,2%) et bien au-dessus du meilleur score jamais réalisé par les libéraux (12,8% en 1961). Si le FDP a vu, depuis un an, ses résultats électoraux progresser à chaque élection régionale, réalisant une percée remarquée lors des dernières élections régionales de Saxe-Anhalt qui se sont tenues en avril dernier (13,3% des suffrages), les sondages ne créditent la formation libérale que de 9% des intentions de vote, soit la moitié de l'objectif fixé.
Le FDP a été récemment secoué par une polémique aux relents antisémites après que l'un de ses députés, Jamal Karsli, eut, dans un magazine de jeunes révisionnistes allemands, reproché à l'armée israélienne d'appliquer des « méthodes nazies » et que Jürgen Möllemann, vice-président du parti, eut approuvé à mots couverts les attentats suicides palestiniens contre la population civile israélienne et accusé le vice-président du Conseil central des juifs en Allemagne, Michel Friedman, d'encourager l'antisémitisme par son comportement. « Personne n'a mieux fait le jeu des antisémites –qui existent malheureusement en Allemagne et que nous devons combattre- qu'Ariel Sharon et, en Allemagne, un M. Friedman avec ses manières intolérantes et haineuses » a notamment déclaré Jürgen Möllemann. Guido Westerwelle a immédiatement demandé l'éviction de Jamal Karsli du FDP, ce qu'il n'a pu obtenir, le parti décidant finalement de maintenir le parlementaire dans ses rangs (Jamal Karsli a démissionné du FDP mais conserve toutefois son siège de parlementaire au sein du groupe libéral). Les principales revendications électorales du Parti libéral concernent la baisse des impôts, la simplification du système fiscal et la fin de la bureaucratisation de l'administration. Le programme comprend également des réformes en faveur des entreprises, la privatisation absolue ou relative des organismes de retraite, de soins et de chômage, la construction d'écoles spécialisées au bénéfice des élèves les plus doués, l'abolition du service national obligatoire et la limitation des effectifs militaires.
Les Verts, quant à eux, ont adopté un programme entérinant la rupture avec le pacifisme originel de leur mouvement. Si leur ancien programme fondamental réclamait la dissolution de l'OTAN et l'abolition de l'armée allemande, le nouveau proclame que « le recours à une force légitimée par un Etat de droit et le droit international ne peut pas toujours être exclu ». Leur campagne est centrée autour de leur apport aux réformes de la dernière législature (abandon du nucléaire, institution du contrat d'union des homosexuels, taxe écologique sur l'énergie, réforme du code de la nationalité, loi sur l'immigration) qui a vu pour la première fois le parti écologiste participer à un gouvernement fédéral. Les Verts, quelque peu distancés par de nouveaux mouvements comme Attac-Allemagne, ont placé la mondialisation au cœur de leur campagne. Si leur leader Joschka Fischer reste l'homme politique le plus populaire d'Allemagne, les sondages ne créditent le parti écologiste, qui vient d'essuyer une longue série de revers au cours des élections régionales de ces dernières années, de seulement 7% d'intentions de vote, soit tout juste un peu plus que la barre fatidique des 5% et que leur score de 1998 (6,7%).
A trois semaines du scrutin, l'écart se resserre dans les enquêtes d'opinion entre les deux principaux candidats. Selon un sondage réalisé par l'institut Emnid entre le 19 et le 22 août, 39% des personnes interrogées voteraient pour la CDU contre 36% qui choisiraient le SPD. Par ailleurs, la dernière enquête réalisée par l'Allenbach, le plus ancien des instituts de sondages allemands, attribue 40,1% des intentions de vote à la CDU contre 32,9% seulement au SPD. Selon les différents instituts, le FDP recueillerait environ 10%, les Verts entre 6 et 7% et le PDS 5%.
Difficile d'établir un pronostic sur les résultats de ces prochaines élections législatives. Un scrutin qui s'avère décisif pour l'avenir de nos voisins d'outre-Rhin mais également pour celui de l'Union européenne dont l'Allemagne, pays le plus peuplé du continent, constitue l'un des piliers historiques.
Rappel des résultats des élections législatives du 27 septembre 1998 :
Participation : 82,3%
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