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Corinne Deloy,
Fondation Robert Schuman
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ENCorinne Deloy
Fondation Robert Schuman
Le 6 avril dernier, le Président de la République, Rolandas Paksas, était destitué de sa fonction par le Seimas (Parlement). Quatre-vingt six députés, soit un de plus que le nombre requis, se sont prononcés pour sa destitution le reconnaissant coupable d'avoir, d'une part, violé la Constitution en accordant illégalement la nationalité lituanienne à Iouri Borisov, homme d'affaires russe et principal financier de sa campagne électorale pour l'élection présidentielle des 22 décembre 2002 et 5 janvier 2003 et, d'autre part, d'avoir violé les secrets d'Etat en révélant à ce même homme des informations confidentielles. Quatre-vingt neuf membres du Seimas ont également sanctionné Rolandas Paksas pour avoir favorisé ses amis dans l'attribution d'une société d'autoroutes lors de sa privatisation. Le Parlement a ainsi reconnu le Président coupable des trois accusations reconnues contre lui par la Cour constitutionnelle le 31 mars dernier. Rolandas Paksas, qui nie l'ensemble des accusations portées contre lui, se dit victime d'un complot.
L'affaire
Tout a commencé le 30 octobre dernier lors de la remise par la sécurité intérieure lituanienne aux commissions parlementaires d'un rapport accusant, d'une part, le Président de la République et son conseiller pour les affaires de sécurité, Remigijus Acas, de liens avec l'un des parrains présumés de la mafia russe, Anzor Kikalichvili, interdit de séjour aux Etats-Unis et soupçonné de se livrer à la contrebande à travers l'enclave russe de Kaliningrad et, d'autre part, l'homme d'affaires Iouri Borisov d'implication dans l'envoi d'armes au Soudan, pays faisant l'objet d'un embargo international. Quelques jours plus tard, le 3 novembre, l'essentiel de ce rapport était publié par le plus important quotidien du pays, Lietuvos Rytas. Le parquet général a immédiatement annoncé l'ouverture d'une enquête préliminaire et interrogé Iouri Borisov. De son côté, la Cour constitutionnelle a lancé une enquête pour établir si le Président avait effectivement violé la loi en accordant la nationalité lituanienne à l'homme d'affaires russe. Le 12 novembre, quatre des conseillers du Président démissionnaient parmi lesquels Remigijus Acas, cité dans le rapport. Le lendemain, Dalia Kutraite, conseillère à la politique sociale et principale collaboratrice du Président depuis 1997, démissionnait à son tour. Rolandas Paksas justifie ces démissions en affirmant « avoir voulu protéger l'institution présidentielle en faisant un geste politique ».
Le 30 décembre dernier, la Cour constitutionnelle rendait son jugement dans lequel elle reconnaissait que le Président avait bien violé la Constitution. Quelques semaines plus tard, le 19 février, la procédure de destitution de Rolandas Paksas est lancée. Le 24 mars, le Président lituanien provoque un nouveau scandale en nommant Iouri Borisov, qui ne parle pas lituanien et qui fait l'objet d'un avis d'expulsion du territoire, au poste de conseiller à la communication. Il se rétracte aussitôt, demandant le lendemain aux Lituaniens de lui pardonner « sa grande faute » et expliquant avoir subi des pressions de la part de l'homme d'affaires. « Iouri Borisov m'a laissé entendre que des choses compromettantes pourraient être utilisées contre moi si je ne le prenais pas comme conseiller » déclare t-il alors.
Agé de quarante-huit ans, Iouri Borisov a vécu par intermittence en Lituanie depuis 1962. Comme tous les résidents étrangers du pays, il a été naturalisé lituanien au moment de l'indépendance du pays en 1991, une nationalité qu'il a perdue lorsque le Président russe Vladimir Poutine lui a redonné un passeport russe par décret spécial. Alors que, selon la loi, il aurait dû attendre dix ans avant de pouvoir de nouveau demander la nationalité lituanienne, l'homme d'affaires russe a été naturalisé par le Président le 11 avril 2003 sous le nom de Jurijus Borisovas. Ce dernier, qui possède le même diplôme de pilote d'avion que Rolandas Paksas, a été officier de l'armée soviétique et servi en Afghanistan. Propriétaire d'une usine d'hélicoptères à Saint-Pétersbourg, il a créé en 1991 à Kaunas, deuxième ville de Lituanie, une société d'hélicoptères, Avia Baltica, et un commerce de pièces détachées. Il est actuellement accusé d'avoir tenté de placer le Président lituanien « sous influence » en échange du financement de sa campagne électorale pour l'élection présidentielle, au cours de laquelle Iouri Borisov avait officiellement offert 1,2 million de litas (335 000 euro) à Rolandas Paksas, beaucoup plus selon les services de sécurité lituaniens.
Lors de la perquisition de son domicile, les services de renseignement ont trouvé le texte d'un accord signé entre lui et le Président lituanien, accord dans lequel l'homme d'affaires russe détaillait les avantages qu'il attendait de Rolandas Paksas, tels un poste de conseiller à la présidence, des avantages pour son entreprise Avia Baltica, des décorations militaires, etc. Les services de renseignement ont également mis la main sur un plan rédigé en russe et portant le nom de Libellule qui faisait état de la volonté de Iouri Borisov de déstabiliser la politique lituanienne de façon à permettre la victoire de la formation de Rolandas Paksas aux prochaines élections législatives prévues à l'automne de cette année. Enfin, dans une conversation téléphonique enregistrée par les services de sécurité, l'homme d'affaires russe menaçait de révéler un accord passé avec le Président et « un service de renseignement ennemi » et de transformer Rolandas Paksas « en cadavre politique » s'il ne lui offrait pas le poste de conseiller promis. Cette conversation a eu lieu avec une collaboratrice de la société russe de relations publiques Almaks, dont deux des consultants avaient été appelés en Lituanie par Iouri Borisov au moment de la campagne présidentielle. Rappelons que l'homme d'affaires russe s'était déjà vu reprocher en 2002 d'avoir exporté au moins un appareil militaire vers le Soudan, pays sous embargo international, et d'avoir vendu à ce même Etat des pièces détachées pour hélicoptères militaires.
L'attitude du Président et les conséquences du scandale pour la Lituanie
Ingénieur formé à l'université de Léningrad, aujourd'hui Saint Petersbourg, ancien champion d'acrobaties aériennes, Rolandas Paksas, 47 ans, clame son innocence depuis le début de l'affaire.
Elu à la surprise générale Président de la République lituanienne le 5 janvier 2003 avec 54,91% des suffrages contre 45,09% à son adversaire l'ancien Président Valdas Adamkus, Rolandas Paksas, leader du Parti libéral démocrate, ancien maire de Vilnius et ancien Premier ministre, avait su convaincre les Lituaniens qu'il incarnait un véritable changement en menant une campagne centrée sur les problèmes intérieurs du pays (alors que le Président est, en Lituanie, essentiellement chargé de la politique étrangère) et en développant des thèmes sensibles aux yeux de nombreux citoyens laissés pour compte du passage à l'économie de marché comme la lutte contre la corruption, le retour de la prospérité et le respect de la loi et de l'ordre. Au lendemain de son élection à la tête du pays, Rolandas Paksas avait déclaré « qu'entretenir de bonnes relations avec Moscou était une priorité ». « Vous pouvez choisir votre épouse mais pas vos voisins » avait-il affirmé. A l'époque, beaucoup avaient vu dans son élection la main de Moscou, un soupçon que, selon eux, le scandale actuel confirmerait.
Ainsi, Gintaras Steponavicius, vice-président du Seimas, analyse la naturalisation de Iouri Borisov comme « la mise en œuvre des engagements contractés à l'égard de ceux qui ont installé Rolandas Paksas au pouvoir en janvier 2003 » et affirme que l'ancien Président est « non seulement l'otage mais aussi l'instrument de cette opération. Ce n'est sans doute pas un agent des Russes, mais quelqu'un qui a été « ferré » par une force extérieure en raison de son désir de gagner quel que soit le prix à payer ». L'affaire dépasse en effet le simple scandale de corruption et inquiète les Lituaniens qui se demandent quelle est, treize ans après l'indépendance, la nature exacte de la présence et de l'influence russes au sein de leurs institutions. Après des décennies vécues sous le joug soviétique, la République balte, comme ses voisines lettone et estonienne, reste méfiante envers son puissant voisin qu'elle suspecte de ne pas avoir vraiment renoncé à contrôler ses anciennes Républiques. « Rolandas Paksas est entre les mains d'une force extérieure comme il a été auparavant dans la main des partis lituaniens » affirme le rédacteur en chef du « Baltic news service», Audrius Matonis. Enfin, Vytautas Landsbergis, ancien Président de la République et héros de l'indépendance du pays, a présenté Rolandas Paksas comme « un fou ou un pantin » aux ordres d'intérêts politiques et économiques russes. « Nous savons qui veut se venger de la Lituanie pour avoir causé l'effondrement de l'Union soviétique en utilisant Rolandas Paksas » a t-il déclaré devant le Parlement.
Durant les six derniers mois où cette affaire a fait la « une » de l'actualité en Lituanie, le Président a semblé étrangement absent et passif. Alors que tous le poussaient à la démission, Rolandas Paksas, qui affirme que toute l'affaire n'est que la revanche des « vaincus de la présidentielle », s'est accroché et n'a jamais cédé à la pression. Il se dit victime d'un complot de l'establishment et affirme que toute l'affaire a été montée par le chef des services secrets qu'il s'apprêtait à nommer ambassadeur à Madrid. Comme lors de son élection à la tête de l'Etat et en vue de la prochaine élection présidentielle du 13 juin, il sillonne le pays à la rencontre de la population et multiplie les discours populistes, tentant de creuser et d'élargir un peu plus le fossé existant entre les élites et le peuple qu'il dit acquis à sa cause et convaincu de son innocence.
Le 5 mai dernier, le Parlement lituanien a adopté une loi interdisant à un Président déchu de briguer un nouveau mandat avant un certain délai. Le texte, approuvé par 64 voix contre 17 et 5 abstentions, stipule que « celui qui a été démis de ses fonctions par une procédure de destitution ou privé de son mandat de député ne peut être élu Président de la République pendant une période consécutive de cinq ans ». Rolandas Paksas, qui le 17 avril dernier avait fait acte de candidature pour l'élection présidentielle du 13 juin, devrait donc être absent du scrutin. Ses partisans ont néanmoins annoncé leur volonté de saisir la Cour constitutionnelle de la nouvelle loi. Rolandas Pavilionis, membre du Parti libéral démocrate, a également annoncé sa volonté de porter l'affaire devant la justice européenne.
« Si quelqu'un pense que je céderai du terrain, il se trompe » déclarait Rolandas Paksas au Figaro le 17 février dernier, témoignant de sa volonté de rester au centre de la scène politique lituanienne. « S'ils m'arrêtent sur ce point (l'élection présidentielle), je ne vais pas abandonner et conduirai mes hommes au Parlement » affirmait-il encore le 17 avril lors de l'annonce de sa candidature à la présidentielle et faisant allusion aux prochaines élections législatives qui se dérouleront à l'automne.
Arturas Paulauskas, président du Parlement et leader du Parti social libéral (NS-SL), assure les fonctions de Président par intérim. Selon la loi, une nouvelle élection présidentielle doit être organisée dans les deux mois suivant la destitution du Président. Celle-ci aura donc lieu le même jour que les élections européennes le 13 juin prochain.
Sept personnalités sont officiellement candidates. Il s'agit de :
Valdas Adamkus, 77 ans, ancien Président de la République (1999-2003) ;
Petras Austrevicius, ancien négociateur en chef de la Lituanie avec l'Union européenne. Se déclarant « candidat sans parti et sans engagements quelconques », il est cependant soutenu par l'Union de la patrie-Conservateurs (TS-LK) et le Parti démocratique du travail (LDDP), formation la plus populaire de Lituanie ;
Kazimiera Prunskiene, 61 ans, ancien Premier ministre, candidate du Parti des paysans-Parti de la Nouvelle démocratie (LVP-NDP) ;
Ceslovas Jursenas, 65 ans, successeur d'Arturas Paulauskas à la tête du Seimas et vice président du Parti social démocrate (LSDP) actuellement au pouvoir ;
Algirdas Pilvelis, directeur du quotidien Lietuvos Aidas, candidat indépendant ;
Vilija Blinkeviciute, ministre du Travail et des Affaires sociales, candidate d'Union nouvelle-Sociaux libéraux (NS-SL) ;
Vitas Tomkus, 46 ans, journaliste, rédacteur en chef de Respublika, premier journal indépendant en 1991.
L'ancien Président Valdas Adamkus part favori pour le scrutin présidentiel pour lequel le jeu reste cependant très ouvert. « J'espère le soutien de tous les partis politiques. La crise que nous traversons dévoile notre vulnérabilité et nos divisions. Nous devons faire de l'ordre dans la maison en adhérant à l'Union européenne et à l'OTAN » a déclaré l'adversaire malheureux de Rolandas Paksas lors de la dernière élection présidentielle de 2003.
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