Analyse

Référendum sur la réunification de l'île, 24 avril 2004

Actualité

Corinne Deloy,  

Fondation Robert Schuman

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24 avril 2004
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Corinne Deloy

Chargée d'études au CERI (Sciences Po Paris), responsable de l'Observatoire des élections en Europe à la Fondation Robert Schuman

Robert Schuman Fondation

Fondation Robert Schuman

Le 24 avril prochain, soit sept jours avant l'adhésion de l'île à l'Union européenne, les Chypriotes, grecs et turcs, sont appelés à se prononcer sur le plan de paix proposé par les Nations Unies qui vise à la réunification du pays après trente ans de divisions et de négociations inabouties entre les deux communautés grecque et turque de l'île.

Trente ans de divisions

Depuis juillet 1974, Chypre est traversée par une « ligne verte », divisant le pays en deux entités séparées, et contrôlée par les Casques Bleus des Nations Unies. L'ONU est présente dans l'île depuis 1963, année des premiers affrontements communautaires. Le 15 juillet 1974, la Garde nationale renverse le Président de la République, l'archevêque Monseigneur Makarios et le remplace par Nikos Sampson. Le 20 juillet, les troupes turques débarquent à Kyrénia dans le Nord du pays, officiellement pour protéger la minorité chypriote turque. Le 30 juillet de la même année, la Turquie, la Grèce et le Royaume-Uni instituent une zone de sécurité tenue par les Casques bleus des Nations Unies et reconnaissent l'existence de deux administrations autonomes. Le 13 février 1975, le dirigeant chypriote turc Rauf Denktash proclame l'Etat autonome, laïc et fédéré de Chypre dont il est élu Président l'année suivante. En janvier 1977, Rauf Denktash et Monseigneur Makarios s'accordent sur le principe d'un Etat fédéral bicommunautaire mais la mort de Monseigneur Makarios le 3 août met un terme aux négociations. La République turque de Chypre du Nord est proclamée en 1983, une entité que la Turquie est le seul Etat à reconnaître au niveau international.

Six cent vingt-cinq mille Chypriotes grecs, dont un tiers de réfugiés du Nord, vivent dans la partie Sud et deux cent mille Chypriotes turcs au Nord. Le 11 novembre 2002, soit un an et demi avant l'entrée de Chypre dans l'Union européenne, les Nations Unies proposent aux deux parties un plan de paix et de réunification. Si l'Union européenne ne fait pas du règlement du conflit une condition de l'adhésion de Chypre en 2004, la perspective de l'intégration de l'île constitue une réelle opportunité de résoudre enfin un problème trentenaire. Ce premier plan de l'ONU sera révisé à quatre reprises.

Le 21 avril 2003, la République turque de Chypre Nord a autorisé ses ressortissants à se rendre librement au Sud de l'île. En l'espace de dix jours, cent trente mille personnes ont franchi la « ligne verte ». Le 29 décembre, Mehmet Ali Talat (Parti républicain turc, CTP) est nommé Premier ministre du Nord de l'île. « La date du 1er mai est notre principal objectif » déclare alors ce fervent partisan de la réunification.

Le plan des Nations Unies

La version finale du plan de paix, qui ne contient pas moins de neuf mille pages, a été arrêtée par Kofi Annan, Secrétaire général des Nations Unies, après huit jours de négociations entre les représentants de la Grèce, la Turquie, la République de Chypre et la République turque de Chypre du Nord, à Bürgenstock en Suisse. Les dirigeants chypriotes s'étaient en effet engagés en février dernier à New York à respecter un calendrier selon lequel un accord devait être trouvé avant fin mars, faute de voir le Secrétaire général des Nations Unies y mettre un terme et arrêter lui-même le texte qui serait soumis à référendum.

Le plan des Nations Unies propose la création d'une République unie de Chypre, une confédération, formée sur le modèle de la Confédération helvétique, de deux Etats constituants largement autonomes, un grec au Sud et un turc au Nord. Le territoire chypriote turc constituera 29% de l'île (contre 36% actuellement). Cent vingt mille Chypriotes grecs pourront retourner vivre dans leurs anciennes demeures dans le Nord de l'île. Afin d'éviter un afflux de Chypriotes grecs, redouté par la communauté turque, leur proportion est limitée à 18% de la population de la zone chypriote turque. Des compensations sont prévues pour les réfugiés qui ne pourraient retourner s'installer au Nord. Un maximum de quatre cents colons turcs seront par ailleurs autorisés à rester dans la partie Nord de l'île.

Le gouvernement fédéral, qui porte le nom de présidence collégiale, est composé d'un collège de neuf ministres au sein duquel chaque communauté aura un nombre de sièges proportionnel à son poids démographique, six Grecs et trois Turcs, élus pour cinq ans. Le Président du collège, alternativement grec (durant quarante mois) puis turc (vingt mois) est le chef de l'Etat. Il est assisté par un vice-président (Turc si ce dernier est Grec et Grec s'il est Turc). Les deux hommes représentent Chypre ensemble dans les institutions internationales. Une Cour suprême, composée de trois Chypriotes grecs, trois Chypriotes turcs et trois étrangers, est chargée de régler tout litige éventuel. La Grèce et la Turquie pourront maintenir une présence militaire dans l'île, les effectifs devant être graduellement réduits pour atteindre un maximum de neuf cents soldats grecs et six cent cinquante turcs en 2011.

Les réactions au plan de paix

Le Secrétaire général des Nations Unies a appelé Tassos Papadopoulos, Président de la République de Chypre, et Rauf Denktash, son homologue de la partie Nord, à « informer et conseiller » leurs populations. « Il y a eu trop d'occasions manquées dans le passé. Pour le bien de votre peuple, je vous demande instamment de ne pas refaire les mêmes erreurs » a déclaré Kofi Annan à l'adresse des dirigeants chypriotes. « Le choix est entre cette solution et pas de solution du tout » a également tenu à rappeler le Secrétaire général. Le représentant spécial des Nations Unies pour Chypre, Alvaro de Soto, a précisé qu'en cas de rejet du plan de paix, l'organisation internationale ne reprendrait pas ses négociations « dans un avenir prévisible ». De son côté, la Commission européenne a tenu à préciser que le plan de paix proposé par Kofi Annan était parfaitement compatible avec le droit communautaire. Le Commissaire à l'Elargissement, Günter Verheugen, a appelé « les dirigeants des deux communautés chypriotes à tout faire pour essayer de persuader la population de l'île que ce plan représente la solution la meilleure et la plus équilibrée qu'on puisse espérer ».

Le plan des Nations Unies a été approuvé par la seule Turquie. La République de Chypre et la République turque de Chypre Nord s'y déclarant opposées.

Tassos Papadopoulos (Parti démocratique, Diko), Président de la République de Chypre, a regretté que les Nations Unies n'aient pas pris en compte ses propositions d'amélioration du plan de paix. Le dirigeant chypriote a notamment demandé, sans être entendu, que quatre villages de la péninsule de Karpas, dont l'un recèle un site orthodoxe historique, soient placés sous contrôle grec. Il a également protesté contre la réduction de 22% à 18% du nombre de Chypriotes grecs autorisés à retourner vivre dans leurs anciennes demeures de la partie Nord de l'île, contre le maintien de six mille soldats turcs et enfin contre les restrictions imposées aux Chypriotes grecs qui ne pourront se rendre librement propriétaires des terres du Nord tant que la partie turque de l'île accusera un retard économique important par rapport au Sud.

Le Président de Chypre-Nord, Rauf Denktash, a également rejeté le dernier plan de paix, reconnaissant néanmoins qu'il présentait des progrès par rapport aux versions antérieures. « Dans sa forme actuelle, je ne vois rien à quoi dire « oui » » a t-il affirmé. Il a également averti que l'organisation d'un référendum, désapprouvé par les deux parties concernées, lui semblait seulement propre à raviver les disputes. Le leader chypriote turc s'apprête à faire campagne pour le « non » au référendum.

Le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, a lui implicitement appelé la population de Chypre à approuver le plan de paix. La Turquie est rassurée d'avoir obtenu des assurances de l'Union européenne sur la liberté de circulation et la limitation du nombre de Chypriotes grecs autorisés à s'installer au Nord. Recep Tayyip Erdogan sait également combien la réunification de Chypre est importante pour l'accession de la Turquie à l'Union européenne et combien l'absence d'une solution à la division de Chypre pourrait gêner la candidature d'Ankara. De plus, si la réunification n'avait pas lieu, la situation de la Turquie serait difficile, elle serait en effet celle d'un pays candidat occupant un Etat membre de l'Union puisque légalement même si seule la partie grecque de l'île rejoint Bruxelles, c'est l'île de Chypre toute entière qui adhère.

Le plan de paix des Nations Unies est également soutenu par les Etats-Unis qui s'apprêtent à faire à Chypre une « contribution substantielle », sous l'égide de l'Union européenne.

Selon une enquête d'opinion rendue publique le 30 mars dernier par la chaîne de télévision Antenna, 74% des Chypriotes grecs s'apprêteraient à voter contre le plan de Kofi Annan, contre 4% qui s'y déclarent favorables, 22% restant indécis. En revanche, au Nord de l'île, plus de cinq mille personnes ont manifesté pour dire leur désir de voir bientôt une Chypre réunifiée rejoindre l'Union européenne. Du côté des formations politiques chypriotes grecques, le Parti démocratique (Diko), actuellement au pouvoir, est opposé au plan de paix des Nations Unies et devrait appeler à voter « non » au référendum. Les partisans de la réunification espèrent que le Parti progressiste des travailleurs (Akel), membre de la coalition gouvernementale dirigée par Tassos Papadopoulos, se déterminera en faveur du plan de Kofi Annan, seule chance pour l'île d'espérer entrer unie dans l'Union européenne. Pour sa part, le chef de l'Eglise grecque orthodoxe de Chypre, l'évêque Chrysostomos, a condamné le plan des Nations Unies qui « viole les droits de l'Homme et fait des Chypriotes grecs des citoyens de seconde zone ». Du côté de la République turque de Chypre Nord, trois formations sont ouvertement proeuropéennes et favorables à la réunification, il s'agit du Parti républicain turc du Premier ministre Mehmet Ali Talat, du Mouvement de démocratie et de paix (BDH) et du Parti de solution et d'union européennes (CABP). Ces trois formations ont recueilli 50% des suffrages lors des dernières élections législatives du 14 décembre 2003.

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