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Corinne Deloy,
Fondation Robert Schuman
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ENCorinne Deloy
Fondation Robert Schuman
Lors du référendum entaché par l'assassinat quatre jours plus tôt de leur ministre des Affaires étrangères, Mme Anna Lindh, les Suédois ont largement refusé l'entrée de leur pays dans l'Union économique et monétaire et, par conséquent, l'introduction de l'euro en lieu et place de la couronne suédoise. Les adversaires de la monnaie européenne ont recueilli 56,1% des suffrages exprimés pour 41,8% aux partisans de l'euro. La participation s'est élevée à 81,2%, soit 2,2 points de plus qu'aux élections législatives du 15 septembre 2002.
Après l'annonce du décès de la ministre des Affaires étrangères, le Premier ministre Göran Persson avait décidé de maintenir le référendum à la date prévue du 14 septembre afin de prouver « que la violence n'entrave pas le processus démocratique ». Toutefois, la campagne électorale avait en revanche été arrêtée. Les journaux n'ont donc pas publié les dernières tribunes écrites, ou organisé les derniers débats, notamment celui auquel devait participer à la télévision la ministre des Affaires étrangères en compagnie de Göran Persson et de l'ancien Premier ministre Carl Bildt.
Certains analystes politiques ont pensé, à tort, que l'assassinat de l'europhile Anna Lindh pourrait finalement convaincre un grand nombre de Suédois, et surtout de Suédoises, encore hésitants à se prononcer en faveur de l'euro, soit environ 15% des électeurs selon les dernières enquêtes d'opinion. Si celles-ci attestaient d'une forte remontée du « oui », la confusion de cette fin de campagne marquée par le choc violent qu'a constitué la mort de la ministre pour la population était vive. Le résultat du vote est finalement conforme à celui annoncé par toutes les enquêtes d'opinion au long de la campagne, à savoir une très nette victoire des adversaires de la monnaie unique par plus de quatorze points.
Le Premier ministre a reconnu sa défaite avant même l'annonce des résultats officiels. On peut lui reprocher d'avoir sans doute lancé sa campagne trop tardivement comme de ne pas avoir su prendre la véritable mesure du scepticisme des Suédois vis-à-vis de l'Union européenne et de l'euro en particulier. L'ancien ministre des Affaires étrangères Sten Andersson déclarait même, avant le référendum, qu'il n'avait jamais vécu une aussi mauvaise campagne électorale de sa vie et ne se disait pas certain d'aller voter « oui » le jour du scrutin. En outre, Göran Persson n'a pas su gérer les divisions qui se sont fait jour au sein de sa propre formation et qui l'ont obligé à rappeler à l'ordre quelques uns de ses ministres d'une façon abrupte qui a déplu à la population. Les Suédois, habitués au consensus, semblent d'ailleurs avoir eu des difficultés à se faire une réelle opinion face à l'éclatement des clivages politiques traditionnels sur la question de l'euro. Ainsi, les tribunes publiées dans la presse et signées conjointement par la ministre des Affaires étrangères Anna Lindh et, d'une part le PDG d'Ericsson Carl-Henric Svanberg, d'autre part l'ancien Premier ministre Carl Bildt, ont contribué à troubler l'opinion publique.
Göran Persson a également multiplié les déclarations maladroites affirmant le 29 août dernier qu'en cas de victoire du « oui » au référendum, l'adhésion dans l'Union économique et monétaire pourrait ne pas intervenir comme prévu en 2006 mais plus tard « quand les conditions s'y prêteront ». Une petite phrase qui laissait entendre qu'un « oui » n'était pas vraiment un « oui » et qui donnait de l'entrée du pays dans l'UEM l'image d'un pari risqué, voire dangereux. Le Premier ministre a également tenté de presser les Suédois de se prononcer en faveur de l'adoption de l'euro en annonçant il y a quelques semaines qu'il n'y aurait pas de nouveau référendum sur la monnaie unique avant 2010 en cas de victoire du « non » le 14 septembre.
Enfin, les libertés prises par l'Allemagne mais surtout par la France face au Pacte de stabilité et de croissance - les deux pays ne respectant pas les règles qu'ils ont eux-mêmes édictées - n'ont pas contribué à donner confiance à des Suédois, très respectueux des règlements comme de leurs engagements et partisans d'une discipline collective. Le Premier ministre a même critiqué Berlin, Paris et Rome pour leurs déficits excessifs dans le Financial Times : « S'ils s'étaient comportés comme la Suède, la Finlande et la Grande Bretagne et d'autres dans les années quatre vingt dix, en préparant leurs économies pour le ralentissement, nous n'aurions pas cette situation aujourd'hui » a t-il déclaré le 2 septembre dernier.
Les Suédois restent très marqués par la crise économique qu'ils ont traversé durant la première moitié des années quatre vingt dix. A l'époque, les finances publiques accusaient un déficit de 12% du PIB et le taux de chômage s'élevait à 9% de la population active. Le pays s'était alors lancé dans d'importantes réformes structurelles pour assainir ses finances publiques. Aujourd'hui, fiers et heureux d'une prospérité retrouvée et du maintien de leur Etat providence, les Suédois hésitent à remettre en cause leur mode de fonctionnement et à perdre le contrôle de leur politique monétaire, oubliant quelque peu que si leur bonne santé économique résulte de leurs propres efforts, elle est également le fruit de leur intégration européenne.
Les électeurs ont également eu des difficultés à se faire une opinion claire des avantages et des inconvénients de la monnaie unique tant les économistes et les politiques étaient divisés sur la question, partisans et adversaires de l'euro ne s'accordant que sur un point, à savoir que l'adoption de la monnaie européenne était favorable aux échanges. Cependant, d'aucuns mettaient en avant qu'une augmentation de l'inflation était inévitable dès lors que les taux d'intérêt suédois devaient passer de 2,75%, leur cours actuel, à 2%, soit le niveau de la Banque centrale européenne, quand d'autres affirmaient exactement l'inverse. Pour les partisans de l'adoption de la monnaie unique, l'euro diminuerait les risques liés au taux de change et relancerait les échanges commerciaux. Pour ses adversaires, la perte de contrôle des taux d'intérêt et l'impossibilité de laisser flotter librement la monnaie pourraient entraîner le pays dans de graves difficultés financières en cas de crise économique. Par ailleurs, pour les formations de gauche (Parti de la gauche et Verts) opposés à la monnaie unique, l'Union économique et monétaire représente un premier pas vers la création d'une Europe fédérale à laquelle ces partis sont fermement hostiles. Les partisans de l'euro, qui de leur côté voyaient dans l'adhésion à l'Union économique et monétaire un approfondissement et un renforcement de leur engagement européen, ne sont pas parvenus à convaincre la majorité de la population des bénéfices que pouvait lui apporter la monnaie unique et de la nécessité pour le pays d'abandonner une nouvelle partie de sa souveraineté pour pouvoir plus et mieux influer sur les décisions européennes.
Le « non » de la Suède à l'euro ne devrait pas être sans effet sur le Danemark et le Royaume-Uni, les deux autres pays de l'Union européenne qui ne sont pas membres de l'Union économique et monétaire. L'impact du refus suédois sur les dix nouveaux membres de l'Union européenne est plus difficile à mesurer. Les gouvernements de ces Etats pourraient toutefois aborder avec une plus grande confiance leurs négociations avec les pays de la zone euro. Le 8 septembre dernier, les Banques centrales de Pologne, de Hongrie et de République tchèque ont ainsi appelé l'Union européenne à assouplir les critères requis pour l'entrée dans l'Union économique et monétaire.
Si le « non » suédois est une mauvaise nouvelle pour l'Europe, il reste que l'on peut espérer que ce refus permette finalement d'accélérer les réformes dont l'Union économique et monétaire a impérativement besoin.
Résultats du référendum du 14 septembre 2003 sur l'adhésion à l'Union économique et monétaire en Suède :
Participation : 81,2%
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