Analyse

Référendum sur la monnaie unique en Suède, 14 septembre 2003

Actualité

Corinne Deloy,  

Fondation Robert Schuman

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14 septembre 2003
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Corinne Deloy

Chargée d'études au CERI (Sciences Po Paris), responsable de l'Observatoire des élections en Europe à la Fondation Robert Schuman

Robert Schuman Fondation

Fondation Robert Schuman

Le 14 septembre prochain, les Suédois devront répondre par « oui » ou par « non » à la question suivante : « Estimez-vous que la Suède doive introduire l'euro comme monnaie ? ». La formulation de la question a fait l'objet de nombreux débats. Les adversaires de la monnaie unique avaient ainsi émis le désir, sans toutefois être entendus, que soit fait référence à l'adoption de la couronne suédoise et au transfert du pouvoir monétaire à la Banque centrale européenne (BCE).

Contrairement au Royaume-Uni et au Danemark qui ont négocié une clause « d'opting out » (clause d'exemption par laquelle un pays décide de ne pas être engagé par une des dispositions d'un traité) pour la troisième étape (transfert des responsabilités) du Traité sur l'UEM, la Suède a seulement reportée d'année en année son entrée dans l'Union économique et monétaire (UEM). En outre, le Parlement a décidé que seul un vote populaire pourrait permettre au pays de rejoindre la zone euro. Une victoire du « oui » au référendum du 14 septembre est donc obligatoire pour que le royaume scandinave devienne membre de l'UEM.

La Suède remplit les quatre critères d'ordre économique définis par le Traité de Maastricht pour rejoindre la zone euro. Les taux d'intérêt et les prix sont stables : le taux d'inflation s'élevait à 2,3% en 2002 et le déficit budgétaire national et la dette publique représentaient respectivement 1,8% et 50% du PIB l'année passée. Enfin, la couronne suédoise est une monnaie n'ayant subi aucune dévaluation durant les deux dernières années. La Suède peut même s'enorgueillir d'avoir un taux de croissance deux fois supérieur à celui de la moyenne des douze pays ayant adopté la monnaie unique (respectivement 1,9% et 1% du PIB) et un taux de chômage relativement faible : 4,5% pour 8% dans la zone euro (chiffres 2002).

Si le « oui » l'emporte, la Suède adoptera la monnaie européenne le 1er janvier 2006 en mettant, dès cette date, en circulation les billets et les pièces en euro (à l'exception de celles de 1 et 2 centimes, les sommes étant arrondies aux 5 centimes les plus proches), c'est-à-dire sans période de transition pendant laquelle les banques et les administrations fonctionneraient avec un double système. Le cours définitif de la couronne suédoise dans l'euro sera connu le 1er juillet 2005 et les commerçants utiliseront le double affichage durant dix mois, de septembre 2005 à juin 2006. En cas de victoire du « non », le Premier ministre Göran Persson (Parti social-démocrate, SAP) a d'ores et déjà annoncé qu'il ne démissionnerait pas, rappelant que l'ancien Premier ministre de Norvège, Gro Harlem Brundtland, avait conservé son poste après que ses compatriotes eurent, pour la deuxième fois, voté contre l'adhésion à l'Union européenne (27-28 novembre 1994). Par ailleurs, il est convaincu qu'une deuxième consultation populaire sera organisée en cas de rejet de la monnaie unique par les Suédois le 14 septembre, précisant toutefois que celle-ci n'interviendrait pas avant la fin de son mandat en septembre 2006.

Le 15 septembre dernier, le Parti social-démocrate (SAP) sortait victorieux des élections législatives remportant 40% des suffrages et cent quarante-quatre des trois cent quarante-neuf sièges du Riksdag, Parlement monocaméral. Le 21 octobre, Göran Persson présentait son nouveau gouvernement avec lequel il comptait mener la Suède à rejoindre la zone euro. Particularité de cette équipe gouvernementale : deux postes clés, le ministère de l'Economie et celui de vice-Premier ministre, sont occupés par Leif Pagrotsky et Margareta Winberg, fidèles collaborateurs de Göran Persson, mais tous deux opposés à l'introduction de la monnaie unique. Le Premier ministre, préférant sans doute avoir ses adversaires auprès de lui pour mieux les contrôler, souhaitait ainsi montrer qu'il prenait au sérieux les eurosceptiques de sa propre formation et les opposants à la monnaie unique du pays. Au Parlement, Göran Persson a également dû passer un accord avec ses traditionnels alliés politiques, le Parti de la gauche (Vp) et les Verts (MP), les deux formations étant défavorables à la monnaie unique.

La campagne électorale

Selon Göran Persson, il serait anormal que la Suède reste à l'écart de l'euro. « Lorsqu'un processus d'une telle portée politique et porteur d'un tel progrès intervient en Europe, je ne vois pas pourquoi on voudrait rester en dehors » déclarait-il en décembre dernier. En mai, il affirmait qu'une non appartenance à la zone euro serait dangereuse pour la Suède. Le Premier ministre a mis l'accent sur les avantages économiques qu'apporteraient à la population l'adoption de la monnaie unique ainsi que sur l'influence accrue dont bénéficierait la Suède au sein de l'Union européenne. « Il est aussi important de dire oui à l'euro pour conserver ou obtenir la plus grande influence possible sur la politique de l'Union européenne » a-t-il déclaré, ajoutant qu'une Union européenne renforcée pourrait constituer un contrepoids possible aux Etats-Unis. Le Premier ministre a également fait valoir que l'adoption de l'euro se traduirait par une baisse des taux d'intérêt, actuellement à 2,75% (contre 2% dans la zone euro). Si Göran Persson est convaincu de la nécessité pour son pays d'adopter la monnaie unique, tel n'est pas le cas de l'ensemble des membres de sa formation majoritaire au Parlement. La division du Parti social-démocrate a rendu la campagne électorale du gouvernement particulièrement difficile. Au mois de mai dernier, Göran Persson a d'ailleurs dû se tourner vers l'opposition afin d'imaginer une action commune capable d'endiguer le flot des opposants à l'euro dont le flot grossissait semaine après semaine. Hormis le Parti du centre (C), les autres formations d'opposition – Parti du rassemblement modéré (M), Parti chrétien-démocrate (KD) et les Libéraux (FpL) - soutiennent l'adoption de l'euro. L'Association des banques, le patronat et une bonne partie de la presse nationale sont également favorables à ce que la Suède rejoigne l'UEM.

Côté syndicats, la Confédération générale des travailleurs (LO) a fini par rallier, non sans avoir longuement hésité, les partisans de la monnaie unique. Le syndicat, qui compte deux millions de membres, représente 80% des ouvriers et employés suédois, soutient le Parti social-démocrate au pouvoir ; six membres du gouvernement, dont le Premier ministre lui-même, en sont membres. En avril dernier, la confédération avait décidé de s'abstenir de faire campagne en faveur de l'euro et d'afficher une position neutre, conséquence du refus du gouvernement de créer le fonds tampon demandé par le syndicat pour parer à une éventuelle crise économique européenne. Göran Persson craignait en effet d'effrayer l'opposition qui voyait dans ce fonds une résurgence des fonds salariaux qui ont déchiré la Suède il y a une trentaine d'années. Finalement, à la mi-juillet, le Premier ministre et la secrétaire générale de LO, Wanda Lundby-Wedin, ont cosigné un article dans le quotidien Dagens Nyheter, dans lequel ils s'engagent à mettre en place « un cadre pour une politique de stabilité » dans la perspective du passage à l'euro. « Les gens craignent que l'euro implique une hausse du chômage et une moindre capacité à combattre les crises économiques en Suède. Il y a une peur que cette coopération signifie que l'Etat providence doive s'adapter à des ambitions moindres ailleurs en Europe » écrivent les deux leaders, expliquant que les marges budgétaires permettront « qu'une baisse de conjoncture n'entraîne pas automatiquement des réductions de l'Etat providence ». La Confédération générale des travailleurs a donc signé le 13 août dernier avec le gouvernement un accord sur l'assouplissement des finances publiques en cas de victoire du « oui » à l'euro. « Il y a plus d'éléments pesant en faveur du « oui » parce que nous aurons ainsi une politique positive pour nos membres en cas d'adhésion de la Suède » a déclaré Wanja Lundby-Wedin. Le communiqué officiel du syndicat stipule toutefois que « l'accord ne signifie pas que LO renonce à sa neutralité face au référendum sur l'introduction de l'euro en Suède ».

Le budget de la campagne électorale se divise comme suit : le camp du « oui » recevra quarante-deux millions de couronnes (4,8 millions d'euros) et le camp du « non » quarante-huit millions (5,5 millions d'euros). Cependant, les sommes allouées par le Parlement aux formations représentées en son sein bénéficient aux partisans de l'euro, qui sont les plus nombreux, et qui percevront 22,5 millions de couronnes quand les adversaires de la monnaie unique ne toucheront que 7,5 millions.

En juin dernier, le « non pas encore » du gouvernement britannique, qui a remis à une date ultérieure l'organisation d'un référendum sur l'adoption de l'euro, a fourbi des armes aux deux camps. « Ils envoient un signal clair : ils veulent adhérer » a affirmé Göran Persson. « C'est le signe que pour la Grande Bretagne, il s'agit de savoir quand il faut adopter l'euro et non pas s'il faut l'adopter » a déclaré Gunilla Carlsson, responsable de la campagne en faveur de la monnaie européenne du Parti du rassemblement modéré. Dans le même temps, la décision britannique a conforté les adversaires de la monnaie unique. « Il est évident que c'est une grande aide pour le camp du « non » » a souligné Sören Wibe, chef de file des sociaux démocrates contre l'adoption de l'euro et véritable leader de la campagne en faveur du « non ». « Cela montre que la Suède ne sera pas seule en dehors de la zone euro dans un avenir prévisible » s'est félicité Per Gahrton, député européen vert. Enfin, la responsable du Parti du centre (C), Maud Olofsson a vu dans la décision britannique la preuve que « l'argument selon lequel la Suède resterait seule en dehors de la zone euro n'est pas crédible ».

En mars dernier, les adversaires de l'entrée de la Suède dans l'UEM ont pu exposer leurs arguments lors d'une émission télévisée intitulée « L'Europe oui, l'euro non ». Les partisans du maintien de la couronne estiment que le système actuel des changes flottants bénéficie à la Suède et pensent que l'entrée du pays dans l'UEM ferait perdre au pays son autonomie économique (la Suède représente 3% de la zone euro), l'ensemble des décisions étant alors prises à Francfort sans aucune garantie de résultats. Les adversaires de la monnaie unique mettent également en avant le déficit démocratique de la Banque centrale européenne et insistent sur l'instabilité de l'euro. Enfin, selon eux, la politique économique suédoise, et en particulier la politique fiscale, que les Suédois considèrent comme la principale garantie de leur modèle d'Etat providence, deviendrait avec l'euro entièrement dépendante de celle des plus grands pays de l'Union européenne. « Les politiques économiques prises dans le cadre de l'Union économique et monétaire sont bourgeoises : moins d'impôts, moins d'Etat providence » a ainsi déclaré Lars Ohly, responsable du Parti de la gauche. De fait, les eurosceptiques sont peut-être plus effrayés par la perspective d'une politique fiscale commune que par une politique monétaire européenne.

Politiquement, trois formations se sont officiellement engagées dans la bataille contre l'adoption de la monnaie européenne : le Parti de la gauche, les Verts et le Parti du centre. Formations auxquelles s'ajoutent une bonne partie des militants du Parti social-démocrate et quelques ministres. En avril, Göran Persson avait réclamé aux membres de son gouvernement opposés à l'euro une plus grande discipline, exigeant qu'ils fassent preuve de loyauté ou qu'ils démissionnent. Le 1er mai dernier, une partie des sociaux-démocrates hostiles à l'introduction de la monnaie unique ont défilé à Stockholm sous une banderole sur laquelle on pouvait lire « Göran, de toutes façons, nous voterons « non » ». Quatre ministres du gouvernement, Leif Pagrotsky (Economie), Margareta Winberg (vice-Premier ministre), récemment publiquement désavouée par le Premier ministre, Marita Ulvskog (Culture) et Lena Sommestad (Environnement), sont défavorables à l'entrée de la Suède dans l'UEM. En outre, deux secrétaires d'Etat, Lotta Fodge et Gunilla Thorgren, ont rejoint le mouvement des sociaux-démocrates pour le non à l'euro.

L'opinion publique et l'euro

En novembre dernier, les opposants à la monnaie unique distanciaient pour la première fois les partisans de l'euro dans les enquêtes d'opinion. Un sondage réalisé par l'institut d'opinion Sifo et publié le 22 novembre 2002 révélait que 41% des Suédois étaient défavorables à l'abandon de la couronne pour 37% qui étaient de l'avis contraire, 21% des personnes interrogées se déclarant indécises. Depuis lors, le pourcentage des adversaires de l'euro n'a cessé de croître, passant de 46% en février à 49% en juin, atteignant même les 50% en avril dernier. De l'autre côté, le nombre des partisans de la monnaie unique a régulièrement chuté, s'élevant à 41% en février dernier et tombant à 32% en juin.

A trois semaines du référendum, le camp du « non » à l'adoption de la monnaie unique détient toujours une avance. Selon le dernier sondage réalisé dans la deuxième semaine d'août par l'institut Temos et publié dans les deux principaux quotidiens du pays Dagens Nyheter et Sydsvenska Dagbladet, 49% des Suédois se déclarent hostiles à l'abandon de la couronne pour 35% qui y sont favorables et 16% encore indécis. Les 15 et 16 août derniers, les instituts Sifo et Gallup donnaient des chiffres similaires. Les autorités politiques et le gouvernement de Göran Persson n'auront certes pas trop des trois semaines restantes avant le 14 septembre pour convaincre les Suédois des avantages qu'ils auraient à adopter la monnaie européenne.

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