« Une grande et fière nation est en train de tourner la page d'un siècle tragique et d'occuper la place qui lui revenait de droit depuis le début du processus d'intégration européenne. C'est un tournant dans l'histoire de l'Europe. La participation au vote, qui a dépassé de beaucoup les taux habituels de participation en Pologne, confirme que les citoyens polonais étaient pleinement conscients du caractère historique du choix qu'ils faisaient. C'est ce que j'appelle la sagesse d'une nation » a déclaré le Président de la Commission européenne, Romano Prodi, à l'annonce des résultats du référendum sur l'adhésion de la Pologne à l'Union européenne. L'ensemble des dirigeants européens se sont réjouis du vote des Polonais qui ont dit un « oui » massif à leur intégration européenne, approuvée par 77,41% des électeurs, 22,59% s'étant prononcés contre. « La nation polonaise reprend toute sa place dans notre famille européenne. C'est une très bonne nouvelle pour l'Europe, qui sera plus forte avec la Pologne. C'est une très bonne nouvelle pour la Pologne, qui sera plus forte dans l'Europe » a déclaré la ministre française déléguée aux Affaires européennes.

L'ensemble des observateurs s'attendant à une victoire du « oui », la seule réelle incertitude de ce scrutin concernait le taux de participation qui devait obligatoirement être supérieur à 50% des inscrits pour que la consultation électorale soit déclarée valide. L'inquiétude était encore grande samedi soir à l'issue de la première journée du référendum, organisé exceptionnellement sur deux jours afin qu'un plus grand nombre de Polonais puissent se rendre aux urnes, puisque seulement 17,61% des inscrits avaient accompli leur devoir de citoyen, dont 34% à Varsovie et autour de 10% dans les zones rurales (précisons tout de même que les Polonais, habitués à voter le dimanche, sont également nombreux à travailler le samedi). Jusqu'au dernier moment, les partisans de l'adhésion n'ont pas ménagé leurs efforts pour attirer les Polonais vers les 25 165 bureaux de vote du pays. Les propriétaires de téléphones mobiles ont ainsi reçu des SMS émanant du Bureau pour l'intégration européenne leur rappelant qu'ils pouvaient voter jusqu'à 20 heures. Les musées de la capitale Varsovie ont été gratuits durant tout le week-end pour inciter les citadins à ne pas quitter la ville. Le principal quotidien du pays, Gazeta Wyborcza, a publié une édition spéciale, distribuée gratuitement dimanche dans les grandes villes du pays, et appelant à voter : « Il faut qu'on soit plus nombreux dimanche, il manque 9,6 millions de votes » titrait en Une le quotidien. De même, les jeunes Polonais qui fêtaient leurs dix-huit ans les 7 ou 8 juin ont pu se rendre aux urnes grâce à une autorisation spéciale. Enfin, dimanche, l'ensemble des prêtres ont rappelé aux fidèles le message du Pape Jean-Paul II, enjoignant les Polonais à mettre fin aux divisions historiques de l'Europe et à voter « oui » au référendum sur l'adhésion. Le primat de Pologne, Mgr Jozef Glemp a lancé un dernier appel à ses compatriotes à participer au référendum soulignant que s'il était possible d'imaginer la Pologne en dehors de l'Union européenne, un tel isolement ne pourrait être maintenu longtemps. Les Polonais de l'étranger se sont également fortement mobilisés, à New York et surtout à Chicago, qui compte la plus importante communauté polonaise vivant hors de Pologne ; 85% des inscrits ont accompli leur devoir de citoyen, 80% d'entre eux se prononçant en faveur de l'adhésion de la Pologne à l'Union européenne.

L'ensemble de ces efforts ont payé puisque près de six Polonais sur dix (58,82%) se sont finalement rendus aux urnes durant les deux jours du référendum, une mobilisation encore plus importante que celle espérée la semaine dernière par les plus optimistes des analystes.

« Nous sommes de retour en Europe, à la place qui revient à la Pologne et aux Polonais » s'est félicité le Président de la République Aleksander Kwasniewski dimanche soir, ajoutant « c'est aussi une bonne nouvelle pour l'Europe : un peuple grand et ambitieux rejoint l'Union européenne ». Le Président a tenu à remercier la hiérarchie de l'Eglise catholique polonaise et surtout le pape Jean-Paul II pour son soutien et ses appels au peuple polonais à se prononcer en faveur de l'intégration européenne : « Il faut aujourd'hui remercier notre grand compatriote pour avoir tout le temps été avec nous dans nos efforts et nous avoir sans cesse soutenu, conseillé et mis en garde ». De son côté, le pape a fait savoir, à travers un communiqué lu par le porte-parole du Vatican, qu'il « espérait que l'entrée de la Pologne au sein des institutions européennes contribuera à résoudre les problèmes sociaux et économiques qui sont les conséquences des divisions artificielles de l'Europe des temps passés ».

Dès l'annonce des résultats, un grand nombre de Polonais sont descendus dans les rues des plus grandes villes du pays où plusieurs concerts et feux d'artifice avaient été organisés et où des bals populaires ont spontanément fleuri pour célébrer l'entrée de la Pologne dans l'Union européenne. Dans la capitale Varsovie, l'orchestre et le chœur de l'Opéra de la ville se sont rassemblés sur une estrade installée à l'extérieur pour entonner l'Ode à la Joie, prélude du 4ème mouvement de la IXème symphonie de Ludwig van Beethoven et hymne de l'Union européenne. La fête s'est continuée tard dans la nuit autour du ténor espagnol Placido Domingo dont l'épouse Marta met actuellement en scène L'Hirondelle de Puccini dans la capitale polonaise. Les jeunes se sont quant à eux rassemblés au son d'une musique différente au pied de la colonne de la Place du château royal dans la vieille ville de Varsovie. Sur une immense bannière aux couleurs de l'Europe était écrit « Union européenne, je t'aime ». Les différentes organisations non gouvernementales ayant participé à la campagne pour le référendum ont également organisé une fête au château Ujazdowski de Varsovie.

Symboles de l'immense pas que viennent d'accomplir les Polonais, les déclarations concordantes des deux adversaires historiques que sont Lech Walesa et Wojciech Jaruzelski : « Si quelqu'un, il y a vingt ans, avait prédit cet événement, j'aurais dit que c'était de la science fiction, du théâtre de l'absurde. Mais les réalités changent : interne, internationale, historique. C'est une nouvelle réalité et il faut en tenir compte. J'en ai tenu compte en votant pour l'entrée de la Pologne dans l'Union européenne. J'ai le sentiment de participer à quelque chose de grand, d'important de significatif. C'est une journée bonne et joyeuse » a ainsi déclaré le général, ex-homme fort du pouvoir communiste en Pologne dans les années quatre-vingts. Quant au chef historique du syndicat Solidarité, ex Président de la République polonaise, il a annoncé avoir voté « oui » au référendum d'adhésion, soulignant « J'ai toujours cru à la démocratie et aux méthodes pacifiques. C'est la dernière étape de ce chemin sur lequel nous avons fait tomber les derniers obstacles à notre développement. C'est mon ultime combat ».

Dès dimanche, Aleksander Kwasniewski, qui va maintenant ratifier le traité d'adhésion de la Pologne à l'Union européenne signé le 16 avril dernier à Athènes, s'est dit déterminé à mettre en place une nouvelle majorité en vue des préparatifs nécessaires à l'intégration européenne du pays. Le Président s'entretiendra durant la semaine avec le gouvernement et les différentes formations politiques sur la réforme des finances publiques, le budget de l'Etat pour 2004 et les préparatifs d'adhésion. « Une majorité parlementaire est maintenant indispensable pour adopter la réforme des finances publiques. Il n'y a pas de place pour l'incertitude. Si sur dix projets de lois, cinq sont adoptés et cinq rejetés, aucune réforme sérieuse ne verra le jour. Le gouvernement se doit maintenant de prouver qu'il a des idées sur le promotion du développement économique, la lutte contre le chômage, la pauvreté et l'amélioration de l'éducation nationale » a déclaré Aleksander Kwasniewski dans un entretien publié lundi 9 juin par le quotidien Gazeta Wyborcza. Les dirigeants des principales formations de l'opposition réclament la démission du Premier ministre Leszek Miller, mis à mal par une situation économique difficile et de nombreuses affaires de corruption, un départ souhaité, selon les enquêtes d'opinion, par une grande partie des Polonais. Le leader du Parti paysan polonais (PSL), Jaroslaw Kalinowski, ancien vice-Premier ministre et ministre de l'Agriculture, démissionnaire du gouvernement le 1er mars dernier, a d'ailleurs fait de ce départ la condition de son éventuel retour au sein de la coalition gouvernementale. Celle-ci est minoritaire dans le pays, les deux formations la constituant (l'Alliance de la gauche démocratique, SLD, et l'Union du travail, UP) ne disposant plus que de deux cent douze députés sur les quatre cent soixante que compte la Diète, Chambre basse du Parlement polonais. Si l'entrée de la Pologne dans l'Union européenne est aujourd'hui effective, les jours du gouvernement de Leszek Miller semblent quant à eux comptés.

Résultats du référendum sur l'adhésion de la Pologne à l'Union européenne des 7 et 8 juin 2003:

Participation : 58,82%

Source Commission électorale nationale polonaise