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Grosse surprise en Irlande où le Sinn Fein arrive en tête des élections législatives

Élections en Europe

Corinne Deloy

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10 février 2020
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Corinne Deloy

Chargée d'études au CERI (Sciences Po Paris), responsable de l'Observatoire des élections en Europe à la Fondation Robert Schuman

Grosse surprise en Irlande où le Sinn Fein arrive en tête des élections législat...

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Trois partis sont arrivés dans un mouchoir de poche aux élections législatives organisées le 8 février en Irlande. Le Sinn Fein (SF) (Nous-mêmes), parti de gauche radicale dirigé par Mary Lou McDonald, a créé la surprise et a réalisé une impressionnante percée en recueillant 24,5% des suffrages (votes de première préférence[1]). Le Fianna Fail (FF) (Soldats de la destinée), parti conduit par Micheal Martin, a remporté 22,2% des voix. Enfin, le Fine Gael (FG) (Clan des Gaels), parti du Premier ministre sortant Leo Varadkar, a obtenu 20,9% des voix.

Ce résultat serré est inédit dans la République celtique qui depuis 1932 a été dirigée par deux partis - le Fianna Fail et le Fine Gael - qui se sont succédé au pouvoir, gouvernant de façon alternative ou en coalition.

Après l'Espagne, l'Irlande vit peut-être la fin du bipartisme.

La participation s'est élevée à 62,9%, légèrement inférieure à celle enregistrée lors des précédentes élections législatives du 26 février 2016 (- 2,3 points).

Résultats des élections législatives du 8 février 2020 en Irlande

Participation  : 62,9%

Source : https://www.rte.ie/news/election-2020/results/#/national

La formation du futur gouvernement va sans doute constituer un exercice difficile. Le Fine Gael et le Fianna Fail ont chacun exclu de s'allier avec le Sinn Fein, notamment en raison de ses liens avec l'Armée républicaine irlandaise (IRA), organisation paramilitaire luttant par les armes contre la présence britannique en Irlande du Nord. De son côté, le Sinn Fein a exclu de négocier avec les deux partis sans un engagement de leur part de mettre en place un référendum sur la réunification de l'Irlande dans les cinq années à venir.

"Le Fianna Fail et le Fine Gael peuvent-ils revenir maintenant sur leur position ? Est-il politiquement viable pour ces deux partis d'exclure le Sinn Fein des pourparlers en vue de la formation d'un gouvernement sur la base des chiffres projetés ?" s'est interrogé Micheal Lehane, journaliste politique de la radio-télévision irlandaise (RTE) à l'issue du scrutin. "Le Sinn Fein est désormais un parti mainstream et il sera très difficile pour le Fine Gael et le Fianna Fail de poursuivre leur politique d'exclusion à moyen terme à l'encontre du parti républicain" a indiqué Kevin Doyle, journaliste au quotidien The Irish Independent.

Le Taoiseach (Premier ministre) Leo Varadkar, qui a lui-même été devancé par un candidat du Sinn Fein dans sa circonscription de Dublin-ouest (il conserve cependant son siège de député), a fait l'erreur de mettre le Brexit au cœur de sa campagne électorale. Il s'est félicité d'avoir évité le rétablissement d'une frontière physique entre son pays et l'Irlande du Nord malgré la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne. "Nous avons un accord de Brexit et après le vote positif des députés britanniques sur le texte, il est désormais certain que le Royaume-Uni quittera l'Union européenne le 31 janvier. Cependant, le Brexit n'est pas fait. En fait, nous ne sommes qu'à la mi-temps. Il s'agit désormais de négocier entre l'Union européenne et le Royaume-Uni un accord de libre-échange qui protège nos emplois, nos entreprises, nos communautés rurales et notre économie" répétait-il. Selon les sondages sortie des urnes, une minorité d'Irlandais se sont déterminés sur cet enjeu au moment de déposer leur bulletin dans l'urne. Leo Varadkar, qui demandait à ses compatriotes un "mandat fort", a perdu son pari.

La campagne, et donc le vote, a été structurée par des thèmes domestiques : "Ce que nous appelons les trois H : health, housing and homelessness (santé, logement et personnes sans abri)" selon les mots de Noelle O'Connell, directrice de The European Movement Ireland. Selon l'association Focus Ireland, le nombre de sans abri (environ 10 000 personnes) a quadruplé depuis cinq ans en Irlande.

Leo Varadkar a mis en avant les résultats économiques obtenus par son gouvernement : forte croissance (6,3%, la plus élevée de l'Union européenne), quasi plein emploi (le taux de chômage a été divisé par trois en huit ans), hausse des salaires et du pouvoir d'achat, état sain des finances : le budget de l'Etat, déficitaire de 12% en 2011, est désormais excédentaire et la dette s'établit à 63% du PIB (120% en 2012). "Si l'issue du scrutin dépendait de la politique européenne de Leo Varadkar, il gagnerait facilement mais les gens veulent du changement" avait affirmé Jon Tonge, politologue de l'université de Liverpool. D'une part, les électeurs ont montré que le Brexit était pour eux déjà du passé, d'autre part, le Premier ministre a pu constater à ses dépens que l'on ne gagne pas des élections sur un bilan.

De son côté, le Sinn Fein s'est positionné sur tous les enjeux domestiques, n'hésitant pas à proposer le blocage des loyers, le lancement d'un ambitieux plan de construction de 100 000 logements sur cinq ans et d'importants plans d'investissements publics dans la santé et les transports, la hausse des taxes sur les entreprises et les citoyens les plus fortunés. Ce programme lui a permis de se positionner comme seule réelle force politique face aux deux partis traditionnels qui dominent l'Irlande depuis de nombreuses décennies.

La poussée du Sinn Fein est d'autant plus impressionnante que le parti présentait seulement 42 candidats aux élections législatives du 8 février, soit à peu près deux fois moins que chacun des deux "grands" partis. En outre, il n'avait pas dépassé 10% des suffrages lors des élections locales du 24 mai dernier et avait recueilli 11,68% des suffrages au scrutin européen organisé le même jour (le Fine Gael avait obtenu 29,59% des voix et le Fianna Fail, 16,55%).

"Je n'accepte ni l'exclusion ni les pourparlers visant à exclure notre parti, un parti qui représente désormais un quart de l'électorat. Cette exclusion est fondamentalement antidémocratique (...) L'establishment politique, et j'entends par là le Fianna Fail et le Fine Gael, sont dans le déni. La position des dirigeants des grands partis centristes de ne pas parler avec nous n'est pas durable" a déclaré Mary Lou McDonald, à l'annonce des résultats, ajoutant "Je veux que nous ayons un gouvernement pour le peuple, un gouvernement sans Fianna Fail ni Fine Gael" a-t-elle indiqué. Elle a d'ailleurs affirmé avoir pris contact avec d'autres partis, évoquant les Sociaux-démocrates de Catherine Murphy et Roisin Shortall et le Parti vert (GP), dirigé par Eamon Ryan.

"Après la crise de 2008, la politique irlandaise a changé de façon spectaculaire. Le Sinn Fein s'est imposé comme principale force alternative de gauche. Il est comparable à la Coalition de la gauche radicale (SYRIZA) en Grèce et l'arrivée en 2018 d'une nouvelle présidente qui n'est pas associée au passé du parti l'a renforcé" a déclaré David Farrell, directeur de l'école de science politique de l'University College de Dublin. "Il existe une certaine lassitude vis-à-vis des partis classiques. Le Fine Gael a certes rétabli la situation économique et la prospérité du pays mais des problèmes demeurent. Quant au Fianna Fail, il a beau dire qu'il a changé, il paie encore le prix de sa gestion catastrophique qui a débouché sur la crise financière de 2008. Les gens veulent du changement et le Sinn Fein répond peut-être à cette attente, particulièrement chez les jeunes" a déclaré Gail McElroy, professeur de science politique du Trinity College de Dublin.

Mary Lou McDonald a su transformer son parti en le positionnant sur des sujets de société et elle a pu ainsi attirer de cette façon de nouveaux électeurs, notamment les jeunes. "Le Sinn Fein parie sur le temps long. S'il n'entre pas au gouvernement cette fois-ci, je pense que le parti considérera néanmoins tout ce qui se passera comme un succès car il est devenu une force alternative pour les prochaines élections législatives" a déclaré Jonathan Evershed, chercheur en science politique de l'University College de Cork.

A l'issue de ces élections législatives, plusieurs questions se posent. Le Fine Gael et le Fianna Fail vont-ils former un gouvernement de coalition et prendre le risque de ne pas répondre à la demande de changement émise par les électeurs ? L'un de ces partis va-t-il finalement tenter une alliance avec le Sinn Fein et d'autres "petits" partis ?

Fintan O'Toole a mis en garde dans le quotidien The Irish Times contre la formation d'un gouvernement minoritaire : "En 2016, les trois quarts des électeurs ont voté pour un autre parti que le Fine Gael mais nous avons quand même eu un gouvernement Fine Gael. Les gens ont eu un gouvernement pour lequel ils n'avaient pas voté. Le Brexit et la stabilisation de l'économie ont contribué à masquer le déficit démocratique qui était à l'œuvre, mais ils ne l'ont pas fait disparaître. Il y a tout simplement un grand problème avec la formation d'un gouvernement minoritaire".

[1] Le décompte de l'ensemble des suffrages peut durer plusieurs jours en raison de la complexité du mode de scrutin irlandais, le système du vote unique transférable qui permet aux Irlandais de classer les candidats par ordre de préférence.

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