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Les populistes deviennent le premier parti de droite au Danemark

Élections en Europe

Corinne Deloy

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22 juin 2015
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Corinne Deloy

Chargée d'études au CERI (Sciences Po Paris), responsable de l'Observatoire des élections en Europe à la Fondation Robert Schuman

Les populistes deviennent le premier parti de droite au Danemark

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Tremblement de terre au Danemark - et en Europe - où le Parti du peuple (DF) est arrivé en 2e position derrière le Parti social-démocrate (SD) de la Première ministre sortante Helle Thorning-Schmidt qui a obtenu 26,3% des suffrages mais à la première place des partis de droite lors des élections législatives le 18 juin. Le parti dirigé par Kristian Thulesen Dahl a recueilli 21,1% des suffrages et remporté 37 sièges au Folketing, chambre unique du parlement (+ 15 par rapport aux précédentes élections législatives du 15 septembre 2011).

Il a confirmé que son résultat des élections européennes n'était pas un "accident" (il était arrivé largement en tête avec 26,6% des suffrages) et il a élargi sa base électorale en attirant de nouveaux votants, plus jeunes et issus de la classe moyenne. Le parti a réalisé ses résultats les plus élevés dans le Sud du Danemark et notamment dans le sud du Jutland, région frontalière de l'Allemagne. Enfin, la personnalité de Kristian Thulesen Dahl, aux propos plus modérés que ceux de la précédente dirigeante du parti Pia Kjærsgaard, a beaucoup contribué à la hausse du score enregistré. Alors que le Parti du peuple avait depuis plusieurs années imposé son agenda à l'ensemble des partis du royaume, il a choisi pour le scrutin du 18 juin de centrer son discours sur la défense de l'Etat-providence, comme désormais la plupart des populistes en Europe. "Le Parti du peuple se présente comme le Parti social-démocrate des origines, généreux sur le plan social et préoccupé par la situation des plus défavorisés" affirme Marlene Wind, politologue.

Les populistes ont devancé le Parti libéral (V) de l'ancien Premier ministre (2009-2011) Lars Lokke Rasmussen, qui a obtenu 19,5% des voix - son plus faible résultat depuis 25 ans - et 34 députés (- 13, soit le plus fort recul de l'ensemble des partis à ces élections).

L'Alliance libérale (LA) dirigée par Anders Samuelsen a recueilli 7,5% des suffrages et remporté 13 élus (+ 4). Le Parti populaire conservateur (KF), emmené par Soren Pape Poulsen, a obtenu 3,4% des voix et 6 sièges (- 2).

"Deux questions seront décisives, avait affirmé avant le scrutin, Kasper Hansen, professeur de science politique de l'université de Copenhague l'Etat-providence et l'immigration, la première bénéficie à la gauche et la deuxième à la droite". Cette dernière s'est donc imposée mais une grande partie des Danois ont voulu voter à la fois pour le maintien de l'Etat-providence et pour une réduction de l'immigration en choisissant de donner leur voix aux populistes.

Le Bloc bleu de l'opposition de droite s'est imposé mais seulement d'une courte tête. Il a obtenu 51,4% des suffrages et 90 sièges (+4) contre 48,6% et 85 élus (- 4) au Bloc rouge rassemblant les partis de gauche.

Le Parti social-démocrate (SD) de la Première ministre sortante Helle Thorning-Schmidt est arrivé en tête du scrutin avec 26,3% des suffrages et 47 sièges (+3). La Liste de l'unité-Alliance rouge-verte (E), opposée à la politique menée par la chef du gouvernement, est devenue le 2e parti de gauche du pays avec 7,8% des voix et 14 sièges (+ 2).

A l'inverse, le Parti social-libéral (RV) de Morten Ostergaard, paie sa participation à la coalition gouvernementale sortante obtenant 4,6% des voix et 6 sièges (-9). Le Parti socialiste populaire (SF), dirigé par Pia Olsen Dyhr, partage le même sort avec 4,2% des voix et 7 élus (-9).

Le recul de ces 2 derniers partis bénéficie à l'Alternative (A), récemment créée par l'ancien ministre de la Culture (2011-2012) Uffe Elbaek qui, pour sa première compétition électorale, a obtenu 4,8% des suffrages et 9 députés.

La participation a été très légèrement inférieure à celle enregistrée lors des précédentes élections législatives du 15 septembre 2011 et s'est élevée à 85,8% (-1,9 point).

Les populistes, premier parti de droite du Danemark

"Le Parti du peuple est en train de devenir un véritable parti populaire, ce pour quoi nous nous battons depuis des années. Nous sommes un parti auquel les autres ne peuvent pas échapper, un parti qu'il faut prendre au sérieux dans ce pays" a déclaré son dirigeant Kristian Thulesen Dahl à l'annonce des résultats.

Tout au long de la campagne électorale, le Parti du peuple a répété qu'il n'était pas forcément intéressé par une participation au gouvernement avec les Libéraux. "Ce qui nous intéresse, c'est d'avoir une influence politique. Nous agirons de façon à avoir une influence maximale. Si c'est en étant membre du gouvernement, nous entrerons au gouvernement. Si c'est en restant hors de celui-ci, nous resterons en dehors" a-t-il souligné Kristian Thulesen Dahl.

L'éventuel maintien de cette position et donc le refus des populistes de gouverner pourrait cependant être mal compris par ses électeurs. Selon une enquête d'opinion, 69% d'entre eux souhaitent que leur parti entre au gouvernement. "Cela semble en effet suspect qu'ils évitent toujours d'assumer des responsabilités. C'est facile en tant que parti de pointer du doigt quand on reste assis à l'arrière de la voiture. On ne prend aucun risque. Et donc probablement beaucoup de personnes attendent de voir s'ils vont accepter des postes ministériels, y compris certains de leurs électeurs, qui ne comprendraient pas qu'ils crient toujours au scandale dans plusieurs domaines et ne saisissent pas l'opportunité de changer les choses quand ils le peuvent" a indiqué Martin Lemberg-Pedersen de l'université de Copenhague.

Le parti n'a encore pris aucune décision. "Nous pensons que nous disposerons d'une plus grande influence en restant hors du gouvernement de Lars Lokke Rasmussen et en le rendant totalement dépendant de nous" a indiqué le député européen Morten Messerschmidt (DF), revenu à la politique nationale à l'occasion des élections législatives du 18 juin.

Le Parti du peuple et le Parti libéral s'opposent sur deux points essentiels : l'Etat-providence, que les populistes veulent à tout prix préserver (ils ont d'ailleurs fait campagne sur une augmentation de 0,8% des dépenses publiques lors de la prochaine législature) tandis que les Libéraux sont partisans d'une stagnation des dépenses publiques, et l'Europe : les Libéraux sont pro-européens quand les populistes sont favorables à une sortie du royaume de l'Union. Ils souhaitent d'ailleurs que le Danemark organise comme le Royaume-Uni un référendum sur ce sujet.

"Les jours qui viennent vont permettre de dire s'il est possible de trouver une majorité pour un programme gouvernemental qui va mener le Danemark dans la bonne direction. Ce soir, on nous a donné une chance, mais seulement une chance, de prendre le leadership au Danemark" a déclaré Lars Lokke Rasmussen après l'annonce des résultats. "Ce que je propose, c'est de prendre la tête du gouvernement" a-t-il ajouté. Le dirigeant libéral a reconnu que son parti avait perdu des électeurs. "Nous n'avons pas eu de très bons résultats mais la majorité estiment que le Danemark doit changer de gouvernement " a-t-il cependant souligné.

Les Libéraux avaient mis l'accent sur les questions d'immigration dans les derniers jours de campagne, ce thème constituant selon les sondages un point central capable de faire basculer les Danois encore indécis. Ils avaient affirmé que s'ils accédaient au pouvoir, ils "arrêteraient immédiatement l'afflux massif de demandeurs d'asile" et convoquerait une session d'urgence du parlement cet été pour voter une réforme de l'asile. Lars Lokke Rasmussen avait proposé un plan en huit points parmi lesquels figuraient l'obligation d'avoir un emploi et de parler danois pour obtenir le droit de résider de façon permanente dans le royaume, la réduction des allocations sociales versées aux demandeurs d'asile et le retrait de la citoyenneté danoise à toute personne considérée comme "suspecte de terrorisme".

Comme on l'observe le plus souvent en Europe, les Danois, dont une grande partie estime que leur pays accueille un trop grand nombre de demandeurs d'asile (plus de 14 000 en 2014 contre environ 4 000 en 2011 selon les chiffres donnés par Kristian Thulesen Dahl), ont préféré l'original à la copie et ont préféré se tourner vers le Parti du peuple pour remédier à cette situation.

La gauche sanctionnée

La Première ministre Helle Thorning-Schmidt a très tôt reconnu sa défaite, annonçant sa démission de la présidence du parti social-démocrate. "J'assume l'entière responsabilité des actions du gouvernement et de mes décisions. J'ai été la première femme Premier ministre du Danemark et je ne serai pas la dernière" a-t-elle souligné en déclarant qu'elle mettait fin à ses fonctions à la tête de son parti.

De nombreux analystes avaient indiqué que les élections législatives se joueraient sur une seule question : le Danemark va-t-il mieux qu'il y a 4 ans ? Durant sa campagne électorale, la chef du gouvernement sortant s'est appuyée sur son (bon) bilan socioéconomique : croissance du PIB de 0,4% au premier trimestre 2015 (qui est le 7e trimestre de croissance d'affilée, une première depuis 2000), consommation des ménages en hausse de 0,7% par rapport au dernier trimestre de 2014, taux de chômage de 4,8% en avril, soit le niveau le plus faible depuis mai 2009.

La Première ministre s'était également engagée dans la défense de l'Etat-providence, estimant qu'"il ne suffisait pas d'avoir remis l'économie sur les rails. Il existe quelque chose d'encore plus important, c'est que nous avons les moyens d'avoir une société solidaire dans laquelle nous pouvons nous occuper les uns des autres".

Tout cela n'aura cependant pas été suffisant. Helle Thorning-Schmidt a perdu un grand nombre d'électeurs sur sa gauche dont beaucoup de sympathisants reprochent au gouvernement sortant d'avoir poursuivi la politique de rigueur budgétaire initiée par le Parti libéral et d'avoir oublié ses promesses de campagne en baissant l'impôt sur les sociétés de 3 points (de 25 à 22%), en réduisant les bourses accordées aux étudiants et les allocations chômage et en vendant pour 8 milliards de couronnes (1,07 milliard €) en novembre 2013 19% de la compagnie publique Dong Energy à la banque d'investissement américaine Goldman Sachs. Cette privatisation avait entraîné en janvier 2014 la démission des 6 ministres du Parti populaire socialiste du gouvernement.

Le 27 mai dernier, alors qu'elle annonçait la date des élections législatives, Helle Thorning-Schmidt avait tenté de donner des gages aux électeurs de gauche en rendant publiques plusieurs mesures en faveur de la santé, de la situation des personnes âgées, de l'éducation et de la recherche publique dans les technologies vertes.

Enfin, les sociaux-démocrates avaient considérablement durci leur discours sur l'immigration mais cette fois encore, cela a bénéficié au Parti du peuple. Au total, si le Parti social-démocrate a gagné des électeurs au centre, il a cependant trop perdu sur sa gauche pour se maintenir au pouvoir.

Qui est Lars Lokke Rasmussen ?

Agé de 51 ans et originaire de Vejle (Sud du Jutland), Lars Lokke Rasmussen est diplômé de droit de l'université de Copenhague. Il a travaillé 5 ans comme consultant indépendant après l'obtention de son diplôme.

Il a débuté sa carrière politique au niveau local comme conseiller municipal de Græsted-Gilleleje (Nord-Est de l'île de Sjaelland) en 1986. Il entre au Folketing en 1994 devient préfet de Frederiksborg en 1998. En 2001, il est nommé ministre de l'Intérieur et de la Santé dans le gouvernement d'Anders Fogh Rasmussen (V). 6 ans plus tard, il prend le portefeuille des Finances qu'il conservera jusqu'à sa désignation au poste de Premier ministre en 2009, année où il remplace Anders Fogh Rasmussen, nommé secrétaire général de l'OTAN. Lars Lokke Rasmussen est alors le plus jeune chef de gouvernement du Danemark.

Il perd les élections législatives du 15 septembre 2011 et doit céder sa place de Premier ministre, mais reste leader de l'opposition.

Lars Lokke Rasmussen pourrait donc retrouver la demeure de Marienborg, résidence du Premier ministre danois depuis 1962. "Demain j'irai voir la reine Margrethe II pour lui dire que le gouvernement démissionne. C'est maintenant à Lars Lokke Rasmussen d'essayer de former un gouvernement" a déclaré la Première ministre sortante Helle Thorning-Schmidt dès l'annonce des résultats.

La tâche risque d'être compliquée pour le dirigeant du Parti libéral devancé par le Parti du peuple danois, qui possèdera une faible marge de manœuvre. La formation du gouvernement, traditionnellement assez rapide au Danemark, avait néanmoins pris 17 jours en septembre 2011, un record dans le royaume.

Si le Parti libéral de Lars Lokke Rasmussen parvient à former la prochaine coalition gouvernementale, 3 des 4 pays nordiques - Danemark, Finlande et Norvège - seront gouvernés par des forces de droite, ce qui constituera une première depuis 1945. Et si le Parti du peuple choisit d'entrer au gouvernement, chacun des 3 gouvernements disposerait d'un parti populiste en son sein.

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