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Petro Porochenko (indépendant) favori de l'élection présidentielle en Ukraine

Élections en Europe

Corinne Deloy

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5 mai 2014
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Corinne Deloy

Chargée d'études au CERI (Sciences Po Paris), responsable de l'Observatoire des élections en Europe à la Fondation Robert Schuman

Petro Porochenko (indépendant) favori de l'élection présidentielle en Ukraine

PDF | 588 koEn français

Les Ukrainiens devraient élire le 25 mai prochain leur président de la République. Le scrutin est consécutif à l'abandon de son poste et à la fuite de l'ancien chef de l'Etat Viktor Ianoukovitch (Parti des régions) et aux événements violents qui ont secoués le pays.

Le 22 février dernier, la Verkhovna Rada (Conseil suprême), chambre unique du Parlement, a déclaré qu'en quittant son poste, Viktor Ianoukovitch s'était mis de lui-même à l'écart et ne remplissait plus ses fonctions. Elle a voté la démission du président en fuite par 328 voix et annoncé qu'une nouvelle élection présidentielle serait organisée le 25 mai. Le lendemain, Oleksandr Tourtchynov (Union panukrainienne-Patrie, Batkivshchyna), bras droit de Ioulia Timochenko ancien chef des services secrets et ancien vice-Premier ministre (2007-2010), a été nommé président de la République par intérim. Arseni Iatseniouk a été désigné au poste de Premier ministre par intérim quatre jours plus tard.

Le Parti des régions a lâché Viktor Ianoukovitch, le jugeant "responsable des événements tragiques et coupable d'avoir trahi l'Ukraine et dressé les Ukrainiens les uns contre les autres". "Nous condamnons les ordres criminels ayant fait des victimes et conduit le pays au bord du gouffre" a encore déclaré le parti.

Viktor Ianoukovitch a donc été destitué. Il fait l'objet d'un mandat d'arrêt pour meurtres de masse de civils après les affrontements à Kiev qui ont fait 82 morts au total. Le Parlement a également voté une résolution demandant à la Cour pénale internationale de poursuivre Viktor Ianoukovitch dans le cadre d'une enquête pour crimes contre l'humanité. 30 hauts responsables de la police font l'objet d'une enquête pour leur rôle dans la répression. Viktor Ianoukovitch a affirmé être victime d'un coup d'Etat et a déclaré, dans un entretien télévisé diffusé par une chaîne régionale de Kharkiv, se considérer comme le seul président légitime!

La Russie voisine multiplie les actions pour empêcher la tenue de l'élection présidentielle. "Organiser un scrutin sans avoir trouvé de terrain d'entente avec l'Est et le Sud russophones de l'Ukraine est très destructeur pour le pays" a déclaré le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov.

Kiev devrait mettre tout en œuvre pour que le scrutin ait lieu tant le pays a besoin d'autorités légitimes. "Il faut que cette élection présidentielle ait lieu coûte que coûte. La déstabilisation est due au fait que le pays n'a pas de président légitime" a souligné Volodymyr Fessenko, politologue du Centre d'études politiques Penta de Kiev, "Saper le scrutin présidentiel fait partie du plan de la Russie. C'est pour cela qu'il faut tout faire pour qu'il ait lieu" a indiqué Olexïï Garan de l'université de l'académie Mohyla de Kiev, ajoutant "Même si les autorités n'arrivent pas à organiser le vote dans toutes les localités, la communauté internationale reconnaîtra l'élection".

Trois mois de crise

Le 21 novembre 2013, soit quelques jours avant la date de la signature prévue au sommet de Vilnius des 28 chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union européenne des 28 et 29 novembre, le président ukrainien Viktor Ianoukovitch suspendait les discussions en cours depuis plusieurs mois avec l'Union européenne en vue de la signature d'un accord de commerce et d'association. Plusieurs centaines d'Ukrainiens s'estimant trahis se sont alors rassemblés sur la place de l'indépendance (Maïdan Nézalejnosti) à Kiev pour dénoncer la volte-face du pouvoir qu'il accuse d'avoir cédé à la Russie. Des manifestations ont été organisées dans les autres grandes villes de province. Le pouvoir misait sur l'usure des manifestants.

Le 25 novembre, la police a recouru à la force contre les manifestants. Le 30 novembre, un nouvel assaut de la police a fait basculer la manifestation en mouvement de contestation du pouvoir. Le 13 décembre, une première table ronde a rassemblé le président et les représentants de l'opposition.

Le 17 janvier, Viktor Ianoukovitch a promulgué des lois restreignant le droit de manifester votées par le parlement. Deux jours plus tard, 100 000 manifestants bravaient ces lois et le 22 janvier, la charge des forces de l'ordre a fait 3 morts à Kiev. Viktor Ianoukovitch a proposé alors le poste de Premier ministre à l'ancien ministre des Affaires étrangères (mars-décembre 2007) et ancien président du Parlement (2007-2008), Arseni Iatseniouk (Union panukrainienne-Patrie, Batkivshchyna) et celui de vice-Premier ministre à Vitali Klitschko (Alliance démocratique pour la réforme, UDAR). Les deux hommes ont décliné l'offre.

Le 28 janvier, le Premier ministre Mikola Azarov (Parti des régions) a démissionné et le Parlement abrogé les lois sur le droit de manifester. L'occupation de la place de l'indépendance s'est poursuivie et quelques semaines plus tard, le 18 février, Kiev a basculé dans la violence : 26 personnes ont été tuées et plus de 600 blessées parmi les manifestants et les forces de l'ordre. La trêve signée deux jours plus tard n'a pas duré et les manifestants ont repris la place de l'indépendance. De nouveaux affrontements ont fait 47 morts.

3 ministres européens des Affaires étrangères - le Français Laurent Fabius, l'Allemand Frank-Walter Steinmeier et le Polonais Radoslaw Sikorski se sont rendus dans la capitale ukrainienne et ont négocié avec les représentants des manifestants et le pouvoir en place. Le 21 février, la présidence de la République a annoncé qu'un accord a été trouvé. Ce même jour, le parlement a nommé de nouveaux responsables aux postes de procureur général, ministre de la Défense et chef des services de sécurité. Le ministre de l'Intérieur Arsen Avakov (Union panukrainienne-Patrie, Batkivshchyna) a annoncé la dissolution des berkout (forces spéciales anti émeutes), responsable de la répression des manifestants.

Dans la nuit du 21 au 22 février, le président Viktor Ianoukovitch a abandonné son poste pour s'enfuir, d'abord dans l'est de l'Ukraine puis en Russie. La Constitution permettant au Parlement de destituer le chef de l'Etat si celui-ci n'est pas en capacité d'assurer sa fonction ou s'il abandonne de facto ses fonctions, le Parlement a voté la destitution du chef de l'Etat. Dans la soirée, l'ancienne Premier ministre (janvier-septembre 2005 et 2007-2010) Ioulia Timochenko (Union panukrainienne-Patrie, Batkivshchyna) a été libérée de la prison où elle était enfermée depuis 2011 et s'est rendue dans la soirée sur la place de l'indépendance.

Les événements de novembre à février ont fait au total 82 morts, dont une quinzaine de policiers, et 2 000 blessés, dont 500 sont dans un état grave.

Le 27 février, un commando prorusse s'est emparé du parlement de Crimée qui a élu un gouvernement local pro-russe et voté l'organisation d'un référendum pour une plus grande autonomie de la région. Des milliers de soldats russes sont entrés dans la péninsule, ont pris le contrôle des bâtiments publics et assiégé les bases militaires ukrainiennes.

Le 6 mars, le parlement de Crimée a demandé le rattachement de la péninsule à la Russie et annoncé une consultation populaire le 16 mars. Les électeurs ont dû choisir entre le rattachement à Moscou ou une autonomie renforcée au sein de l'Ukraine. 97% des votants se sont prononcés en faveur du rattachement à la Russie. Le président russe Vladimir Poutine a signé le traité rattachant la Crimée à Moscou le 18 mars en violation du droit international. Il a assuré que la Russie ne cherchait pas à intégrer d'autres régions d'Ukraine! Dans la péninsule, les biens de l'Etat ukrainien ont été nationalisés, le rouble introduit et les unités militaires ukrainiennes démantelées.

Depuis 1992, la Crimée possédait sa propre Constitution et était autonome au plan budgétaire. La ville de Sébastopol, siège d'une importante base navale russe, bénéficiait d'un statut spécial de ville autonome. Moscou possède dans cette ville qui constitue son seul accès direct à la mer Méditerranée (par le détroit du Bosphore) 25 navires de combat et 13 000 hommes. En 2010, les parlements ukrainien et russe avaient signé une prolongation de 25 ans de l'accord qui permettait à la Russie de rester à Sébastopol.

Le 20 mars, le parlement ukrainien a adopté une résolution par laquelle "L'Ukraine va se battre pour la libération de la Crimée dont elle ne reconnaîtra jamais l'annexion par la Russie". Les réactions occidentales sont vives et nombreuses. Le Secrétaire général de l'OTAN Anders Fogh Rasmussen fustige Moscou et affirme que l'agression militaire a violé la souveraineté de l'Ukraine que la Russie avait pourtant promis de respecter en 1994. Le 5 décembre 1994, la Russie, les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont en effet signé à Budapest avec l'Ukraine un traité prévoyant l'abandon par Kiev de l'arme nucléaire en échange de la garantie de son intégrité territoriale par Washington, Londres et Moscou.

Le vice-président américain Joe Biden dénonce la "confiscation de territoire" dont s'est rendu coupable Vladimir Poutine. Les Etats-Unis suspendent leurs exportations de biens et de services touchant au domaine de la défense vers Moscou. Avec l'Union européenne, ils prennent des mesures de restriction de visas et de gel d'avoirs contre 13 responsables russes et 8 Ukrainiens pro-russes. L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE) suspend le droit de vote des 18 parlementaires russes jusqu'à la fin de l'année 2014.

Enfin, l'Assemblée générale de l'Organisation des Nations unies (ONU) vote le 27 mars la résolution soumise par l'Ukraine dénonçant le référendum et le rattachement de la Crimée à la Russie par 100 voix (58 abstentions et 11 voix contre, dont la Russie, la Biélorussie, la Corée du Nord, Cuba, le Venezuela, le Soudan et la Syrie). Ce même texte avait été bloqué au Conseil de sécurité huit jours plus tôt lorsque Moscou avait apposé son veto et que Pékin s'était abstenu. Les 13 autres membres du Conseil avaient voté en faveur de la résolution.

"Les dirigeants occidentaux ont exclu l'option militaire face à la Russie. Avec le rattachement de la Crimée à la Russie, Vladimir Poutine teste jusqu'ou il peut aller (...) Nous ne sommes pas au bout de la crise. Vladimir Poutine ne va pas renoncer à son rêve de bâtir son union eurasiatique" affirme Xavier Follebouckt, chercheur de l'université catholique de Louvain.

23 candidats à l'élection présidentielle

23 personnes sont officiellement candidates au scrutin présidentiel, soit + 5 par rapport à la dernière élection des 17 janvier et 7 février 2010. Le 25 mai seront également organisées des élections municipales dans 27 villes, dont Kiev et Odessa.

– Petro Porochenko, indépendant, soutenu par l'Alliance démocratique pour la réforme (UDAR) ;

– Ioulia Timochenko (Union panukrainienne-Patrie, Batkivshchyna), ancieme Premier ministre ;

– Mikhaïl Dobkine (Parti des régions), gouverneur de la région de Kharkiv ;

– Petro Symonenko (Parti communiste) ;

– Serhiï Tihipko, indépendant ;

– Olga Bogomolets, indépendant, soutenu par le Parti socialiste ;

– Iouri Boïko, ancien vice Premier ministre ;

– Anatoliy Hrytsenko (Position civile) ;

– Andriy Hrynenko, indépendant ;

– Oleksandr Klymenko (Parti du peuple) ;

– Valeriy Konovalyuk, indépendant ;

– Natalia Korolevska, indépendante ;

– Vasyl Kuybida (Mouvement du peuple d'Ukraine) ;

– Renat Kuzmin, indépendant ;

– Oleh Lyashko (Parti radical) ;

– Mykola Malomuzh, indépendant ;

– Vadim Rabinovich, indépendant, est l'un des dirigeants de la communauté juive d'Ukraine ;

– Volodymyr Saranov, indépendant ;

– Zoryan Shkiryak, indépendant ;

– Oleg Tsarov, indépendant ;

– Vasyl Tsushko, indépendant ;

– Oleh Tyahnybok (Svoboda) ;

– Dmytro Iaroch (Secteur droit, Pravy Sektor).

Favori des enquêtes d'opinion, Petro Porochenko est un candidat du rassemblement. Fondateur du groupe Ukrprominvest et plus grand producteur de confiseries d'Ukraine, il est surnommé le roi du chocolat. Sa fortune s'établit à 1,5 milliard $ selon le magazine américain Forbes qui affirme qu'il est l'un des dix hommes les plus riches du pays. L'homme possède la chaîne de télévision Kanal 5 qu'il a mise au service des manifestants durant les événements qui ont embrasé l'Ukraine. Il est d'ailleurs le seul oligarque à avoir ouvertement soutenu les manifestants de la place de l'indépendance. Il s'est rendu en Crimée pour tenter de négocier avec les troupes pro-russes au moment de leur encerclement du parlement après la chute de Viktor Ianoukovitch. Petro Porochenko promet de faire revenir la péninsule dans le giron de l'Ukraine et de créer, dès son arrivée au pouvoir, une nouvelle armée nationale, moderne et efficace qui défendra la souveraineté et l'intégrité de l'Etat.

Politiquement, il a joué un rôle actif dans la révolution orange (mobilisation consécutive au 2e tour de l'élection présidentielle du 14 novembre 2004 et qui a porté Viktor Iouchtchenko à la tête de l'Etat) mais il est aussi l'un des fondateurs du Parti des régions de Viktor Ianoukovitch. Ancien ministre des Affaires étrangères (2009-2010), il a été nommé en 2012 ministre de l'Economie et élu au parlement où il s'est présenté en candidat indépendant.

"Petro Porochenko est sans doute plus consensuel auprès de l'électorat que Ioulia Timochenko. Une grande partie de la population veut a la tête de l'Etat un gestionnaire de crise expérimenté. Il a l'expérience de plusieurs gouvernementale et il est considéré comme un homme d'affaires qui a connu le succès" indique Volodymyr Fessenko.

Personnalité de compromis, Petro Porochenko bénéficie du soutien de Vitali Klitschko qui, après avoir annoncé sa candidature à l'élection présidentielle le 28 février, a décidé de se retirer. "Nous devons combattre non pas l'un contre l'autre mais nous devons combattre pour l'avenir de l'Ukraine" a déclaré Vitali Klitschko, ajoutant "Les forces démocratiques doivent présenter un candidat unique, qui doit être le candidat qui dispose au soutien le plus large". Vitali Klitschko est candidat aux élections municipales de Kiev.

Egérie de la révolution orange et rivale malheureuse de l'ancien chef de l'Etat Viktor Ianoukovitch lors du scrutin présidentiel des 17 janvier et 7 février 2010, Ioulia Timochenko est la principale adversaire de Petro Porochenko. L'ancienne Premier ministre a été condamnée le 11 octobre 2011 par le tribunal de Petcherski à 7 ans de prison pour abus de pouvoir au préjudice financier de l'Ukraine à la suite de la signature du contrat gazier (entre Naftogaz Ukraine et Gazprom) avec la Russie en janvier 2009. Pour la justice ukrainienne, les actes reprochés à Ioulia Timochenko relèvent de la haute trahison : le contrat négocié en 2009 avait en effet entraîné une hausse des tarifs du gaz russe importé par Kiev. L'ancienne Premier ministre affirme avoir été battue et victime de mauvais traitements en prison.

"Tant que la Crimée sera occupée par le Kremlin, Vladimir Poutine restera pour moi l'ennemi n°1 de l'Ukraine. Je consacrerai toutes mes forces à la défense de l'Ukraine et n'accepterai jamais l'idée que la Crimée est perdue pour l'Ukraine" a indiqué Ioulia Timochenko, qui a ajouté "Je dispose de renseignements utiles pour arrêter cette agression. Mais pour réaliser mes plans, je dois accéder au pouvoir". "Aucun des hommes politiques ukrainiens qui se préparent à être candidats à la présidence de la République n'a pris la mesure de l'anarchie et ne s'apprête à l'arrêter" a encore affirmé l'ancienne Premier ministre qui veut intensifier la lutte contre la corruption.

Dmytro Iaroch est le dirigeant de Secteur droit (Pravy Sektor) qu'il a fondé le 22 mars dernier en intégrant les partis nationalistes Una-unso et Tryzoub (qui signifie trident, symbole de l'Ukraine). "Le parti sera un instrument dans le domaine politique comme la kalachnikov l'est dans le domaine militaire" a t-il déclaré. Fortement anti-Russe et revendiquant l'héritage (contesté) des nationalistes ukrainiens durant la Deuxième Guerre mondiale, il demande l'interdiction du Parti communiste et du Parti des régions. Il affirme que "le gouvernement doit balayer la corruption avant tout au sein des organismes de sécurité et de l'institution judiciaire. Il doit lancer des réformes de fond. Il faut des actes, pas seulement des mots pour faire de l'Ukraine un pays où les gens ont envie de vivre et où les séparatistes n'auront plus droit de cité".

Le chef de l'Etat est, en Ukraine, élu pour 5 ans. Tout candidat doit déposer une caution de 2,5 millions de hryvnia.

Une situation d'insurrection dans l'est du pays

Dès la nomination des nouvelles autorités à Kiev, des incidents ont eu lieu dans la partie orientale de l'Ukraine. A Donetsk, capitale de la région du Donbass et première ville industrielle et économique d'u pays, située à 50 km de la frontière avec la Russie, des manifestants ont tout d'abord demandé la fédéralisation de l'Ukraine avant de prendre d'assaut les bâtiments de l'administration régionale le 7 avril et de proclamer une République souveraine de Donetsk. A Lougansk, des séparatistes ont pris le contrôle des bâtiments des services de sécurité (SBU). A Kharkiv, deuxième plus grande ville d'Ukraine, ils ont occupé temporairement les locaux de l'administration régionale ; à Slaviansk et Gorlivka, le siège de la police locale et l'administration municipale ; à Kramatorsk, les locaux de la police municipale ; à Marioupol, Enakievo, Pervomaïsk, Artemivsk, Enakieve, Torez, Kirovsk, Jdanivka, Khartszyzk et Kostiantynivka, les bâtiments de l'administration municipale et enfin à Gorlovka ceux de la police et de la ville. Enfin, le maire de Kharkiv, Guennadi Kernes, a été blessé par balles. Les séparatistes réclament l'organisation d'un référendum sur l'autonomie régionale ou sur le rattachement à la Russie.

Les autorités ukrainiennes accusent Moscou de vouloir démembrer leur pays et empêcher l'élection présidentielle du 25 mai. Les Russes soutiennent une fédéralisation de l'Ukraine qui accorderait davantage de pouvoir aux régions russophones de l'est. Ce projet est rejeté par les autorités de Kiev - que Moscou ne reconnaît pas - qui y voient la porte ouverte à un éclatement de leur pays. "La seule raison à tout cela, c'est de pousser l'Ukraine à tirer un missile puis à l'accuser de déclencher une guerre contre la Russie" a déclaré le Premier ministre par intérim, Arseni Iatseniouk.

Le gouvernement ukrainien a fait un geste à l'égard des insurgés pro-russes retranchés dans l'est du pays : le ministre de l'Intérieur Arsen Avakov, qui s'est déclaré favorable à un renforcement des pouvoirs des administrations locales jusqu'ici nommées par lKiev, a promis aux insurgés une amnistie s'ils acceptaient de libérer les bâtiments qu'ils occupent. En vain. Kiev se bat pour préserver son intégrité territoriale dans ce qui apparaît comme la crise la plus aigue qu'ait connue l'Europe depuis la fin de la guerre froide.

Les forces militaires ukrainiennes ont été mises en état d'alerte maximum fin avril. "Notre objectif n°1 est d'empêcher le terrorisme de s'étendre des régions de Donetsk et de Lougansk à d'autres régions" a déclaré le président intérimaire Olexandre Tourtchinov.

"Etant donné la géographie de l'Ukraine, une fédéralisation mènerait à une situation où les régions de l'ouest du pays se trouveraient sous tutelle occidentale et celle de l'est sous tutelle russe. Cela signifierait une forme déguisée de partition du pays" a indiqué Vadym Karassiov, directeur de l'Institut de stratégie internationale de Kiev. "Certaines personnes veulent un rattachement à la Russie mais les sondages ont prouvé qu'il s'agissait d'une minorité" a affirmé Olexïï Garan de l'université de l'académie Mohyla de Kiev. En effet, une enquête d'opinion réalisée par l'Institut international de sociologie et publiée par le journal Djerkalo Tyjnia en avril dernier montre que 52,2% des habitants de la région de Donetsk s'opposent au rattachement à la Russie. En outre, 41,1% se déclarent en faveur d'une décentralisation, 38,4% pour une Ukraine fédérale et 10,6% pour le statu quo.

Le 17 avril, les Etats-Unis, la Russie, l'Union européenne et l'Ukraine se sont rencontrés à Genève pour tenter de trouver une issue à la crise actuelle. Ils ont signé un accord prévoyant le désarmement des groupes armés illégaux et l'évacuation des bâtiments occupés. Malgré cela, 40 000 soldats russes sont massés à la frontière russo-ukrainienne!

Une douzaine d'observateurs de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) ont été pris en otages par les séparatistes à Slaviansk. Ils ont été libérés le 3 mai.

Fin avril, l'aviation militaire russe a, à plusieurs reprises, violé l'espace aérien ukrainien. Les séparatistes occupent désormais le siège de la télévision régionale de Donetsk. Le 30 avril, ils ont pris le contrôle de la majorité des bâtiments officiels de Lougansk. Le 2 mai, l'armée ukrainienne a lancé une opération militaire dans les villes de Slaviansk et de Kramatorsk.

Un pays au bord de la faillite

Les caisses de l'Ukraine sont quasiment vides. En 2013, le PIB/habitant s'élevait à 3 000 €, un chiffre qui en fait l'un des plus faibles d'Europe et qui représente 23% de la moyenne de l'Union européenne. L'Ukraine devrait connaître une récession cette année (- 3%) après une stagnation en 2013 (0,4%) et ne retrouver son PIB de 2008 qu'en 2016. Le déficit du pays devrait s'accroître (4,8% pour 4,5% en 2013) et la dette atteindre 86,1% du PIB. L'inflation devrait s'établir à 12% en 2014. La monnaie, la hryvnia, a perdu un quart de sa valeur depuis le début de l'année. La Banque centrale a puisé dans ses réserves pour la soutenir, les réserves de change ont fondu ; elles représentent seulement 2,5 mois d'importations.

L'Ukraine possède pourtant de nombreux atouts : un fort potentiel agricole et une main d'œuvre qualifié et peu coûteuse. Cependant, le pays est rongé par la corruption et le népotisme qui découragent les investisseurs. Kiev souffre d'un endettement important et de sa dépendance aux matières premières, notamment l'acier, dont les cours ont beaucoup baissé. "L'Ukraine souffre de l'atonie de la demande extérieure en raison des performances économiques de ses partenaires de la zone euro et en Russie dans un contexte marqué par une stagnation des ventes de produits métallurgiques qui sont le premier poste d'exportation du pays" indique Vitaliy Denysyuk, économiste.

Le pays a besoin de 35 milliards $ pour les deux prochaines années selon le ministre des Finances par intérim, Iouri Kolobov, qui réclame l'organisation d'une conférence internationale des donateurs. Kiev devrait recevoir une aide de 28 milliards $ sur deux ans de la part de la communauté internationale. Le Fonds monétaire international (FMI) a annoncé le versement de 17 milliards $ le 30 avril. Ce prêt est soumis à la mise en place de mesures d'austérité et de réformes structurelles. Le FMI a déjà, dans le passé, accordé deux lignes de crédit (de 16,4 milliards $ en 2008 et 15,1 milliards $ en 2010) à l'Ukraine. Celles-ci avaient toutefois été interrompues en raison du refus du pouvoir en place d'appliquer des mesures douloureuses et donc impopulaires.

Le Premier ministre par intérim Arseni Iatseniouk a présenté une série de mesures à adopter : baisse de 10% des effectifs de l'administration (ce qui représente 24 000 personnes), vente de terrains et de propriétés de l'Etat, augmentation des impôts pour les plus fortunés, suppression des subventions accordées aux mines. La cure d'austérité exigée par le FMI devrait représenter 2,5% du PIB national. Elle comprend une hausse de 50% du prix du gaz pour les ménages et le gel des pensions de retraites et du traitement des fonctionnaires.

La Commission européenne devrait mettre en place un plan d'aide de 11 milliards € sous forme de prêts et d'avantages commerciaux, et réduire les droits de douane entre Kiev et Bruxelles (500 millions € par an).

Le 17 décembre 2013, Viktor Ianoukovitch avait obtenu de la Russie un crédit de 15 milliards $ et un rabais de 30% sur le prix du gaz. 3 milliards auraient été versés à la fin du mois de décembre dernier. Ce prêt est désormais gelé.

Le 1er avril, Moscou a imposé à Kiev, qui ne s'acquitte plus de ses factures depuis janvier 2014, une hausse de 80% du prix du gaz : les 1000 m3 sont passés de 268 à 485 $, une augmentation rejetée par l'Ukraine.

Alexei Miller, président de Gazprom, a demandé à l'Ukraine de rembourser 11,4 milliards $ une somme qui correspondrait aux 4 années de précédents rabais accordés sur le prix du gaz. Alexandre Medvedev, P-DG de Gazprom Export (et vice-président de Gazprom), a réclamé 3,5 milliards $ au titre des impayés de Kiev.

La Russie a averti l'Ukraine qu'elle souhaitait établir un système de prépaiement pour ses livraisons de gaz. Ainsi, les autorités ukrainiennes ont jusqu'au 1er juin prochain pour s'acquitter (par avance) de leur facture de gaz du mois de juin 2014. Une chose quasiment impossible considérant les difficultés financières actuelles du pays.

Environ 60% du gaz consommé en Ukraine est d'origine russe. Par ailleurs, 65 milliards de m3 de gaz sont acheminés vers les pays de l'Union européenne via les gazoducs ukrainiens.

Le 2 mai, l'Union européenne, l'Ukraine et la Russie se sont retrouvés à Vienne pour parler de la sécurité et de l'approvisionnement en gaz de Kiev.

Source : Commission électorale centrale d'Ukraine

Selon la dernière enquête d'opinion réalisée par l'institut Socis entre le 9 et le 16 avril, Petro Porochenko remporterait le 1er tour de l'élection présidentielle avec 48,4% des suffrages. Il devancerait Ioulia Timochenko, qui recueillerait 14% ; Serhiï Tihipko 7,4% ; Mikhaïl Dobkine 6% ; Petro Symonenko 5,6% et Oleh Tyahnybok 2,1%.

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