Analyse
Élections en Europe
Corinne Deloy
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Le 15 mars, les Slovaques sont appelés aux urnes pour le 1er tour de l'élection présidentielle. 14 personnes sont candidates à ce scrutin, soit le plus grand nombre jamais enregistré dans le pays. La Constitution interdit à l'actuel chef de l'Etat Ivan Gasparovic, en poste depuis le 17 avril 2004 et qui a effectué deux mandats, de se représenter.
Le Premier ministre Robert Fico (Direction-Démocratie sociale, SMER-SD), homme fort du pays, a annoncé sa candidature le 18 décembre. Grand favori du scrutin, il pourrait cependant rencontrer des difficultés au 2e tour de scrutin s'il ne parvient pas à s'imposer dès le 1er tour.
Si aucun candidat ne recueille plus de 50% des suffrages le 15 mars, le 2e tour aura lieu le 29 mars.
La fonction présidentielle et les candidats
Le président de la République possède peu de pouvoirs. Elu pour 5 ans, il est le commandant en chef des forces armées ; il négocie et ratifie les accords internationaux, promulgue les lois et peut accorder des amnisties.
Tout candidat à la magistrature suprême doit obligatoirement recueillir au moins 15 000 signatures d'électeurs ou bien celles d'un minimum de 15 députés soutenant sa candidature.
14 personnes sont officiellement candidates :
– Robert Fico Direction-Démocratie sociale (SMER-SD), actuel Premier ministre de Slovaquie ;
– Pavol Hrusovsky, soutenu par le Mouvement chrétien-démocrate (KDH) - parti qu'il a dirigé de 2000 à 2009 –, l'Union démocratique et chrétienne-Parti démocratique (SDKU-DS) et Most-Hid (qui signifie " pont "), ancien président du Conseil national de la République (Narodna rada Slovenskej republiky), chambre unique du parlement ;
– Gyula Bardos, première personnalité issue de la minorité hongroise (10% de la population slovaque) à être candidate à ce poste ;
– Jan Carnogursky, indépendant, ancien Premier ministre de Slovaquie (1991-1992) et ex-dirigeant du Mouvement chrétien-démocrate (1990-2000) ;
– Milan Knazko, ancien ministre de la Culture et des Affaires étrangères. Il était également l'un des leaders de la révolution douce de 1989 qui a conduit à la chute du système communiste ;
– Andrej Kiska, philanthrope, fondateur de l'association L'Ange de la charité ;
– Radoslav Prochazka, ancien membre du Mouvement chrétien-démocrate, vice-président du Conseil national de la République, avocat et professeur d'université, créateur de la plateforme de réflexion Alfa ;
– Helena Mezenska (Parti des gens ordinaires et des personnalités indépendantes, OL'aNO) ;
– Viliam Fischer, chirurgien du cœur ;
– Milan Melnik, scientifique ;
– Jozef Behyl, indépendant, humanitaire ;
– Stanislav Martincko, soutenu par la Coalition des citoyens de Slovaquie ;
– Jozef Simko (Parti de la Slovaquie moderne, SMS), maire de Rimavska Sobota, ville située dans la région de Banska Bystrica ;
– Jan Jurista (Parti communiste, KSS), ancien ambassadeur.
Radoslav Prochazka s'est fixé pour priorités la remise en ordre des institutions, le remplacement des dirigeants de la Cour constitutionnelle et la mise en place d'une évaluation de l'action du gouvernement. " La Slovaquie a besoin d'un président fort qui peut prendre en compte les besoins et les intérêts du peuple " a-t-il déclaré. Il veut également faire déménager une partie de l'administration de la capitale Bratislava aux régions de Kosice et de Banska Bystrica.
Le philanthrope Andrej Kiska a affirmé que " la Slovaquie a besoin d'un président de la République indépendant et expérimenté et non pas d'avoir à sa tête un homme rassemblant tous les pouvoirs ", allusion au Premier ministre Robert Fico.
Pour Milan Knazko, en se présentant à la magistrature suprême, Robert Fico abandonne ses électeurs ; il choisit de " déserter son poste de Premier ministre parce qu'il n'a pas été capable d'honorer ses promesses " a t-il indiqué. Il a affirmé que, s'il est élu, il refuserait de signer toute loi qui aurait vocation à augmenter les impôts.
Le pari de Robert Fico
Le Premier ministre, qui a choisi pour slogan Pripraveny pre Slovensko (Prêts pour la Slovaquie), est soutenu par les 83 députés de son parti politique ainsi que par le président sortant Ivan Gasparovic. En se portant candidat à l'élection présidentielle, Robert Fico fait un véritable pari. En effet, s'il ne parvient à remporter le scrutin dès le 1er tour, il pourrait avoir des difficultés à s'imposer le 29 mars face à un adversaire qui pourrait réussir à rassembler sur son nom l'ensemble des opposants du chef du gouvernement.
Le dirigeant du Mouvement chrétien-démocrate, Jan Figel, a d'ailleurs déclaré que 2014 pourrait bien être une année de rupture pour Robert Fico. Il a rappelé que l'ancien Premier ministre (1993-1994 et 1994-1998) Vladimir Meciar (Mouvement pour une Slovaquie démocratique, HZDS) avait lui aussi tenté de se faire élire à la tête de l'Etat à deux reprises (1999 et 2004).
Trois raisons peuvent expliquer le désir du Premier ministre d'accéder à la magistrature suprême. Tout d'abord, Robert Fico apparaît comme le seul candidat possible pour son parti. Aucune autre personnalité ne semble en mesure de s'imposer à ce scrutin. Deuxième raison, le Premier ministre dépend du soutien du Conseil national de la République pour conserver son pouvoir. Il pourrait par conséquent perdre son poste lors des prochaines élections législatives prévues au printemps 2016. En accédant à la tête de l'Etat, il serait en revanche assuré de conserver le pouvoir durant les 5 années à venir.
Une victoire du chef du gouvernement à l'élection des 15 et 29 mars prochains entraînerait certainement une présidentialisation de la Slovaquie, pays où le chef de l'Etat dispose de peu de pouvoirs et ne possède pas le contrôle de l'agenda politique.
Robert Fico a sans doute observé avec attention le parcours de son voisin Milos Zeman (Parti des droits des citoyens, SPO), élu à la tête de la République tchèque le 26 janvier 2013. Premier chef de l'Etat tchèque à avoir été élu au suffrage universel direct, Milos Zeman dispose de pouvoirs plus larges que ses prédécesseurs. Il a montré à plusieurs reprises son désir d'influer sur la vie politique au point qu'on lui a pu lui reprocher son style autoritaire.
Le Premier ministre a indiqué qu'il ne démissionnerait pas de la tête du gouvernement avant le scrutin présidentiel. Il ne devrait pas manquer d'utiliser son pouvoir actuel durant la campagne électorale.
La candidature, et a fortiori la possible victoire, de Robert Fico pose la question de sa succession à la tête de son parti et du gouvernement. Plusieurs personnes sont pressenties pour le remplacer parmi lesquelles l'actuel président du Conseil de la République, Pavol Paska, le ministre de l'Intérieur, Robert Kalinak, et celui de la Culture, Marek Madaric.
Direction-Démocratie sociale gouverne la Slovaquie depuis le scrutin législatif du 10 mars 2012. Il a été le premier parti à remporter la majorité absolue aux élections législatives depuis l'indépendance du pays en 1993. L'Ouest et le Nord du pays constituent des bastions du parti du Premier ministre. Ce dernier se veut l'avocat du peuple et des Slovaques les plus défavorisés. Il est populaire pour sa politique sociale : il a en effet toujours refusé, y compris au plus fort de la crise économique, de réduire les pensions de retraite et les allocations sociales. En janvier 2013, il a en outre supprimé l'impôt à taux unique de 19% pour la TVA, l'impôt sur le revenu et l'impôt sur les sociétés et imposé aux entreprises un impôt de 23%. La Slovaquie a connu une croissance de 1% en 2013 et de 1,8% en 2012.
Beaucoup d'analystes et d'hommes politiques mettent en avant la menace que fait peser une victoire de Robert Fico sur l'équilibre des pouvoirs. Direction-Démocratie sociale contrôle le gouvernement mais aussi la grande majorité des régions (6 sur 8).
" Nous n'avons pas à nous excuser de notre victoire aux élections législatives du 10 mars 2012 " a déclaré le Premier ministre, qui a également affirmé que l'harmonie entre le président de la République, le parlement et le chef du gouvernement constitue la base de la stabilité du pays, stabilité qu'il souhaite incarner et renforcer. " Le chef de l'Etat doit unir le pays quand le Premier ministre a tendance à le diviser " a indiqué Robert Fico. Une collaboration entre le chef de l'Etat et le gouvernement, notamment en ce qui concerne la politique extérieure du pays (le Premier ministre souhaite ainsi représenter la Slovaquie au Conseil européen) est essentielle aux yeux de Robert Fico qui a souligné qu'aucun des 13 autres candidats ne semblait intéressé par un dialogue avec le gouvernement.
" Robert Fico transforme l'élection présidentielle en référendum sur la question suivante : Voulez-vous qu'une seule personne dirige la Slovaquie ? " a indiqué Matus Kostolny, rédacteur en chef du quotidien SME.
Selon les enquêtes d'opinion, la majorité des sympathisants de Direction-Démocratie sociale souhaitent que Robert Fico reste Premier ministre.
Une droite éclatée
La droite slovaque est extrêmement fragmentée, un éclatement que le politologue Miroslav Kusy, voit se poursuivre et s'accentuer. Elle n'est pas parvenue à tirer les leçons de sa défaite aux élections législatives de mars 2012. Elle a beaucoup souffert de l'affaire Gorilla, nom d'une opération des services de renseignements slovaques révélée en décembre 2011 par la publication de documents secrets et la mise en ligne sur Internet d'enregistrements de conversations des années 2005 et 2006 (époque où la droite était au pouvoir) et révélant les liens du monde de la politique avec celui des affaires.
Plus de deux ans plus tard, les partis de droite ne sont pas parvenus à améliorer leur image. Récemment, Lucia Zitnanska, ancienne vice-présidente de l'Union démocratique et chrétienne-Parti démocratique, Miroslav Beblavy et Magdalena Vasaryova ont quitté leur parti et fondé Créons la Slovaquie, une structure qu'ils qualifient de " projet politique ".
Jozef Kollar, Martin Chren et Juraj Droba ont quitté Liberté et solidarité avec deux anciens ministres du gouvernement d'Iveta Radicova (2010-2012) - Juraj Miskov et Daniel Krajcer - et rejoint le nouveau parti NOVA, créé par deux anciens membres du Mouvement chrétien-démocrate, Daniel Lipsic et Jana Zitnanska. 75 autres membres du parti de droite - dont près d'un tiers de ses autorités régionales - les ont rejoints.
Enfin, le Parti des gens ordinaires et des personnalités indépendantes a également perdu deux députés : Alojz Hlina et Maria Ritomska.
Toutefois, au-delà des forces de droite, c'est l'ensemble de la classe politique qui est affectée et dont l'image est écornée. Les Slovaques expriment une forte défiance envers leurs élites.
Le Mouvement chrétien-démocrate, l'Union démocratique et chrétienne-Parti démocratique et Most-Hid se sont alliées pour former la Plateforme populaire fondée sur le partage de valeurs issues du message du 17 novembre, qui célèbre la révolution douce (nezna revolucia) de 1989 qui a conduit à la chute du système communiste en Tchécoslovaquie. Ces 3 partis ont cependant échoué à désigner un candidat unique pour l'élection présidentielle.
Le Mouvement chrétien-démocrate et Most-Hid étaient favorables à une candidature de Pavol Hrusovsky mais l'Union démocratique et chrétienne-Parti démocratique a refusé cette proposition. Le parti dirigé par Pavol Freso soutenait la candidature de l'ancienne Premier ministre (2010-2012) Iveta Radicova alors même que celle-ci avait déclaré qu'elle ne souhaitait pas participer au scrutin. Selon les enquêtes d'opinion, l'ancienne Premier ministre était la seule personne en mesure de battre Robert Fico en mars prochain.
De son côté, Liberté et solidarité avait désigné le 11 juin 2013 son député Peter Osusky comme candidat à l'élection présidentielle avant que celui-ci ne renonce au début du mois de février.
3 candidats à l'élection présidentielle - Jan Carnogursky, Pavol Hrusovsky et Radoslav Prochazka - sont issus du Mouvement chrétien-démocrate. Ces deux derniers sont, avec Milan Knazko et Andrej Kiska, considérés comme les principaux challengers du Premier ministre Robert Fico.
Jan Baranek, politologue de l'agence Polis, a indiqué que les candidatures de Gyula Bardos et de Jan Carnogursky affaiblissaient Pavol Hrusovsky. Selon lui, une partie des sympathisants de Most-Hid vont voter pour le candidat de la minorité hongroise et de nombreux proches de l'Union démocratique et chrétienne-Parti démocratique feront de même en faveur de Jan Carnogursky. En outre, selon les enquêtes d'opinion, Pavol Hrusovsky recueillerait la moitié des suffrages des sympathisants du mouvement chrétien-démocrate alors que 90% des sympathisants de Direction-Démocratie sociale affirment qu'ils voteront le 15 mars en faveur de Robert Fico.
La dernière enquête d'opinion réalisée par l'institut Median pour la radio télévision RTVS crédite le Premier ministre Robert Fico de 38,8% des suffrages au 1er tour de l'élection présidentielle. Il est suivi par Andrej Kiska, qui recueillerait 18,6%, Milan Knazko, qui obtiendrait 12,9% et Radoslav Prochazka, 9,9%. Pavol Hrusovsky est crédité de 5,7%, Helena Mezenska de 5,6%, Gyula Bardos de 2,6%, Viliam Fischer de 2,1% et Jan Carnogursky de 1,8%. Les 4 autres candidats (Milan Melnik, Jozef Behyl, Jozef Simko et Jan Jurista) recueilleraient moins de 1% des voix.
Le chef du gouvernement est également l'homme politique que les Slovaques considèrent comme le plus sérieux et le plus digne de confiance : 34,7% expriment cette opinion dans un sondage réalisé par l'institut MVK.
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