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Victoire étriquée des sociaux-démocrates et percée des populistes aux élections législatives tchèques

Élections en Europe

Corinne Deloy

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28 octobre 2013
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Corinne Deloy

Chargée d'études au CERI (Sciences Po Paris), responsable de l'Observatoire des élections en Europe à la Fondation Robert Schuman

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La scène politique tchèque ressort bouleversée des résultats des élections législatives les 25 et 26 octobre. Le Parti social-démocrate (CSSD) dirigé par l'ancien ministre des Finances (2002-2006) Bohuslav Sobotka est certes arrivé en tête du scrutin mais avec seulement 20,45% des suffrages et 50 sièges (-6 par rapport aux élections législatives des 28-29 mai 2010). ANO 2011, mouvement de l'homme d'affaires Andrej Babis, a réussi une percée exceptionnelle en obtenant 18,65% des voix et 47 sièges. Le Parti communiste de Bohème et Moravie (KSCM) dirigé par Vojtech Filip est arrivé en 3e position avec 14,91% des suffrages et 33 sièges (+7). Tradition, responsabilité, prospérité 09 (Top 09), parti de centre-droit présidé par l'ancien ministre des Affaires étrangères (2010-2013), Karel Schwarzenberg, a obtenu 11,99% et 26 sièges, (-15), le Parti démocrate-civique (ODS), dirigé par Martin Kuba, 7,72% et 16 sièges, (-37), Usvit (Aube de la démocratie directe) du sénateur Tomio Okamura 6,88% et 14 sièges, enfin l'Union chrétienne-démocrate-Parti du peuple (KDU-CSL) de Pavel Belobradek revient au Parlement après trois ans d'absence avec 6,78% et 14 sièges.

Si TOP 09 est parvenue à s'imposer comme le premier parti de droite du pays, les forces de droite se sont écroulées lors de ce scrutin, recueillant un peu plus d'un quart des suffrages (26,49%), soit -14,8 points par rapport à mai 2010.

Le Parti des droits des citoyens (SPOZ), du président de la République Milos Zeman, a recueilli 1,51% des suffrages, soit en dessous de 5% des voix indispensables pour entrer au parlement. Le chef de l'Etat sort donc affaibli des élections législatives où au total, 4 électeurs sur 10 (40,44%) ont choisi d'accorder leur voix à des partis populistes.

La participation s'est élevée à 59,48%, soit -5 points par rapport au scrutin législatif des 28-29 mai 2010.

Le scrutin législatif avait été anticipé après l'autodissolution le 20 août dernier de la Chambre des députés, une première depuis l'indépendance de la République tchèque en 1993. Celle-ci faisait suite à l'échec du gouvernement de Jiri Rusnok d'obtenir la confiance du parlement et, précédemment, à la chute, le 10 juillet, de la coalition gouvernementale dirigée par Petr Necas (ODS) qui rassemblait également TOP 09 et les Libéraux-démocrates (LIDEM)

Source : http://www.volby.cz/pls/ps2013/ps?xjazyk=CZ

Jacques Rupnik, directeur de recherche au CERI Sciences Po, qualifie la démocratie tchèque de "démocratie épuisée", ajoutant "Le système politique et les partis se désintègrent en raison de l'absence de contenu de la politique et du dégoût de la population face aux liens incestueux entre les hommes politiques et le monde des affaires, entre les partis et l'Etat".

"Je crois que l'ODS attendait de meilleurs résultats. C'est la variante la plus pessimiste qui a prévalu. Et il est difficile de justifier ce résultat par certains échecs ou certaines défaites. Le parti est en train de vivre une débâcle capitale à ce moment même" a déclaré Martin Kuba.

Le Parti social-démocrate et le Parti communiste n'ont obtenu que 83 des 200 sièges de la Chambre des députés, soit au-dessous du minimum requis pour que les projets de Bohuslav Sobotka se concrétisent. "Comme le Parti social-démocrate ne peut pas former de coalition avec le Parti communiste, il sera obligé de se mettre d'accord avec Ano 2011 (ensemble, les deux partis disposent de 97 sièges)" a indiqué Josef Mlejnek, politologue et journaliste, précisant "La variante la plus probable est une coalition rassemblant le CSSD et le KDU-CSL, avec un soutien d'ANO 2011". Ensemble, les 3 partis disposent de 111 députés.

"Une éventuelle coalition du CSSD avec Ano 2011, qui est très critique à l'adresse des partis traditionnels, serait hautement instable" a souligné Jiri Pehe, directeur de l'université de New York à Prague. Pavel Saradin, politologue à l'université d'Olomuc, a indiqué que si ANO entrait au gouvernement, "celui-ci ne tiendrait pas jusqu'au bout de son mandat de 4 ans". "Aucun gouvernement ne sera possible sans un soutien, actif ou passif, d'Ano 2011" a souligné Tomas Lebeda, politologue à l'université Charles de Prague,

Le CSSD a exclu toute alliance gouvernementale avec TOP 09 ou avec l'ODS.

"Nous n'allons pas répéter l'erreur de 2010 (le parti était arrivé en tête du scrutin sans pouvoir constituer une coalition gouvernementale) où des changements de personnes au sein de la direction ont conduit à ce que les partis qui n'avaient pas gagné les élections se mettent d'accord pour former un gouvernement, sans le CSSD. Je suppose que le CSSD sera le parti politique le plus fort, et au sein du nouveau gouvernement, il devrait avoir le plus d'influence. Dans le cas où il resterait dans l'opposition, un congrès exceptionnel du parti devrait être organisé et une nouvelle direction pourrait être élue" a déclaré Bohuslav Sobotka.

"Nous ne voulons pas entrer au gouvernement, nous voulons essentiellement faire voter de nouvelles lois par le parlement" a répété Andrej Babis, dirigeant d'ANO, qui s'est félicité "d'avoir empêché la possibilité d'un retour de la gauche au pouvoir", ajoutant "C'est incroyable le nombre de personnes qui ont voté pour nous. Nous n'avions jamais espéré un résultat aussi important". "Je n'arrive pas à imaginer une coopération avec le CSSD, vu son programme. Nous avons besoin de la stabilité, d'impôts peu élevés et de la confiance des investisseurs étrangers" a t-il déclaré, écartant toute collaboration avec TOP 09 et avec l'ODS, synonymes pour lui "de corruption et de gabegie".

Ano 2011 a été créé le 11 mai 2012 par Andrej Babis à partir de l'Association d'action des citoyens mécontents. L'homme, propriétaire du groupe Agrofert, n°1 de l'industrie agroalimentaire et n°2 de l'industrie chimique, ainsi que de Mafra qui est le plus grand groupe de presse tchèque (Mlada fronta Dnes, Lidove noviny, Metro, etc.), possède une fortune évaluée à 1,5 milliard € (Andrejs Babis a été classé 736e fortune mondiale par le magazine américain Forbes en 2013). Le parti promet la réduction du chômage (qui touche 7,3% de la population active), un strict contrôle de la classe politique et la lutte contre la corruption, sans toutefois préciser les moyens qu'il mettrait en place pour parvenir à remplir ses objectifs. Andrejs Babis, qui par de nombreux côtés, rappelle l'ancien président du Conseil italien Silvio Berlusconi (il estime d'ailleurs que "seuls ceux qui ont réussi dans la vie devraient pouvoir faire de la politique" et affirme vouloir "diriger le pays comme une entreprise"), a un discours populiste, s'attaquant aux politiques "qui ne se préoccupent que d'eus-mêmes" et qu'il accuse de ne pas travailler. Il estime que la République tchèque "a besoin d'un changement fondamental et également d'un changement de système" car le pays vit dans une "pseudo-démocratie".

L'issue des négociations en vue de former le prochain gouvernement dépendra du président de la République Milos Zeman. Le chef de l'Etat avait déclaré durant la campagne électorale qu'il nommerait un représentant du parti arrivé en tête au poste de Premier ministre, mais pas forcément le dirigeant de ce parti. Les relations entre Milos Zeman et Bohuslav Sobotka sont tendues depuis une dizaine d'années. En 2003, l'actuel dirigeant du CSSD s'était, avec d'autres, opposé à la candidature de Milos Zeman au poste de président de la République. "Il est pratiquement acquis que le chef de l'Etat essaiera de nommer une personnalité plus à son goût au poste de Premier ministre" a indiqué Jiri Pehe. Celle-ci pourrait être Michal Hasek, battu de peu par Bohuslav Sobotka lors de la désignation du dirigeant du parti les 15 et 16 mars derniers. "Je veux combler le fossé entre Milos Zeman et le CSSD. Notre pays a besoin d'un gouvernement de gauche qui ne fera pas la guerre à un président de gauche pour de stupides questions d'ego" a indiqué Michal Hasek.

Les élections législatives anticipées des 25 et 26 octobre ont donc échoué à résoudre la crise politique que traverse la République tchèque depuis plusieurs mois. "La République tchèque n'échappera pas à de nouvelles élections anticipées, d'ici un ou deux ans" a affirmé Karel Schwarzenberg, dirigeant de TOP 09. "Je crains qu'un nouveau scrutin législatif anticipé ne nous attende car il sera particulièrement difficile de former une coalition raisonnable dans ce parlement à sept partis" a souligné Miroslava Nemcova (ODS), ancienne présidente de la Chambre des députés.

Le président de la République Milos Zeman a qualifié l'organisation de nouvelles élections législatives de "pire solution". "Tous les hommes politiques, y compris moi-même, doivent assumer leurs responsabilités et agir en faveur de la mise en place d'un gouvernement stable" a-t-il indiqué au lendemain du scrutin. Il a précisé qu'il nommerait le futur Premier ministre après la première séance du Parlement qui aura lieu le 25 novembre prochain.

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