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Le triomphe d'Angela Merkel

Élections en Europe

Corinne Deloy

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23 septembre 2013
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Corinne Deloy

Chargée d'études au CERI (Sciences Po Paris), responsable de l'Observatoire des élections en Europe à la Fondation Robert Schuman

Le triomphe d'Angela Merkel

PDF | 167 koEn français

"Merkel mächtig wie nie" ("Merkel plus puissante que jamais" titre le quotidien Bild Zeitung. "Plus de 40%. Ce n'est plus une victoire électorale. C'est une démonstration de pouvoir. Le pouvoir a un nom : Angela Merkel" peut-on lire à la une du journal Die Zeit. "L'Allemagne est définitivement le pays d'Angela Merkel" écrit encore l'hebdomadaire Der Spiegel. Unie à l'Union chrétienne-sociale (CSU) de Horst Seehofer, le parti de la chancelière sortante, l'Union chrétienne-démocrate (CDU), au pouvoir depuis 2005, a en effet obtenu aux élections du 22 septembre un résultat qui a dépassé toutes les espérances de ses partisans (41,5% des suffrages et 311 sièges, soit 117 de plus que lors du précédent scrutin du 22 septembre 2009), s'offrant une victoire plus large que celle que lui prédisaient les enquêtes d'opinion préélectorales les plus optimistes.

Angela Merkel, qui flirte même avec la majorité absolue des voix, devient ainsi la troisième chancelière allemande à remporter trois mandats à la tête du gouvernement après Konrad Adenauer (1949-1963) et Helmut Kohl (1982-1998).

Son principal rival, le Parti social-démocrate (SPD), dirigé par Sigmar Gabriel mais emmené pour ce scrutin par l'ancien ministre des Finances (2005-2009), Peer Steinbrück, n'a pas, contrairement à ce qui était attendu, profité de la hausse de la participation. Il a recueilli 25,7% des suffrages et 192 élus (+ 46), soit au-dessous de 30% qu'il s'était fixé comme objectif. Il s'agit de son deuxième plus faible résultat depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale après 23% obtenus lors des précédentes élections de 2009.

Le Parti libéral démocrate (FDP) de Philipp Rösler, partenaire de l'Union chrétienne-démocrate dans le gouvernement sortant, a été évincé du Bundestag. Il a obtenu 4,8% des voix, soit moins que 5% de suffrages obligatoires pour entrer à la chambre basse du Parlement. Pour la première fois de son histoire, il ne participera pas au gouvernement.

Le Parti de gauche (Die Linke), d'extrême gauche dirigé par Katja Kipping et Bernd Riexinger, est arrivé en troisième position mais a néanmoins enregistré un recul en obtenant 8,6% des suffrages et 64 députés (+ 18). "Qui aurait cru en 1990 que ce parti serait la troisième force politique du pays ?" s'est réjoui Gregor Gysi. Le Parti de gauche a devancé les écologistes de Jürgen Trittin et Claudia Roth, en nette baisse, qui ont recueilli 8,4% des voix et 63 sièges (- 5).

L'Alternative pour l'Allemagne (AfD), récemment créée par Bernd Lucke, a créé la surprise en recueillant 4,7% des suffrages, trop peu néanmoins pour entrer au Bundestag.

La participation a été très légèrement plus élevée que lors des précédentes élections du 22 septembre 2009 (+ 0,7 point) et s'est établie à 71,5%. Un quart des Allemands ont voté par correspondance, soit un record dans l'histoire du pays. Il y a 4 ans, un cinquième des électeurs avaient choisi de voter de cette façon (21%).

Source : http://www.bundeswahlleiter.de/de/bundestagswahlen/BTW_BUND_13/ergebnisse/bundesergebnisse

"Nous pouvons être très contents car le résultat est formidable. Nous avons montré ce que nous étions capables de faire. Ensemble, nous allons tout faire pour que les 4 années qui viennent soient 4 nouvelles années de succès pour l'Allemagne" a déclaré la chancelière sortante à l'annonce des résultats.

Angela Merkel a fait une excellente campagne électorale. Elle a certes mis en avant son bilan à la tête de l'Allemagne mais a surtout excellé à reprendre à son compte les thématiques et les propositions d'une opposition sociale-démocrate qui n'a jamais su proposer de réelle proposition alternative à son programme ou su convaincre qu'elle pourrait mettre mieux gérer la crise actuelle qu'Angela Merkel.

La chancelière sortante a su à la perfection jouer de son image de femme de consensus humble, travailleuse et pragmatique qui rassure tant ses compatriotes. "Stabilité", "sécurité", "continuité" pouvait-on lire sur les affiches de campagne de la CDU sur lesquelles s'affichait le visage d'Angela Merkel.

"Les Allemands ne savent pas ce qu'elle veut, mais leur confiance en elle est inébranlable et si le bateau tangue, elle est la seule qu'ils veulent à la barre" affirme Gerd Langguth, auteur d'une biographie de la chancelière sortante.

A l'inverse, la campagne électorale du SPD a été catastrophique. Candidat représentant l'aile droite du parti et choisi en raison de ses compétences économiques, inaudible lorsqu'il proposait des mesures très à gauche qu'il avait combattues précédemment, Peer Steinbrück a multiplié les gaffes.

Mais Peer Steinbrück n'est pas le seul à porter la responsabilité de la défaite du SPD. Son parti est loin de l'avoir toujours soutenu et a affiché de nombreuses dissensions internes durant la campagne. Peer Steinbrück avait d'ailleurs appelé, dans l'hebdomadaire Der Spiegel, "tout le monde, y compris le président du parti, à se rassembler d'une manière loyale et constructive" derrière lui. Il n'est pas parvenu à sortir du piège que lui a tendu la chancelière sortante : comment en effet faire entendre sa différence et exposer un programme alternatif sans critiquer la populaire Angela Merkel ? Le SPD s'est montré également incapable de gérer l'héritage des réformes de l'Agenda 2010 mises en place par le chancelier Gerhard Schröder (1998-2005 (SPD), celles-ci ayant été mal acceptées par une partie importante de ses électeurs reprochant à la gauche d'avoir contribué à créer (et de tolérer) un capitalisme financier.

Enfin, d'un strict point de vue personnel, Peer Steinbrück a décidément peu de chance avec le vote populaire. En mai 2005, il avait perdu les élections du Land de Rhénanie du nord-Westphalie, une défaite qui avait conduit le chancelier de l'époque Gerhard Schröder à organiser des élections légilsatives anticipées qui avaient porté Angela Merkel au pouvoir. Aux élections du 22 septembre 2009, Peer Steinbrück a de nouveau été battu dans sa circonscription de Mettmann-I (district de Düsseldorf, Rhénanie du nord-Westphalie) et n'a dû son entrée au Bundestag qu'au système électoral allemand. Le 22 septembre, il a une fois encore été devancé dans cette circonscription par sa rivale chrétienne-démocrate Michaela Noll, qui a recueilli 50,5% des suffrages pour 33,3% au candidat social-démocrate.

Mais le SPD n'est pas le seul à faire face à une défaite. Les écologistes ont enregistré un net recul. Ils ont été pris dans le piège de la chancelière sortante qui après l'accident de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi au Japon, consécutif au tremblement de terre et au tsunami du 11 mars 2011, avait annoncé sa décision de sortir du nucléaire civil en 2022, privant ainsi les Verts de l'un de leurs principaux chevaux de bataille électoraux. Durant cette campagne électorale, les écologistes ont négligé les questions environnementales pour se positionner sur les thèmes socioéconomiques. "Les Verts ont fait une erreur stratégique en choisissant la justice sociale comme sujet central de leur campagne électorale" analysait Manfred Güllner de l'institut d'opinion Forsa. Les urnes lui ont donné raison.

Enfin, l'enquête sur la tolérance du mouvement à l'égard de la pédophilie demandée par le parti vert au chercheur Franz Walter n'a certainement pas contribué à aider le parti en fin de campagne. Le chercheur avait indiqué dans un article du Tageszeitung que le dirigeant écologiste Jürgen Trittin avait signé la plate-forme de la liste Initiatives alternatives et vertes, qui revendiquait la dépénalisation des actes sexuels entre enfants et adultes lorsque ceux-ci étaient non violents (ou sans menace de violence) en 1981 alors qu'il était candidat au conseil municipal de la ville de Göttingen.

"Si le Parti libéral-démocrate ne devait pas entrer au Bundestag, je le déplorerais" avait déclaré Angela Merkel durant la campagne électorale. La chancelière sortante ne pourra donc pas reconduire sa précédente coalition gouvernementale et a désormais le choix entre deux mouvements : former une grande coalition avec le SPD ou bien une alliance avec les Verts. La première option semble la plus probable.

Il n'est pas certain qu'Angela Merkel le déplore. "Si la chancelière finit avec une majorité absolue, ce sera une majorité très étroite et ce ne sera pas plus facile pour elle" indiquait ainsi Carsten Koschmieder, politologue de l'université libre de Berlin. "Je suis persuadé que, secrètement, elle espère ne pas avoir obtenu la majorité absolue" soulignait son homologue Frank Decker de l'université de Bonn.

S'il entre au gouvernement, le SPD disposera d'une faible marge de manœuvre face à celle qui sait si bien gérer le pouvoir sans le partager vraiment. La CDU pourrait néanmoins accepter quelques inflexions dans sa politique, notamment au niveau fiscal.

Selon la dernière enquête d'opinion réalisée par l'institut Infratest pour la chaîne de télévision ARD, 57% des personnes interrogées déclarent souhaiter la formation d'une grande coalition entre les deux principaux partis politiques du pays. Les Allemands, très attachés au consensus, voient en effet la coopération entre les partis comme la configuration optimale pour diriger la République fédérale.

"La balle est dans le camp d'Angela Merkel, c'est elle qui doit former sa majorité" a déclaré Peer Steinbrück. En 2005, les négociations entre la CDU et le SPD pour la formation d'un gouvernement avaient duré 5 semaines.

Agée de 59 ans, Angela Merkel est née à Hambourg avant que sa famille ne quitte la ville pour s'installer en ex-République démocratique allemande (RDA). Diplômée de physique-chimie de l'université Karl-Marx de Leipzig, elle a travaillé à l'Institut central de physique-chimie de Berlin-Est jusqu'en 1990, année où elle est devenue porte-parole adjoint du dernier gouvernement de la RDA dirigé par Lothar de Maizière (CDU). Cette même année, elle adhère à la CDU après la fusion de l'Eveil démocratique (DA), mouvement qu'elle a rejoint en décembre 1989, avec ce parti. Elle est élue une première fois députée en décembre 1990 et nommée l'année suivante ministre de la Famille, des Personnes âgées, des Femmes et de la Jeunesse dans le gouvernement dirigé par le chancelier Helmut Kohl (CDU), qui lui donne alors son surnom de "gamine" (Das Mädchen). Elue présidente de la CDU du Land de Mecklembourg-Poméranie occidentale en 1993, un poste qu'elle occupera jusqu'en 2000, Angela Merkel est nommée l'année suivante ministre de l'Environnement, de la Protection de la nature et de la Sécurité nucléaire. En 2000, elle prend la tête de son parti, un poste auquel elle a depuis été sans cesse réélue (la dernière fois le 4 décembre 2012 avec 97,94% des suffrages, soit son résultat le plus élevé depuis 12 ans). Après les élections du 22 septembre 2002 remportées par le SPD, Angela Merkel prend la tête de l'opposition en devenant la présidente du groupe parlementaire de la CDU au Bundestag. Trois ans plus tard, elle devient la première femme, la première protestante et la première citoyenne de l'ex-République démocratique allemande à accéder au poste de chancelier. Elle est cependant contrainte de diriger une grande coalition regroupant la CDU et le SPD. Elle conduit la CDU à la victoire aux élections du 22 septembre 2009 et conserve donc la tête du gouvernement, qu'elle dirige cette fois en alliance avec le FDP.

Celle que les Allemands surnomment désormais Mutti (Maman), désignée cette année encore femme la plus puissante du monde pour la 3D fois consécutive (et la 8e fois en 10 ans par le magazine américain Forbes), a donc réussi le 22 septembre l'exploit de remporter ses 3e élections tout en permettant delà CDU de recueillir son résultat le plus élevé depuis 23 ans.

Depuis la fin de la SEconde Guerre mondiale, l'Allemagne a connu seulement 8 chanceliers. La reconduction à son poste d'Angela Merkel après 8 ans à la tête du pays confirme la stabilité de la République fédérale.

Celle-ci devrait perdurer dans les 4 années à venir quel que soit le gouvernement et ce en Allemagne comme dans les relations de Berlin avec ses partenaires européens. "Je ne crois pas qu'il y ait une grosse différence quelle que soit la coalition formée. Nous aurons la même politique européenne qu'avant, mettant en avant le message: nous voulons que les pays mettent en oeuvre les réformes nécessaires" analyse Marcel Fratzscher, président de l'Institut allemand de recherche économique (DIW).

Transition énergétique, renouveau des infrastructures, lutte contre le déclin démographique, développement des investissements, voici quelques uns des défis qui attendent Angela Merkel pour son 3e mandat à la tête de l'Allemagne.

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