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Corinne Deloy,
Fondation Robert Schuman
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Corinne Deloy
Fondation Robert Schuman
Milos Zeman, ancien Premier ministre social-démocrate (1998-2002), président d'honneur du Parti des droits des citoyens (SPO) qu'il a créé en 2010, a été élu le 26 janvier président de la République tchèque avec 54,8% des suffrages dans la première élection présidentielle organisée au suffrage universel direct dans le pays. Il a devancé le ministre des Affaires étrangères, Karel Schwarzenberg (Tradition, responsabilité, prospérité 09, TOP 09), qui a recueilli 45,19% des voix.
Milos Zeman a rassemblé les voix des sympathisants de gauche et bénéficié d'un fort soutien parmi les électeurs de province tandis que Karel Schwarzenberg s'est imposé à Prague et dans plusieurs grandes villes du pays (Brno, Plzen, Liberec, Ceske Budejovice, Hradec Kralove, Karlovy Vary et Zlin). L'ancien Premier ministre n'avait pourtant pas reçu l'appui du candidat officiel du plus grand parti de gauche, le Parti social-démocrate (CSSD), Jirí Dienstbier (16,12% des suffrages au 1er tour), qui avait refusé de donner une consigne de vote pour le 2e tour, qualifiant les deux candidats de "fondamentalement de droite" et accusant Milos Zeman de liens avec la mafia. Le leader du Parti social-démocrate, Bohuslav Sobotka, s'est néanmoins réjoui de la victoire de ce dernier. L'ancien Premier ministre avait sollicité l'appui du Parti communiste de Bohème et Moravie (KSCM) entre les deux tours de scrutin et reçu le soutien du président sortant Vaclav Klaus qui avait expliqué qu'il souhaitait que le chef de l'Etat soit un citoyen ayant vécu toute sa vie sur le sol tchèque "dans les bons et les mauvais moments". La famille de Karel Schwarzenberg a fui le régime communiste instauré dans l'ex-Tchécoslovaquie en 1948 ; le ministre des Affaires étrangères a donc vécu 41 années d'exil, notamment en Autriche, en Allemagne et en Suisse, avant de retrouver son pays.
Le taux de participation s'est élevé à 59,11%, soit - 2,2 points par rapport à celui enregistré lors du 1er tour. Les Tchèques de l'étranger se sont davantage mobilisés qu'il y a deux semaines.
Une campagne électorale agressive
Karel Schwarzenberg a très vite concédé sa défaite mais il a aussi déploré le déroulement de la campagne électorale, accusant son adversaire de mensonges, notamment lorsque Milos Zeman a affirmé voir en lui un défenseur de la cause des 3 millions d'Allemands des Sudètes expulsés de la République tchèque après la Deuxième Guerre mondiale. "L'écart de dix points est le produit de ce type de campagne, il est impossible de se défendre contre le dénigrement" a déclaré Karel Schwarzenberg.
Les décrets Benes, du nom de leur signataire, l'ancien président tchécoslovaque Edvard Benes qui, de 1938 à 1945, a dirigé le gouvernement tchécoslovaque en exil (il démissionnera en 1948 à la suite du coup d'Etat communiste), ont fait irruption dans la campagne électorale. Ces 4 documents - sur l'administration nationale des biens des Allemands, Hongrois et traîtres (19 mai), la punition des criminels nazis et collaborateurs (19 juin), la privation des Allemands et des Hongrois de la citoyenneté tchécoslovaque (2 août) et la confiscation des biens ennemis (25 octobre) - datent de 1945. Ils ont conduit à l'expulsion et à la dépossession de leurs biens environ 3 millions d'Allemands et 100 000 Hongrois vivant dans les Sudètes à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Si les décrets Benes n'ont plus aucune force juridique, ils continuent cependant de faire partie de la législation tchèque.
Au cours de l'un des deux débats télévisés qui l'ont opposé à Milos Zeman entre les deux tours, Karel Schwarzenberg a affirmé qu'une expulsion telle que celle des Allemands des Sudètes serait condamnée comme une violation grossière des droits de l'Homme et que le gouvernement de l'époque et le président Benes seraient convoqués à La Haye (siège de la Cour internationale de justice). Le quotidien Blesk a publié une publicité, commandée par un ancien officier de la Sécurité d'État tchécoslovaque (StB), ancienne police politique communiste, qui accusait le ministre des Affaires étrangères d'être favorable aux Allemands des Sudètes. "C'est un mensonge! Une saleté!" s'est indigné Karel Schwarzenberg qui a nié vouloir envisager l'examen de demandes de restitution de biens saisis à cette époque.
Le Premier ministre Petr Necas (Parti démocrate-civique, ODS) a parlé de "campagne hystérique qui a divisé la société". Cette polémique, destinée à mettre en doute le patriotisme de Karel Schwarzenberg, a sans doute moins pesé que ne le souhaitaient ses incitateurs dans le résultat de l'élection, les électeurs tchèques étant préoccupés par d'autres sujets, notamment les questions socioéconomiques. Karel Schwarzenberg a ainsi certainement davantage pâti de sa participation au gouvernement de Petr Necas, très impopulaire en raison de sa politique d'austérité "Cela ne m'a définitivement pas aidé" a-t-il admis
L'élection de Milos Zeman marque la fin du règne eurosceptique de Vaclav Klaus. Le nouveau chef de l'Etat se qualifie d'"eurofédéraliste" ; il est favorable à un "raffermissement des structures de l'Union européenne incluant une politique économique commune et une armée européenne". "Milos Zeman sera un président de la République pro-européen. Il n'est certes pas un euro-enthousiaste sans réserve, mais son approche à l'égard de l'Union européenne sera sûrement beaucoup plus rationnelle que celle de Vaclav Klaus" a indiqué Tomas Lebeda, politologue à l'université Charles de Prague. Le nouveau chef de l'Etat a indiqué qu'il hisserait le drapeau européen au Château de Prague, résidence des présidents tchèques, ce que son prédécesseur avait refusé de faire. Si Milos Zeman devrait rapprocher Prague de ses partenaires européens, le nouveau président pourrait également faire de même avec la Russie avec laquelle il entretient des relations étroites.
Cohabitation à la tête de l'Etat
La République tchèque a donc désormais un gouvernement de droite et un président de de gauche. Avant l'élection, il avait souligné le fait qu'un chef d'Etat élu au suffrage direct "bénéficiait d'un mandat plus fort pour critiquer ce gouvernement impopulaire". Durant sa campagne électorale, il avait désapprouvé l'action du Premier ministre Petr Necas, notamment sa réforme des impôts et des retraites et la restitution des biens de l'Eglise confisqués par l'ancien régime communiste.
"Un président de gauche doit être logiquement un opposant d'un gouvernement de droite" a indiqué Milos Zeman dès l'annonce de sa victoire. De fait, il a immédiatement affirmé son souhait de voir organisées des élections anticipées. "Comme le gouvernement n'est maintenu au pouvoir que grâce à un parti qui n'est pas issu des élections libres et qui est formé uniquement de transfuges, il serait souhaitable d'organiser des élections anticipées" a-t-il souligné. Le gouvernement de Petr Necas rassemble le Parti démocrate-civique (ODS), les Libéraux-démocrates (LIDEM), issus de la scission du parti Affaires publiques (VV) qui faisait initialement partie de la coalition gouvernementale, et TOP 09. Le Premier ministre a perdu sa majorité à la Chambre basse et survécu à 5 motions de censure, dont la dernière le 17 janvier dernier.
"La situation du gouvernement va se compliquer encore davantage. Ce sera comme un tir à la corde" assure Tomas Lebeda, qui ajoute "Milos Zeman est un joueur fort. Comme il a été élu au suffrage universel direct, il voudra imposer son autorité sur la scène politique". "Je n'ai aucun doute que Milos Zeman respectera l'ordre constitutionnel" a affirmé Petr Necas, faisant allusion aux pouvoirs restreints du chef de l'Etat tchèque. Ce dernier a cependant indiqué qu'il serait un "visiteur régulier et bruyant" des réunions du gouvernement.
Qui est le nouveau président de la République tchèque ?
Agé de 68 ans, Milos Zeman est économiste de formation. Il a adhéré au Parti communiste de Tchécoslovaquie (KSC) en 1968 avant d'en être exclu deux ans plus tard. En 1992, il devient membre du Parti social-démocrate dont il prend la tête l'année suivante. En 1996, il est désigné président de la Chambre des députés. Nommé Premier ministre en 1998, il signe un pacte appelé "accord pour la création d'un environnement politique stable en République tchèque" avec le Parti démocrate-civique (ODS) à l'époque conduit par Vaclav Klaus. Aux termes de cet accord, ce dernier parti s'engage à ne pas déposer de motion de censure contre le gouvernement social-démocrate de Milos Zeman pendant toute la durée de la législature. En contrepartie, l'ODS est consulté avant le vote de tout projet d'importance et obtient pour ses membres l'accès à des postes stratégiques dans différentes institutions (la présidence de la Chambre des députés reviendra ainsi à Vaclav Klaus).
En 2003, Milos Zeman est candidat pour la première fois à l'élection présidentielle. Il échoue. Vaclav Klaus sera finalement élu à la tête de l'Etat. Il choisit alors de se mettre en retrait de la vie politique. Il revient toutefois sur le devant de la scène sept ans plus tard et fonde en 2010 le Parti des droits des citoyens (SPO) qui, avec 4,33% des voix, échoue cependant à entrer au parlement lors des élections législatives des 28 et 29 mai 2010 (un minimum de 5% des suffrages exprimés est obligatoire pour être représenté). Milos Zeman démissionne alors de la direction du parti dont il a été élu en novembre dernier président d'honneur.
Le nouveau chef de l'Etat prêtera serment le 8 mars au Château de Prague devant les membres des deux Chambres du parlement (les 200 membres de la Chambre des députés et les 81 membres du Sénat) dans la salle Venceslas. Il a annoncé que son premier déplacement l'étranger le conduirait en Slovaquie.
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