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Corinne Deloy,
Fondation Robert Schuman
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ENCorinne Deloy
Fondation Robert Schuman
Le 9 décembre dernier, la Croatie signait à Bruxelles son traité d'adhésion à l'Union européenne. Jadranka Kosor (Union démocratique, HDZ), Premier ministre de l'époque, dédiait ce jour aux vétérans de la guerre d'indépendance de la Croatie (1991-1995) et à leurs familles. "Sans eux, la Croatie libre n'existerait pas et il n'y aurait pas eu de négociations sur le traité d'adhésion". Le 23 décembre, le Hrvatski Sabor, chambre unique du parlement, approuvait par 124 voix contre 12 l'organisation d'un référendum sur l'adhésion du pays à l'Union européenne le 22 janvier.
La campagne électorale pour le référendum a débuté le 3 janvier. 2 millions de brochures ont été distribuées, une ligne de téléphone (0800 622 622) a été ouverte pour permettre aux électeurs d'obtenir des informations. Le ministère des Affaires étrangères et européennes a ouvert un site internet dédié au référendum www.eu-referendum.hr, créé des comptes Facebook www.facebook.com/eureferendum.hr et Twitter www.twitter.com/eureferendumhr ainsi qu'une chaîne Youtube www.youtube.com/mveprh. 17 télévisions locales et 80 stations de radios sont engagées dans la campagne électorale.
Environ 4,2 millions de Croates devront répondre par "oui" ou par "non" à la question suivante: "Acceptez-vous que la Croatie devienne un membre de l'Union européenne ?".
Le désir d'Europe des Croates est ancien. Il s'est exprimé dès le début de la guerre d'indépendance en 1991. Selon le politologue Zarko Puhovski, il s'explique en partie par le fait que "les Croates n'ont jamais accepté leur part d'identité balkanique". Le processus d'adhésion du pays à l'Union européenne a été long, complexe et plus difficile en raison des précédents écueils de l'entrée de la Roumanie et de la Bulgarie. Bruxelles a obligé les autorités croates à une collaboration pleine et entière avec le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie de La Haye (TPIY) et exigé des résultats dans la lutte contre la corruption et le crime organisé, deux fléaux importants en Croatie. Le jour même où Zagreb signait son traité d'adhésion le 9 décembre, le Bureau pour la lutte contre le crime organisé (USKOK) inculpait l'Union démocratique (HDZ), parti de l'ancienne Premier ministre (2009-2011) Jadranka Kosor, d'avoir détourné 10 millions €. De même, le 3 novembre dernier s'est ouvert à Zagreb le procès de l'ancien Premier ministre (2003-2009) Ivo Sanader (HDZ), qui comparaît pour 6 chefs d'accusation dont la corruption, le financement illégal et l'abus de pouvoir et qui encourt une peine maximale de 10 années d'emprisonnement.
Si la crise économique internationale a quelque peu terni l'enthousiasme des Croates, le rêve européen de ces derniers reste fort. La nouvelle ministre des Affaires étrangères, Vesna Pusic (Parti social-démocrate, SDP), a déclaré que la Croatie recevra de Bruxelles 200 millions € pour s'adapter aux normes européennes ainsi que 449 millions € du Fonds de cohésion durant la première moitié de 2013 (et plus d'un milliard € l'année suivante). Au total, Zagreb percevra 3,5 milliards € de fonds européens entre 2013 et 2015. "Les gens se trompent s'ils pensent que l'appartenance à l'Union européenne va résoudre tous nos problèmes. Celle-ci représente une grande opportunité mais notre succès ne dépendra que de nous" a averti le président de la République, Ivo Josipovic. "Certains voient Bruxelles comme un enfer et veulent s'y opposer, d'autres attendent trop de choses de l'adhésion" a indiqué le chef de l'Etat. Il estime que "les avantages que Zagreb retirera de l'adhésion seront considérables" et que "le refus des Croates serait irresponsable, notamment pour les générations à venir". Il espère que le "oui" recueillera 60% de suffrages le 22 janvier de façon à donner au gouvernement et au parlement la légitimité pour mener à bien les réformes nécessaires.
Le chef de la délégation de l'Union européenne en Croatie, Paul Vandoren, a rappelé que les chapitres 8 (politique de concurrence), 23 (droits fondamentaux) et 24 (justice, libertés et sécurité) restaient les priorités de la Commission européenne et que des avancées étaient encore à faire.
La Fédération des syndicats indépendants de Croatie (SSSH) a appelé ses compatriotes à se rendre aux urnes le 22 janvier. "La Croatie appartient historiquement, culturellement et économiquement à l'Union européenne mais la confirmation de ce fait est dans les mains des électeurs" peut-on lire dans son communiqué.
Du côté des opposants à l'adhésion du pays à l'Union européenne, on trouve le Conseil pour la Croatie-Non à l'Union européenne, formé par 12 partis non représentés au parlement, dont le Parti des droits (HSP) de Daniel Srb et le Parti pur des droits (HCSP), d'extrême droite dirigé par Josip Miljak, et 11 organisations non gouvernementales.
Le Parti des droits a demandé le report du référendum, considérant que les Croates ne sont pas prêts à voter sur un enjeu aussi sensible. Le Conseil exige l'organisation de débats entre les partisans du "oui" et les personnes favorables au "non", accuse le gouvernement du nouveau Premier ministre Zoran Milanovic (SDP) de mener une campagne électorale non démocratique, estimant que "19 jours sont insuffisants pour débattre sur un enjeu aussi important que l'adhésion à l'Union européenne" selon les termes de Roko Sikic, leader de J'aime la Croatie, parti anti-européen et souverainiste.
Ce parti aime également à rappeler que dans l'histoire aucune union n'a été favorable à la Croatie, que ce soit l'empire austro-hongrois ou la Yougoslavie. "L'Union européenne sera une nouvelle déception pour la nation croate" a affirmé Marjan Bosnjak du parti Seulement la Croatie-Mouvement pour la Croatie (JH-PzH). Le leader du Parti autonome des droits (A-HSP) Drazen Keleminec s'est élevé contre les responsables politiques croates favorables à l'entrée de la Croatie dans l'Union européenne. Il a également affirmé que 90% des Croates, notamment ceux qui vivent dans les zones rurales, sont contre l'adhésion du pays à l'Union.
"La Croatie peut vivre de son côté et de façon indépendante comme le fait la Suisse" a déclaré Dejan Golubic, fondateur et leader des Démocrates nationaux, parti fondé en 2009, positionné à droite et opposé à l'entrée de Zagreb dans l'Union. Il met en garde contre le fait qu'il existe "un risque pour les Croates de devenir une force de travail bon marché au sein même de leur pays qui ne serait alors plus le leur". Il reproche également aux autorités de Zagreb leur manque de transparence et affirme que les élites cachent des choses au peuple, notamment en ce qui concerne la vérité sur les conséquences de l'adhésion.
Les opposants à l'entrée de la Croatie dans l'Union européenne ont organisé une manifestation sur la place principale de Zagreb le 14 janvier.
Un millier d'intellectuels et de politiques plutôt positionnés à droite, dont l'ancien ministre des Affaires étrangères et ambassadeur de la Croatie à l'Organisation des Nations unies (ONU), Zvonimir Separovic, ont signé une pétition demandant le report du référendum au moins jusqu'à ce que le TPIY prononce son verdict final dans le procès des deux généraux, Ante Gotovina, ancien inspecteur général de l'armée croate, et Mladen Markac, ex-commandant de la police du ministère de l'Intérieur (police spéciale), respectivement condamnés le15 avril 2011 à 24 et 18 ans d'emprisonnement pour crimes contre l'humanité et de violations des lois ou coutumes de la guerre (meurtres, persécutions et pillages) commis lors de l'opération Tempête (Oluja) entre juillet et septembre 1995. Les deux hommes ont interjeté appel en mai.
Pour les pétitionnaires qui, comme de nombreux Croates, considèrent Ante Gotovina et Mladen Markac comme des héros nationaux, le TPIY fait de la Croatie et de la guerre d'indépendance une structure criminelle et a voulu punir le pays de s'être libéré de ses occupants. "C'est un exemple historique de déshonneur et de piétinement des valeurs chrétiennes" écrivent les pétitionnaires qui reprochent à l'Union européenne une attitude "raciste".
La ministre des Affaires étrangères Vesna Pusic a mis en garde les Croates du fait qu'un nouveau référendum pourrait être organisé en cas de victoire du "non" le 22 janvier mais qu'il se pourrait tout aussi bien que, dans ce cas, Bruxelles décide que Zagreb ne puisse rejoindre les Vingt-sept que plus tard avec un groupe d'autres pays. "Le référendum sera l'occasion de monter que la Croatie appartient politiquement, et pas seulement géographiquement, historiquement et culturellement, à l'Europe" a-t-elle indiqué.
Selon la dernière enquête d'opinion réalisée par l'institut CRO-Demoskop, 55,1% des Croates s'apprêteraient à voter en faveur de l'adhésion de leur pays à l'Union européenne pour un tiers (33,3%) qui s'y opposeraient. Un Croate sur dix (11,6%) se déclare encore indécis.
Si les Croates acceptent le 22 janvier l'adhésion de leur pays à l'Union européenne, le traité d'adhésion signé par Zagreb devra encore être ratifié par les 27 Etats membres de l'Union. On rappellera qu'en France, la ratification de l'adhésion de la Croatie sera la dernière à être ratifiée par le parlement. Les adhésions suivantes seront soumises à référendum.
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