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Le Parti du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan remporte sa troisième victoire consécutive aux élections législatives turques

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Corinne Deloy,  

Fondation Robert Schuman

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14 juin 2011
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Corinne Deloy

Chargée d'études au CERI (Sciences Po Paris), responsable de l'Observatoire des élections en Europe à la Fondation Robert Schuman

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Le Parti de la justice et du développement (AKP) du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan est arrivé en tête des élections législatives le 12 juin en Turquie. Il a recueilli 49,91% des suffrages et remporté 326 sièges à la Grande Assemblée nationale, chambre unique du parlement, soit -15 par rapport au scrutin législatif du 22 juillet 2007. L'AKP a devancé le Parti républicain du peuple (CHP), principal parti d'opposition dirigé par Kemal Kilicdaroglu, qui a obtenu 25,91% des voix et 112 sièges (+ 23) et le Parti de l'action nationaliste (MHP), parti ultranationaliste de Devlet Bahceli, qui a recueilli 12,99% des suffrages et remporté 53 sièges (- 18). L'AKP a augmenté son nombre de voix mais a obtenu moins de députés que dans la précédente législature en raison du système de vote proportionnel.

Les personnalités, en majorité kurdes, qui se sont présentées en candidats indépendants afin de contourner le seuil des 10% de suffrages obligatoires à l'échelle nationale nécessaire pour qu'un parti entre au Parlement, ont réalisé une percée en obtenant 6,30% des voix et en remportant 36 sièges (+ 10). "Ces députés kurdes pourraient jouer un rôle actif sur les questions liées aux minorités. C'est crucial car si on ne négocie pas avec les Kurdes au Parlement, ceux-ci seront tentés de recourir aux armes" a déclaré le politologue de l'université Galatasaray d'Istanbul, Ahmet Insel.

Pour la première fois depuis une cinquantaine d'années un chrétien membre de l'Eglise syriaque orthodoxe, Erol Dora, qui se présentait en indépendant a été élu député. Enfin, 78 femmes ont été élues, soit +28 par rapport à la précédente législature, mais seulement 14% de l'ensemble des députés!

La participation s'est élevée à 86,70%, soit +2,30 points par rapport à celle enregistrée lors du scrutin législatif du 22 juillet 2007.

"Une nouvelle fois, la démocratie et la volonté nationale ont gagné" a déclaré le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan à l'annonce des résultats. "Gaza, la Palestine et Jérusalem ont également gagné" a-t-il ajouté, affichant sa sympathie en faveur du monde musulman, et notamment de la cause palestinienne. "Il n'y aura pas de surprise, la question n'est pas de savoir qui va gagner les élections législatives mais quelle sera la majorité dont disposera le Parti de la justice et du développement pour changer la Constitution héritée du coup militaire de 1980" avait souligné le politologue Soli Özel à la veille du scrutin. "L'enjeu de ces élections législatives n'est pas de savoir qui les gagnera mais si le Parti de la justice et du développement obtiendra une majorité suffisamment solide pour réécrire la Constitution" avait renchéri Sinan Ulgen, chercheur du Centre d'études économiques et de politique étrangère d'Istanbul.

L'AKP a quasiment obtenu la majorité absolue mais a échoué à remporter la majorité des 2/3 (367 députés) indispensable pour modifier la Constitution sans avoir à obtenir l'aval des forces de l'opposition ou de l'opinion publique. Le Premier ministe a également échoué à conquérir les 330 sièges de députés nécessaires pour pouvoir soumettre de sa propre décision à référendum tout amendement à la Constitution.

"Le peuple nous a transmis le message d'élaborer une nouvelle Constitution à travers le consensus et la négociation" a t-il déclaré promettant qu'il rechercherait "le plus vaste consensus" avec l'opposition et la société civile turques pour "rédiger une nouvelle Constitution, libérale et digne de la Turquie" et que la nouvelle Constitution s'appuierait sur des principes démocratiques et pluralistes. Il s'est engagé à trouver une solution au problème kurde. "Nous allons porter la démocratie à un niveau avancé, élargissant les droits et les libertés. Notre responsabilité a cru, notre humilité a fait de même" a t-il souligné.

Il désire transformer le système politique de la Turquie en un régime présidentiel (à l'américaine ou à la française). Il souhaite que le président de la République soit élu au suffrage universel direct (il est actuellement désigné par les parlementaires) et doté de pouvoirs étendus. Le chef du gouvernement devra cependant convaincre aussi bien l'opinion publique qu'une partie des membres de l'AKP qui s'oppose de la nécessité de cette réforme.

Le bilan du parti au pouvoir explique en grande partie sa 3e victoire consécutive aux élections législatives: Croissance du PIB de 8,9% en 2010, dette publique de 40% du PIB, accroissement des investissements étrangers, hausse de 20% des échanges, taux de chômage de 10,6% après avoir atteint 15% de la population active au printemps 2009, inflation de 4,3%, PIB par habitant plus que triplé depuis 2001.

Depuis 2002, une nouvelle classe moyenne a émergé et l'AKP, parti des "sans grade", est devenu celui de l'establishment. Le Premier ministre qui a fait campagne avec le slogan "Que la stabilité se poursuive et que la Turquie grandisse", s'est fixé pour objectif de faire entrer le pays dans les dix premières économies mondiales d'ici à 2023, année où Ankara fêtera le 100e anniversaire de la fondation de la République turque par Mustafa Kemal Atatürk. La Turquie connaît cependant certaines difficultés : selon la Banque centrale, son déficit public a plus que doublé en un an pour atteindre le taux record de 9,8 milliards € (8% du PIB), l'économie connaît une forte dépendance de l'économie du pays aux importations et les déséquilibres s'amoncellent au point que les économistes préconisent de réduire la croissance à 5%.

Enfin, la Turquie, qui occupe une position charnière dans un Moyen-Orient en pleine recomposition, est de plus en plus présente sur la scène internationale et notamment autour de la Méditerranée.

Pour le politologue de l'université de Galatasaray d'Istanbul, Ahmet Insel, le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan a su créer "un bloc d'adhésion des classes moyennes populaires". "Pour les classes moyennes et populaires, Recep Tayyip Erdogan représente la stabilité économique mais également politique, ce que l'opposition ne semble par en mesure de faire". a-t-il déclaré, ajoutant : "l'opposition n'est pas crédible aux yeux de la majorité des Turcs car elle n'arrive pas à se positionner comme une alternative susceptible de gouverner sans former une coalition alors que les Turcs ont un mauvais souvenir des gouvernements de coalition des années 1990". Si durant les dix dernières années, Recep Tayyip Erdogan n'a jamais eu face à lui d'alternative politique crédible, les choses sont toutefois en train de changer depuis la nomination de Kemal Kilicdaroglu, à la tête du Parti républicain du peuple le 22 mai 2010.

La gestion autoritaire du Premier ministre, les atteintes aux libertés (intolérance grandissante aux critiques et multiplication des attaques contre les médias et des menaces dont ils font l'objet) sont également dénoncées par de plus en plus de Turcs. Ainsi, le Premier ministre a réclamé 2 ans de prison contre Ahmet Altan, directeur du journal Taraf, qui l'a qualifié "d'autocrate". Plus de 60 journalistes sont actuellement emprisonnés en Turquie. "C'est une réalité, pas un fantasme. La société turque est une société où les réflexes autoritaires sont très présents ; du coup, un pouvoir aussi fort que celui du Parti de la justice et du développement connaît un glissement presque naturel vers l'autoritarisme" analyse le politologue Ameth Insel. Enfin, les laïcs turcs craignent qu'un nouveau mandat de Recep Tayyip Erdogan contribue à renforcer encore le rôle de la religion en Turquie. Après deux mandats de l'AKP, le principal problème du pays est indéniablement la faiblesse des contre-pouvoirs.

L'Union européenne a été quasiment absente de la campagne électorale et les négociations entre Ankara et Bruxelles sont au point mort. A ce jour, seuls 13 des 35 chapitres thématiques qui jalonnent le processus d'adhésion ont été ouverts et un seul est clos. Les discussions piétinent en raison du refus d'Ankara d'ouvrir ses ports et aéroports à l'île de Chypre et de reconnaitre la république de Chypre conformément à ses engagements. Pour la première fois depuis l'ouverture des négociations, aucun chapitre n'a été ouvert durant les six mois de la présidence de l'Union européenne qui s'est achevée le 31 décembre 2010. Selon une enquête d'opinion publiée le 1er juin dernier par l'institut de recherches TESEV, 69% des Turcs sont favorables à l'entrée de leur pays dans l'Union européenne et 26% y sont opposés. 36 % des personnes interrogées considèrent que celle-ci aura lieu dans les dix prochaines années, 13% l'envisagent à plus long terme, 30% pensent que la Turquie ne rejoindra jamais les Vingt-sept et enfin un cinquième des Turcs (21%) disent ne pas avoir d'opinion.

"Je m'attends que la Turquie soit plutôt introvertie dans les années à venir et s'occupe de ses propres problèmes politiques, économiques et sociaux. Le corps politique turc sera happé par le débat sur une nouvelle Constitution, voulue par le Parti de la justice et du développement pour débarrasser le pays d'une Loi fondamentale autoritaire, héritée du coup d'Etat militaire de 1980" a indiqué le spécialiste des questions européennes de l'université Bahcesehir d'Istanbul, Cengiz Aktar.

Agé de 57 ans et originaire du quartier populaire Kasimpasa (Istanbul), Recep Tayyip Erdogan a commencé sa carrière politique dans les rangs de la Vue nationale, organisation dirigée par Necmettin Erbakan, avant de suivre ce dernier au Parti islamiste du salut national (MSP) puis au Parti de la prospérité (Refah). Elu maire d'Istanbul en 1994, Recep Tayyip Erdogan est devenu très populaire en améliorant considérablement les conditions de vie des habitants de la ville et en menant une bataille acharnée contre la corruption. Le 6 décembre 1997, il est interdit d'activité politique pour 5 ans par la Cour constitutionnelle de Turquie et condamné à une peine de prison pour "incitation à la haine religieuse" après avoir récité en public quelques vers du poète nationaliste Ziya Gökalp ("Nos mosquées sont nos casernes, nos dômes nos casques, les minarets sont nos baïonnettes et les croyants sont nos soldats"). Il s'éloigne alors de Necmettin Erbakan dont le parti est dissout cette même année par la Cour et fonde, en 2001, le Parti de la justice et du développement qui remporte les élections législatives du 3 novembre 2002. Recep Tayyip Erdogan ne peut toutefois devenir Premier ministre faute d'avoir pu participer au scrutin en raison de sa condamnation à 5 ans d'interdiction d'activité politique (la loi électorale turque exige que le Premier ministre soit également député). Il prendra finalement la tête du gouvernement après avoir remporté un siège de député à Siirt, ville dont sa femme est originaire, lors d'une élection législative partielle le 11 mars 2003.

Lors de son premier mandat à la tête du gouvernement, Recep Tayyip Erdogan obtient l'ouverture de négociations d'adhésion à l'Union européenne en 2005. Réélu à son poste le 22 juillet 2007, il poursuit ses réformes et développe l'économie turque. La victoire de l'AKP le 12 juin est donc la 3e consécutive de Recep Tayyip Erdogan, premier leader islamiste parvenu démocratiquement au pouvoir à s'y maintenir aussi longtemps.

Recep Tayyip Erdogan a annoncé que ce mandat à la tête du gouvernement serait son dernier, au nom de la règle qu'il a lui-même instaurée dans son parti, limitant à 3 mandats consécutifs la charge de député. Le leader de l'AKP ne cache cependant pas sa volonté de devenir par la suite le premier président de la République de Turquie élu au suffrage universel.

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