Le Parti de la justice et du développement (AKP), favori des élections législatives turques à une semaine du scrutin

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Corinne Deloy,  

Fondation Robert Schuman

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6 juin 2011
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Corinne Deloy

Chargée d'études au CERI (Sciences Po Paris), responsable de l'Observatoire des élections en Europe à la Fondation Robert Schuman

Robert Schuman Fondation

Fondation Robert Schuman

Le 3 mars dernier, la Grande Assemblée nationale, chambre unique du Parlement, a fixé par 361 voix sur 550 les prochaines élections législatives au 12 juin. Dans une semaine, 50 189 930 Turcs vont donc désigner les 550 membres du Parlement parmi les 7 492 candidats en lice au sein des 85 circonscriptions. Le dernier recensement a entraîné une redistribution des sièges du parlement. 14 circonscriptions ont gagné des sièges et 28 en ont perdu. La province d'Istanbul a ainsi gagné 15 sièges, celles d'Ankara, d'Antalya et de Diyarbakir, 1 et celles d'Izmir et de Gaziantep, 2. En revanche, la circonscription de Mersin en a perdu un.

La campagne électorale est marquée par un scandale sexuel. Au début du mois de mai, le site internet Farkli Ulkücülük (un idéalisme différent, un nom qui renvoie au cœur de la doctrine du Parti de l'action nationale, MHP) a rendu public via le web des vidéos montrant des membres du MHP ayant des relations sexuelles adultères. 5 députés - Osman Cakir, Umit Safak, Mehmet Taytak, Deniz Bolukbasi, Mehmet Ekici et le secrétaire général du MHP, Cihan Pacaci – ont démissionné après la diffusion de ces vidéos. Le parti a reçu plusieurs lettres anonymes menaçant de nouvelles révélations, y compris sur son leader Devlet Bahceli. Celui-ci a accusé le parti au pouvoir (AKP) d'être derrière cette campagne de dénigrement.

Vers la troisième victoire du Parti de la justice et du développement ?

Le Premier ministre sortant Recep Tayyip Erdogan (AKP) a lancé sa campagne à Bayburt, (nord du pays). Favori des enquêtes d'opinion, l'AKP espère atteindre la majorité des 2/3 au Parlement, ce qui lui permettrait de modifier la Constitution sans avoir à passer par un référendum, pour élaborer une nouvelle Loi fondamentale et amener la Turquie vers un régime présidentiel. L'AKP doit sa popularité à sa politique socioéconomique : accroissement du PNB national de 31% depuis 2002, année où il est arrivé au pouvoir ; hausse du revenu par habitant (de 3 000 à 10 000 $ sur les 9 dernières années), croissance du PIB de 7% en moyenne entre 2003 et 2007 (8,9% en 2010) ; multiplication par trois des investissements ; baisse de l'inflation (de 30% à 6,4%). Le chômage, qui avait dépassé les 14% en 2009 à la suite de la crise économique internationale, s'établit désormais autour de 11% de la population active. Le gouvernement sortant a également multiplié les programmes d'aide sociale, notamment en matière de santé, de logement, d'énergie.

Recep Tayyip Erdogan a annoncé son projet de construire deux nouvelles villes autour d'Istanbul pour parer à un éventuel séisme (la région est en effet une zone à risques ; en 1999, environ 20 000 personnes ont été tuées lors de deux violents tremblements de terre dans le nord-ouest du pays). "L'objectif de ce projet est de faire face à un sinistre en construisant des zones d'habitation dans des endroits sûrs" a-t-il déclaré. Les deux municipalités seront capables d'accueillir 500 000 personnes sur chaque rive du Bosphore (l'une le long de la mer Noire, l'autre sur la partie asiatique).

Deuxième projet rendu public par Recep Tayyip Erdogan : la construction d'un canal de 50 kilomètres (150 mètres de large et de 25 mètres de profondeur) parallèle au Bosphore et reliant la mer Noire à la mer de Marmara dans le but de soulager le trafic maritime du fleuve. Ce canal "surpassera ceux de Suez et de Panama" d'ici à 2023, année où l'on célébrera le 100e anniversaire de la République turque fondée par Kemal Atatürk. En visite à Ankara, le Premier ministre sortant a annoncé la construction de deux nouveau hôpitaux de 7 000 places au total dans les districts de Kecioren/Ellik et de Bilkent, d'un parc national botanique, d'une bibliothèque, d'un centre de recherches, du plus grand zoo du Moyen-Orient, la mise en place de nouveaux moyens de transports entre le district de Kizilay et l'aéroport de la ville et enfin le prolongement des lignes de métro

Recep Tayyip Erdogan, qui a indiqué qu'Ankara aura terminé de payer sa dette au Fonds monétaire international (FMI) en 2013, veut faire de la Turquie l'une des plus grandes économies mondiales d'ici 2023.

Une opposition renouvelée

En février dernier, le Premier ministre sortant affirmait que l'opposition n'avait ni objectif ni projet et avait déjà perdu les élections législatives. "Les partis de l'opposition ont déjà accepté leur défaite et ils cherchent une excuse pour celle-ci" avait déclaré Recep Tayyip Erdogan. Si, à une semaine du scrutin, l'AKP reste le favori des enquêtes d'opinion, il ne devrait cependant pas minimiser le danger que représentent les partis d'opposition, et notamment le Parti républicain du peuple (CHP) qui, sous l'influence de son nouveau leader Kemal Kilicdaroglu (qui a pris la tête du parti le 22 mai 2010), a évolué ces derniers mois.

Le principal parti d'opposition insiste moins souvent sur la menace islamiste que représenterait l'AKP mais dénonce la corruption et l'autoritarisme de Recep Tayyip Erdogan. Kemal Kilicdaroglu est également présent sur le terrain économique. Il a mis en garde la fragilité qu'entraine parfois une croissance trop rapide et a mis l'accent sur l'accroissement du déficit public de la Turquie (selon la Banque centrale, celui-ci a plus que doublé en un an pour atteindre record de 9,8 milliards €) et sur la forte dépendance de l'économie du pays aux importations. Kemal Kilicdaroglu a également promis, en cas de victoire de son parti, l'élaboration d'une nouvelle Constitution qui accordera davantage de libertés aux citoyens, y compris aux Kurdes et à la minorité alevi. Cette dernière, de confession chiite, regroupe entre 10 et 20% de la population turque dont environ un tiers de Kurdes.

L'inconnue kurde

"Pour nous, il n'existe pas de différence entre un Turc et un Kurde" a déclaré le Premier ministre sortant Recep Tayyip Erdogan. Pourtant, lors de son meeting à Hakkari, (sud-est du pays), seuls 1000 personnes étaient présentes et les magasins de la ville avaient tous fermé en signe de mécontentement à l'égard des autorités en place. Au même moment un peu plus au sud, Kemal Kilicdaroglu était reçu chaleureusement. Le leader du CHP a promis l'abolition du seuil de 10% des suffrages exprimés (tout parti politique doit présenter des candidats dans au moins la moitié des provinces du pays et recueillir un minimum de 10% des suffrages exprimés au niveau national pour espérer avoir des élus ; ce seuil particulièrement élevé est très préjudiciable aux partis kurdes dont l'électorat est concentré dans l'est de la Turquie), ancienne revendication des Kurdes, et l'établissement d'une commission d'investigation sur les crimes irrésolus qui ont eu lieu dans la région.

"Le Parti républicain du peuple qui n'a jamais reconnu l'enjeu kurde et toujours nié l'identité et la langue kurdes est aujourd'hui main dans la main avec le Parti pour la paix et la démocratie (BDP) – principal parti kurde de Turquie" a persiflé Recep Tayyip Erdogan. Le ministre d'Etat et vice-Premier ministre Cemil Cicek (AKP) a critiqué Kemal Kilicdaroglu pour avoir assuré qu'en cas de victoire de son parti, les administrations locales kurdes deviendraient autonomes.

"Les deux camps, turc et kurde, ont atteint un certain niveau de maturité et nous sommes arrivés à un point où nous allons voir si un partenariat est possible et quel sera le futur statut des Kurdes" a déclaré, optimiste, Leyla Zana, députée élue en 1991, arrêtée et condamnée à dix années de prison (1994-2004) "pour collusion avec la rébellion kurde" après avoir voulu faire sa prestation de serment au Parlement en langue kurde.

L'expert Mustafa Oczan voit dans les récentes actions des séparatistes kurdes une conséquence des révoltes qui ont eu lieu depuis le début de l'année 2011 dans les pays arabes. Selon lui, inspirés par ces événements, le Parti des travailleurs kurdes (PKK), reconnu comme terroriste par l'Union européenne et l'Organisation des Nations unies et dirigée par Abdullah Ocalan qui purge actuellement une peine de prison à vie pour activité terroriste, fait tout pour que les Kurdes se soulèvent en un mouvement national contre le gouvernement en place. "Après avoir tenté – en vain – d'apporter une solution démocratique aux problèmes kurdes en 2009, les autorités sont désormais passives et ne font rien de concret" a indiqué Mustafa Oczan. Selon lui, le pouvoir doit veiller à ne donner aucune raison au PKK de commettre une agression. Des incidents à Hopa fin mai ont fait un mort et un blessé parmi les gardes du corps du Premier ministre après l'attaque du convoi du chef du gouvernement avec des pierres.

Les séparatistes kurdes ont demandé aux autorités en place de cesser les opérations militaires contre le PKK et menacent régulièrement de boycotter les élections législatives du 12 juin.

Selon la dernière enquête d'opinion réalisée par l'institut Konsensus pour le quotidien Haberturk et publié le 1er juin dernier, l'AKP du Premier ministre sortant Recep Tayyip Erdogan recueillerait 48,6% des suffrages. Il devancerait donc le CHP qui obtiendrait 28,3% des voix et le MHP 11,6%.

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