Elections législatives en Estonie, Le point à une semaine du scrutin

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Corinne Deloy,  

Fondation Robert Schuman

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4 mars 2011
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Corinne Deloy

Chargée d'études au CERI (Sciences Po Paris), responsable de l'Observatoire des élections en Europe à la Fondation Robert Schuman

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Elections législatives en Estonie, Le point à une semaine du scrutin

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912 565 Estoniens, soit + 15 000 par rapport au précédent scrutin législatif du 4 mars 2007, sont appelés aux urnes le 6 mars prochain pour renouveler les 101 membres du Riigikogu, chambre unique du Parlement. Le vote par anticipation débute le 28 février et pourra s'effectuer jusqu'au 2 mars et le vote en ligne (par ordinateur ou téléphone portable) a commencé le 24 février et reste possible jusqu'au 2 mars. Les cyber-électeurs peuvent revenir sur leur vote autant de fois qu'ils le souhaitent ou décider in fine de se rendre à leur bureau de vote le jour du scrutin ; dans ce cas, le bulletin qu'ils déposent dans l'urne annule leur précédent vote. Le pays a mobilisé sa cyber-brigade pour, sinon empêcher, du moins déjouer d'éventuelles attaques contre le système de vote électronique mis en place à l'occasion des élections législatives. En 2007, l'Estonie avait été victime d'une cyber-attaque, imputée à des hackers russes, qui avait obligé des sites gouvernementaux, mais également ceux de médias ou de banques, à fermer pour un certain temps. En 2008, Tallinn a donc créé, en partenariat avec l'OTAN, une unité d'experts en informatique (cyber-brigade) formée par des militaires volontaires et chargée de lutter contre ce genre d'attaques.

Un nombre record de personnes se présentent sous l'étiquette "indépendants". Elles avancent plusieurs raisons pour expliquer leur choix, le désir de mettre l'accent sur un enjeu particulier étant la plus fréquemment citée. "Les votes en ma faveur vont protéger et défendre les valeurs sociale-démocrates" affirme Mark Soosaar. Leo Kunnas indique que son but est de mettre l'accent sur les problèmes de défense, ce que ne peut pas faire un parti qui doit évoquer l'ensemble des problèmes de la société. Pour Rein Teesalu, "seuls les suffrages qui se portent sur un candidat devrait permettre d'être élu au Parlement et non pas comme actuellement, la position du candidat sur une liste électorale". Membre des Verts et candidat indépendant, Eugen Veges déplore que les décisions politiques soient prises dans les cabinets ministériels, soi-disant "au nom du peuple". Enfin, Mart Helme accuse les partis politiques d'avoir oublié leurs principes et considèrent que ceux-ci sont devenus de véritables entreprises.

De nombreuses personnalités publiques sont en lice le 6 mars. Ainsi, l'actrice Katrin Karisma-Krumm sera candidate sur les listes du Parti de la réforme (ER) du Premier ministre Andrus Ansip ; l'acteur Indrek Saar sur celle du Parti social-démocrate (SDE) de Sven Mikser, l'acteur Aivar Riisalu portera les couleurs du Parti du centre (K) d'Edgar Savisaar ; l'actrice Elle Kull, l'athlète de décathlon Erki Nool et le navigateur Toomas Toniste celles de l'Union pour la patrie-Res Publica (IRL) de Mart Laar.

La scène politique estonienne s'est consolidée au cours des dernières années. Le pays voit désormais s'opposer deux blocs : un bloc de droite qui rassemble le Parti de la réforme et l'Union pour la patrie-Res Publica et un bloc de gauche où l'on trouve le Parti du centre, le Parti social-démocrate, les Verts et l'Union du peuple estonien (ERL). Dans cette campagne électorale, la progressivité de l'impôt est l'un des sujets majeurs qui oppose les deux bords de l'échiquier politique. Les deux partis de la coalition gouvernementale sortante (le Parti de la réforme et l'Union pour la patrie-Res Publica) sont favorables au maintien de l'impôt à taux unique pour la TVA, l'impôt sur le revenu et l'impôt sur les sociétés (fixé à 21% pour l'année 2010) tandis que les partis de gauche sont favorables à l'introduction d'une certaine progressivité dans la fiscalité.

C'est pourquoi les déclarations de l'ancien maire de Tallinn (2005-2007) et vice-président du Riigikogu, Jüri Ratas (K), selon lesquelles le Parti social-démocrate pourrait s'avérer un bon partenaire gouvernemental pour le Parti de la réforme, ont pour but de discréditer le parti de Sven Mikser. Les désaccords sur la politique fiscale rendent la chose quasiment impossible. Les sociaux-démocrates sont en effet favorables à un impôt sur le revenu progressif (21% pour les personnes percevant moins de 1 000 € par mois et 26% pour celles percevant une rémunération supérieure à cette somme). Ils souhaitent également augmenter les allocations familiales, réduire la TVA sur les produits alimentaires à 5% et l'impôt sur les bénéfices des sociétés à 10%.

Les partis de droite ont fait de la bonne tenue des finances publiques et de l'équilibre budgétaire leurs priorités. L'opposition de gauche considère que certaines dépenses sociales ou encore l'augmentation des salaires du secteur public sont nécessaires à la fois pour aider les Estoniens les plus défavorisés et pour relancer la croissance du pays.

Le leader de l'Union pour la patrie-Res Publica, Mart Laar, a rejeté toute possibilité d'alliance avec le Parti du centre après le 6 mars tout comme d'ailleurs une éventuelle collaboration avec tout autre parti qui ne ferait pas de l'équilibre budgétaire sa priorité. Mart Laar a émis le souhait de voir la coalition gouvernementale actuelle perdurer au-delà des élections législatives. "Je suis sûr qu'ensemble avec le Parti de la réforme, nous trouverons un accord sur une transition vers la gratuité de l'éducation supérieure et sur l'allocation maternelle" a-t-il souligné. Les deux partis de la coalition gouvernementale ont des désaccords mais Mart Laar se dit convaincu de sa capacité à faire évoluer le parti du Premier ministre sur certains sujets.

Le Premier ministre, Andrus Ansip, entend poursuivre sa politique actuelle si son parti est victorieux le 6 mars. Il a rappelé que l'Estonie avait connu au cours de la dernière décennie une croissance moyenne de 4,82%, ce qui est le pourcentage le plus élevé de l'Union européenne. Le chef du gouvernement a souligné que la croissance n'était pas un but en soi mais qu'elle était indispensable pour permettre à l'Etat d'offrir des services sociaux de qualité à ses compatriotes et pour permettre l'augmentation des pensions de retraite.

Il est revenu dans le quotidien Postimees sur l'affaire dite "Vladimir Yakounine" à l'occasion de la visite de ce dernier à Tallinn. Le 21 décembre dernier, un rapport de la Kaitsepolitsei (police de sécurité, services secrets estoniens) révélait que le leader du Parti du centre, Edgar Savisaar, avait sollicité auprès du président des chemins de fer russes et ancien officier du KGB, Vladimir Yakounine, des fonds. Selon les services secrets, l'homme aurait versé 1,5 million € pour la campagne électorale du Parti du centre et une somme équivalente pour la construction d'une église orthodoxe à Lasnamäe, district de Tallinn, ville dont Edgar Savisaar est le maire. Ce dernier nie le fait que son parti ait touché de l'argent du président des chemins de fer russes. Le chef du gouvernement a affirmé que les personnes qui acceptaient de rencontrer Vladimir Yakounine à Tallinn étaient "suspectes". "Ce n'est pas la première fois que Moscou tente de faire arriver au pouvoir en Estonie un Premier ministre obéissant et que ses problèmes financiers rendent dépendant de la volonté du Kremlin. Beaucoup de gens en Russie souhaiteraient faire de l'Estonie une zone d'influence russe et nous soumettre à la volonté de Moscou. Ce sont ces personnes qu'Edgar Savisaar accueille à bras ouverts" a déclaré Andus Ansip qui a, de nouveau, affirmé qu'il ne gouvernerait jamais avec le Parti du centre.

Le président de la République Toomas Hendrik Ilves a indiqué qu'il ne proposerait jamais la candidature d'Edgar Savisaar au poste de Premier ministre.

Le principal parti d'opposition est traversé par de nombreuses tensions qui se sont fait jour en décembre lorsqu'a éclaté l'affaire Vladimir Yakounine. Evelyn Sepp, ancienne porte-parole du parti, a ainsi affirmé dans une interview télévisée à la chaîne Kanal 2 qu'Edgar Savisaar n'était "plus la bonne personne pour diriger le parti". L'ancien ministre de l'Intérieur (2005-2007) Kalle Laanet (K) avait affirmé le mois dernier que le Parti du centre devait se choisir un nouveau leader. Un autre ancien ministre de l'Intérieur (2002-2003), Ain Seppik, ne cache pas non plus qu'il est favorable au remplacement d'Edgar Savisaar à la tête du Parti du centre.

A une semaine du scrutin, Sven Mikser a le vent en poupe auprès des Estoniens. Selon une enquête d'opinion réalisée par l'institut Klaster Ltd et publiée par le quotidien Eesti Päevaleht, le leader social-démocrate est le deuxième homme politique le plus apprécié des électeurs derrière le Premier ministre sortant, Andrus Ansip, qui recueille 40,5% de taux d'approbation. Sven Mikser obtient 29,3%, soit bien plus qu'Edgar Savisaar (13,4%) et Mart Laar (16,8%).

Nouveau venu dans le paysage politique (il a été élu à la tête du SDE le 16 octobre 2010), le leader social-démocrate a véritablement fait bouger les lignes du paysage politique. Plus largement, les sondages montrent une nette baisse de la crédibilité du Parti du centre ; la plupart des sympathisants du principal parti d'opposition ne semblent plus croire qu'Edgar Savisaar puisse de nouveau accéder à la fonction de Premier ministre. "L'électeur de gauche pense désormais que Sven Mikser est le seul homme politique de gauche qui a une chance de diriger un jour le gouvernement" affirme le politologue Agu Uudelepp.

Tous les observateurs politiques se disent convaincus que le Parti de la réforme et l'Union pour la patrie-Res Publica conserveront le pouvoir à l'issue des élections le 6 mars. Les seules interrogations portent sur l'attribution des postes de ministres des Affaires étrangères, de la Défense et des Affaires économiques. Selon Tonis Stamberg, directeur de l'institut d'opinion Turu-uuringute, le Parti de la réforme dispose de tous les atouts puisque "les décisions douloureuses, prises dans le passé durant des temps difficiles, se sont avérées payantes". L'analyste a précisé que, contrairement au scrutin du 4 mars 2007 où Andrus Ansip avait promis d'accorder 25 000 couronnes aux fonctionnaires et de faire de l'Estonie l'un des cinq pays les plus riches dans les 15 prochaines années, les partis au pouvoir ont été très modestes dans leurs promesses électorales. "La situation est claire et tout le monde est calme. Chacun sait qui va remporter le scrutin législatif, qui va le perdre et quels partis sont susceptibles de former le prochain gouvernement" a souligné Tonis Stamberg.

Le dernier sondage réalisé par l'institut Faktum-Ariko montre que le Parti de la réforme, qui arrive en tête dans 7 des 12 circonscriptions du pays, recueillerait 39% des suffrages et 47 sièges au parlement. Le Parti du centre, qui remporterait 5 circonscriptions, obtiendrait 25% des voix et 28 députés ; l'Union pour la patrie-Res Publica, 14% et 15 sièges et le Parti social-démocrate, 11% et 11 sièges. Les candidats indépendants sont crédités de 8% des suffrages. L'Union du peuple estonien recueillerait 2% et les Verts 0,4%; ces deux partis ne seraient donc pas représentés au Riigikogu.

"En réalité, l'écart entre le Parti de la réforme et le Parti du centre est très faible, les deux partis sont quasiment à égalité" a cependant mis en garde Kristen Michal, secrétaire générale du Parti de la réforme qui estime que "les électeurs se prononceront en fonction de la personnalité qu'ils souhaitent voir occuper le poste de Premier ministre et choisiront entre Andrus Ansip et Edgar Savisaar". "Il y a 4 ans, ce sont 1,7% des électeurs qui ont fait le résultat" a-t-elle tenu à rappeler (le Parti de la réforme avait recueilli 27,8% des suffrages pour 26,1% des voix au Parti du centre lors des élections législatives du 4 mars 2007).

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