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Corinne Deloy
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Fondation Robert Schuman
Les Turcs ont largement accepté la réforme de leur Constitution lors du référendum organisé le 12 septembre, jour du 30e anniversaire du coup d'Etat dirigé par le général Kenan Evren en 1980. 57,9% des électeurs ont voté "evet" ("oui") à la modification de la Loi fondamentale et 42,1% ont dit "non". Le rejet du texte a été majoritaire sur la côte ouest et sud-ouest du pays.
La participation s'est élevée à 77%. Le vote était obligatoire sous peine d'une amende de 22 livres turques (environ 12 €). L'appel au boycott du Parti de la société démocratique (DTP), principal parti de la communauté kurde (15 millions de personnes, soit 20% de la population), au motif que cette réforme ne renforcerait pas les droits des Kurdes, a finalement eu peu d'impact sur les résultats du référendum.
Quelques incidents ont été recensés dans plusieurs villes du sud-est du pays, peuplé majoritairement de Kurdes, lors du référendum.
Cette approbation populaire est une victoire pour le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan et le Parti de la justice et du développement (AKP). A un peu moins d'un an des prochaines élections législatives prévues à l'été 2011, elle constitue un signal positif pour le parti au pouvoir depuis 2002. "Le vainqueur, c'est la démocratie turque. Le régime de tutelle de l'armée fait désormais partie de l'histoire. Les partisans des putschs militaires n'atteindront pas leurs objectifs" a déclaré Recep Tayyip Erdogan. "Le 12 septembre sera un tournant dans l'histoire démocratique de la Turquie. Notre peuple a franchi une étape historique sur la voie de la démocratie et de la suprématie de l'Etat de droit. Quel bonheur d'avoir haussé le niveau des normes démocratiques en Turquie !" a-t-il indiqué à l'annonce des résultats.
"Pour beaucoup de Turcs qui s'exprimeront, ou choisiront de ne pas s'exprimer, il s'agit davantage d'un plébiscite sur le gouvernement islamo-conservateur" avait analysé Cengiz Aktar, professeur d'études européennes à l'université Bahcesehir d'Istanbul. "Ce scrutin avait des allures de vote de confiance pour l'AKP et celui-ci a obtenu la confiance" a souligné le politologue Tarhan Erdem. Riza Türmen, ancien juge à la Cour européenne des droits de l'Homme, juge toutefois élevé et problématique pour le gouvernement le fait que 42% des électeurs aient rejeté la réforme de la Loi fondamentale. "Une Constitution doit être le fruit d'un contrat social et il est évident que le nouveau texte n'en est pas un" a-t-il déclaré.
La consultation populaire est un échec pour les forces de l'opposition, notamment le Parti de l'action nationale (MHP) de Devlet Bahceli et le Parti républicain du peuple (CHP) de Kemal Kilicdaroglu, qui avaient fait campagne pour le "non".
Le 7 mai dernier, la réforme constitutionnelle, qui comprend 26 articles au total, avait recueilli les suffrages de 336 des 550 membres de la Grande Assemblée nationale, Chambre unique du Parlement, soit un nombre inférieur à celui nécessaire pour être définitivement adoptée mais suffisant pour être soumise à référendum. Le Président turc, Abdullah Gül, avait adopté le texte 5 jours plus tard.
La réforme constitutionnelle adoptée le 12 septembre stipule que les militaires soient jugés par des juridictions civiles et les personnes accusées de crimes contre l'Etat, y compris les officiers, poursuivies devant les tribunaux civils. Elle prévoit également que les officiers renvoyés de l'armée pour avoir eu des liens avec des groupes radicaux islamiques puissent faire appel. Enfin, le texte autorise le procès des leaders du coup d'Etat du 12 septembre 1980. Le texte modifie également la structure de la Cour de justice constitutionnelle dont le nombre de membres passe de 11 à 17 (3 seront nommés par le Parlement) et du Conseil de surveillance de magistrature qui passe quant à lui de 7 à 22 membres (4 seront nommés par le Président de la République).
Le texte soumis à référendum retire à la seule institution judiciaire le monopole de la décision de dissoudre les partis politiques, accorde de nouveaux droits aux fonctionnaires (dont celui de mener des négociations collectives mais pas celui de faire grève), promeut la discrimination positive en faveur des personnes âgées comme l'égalité des sexes et la protection des enfants et prévoit la création d'un médiateur. Enfin, la réforme constitutionnelle met la Turquie en conformité avec la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne signée par Ankara. Le Premier ministre avait répété durant la campagne électorale qu'il s'agissait par cette modification de la Constitution de renforcer la démocratie turque et de mettre le pays en conformité avec les normes européennes. La Commission européenne a d'ailleurs exprimé le 7 septembre dernier son soutien à la refonte de l'appareil judiciaire reprochant toutefois aux autorités turques l'absence de grand débat public avant le référendum. Il s'agit "d'un pas dans la bonne direction" a déclaré Michael Leigh, directeur général à la Direction générale Elargissement de la Commission européenne, après l'annonce des résultats.
Pour l'opposition, la réforme constitutionnelle menace l'indépendance de la justice et remet en cause la séparation des pouvoirs en accroissant le pouvoir du Président de la République et du gouvernement sur les institutions judiciaires, permettra à l'AKP de faire main basse sur les leviers du pouvoir en plaçant ses partisans aux postes clés du pays et enfin porte atteinte au principe de laïcité qui régit la Turquie depuis 1923.
"Il ne s'agit pas seulement d'une victoire du gouvernement, nous avançons vers une nouvelle Constitution. Ce n'est qu'un début. La Turquie avance vers la normalisation et la démilitarisation dont elle a besoin pour devenir un pays réellement confiant dans son avenir" a affirmé Cengiz Aktar. Pour Mithat Sancar, le professeur de droit, la victoire du "oui" n'est ni la victoire du gouvernement ni la défaite de l'opposition. "Le résultat montre que la majorité des Turcs sont opposés à ce que l'armée ou la justice s'immiscent dans la politique" a-t-il déclaré. Selon lui, les amendements adoptés le 12 septembre contribueront à rendre la vie politique turque "plus démocratique et plus civilisée". "Il y a une demande de démocratie de la part du peuple qui est vue comme le moyen de résoudre les problèmes. Et tous les partis politiques feraient bien de prendre cela au sérieux avant les prochaines élections" a-t-il conclu.
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