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Référendum sur la réforme de la Constitution en Turquie 12 septembre 2010

Actualité

Corinne Deloy,  

Fondation Robert Schuman

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25 août 2010
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Corinne Deloy

Chargée d'études au CERI (Sciences Po Paris), responsable de l'Observatoire des élections en Europe à la Fondation Robert Schuman

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Référendum sur la réforme de la Constitution en Turquie 12 septembre 2010

PDF | 216 koEn français

L'actuelle Constitution turque date du début des années 1980. Elle été rédigée après le coup d'Etat du 12 septembre 1980 dirigé par le général Kenan Evren. Troisième de l'histoire du pays, celui-ci a également été le plus sanglant : environ 5 000 personnes y ont perdu la vie, 6 000 autres ont été emprisonnées, 200 000 ont fait l'objet de procès, 10 000 ont été déchues de leur nationalité ; enfin des centaines de milliers d'individus ont été torturés. A l'issue de ce coup d'Etat, la Turquie a été dirigée par un Conseil de sécurité nationale avant que la démocratie soit rétablie dans le pays.

En Turquie, tous les hommes politiques – ceux de la majorité comme ceux de l'opposition – s'accordent à dire que la Loi fondamentale de 1982 ne correspond pas aux standards démocratiques internationaux. La nécessité de modifier le texte ne fait donc pas débat. C'est pourquoi le parti au pouvoir, le Parti de la justice et du développement (AKP), a proposé au Parlement en début d'année le vote de plusieurs amendements à la Constitution. Le 7 mai dernier, la réforme constitutionnelle a recueilli les suffrages de 336 des 550 membres de la Grande Assemblée nationale, Chambre unique du Parlement, soit un nombre inférieur à celui nécessaire pour être définitivement adoptée mais suffisant pour être soumise à référendum. Selon les textes en vigueur, celui-ci devait obligatoirement être organisé dans les 120 jours après le vote (la loi électorale a été modifiée et a réduit ce délai à 60 jours mais ce changement ne prend pas effet avant un an).

Le 12 mai dernier, la réforme constitutionnelle, qui comprend 27 articles au total, était adoptée par le Président de la République Abdullah Gül et deux jours plus tard, la date du référendum était fixée au 12 septembre prochain. Enfin, le 14 mai, le principal parti d'opposition, le Parti républicain du peuple (CHP), déposait un recours devant la Cour constitutionnelle dans le but de faire invalider 3 de ses articles : celui sur la dissolution des partis politiques, celui sur la structure de la Cour constitutionnelle et celui sur l'équivalent du Conseil supérieur de la magistrature (HSYK). Pour ce faire, le parti devait obligatoirement recueillir 110 signatures de parlementaires. Sa demande a été signée par les 97 députés du Parti républicain du peuple, 6 parlementaires du Parti de la gauche démocratique (DSP) dirigé par Masum Türker, un du Parti démocratique et 7 députés indépendants, soit au total 111 personnes.

Le 7 juillet dernier, la Cour constitutionnelle, gardienne officielle de la Constitution laïque de Turquie, rendait son verdict obtenu après 9 heures de délibération. L'institution judiciaire a annulé certaines dispositions du texte voté par le Parlement (comme par exemple la capacité donnée au Président de la République de nommer les membres du Conseil supérieur de la magistrature) sans toutefois le rejeter dans son ensemble.

La Cour constitutionnelle, présidée par Hasim Kilic, a, par le passé, rejeté plusieurs projets de réforme de la Loi fondamentale proposés par l'AKP.

Le texte soumis à référendum

La réforme constitutionnelle soumise au vote des Turcs le 12 septembre prochain stipule que les militaires soient jugés par des juridictions civiles et les personnes accusées de crimes contre l'Etat, y compris les officiers, poursuivies devant les tribunaux civils. Il prévoit également que les officiers renvoyés de l'armée pour avoir eu des liens avec des groupes radicaux islamiques puissent faire appel. Enfin, le texte autorise le procès des leaders du coup d'Etat du 12 septembre 1980.

Le nombre des membres de la Cour de justice constitutionnelle passera de 11 à 17 dont 3 nommés par le Parlement. Le Conseil de surveillance de magistrature passerait de 7 à 22 membres dont 4 nommés par le Président de la République.

Le texte soumis à référendum retire à la seule institution judiciaire le monopole de la décision de dissoudre les partis politiques. En 2008, l'AKP avait failli être interdit pour atteinte à la laïcité ; la Cour constitutionnelle a finalement choisi de priver le parti au pouvoir de la moitié des 26 millions € de subvention publique annuelle pour activités anti-laïques. La réforme constitutionnelle accorde de nouveaux droits aux fonctionnaires (dont celui de mener des négociations collectives mais pas celui de faire grève), promeut la discrimination positive en faveur des personnes âgées comme l'égalité des sexes et la protection des enfants et prévoit la création d'un médiateur. Enfin, le texte met la Turquie en conformité avec la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne signée par Ankara. Les 27 ont d'ailleurs salué le vote de la réforme par le Parlement turc.

Le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan (AKP) présente la réforme constitutionnelle comme un passeport pour l'Union européenne. Selon lui, ce nouveau texte renforce la démocratie et répond aux exigences des Vingt-sept. "Si nous adoptons une Constitution civile, nous verrons le processus d'adhésion de notre pays à l'Union européenne aller jusqu'à son terme comme cela est arrivé au Portugal et à l'Espagne" a déclaré Egemen Bagis, négociateur en chef avec l'Union européenne. "L'adhésion de la Grèce, de l'Espagne et du Portugal ont pris de la vitesse après qu'ils ont adopté des Constitutions civiles. Par conséquent, le 12 septembre prochain est l'occasion d'une avancée historique dans le processus d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne" a-t-il ajouté.

La campagne électorale

Les partis de l'opposition, le Parti de l'action nationale (MHP) de Devlet Bahceli et le Parti républicain du peuple, sont favorables à la majorité des articles de la réforme constitutionnelle mais rejettent ceux sur le contrôle des institutions judiciaires. Ils craignent que le texte accroisse le pouvoir du gouvernement sur la justice en augmentant le nombre de membres de la Cour constitutionnelle et en donnant au Parlement et au Président de la République le pouvoir de nommer certains d'entre eux. Ils affirment également que l'AKP pourra, avec cette nouvelle Constitution, faire main basse sur les leviers du pouvoir en plaçant ses partisans aux postes clés du pays et porter atteinte au principe de laïcité qui régit la Turquie depuis 1923.

"Nous dirons "non" aux changements, l'arrêt de la Cour constitutionnelle n'a pas satisfait nos demandes" a déclaré le nouveau leader du Parti républicain du peuple, Kemal Kilicdaroglu. Son parti a d'ailleurs choisi de mener campagne avec le slogan "Le "non" peut être bon", une phrase qui, en turc, contient un jeu de mots intraduisible.

De son côté, le Parti de la paix et de la démocratie (BDP) est plutôt favorable à la réforme constitutionnelle. Son leader, Yalcin Topcu, a déclaré que l'ensemble des partis politiques devaient soutenir les efforts du gouvernement pour amender l'actuelle Loi fondamentale. Il a également rappelé l'engagement de l'ancien leader du Parti républicain du peuple, Deniz Baykal, à voter "oui" au référendum si la Cour constitutionnelle annulait les articles modifiant la structure de la Cour constitutionnelle et du Conseil supérieur de la magistrature. "Le Parti républicain du peuple doit tenir ses engagements et voter "oui" au référendum" a-t-il déclaré.

"Notre noble nation ne doit pas se prononcer sur l'action du gouvernement ou sur les programmes politiques des partis de l'opposition mais sur l'avenir de la Turquie" a indiqué le Chef du gouvernement, Recep Tayyip Erdogan, qui a rappelé que le texte réduisait les pouvoir de la hiérarchie judiciaire et de l'armée. Le Premier ministre répète que le référendum est un outil démocratique et non pas politique et insiste sur le fait qu'en votant "oui", les Turcs feront le choix de "la voie de la démocratie".

Le référendum ayant lieu le 12 septembre prochain, la campagne électorale aura lieu durant le ramadan (qui se déroule cette année entre le 11 août et le 10 septembre). Kemal Kilicdaroglu, a d'ailleurs recommandé à ses partisans de ne pas laisser le tarawih (prière spécifique à la période du ramadan) à l'AKP et les a invités à se rendre dans les tentes installées par les municipalités où les croyants viennent rompre le jeûne (iftar). Cette consultation populaire sera le premier test électoral du nouveau leader du Parti républicain du peuple.

Un vote "non" serait bien sûr un excellent signal pour les partis de l'opposition à un an des élections législatives prévues pour l'été 2011. Le 11 août dernier, une enquête d'opinion réalisée par l'institut Sonar et publiée par le journal d'opposition Sozcu annonçait la victoire possible du "non" avec 50,9% (49,1% pour le vote "oui"). 5% des personnes interrogées n'ont pas exprimé de préférence ou déclaré qu'elles ne se rendraient pas aux urnes le 12 septembre prochain.

Le gouvernement pourrait pâtir de la hausse du chômage ou encore de la résurgence de la violence dans le sud-est du pays, région dominée par les Kurdes qui ont menacé à plusieurs reprises de profiter de la période de la campagne électorale pour mener des actions de rébellion. Un vote "oui" obtenu avec une courte majorité ou une faible participation constitueraient un désaveu pour le Premier ministre et pour son parti (le 12 septembre est un jour de fête où les Turcs célèbreront l'Aid Al Fitr qui célèbre la fin du ramadan).

Coïncidence, le référendum aura lieu le jour même du 30e anniversaire du coup d'Etat de 1980. "Le 12 septembre est un jour parfait pour faire face à la torture, à la cruauté et aux pratiques inhumaines du coup d'Etat du 12 septembre 1980" a déclaré le Chef du gouvernement le 21 juillet dernier.

Référendum sur la réforme de la Constitution en Turquie 12 septembre 2010

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