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Corinne Deloy,
Fondation Robert Schuman
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ENCorinne Deloy
Fondation Robert Schuman
Dans les pays balkaniques, les élections se suivent et se ressemblent. Après la Serbie, qui par deux fois les 13 octobre et 8 décembre derniers a vu son élection présidentielle invalidée pour cause de participation insuffisante, c'est au tour du Monténégro de faire face à cette même situation. Alors que la loi électorale requiert une participation de 50% minimum des inscrits, seuls 45,9% des Monténégrins se sont rendus aux urnes le 22 décembre dernier pour élire leur Président entraînant de fait l'invalidation du scrutin.
Le candidat du Parti démocratique des socialistes (DPS), Filip Vujanovic, vice-président de la formation et lieutenant politique du nouveau Premier ministre (et ex-Président de la République) Milo Djukanovic, a pourtant remporté une large victoire recueillant 83,9% des suffrages, loin devant ses dix adversaires (le candidat arrivé second n'obtenant que 5,9% des voix). En dépit des problèmes politiques posés par l'invalidation du scrutin, l'opposition, qui avait appelé au boycott de l'élection présidentielle, a savouré sa victoire. A l'issue de l'annonce des résultats de la participation, le Parti socialiste populaire (SNP) s'est refusé à tout commentaire contrairement au Parti populaire (NS) et au Parti populaire serbe (SNS) qui se sont ouvertement félicités de l'échec du scrutin.
Plusieurs explications sont avancées par les analystes politiques pour tenter de comprendre ce fiasco électoral. Tout d'abord, les électeurs monténégrins semblent fatigués des querelles incessantes de la classe politique comme des scrutins à répétition : l'élection présidentielle suivait de peu les élections législatives du 20 octobre 2002 (le précédent scrutin législatif ayant eu lieu le 22 avril 2001). En outre, le boycott de l'opposition et le retrait politique de l'Alliance libérale (LSCG) ont accentué la démobilisation de l'électorat monténégrin. Cette situation ne manque pas de nous interroger sur la démocratisation de la société monténégrine. « Personne n'a encore intégré le concept d'alternance, déclare un expert du Centre de monitoring des élections (CEMI) de Podgorica, les oppositions anticipent leur défaite en appelant au boycott pour essayer d'ôter toute légitimité au scrutin. Du coup, les cassures de la société se trouvent renforcées. Il faudrait que toutes les composantes de la scène politique acceptent véritablement les règles du jeu ».
Autre raison invoquée qui aurait conduit à la désaffection des urnes : le scandale qui a éclaté, début décembre, autour d'un trafic de prostituées et dans lequel seraient impliqués de hauts responsables politiques. A la suite des déclarations d'une jeune Moldave qui a réussi à échapper à la Mafia après avoir été forcée de se prostituer durant trois ans au Monténégro, l'enquête a conduit à l'arrestation du procureur adjoint de la République, Zoran Piperovic, et de plusieurs autres personnes soupçonnées d'appartenir à des réseaux de prostitution. Ce scandale n'a certes pas aidé à renforcer le civisme des Monténégrins. Alors que le nouveau Premier ministre Milo Djukanovic s'est engagé à faire « toute la lumière » sur cette affaire, baptisée « sexgate » par la presse, il a récemment décidé de ne pas reprendre dans son gouvernement Andrija Jovicevic, ministre de l'Intérieur du précédent gouvernement qui a personnellement ordonné l'arrestation du « numéro deux » du parquet monténégrin. Andrija Jovicevic incarne la nouvelle classe politique du pays, soucieuse de faire évoluer ce pays des Balkans vers un Etat de droit. Lors de la précédente législature, il a révoqué plus d'un millier de policiers et fait inculper environ trois cents d'entre eux pour corruption. L'ex-ministre de l'Intérieur a également multiplié par dix le nombre des saisies de drogue. Le désaccord intervenu autour du refus du nouveau Premier ministre de le renommer a envenimé les relations entre le Parti démocratique des socialistes de Milo Djukanovic et son partenaire au sein de la coalition au pouvoir, le Parti social-démocrate (SDP). Celui-ci menace dorénavant d'empêcher l'adoption par le Parlement monténégrin de la Charte du futur Etat de Serbie et Monténégro destiné à remplacer en janvier l'actuelle République fédérale de Yougoslavie.
Enfin, selon Nebojsa Medojevic, directeur du Centre pour une transition démocratique, organisation non-gouvernementale de Podgorica, la création de ce nouvel Etat a également contribué à éloigner des urnes certains Monténégrins pro-indépendantistes.
Dès le lendemain du scrutin, les observateurs de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) ont appelé à une modification de la loi électorale. « La possibilité de répéter les élections incessamment invite au boycott et contient le risque d'une instabilité politique » a ainsi déclaré Nikolai Vulchanov, chef de la mission d'observation de l'OSCE.
Pour l'heure, une nouvelle élection présidentielle avec les onze mêmes candidats aura lieu le 9 février prochain. En cas de nouvel échec, le processus électoral sera révisé, un amendement serait alors voté pour que le résultat de l'élection ne soit plus subordonné au taux de participation.
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