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A l'automne 2008, l'Islande s'est retrouvée en situation de faillite économique. La crise, qui a débuté par l'effondrement du marché immobilier aux Etats-Unis, a fini par toucher les établissements de crédit islandais. Les banques islandaises, qui avaient attiré de nombreux clients étrangers et engagé pas moins de dix fois le PIB du pays, se sont retrouvées alors avec le couteau sous la gorge et ne pouvaient plus financer leurs opérations ni rembourser leurs créanciers ou leurs déposants. La couronne islandaise a perdu en quelques mois la moitié de sa valeur, les entreprises et les ménages islandais, dont les crédits sont en devises étrangères, ont été ruinés et ne pouvaient plus rembourser leurs créances. Les faillites se sont multipliées et le nombre de chômeurs a explosé. Le 29 septembre 2008, la banque Glitnir en faillite est nationalisée, ainsi que les banques Kaupthing et Landsbanki (les 5 et 6 octobre). Ces trois établissements les plus importants de l'île représentaient environ 85% du système bancaire.
Les difficultés des banques islandaises ont véritablement commencé au début de l'année 2008. A cette époque, elles peinent à trouver des liquidités. La Landsbanki a alors l'idée de créer la banque en ligne Icesave. S'appuyant sur les taux d'intérêt islandais (élevés), l'établissement promet une forte rémunération à ses déposants et parvient à attirer les liquidités de nombreux Britanniques et Néerlandais. Mais lorsque le système s'effondre et après que les banques ont été nationalisées, l'Islande, désormais ruinée, se retrouve redevable d'une lourde dette envers le Royaume-Uni et les Pays-Bas. Ce sont en effet 3,8 milliards € que le pays doit rembourser à plus de 320 000 citoyens britanniques et néerlandais qui ont vu disparaître leurs économies confiées à Icesave, soit 40% du PIB national. Cependant, environ 85% de cette somme est récupérable par les actifs de la banque en faillite, mais pas avant quelque temps. Les Islandais paieront donc davantage d'intérêts et la somme totale qu'ils auront à honorer devrait s'élever à environ 2 milliards €.
L'affaire Icesave
Le 14 novembre 2008, le gouvernement islandais, contraint par l'Union européenne, s'engage à indemniser les 320 000 clients d'Icesave dans la limite de 20 887 € par personne. Les épargnants britanniques et néerlandais ont été partiellement indemnisés par leurs Etats respectifs qui se sont ensuite tournés vers les autorités islandaises pour se faire rembourser. En cas de refus, l'Islande est menacée de se voir refuser l'accès aux prêts du Fonds monétaire international (FMI) alors qu'elle a dramatiquement besoin d'argent pour sortir de la grave crise économique qu'elle traverse. Le 5 juin 2009, un accord est signé entre l'Islande et le Royaume-Uni et les Pays-Bas par lequel l'Etat islandais s'engage à apporter sa caution à un emprunt représentant 3,8 milliards €, remboursable en 15 ans au taux de 5,55% (les premiers remboursements ne sont pas prévus avant 7 ans). Cet accord, dans lequel l'Islande reconnaît sa responsabilité en rappelant qu'elle avait garanti les avoirs d'Icesave, sera voté par l'Althing, Chambre unique du Parlement le 28 août 2009 après dix semaines de débats. L'accord est conditionné à l'acceptation de limites des remboursements annuels afin que ces derniers n'empêchent pas le redressement économique de l'Islande. L'accord stipule que la garantie de l'Etat ne pourra aller au-delà de 2024 (celle-ci devra être renégociée si les paiements se poursuivent après cette date). Ce dernier amendement provoque la fureur du Royaume-Uni et des Pays-Bas comme celui du Fonds monétaire international qui cesse alors ses versements à l'Islande. Pour cette raison, la loi repassera devant le Parlement en décembre 2009 où elle sera ratifiée dans la nuit du 30 au 31 décembre par une courte majorité (33 voix pour, contre 30). La nouvelle loi supprime la limite de 2024.
Le choix périlleux d'Olafur Ragnar Grimsson
Après avoir été votée, la loi doit, pour entrer en vigueur, obligatoirement être ratifiée par le Président de la République, Olafur Ragnar Grimsson. Le 2 janvier 2010, l'association Indefence (à l'origine de la pétition intitulée "Les Islandais ne sont pas des terroristes" qui a recueilli 85 000 signatures) remet au Chef de l'Etat une nouvelle pétition lancée fin novembre 2009 et signée par 56 089 personnes lui demandant de ne pas ratifier la nouvelle loi par laquelle l'Etat islandais garantit le remboursement de l'emprunt Icesave. La pétition dépassera les 60 000 signatures, soit le quart de l'électorat de l'île, quelques jours plus tard.
Le 5 janvier 2010, le Président Grimsson annonce qu'il ne signera pas la loi sur l'accord Icesave. Selon la Constitution islandaise, en cas de refus du Chef de l'Etat, le texte doit être soumis à référendum. La décision du chef de l'Etat revêt un caractère exceptionnel où il n'existe qu'un seul précédent à ce refus. Le 2 juin 2004, le Président Grimsson avait apposé son veto à la loi sur les médias votée le 25 mai de la même année par la majorité des membres de l'Althing. Avec cette loi, le Premier ministre de l'époque David Oddson (Parti de l'indépendance) entendait lutter contre les concentrations dans le secteur des médias qui, selon lui, étaient susceptibles de restreindre la liberté du consommateur, non seulement au niveau économique mais également sur le plan politique. Le président du Parlement de cette époque, Halldor Blondal, avait qualifié la décision du Président de la République d'attaque contre la démocratie parlementaire tandis que les partis de l'opposition considéraient qu'elle renforçait la démocratie et les droits des Islandais. En 2004, le gouvernement avait fini par renoncer à son projet de loi sur la presse, abrogeant al loi le 22 juillet étant entendu qu'une éventuelle révision constitutionnelle réexaminerait ultérieurement le problème posé par l'usage par le Chef de l'État du droit de veto. Cette révision n'a toujours pas eu lieu, le gouvernement en place a prévu qu'une Assemblée constituante se réunisse en 2011 et se penche sur cette question (une première tentative a eu lieu entre janvier et avril 2009, à l'initiative du premier gouvernement de Johanna Sigurdardottir, qui a échoué face à l'opposition du Parti de l'indépendance). L'ancienne Présidente (1980-1996) Vigdis Finnbogadottir avait plusieurs fois expliqué qu'elle s'abstiendrait toujours d'apposer son veto sur une loi avec laquelle elle ne serait pas d'accord pour éviter de diviser le pays. Les référendums nationaux n'appartiennent pas à la tradition politico-constitutionnelle de l'Islande qui n'a eu recours qu'une seule fois à cette procédure au cours de son histoire, en 1944, lors de la proclamation d'indépendance du pays.
"J'ai décidé sur la base de l'article 26 de la Constitution de soumettre la nouvelle loi sur l'accord Icesave à la nation" a déclaré le 5 janvier Olafur Ragnar Grimsson qui s'est empressé d'assurer que son pays honorerait ses engagements financiers vis-à-vis du Royaume-Uni et des Pays-Bas. "L'idée que nous n'allons pas honorer nos engagements est complètement fausse. La seule chose que j'ai décidée est d'accorder le dernier mot au peuple islandais via un référendum, ce qui est conforme à nos principes démocratiques fondamentaux" a-t-il souligné, ajoutant "Impliquer toute la nation dans la décision finale est une condition nécessaire pour une solution couronnée de succès, pour la réconciliation et la reprise. Entre l'intérêt financier et la démocratie, le Président de la République doit choisir la démocratie".
Le 30 décembre 2009 avant le vote de la loi sur l'accord Icesave, les députés de l'Althing s'étaient prononcés contre une proposition de loi demandant l'organisation d'un référendum sur ce sujet. Les députés de l'opposition avaient voté en faveur de ce projet de loi, ceux de l'actuelle majorité emmenés par le Premier ministre Johanna Sigurdardottir contre y compris le Mouvement de gauche-Les Verts pourtant hostile à l'accord Icesave.
Le 19 janvier dernier, la ministre de la Justice Ragna Arnadottir a donc annoncé que le référendum sur la loi sur l'accord Icesave se tiendrait le 6 mars prochain.
Les véritables enjeux du scrutin
Pour le Président de la République, l'annonce de ce référendum est un moyen de gagner quelques points de popularité et de restaurer son image un peu ternie. Après sa décision, Olafur Ragnar Grimsson recueillait 64,5% d'opinions positives. Les partis de l'opposition peuvent également espérer se refaire une virginité en s'opposant à la loi. Assez étrangement, le Parti de l'indépendance et le Parti du progrès, au pouvoir en 2008 lors de l'éclatement de la crise financière et durant les années qui l'ont précédée, défendent une position similaire à celle que revendique le parti situé à gauche de la gauche, le Mouvement de gauche-Les Verts, partenaire au sein du gouvernement du Parti de l'alliance social-démocrate. Ce dernier, conduit par la Premier ministre Johanna Sigurdardottir qui avait mis tout son poids dans la balance pour arracher le vote de la loi au Parlement fin décembre 2009 menaçant même de démissionner, craint que la décision du Chef de l'Etat soit néfaste au pays et créé des tensions supplémentaires dans les négociations que mène l'Islande au sujet de son éventuelle adhésion à l'Union européenne. La Chef du gouvernement pense que si la loi sur l'accord Icesave est rejetée par les Islandais, le pays se retrouvera dans une position difficile pour négocier l'entrée du pays dans l'Union qui n'est pas du goût des opposants à la loi sur l'accord Icesave.
Enfin, le refus d'Olafur Ragnar Grimsson de signer la loi permet aux Islandais, dont beaucoup considèrent que la responsabilité de la faillite de la banque Icesave comme celle du pays incombe aux banquiers et aux autorités de régulation bancaire, de retrouver une meilleure image d'eux-mêmes. Beaucoup d'habitants considèrent la loi votée par le Parlement comme ruineuse pour le pays et redoutent que l'engagement financier qu'elle représente (jusqu'en 2024) empêche l'économie islandaise de se redresser. Mais tous les Islandais ne pensent pas ainsi. "Ce refus du Président de la République n'est pas bon. Il est porteur d'incertitudes quand nous avons besoin de stabilité. Dans cette affaire, nous n'avons pas d'alliés même auprès des autres pays nordiques" indique Arni Finnsson. "Ceux qui nous ont mis dans le pétrin voudraient maintenant que nous ne réglions pas nos dettes" poursuit-il.
En 2009, le PIB islandais s'est contracté de 8%. Le taux de chômage atteint quasiment les 9% de la population active et la monnaie islandaise a perdu la moitié de sa valeur depuis l'été 2008. Selon les analystes, l'économie ne devrait pas renouer avec la croissance avant l'année 2011.
La décision du Président Grimsson a soulevé de nombreuses critiques à l'étranger. Le Chef de l'Etat a pris le risque de déclencher une crise avec le Royaume-Uni et les Pays-Bas ainsi qu'avec le FMI, qui pourrait remettre en cause l'aide que celui-ci apporte au pays. Le FMI a accordé 2,1 milliards $ à l'Islande en novembre 2008 ; un milliard $ est encore en attente de versement. "Si un ou plusieurs membres pensent que nous devons attendre, nous devrons attendre" a ainsi déclaré mi-janvier Dominique Strauss-Kahn, directeur général du FMI. Le rejet de la loi sur l'accord Icesave lors du référendum pourrait en effet donner de l'Islande l'image d'un pays peu sûr et avec lequel il est difficile de commercer. "L'avis que nous devons rendre (concernant la demande d'adhésion de l'Islande à l'Union européenne) tiendra compte de toutes les considérations pertinentes pour l'évaluation y compris les critères économiques. Et dans ce contexte, des questions comme l'affaire Icesave seront analysées de très près" a souligné Amadeu Altafaj Tardio, porte-parole à la Commission européenne.
L'agence de notation financière Standard&Poor's a réagi à la décision d'Olafur Ragnar Grimsson et immédiatement placé la note souveraine de l'Islande sous surveillance négative ; l'agence Fitch Ratings a abaissé la note du pays de BBB à BB+. Pour Fitch Ratings, la loi sur l'accord Icesave constitue un élément essentiel de la restructuration financière de l'Islande.
Selon une enquête d'opinion réalisée par l'institut Gallup fin janvier, 61% des Islandais pensent que leur Président a eu raison de ne pas promulguer la loi sur l'accord d'Icesave, Un nombre similaire se disent prêts à voter "non" au référendum du 6 mars où ils auront à répondre à la question suivante : "Approuvez-vous la loi sur l'accord d''Icesave ?". Trois Islandais sur dix (30%) déclarent souhaiter en faveur de la loi. Les proches des partis de l'opposition sont majoritaires parmi les opposants au texte tandis que les sympathisants des partis actuellement au gouvernement se prononcent majoritairement en faveur du "oui".
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