La surprise est venue de la communauté bosniaque lors des élections présidentielle et législatives en Bosnie-Herzégovine le 3 octobre.

Selon des résultats encore partiels, Bakir Izetbegovic (Parti d'action démocratique nationale, SDA) arriverait en tête et deviendrait le futur Président bosniaque de la Présidence collégiale. Le fils du premier Président de Bosnie-Herzégovine (1990-1996, puis 1996-2000), Alija Izetbegovic, décédé en 2003, recueillerait 34,82% des suffrages et devancerait le Président sortant Haris Silajdzic (Parti pour la Bosnie-Herzégovine, SBiH) qui obtiendrait 24,87% des voix et n'arriverait qu'en 3e position derrière Fahrudin Radoncic, homme d'affaires propriétaire du plus grand groupe de presse du pays (et du quotidien de Sarajevo Dnevni Avaz), qui recueillerait 30,74% des suffrages.

Du côté de la communauté croate, le Président sortant, Zeljko Komsic (Parti social-démocrate, SDP), serait réélu à son poste avec 60.90 % des suffrages.

Au sein de la communauté serbe, le Président sortant Nebojsa Radmanovic (Alliance des sociaux-démocrates indépendants, SNSD) conserverait son poste avec 49.81% des suffrages, talonné par Mladen Ivanic (Parti du progrès démocratique, PDP) qui recueillerait 46.94% des voix.

La participation a été très légèrement supérieure à celle enregistrée lors des dernières élections du 1er octobre 2006 (+ 1,82 point) et s'est élevée à 56,30%. Des soupçons de fraude électorale se sont fait jour au sein de la communauté serbe concernant l'élection du membre serbe de la Présidence collégiale. "Un total de 13,24% de bulletins nuls à l'élection du membre serbe de la Présidence collégiale laisse supposer une possibilité de fraude et une enquête minutieuse sera menée à ce sujet" a souligné Suad Arnautovic, membre de la Commission électorale centrale de Bosnie-Herzégovine.

Le Haut représentant international, Valentin Inzko, s'est déclaré satisfait de l'organisation de cette journée de votes. Il a affirmé que le bon déroulement des élections présidentielle et législatives était "le signe de la maturité et un bon signe pour la démocratie en Bosnie-Herzégovine" ajoutant "J'espère que cela favorisera des changements dans ce pays, parce que s'il n'y a pas de changement, les élections ne sont pas nécessaires". Il avait exhorté les Bosniens à se rendre aux urnes. "C'est votre pays et votre responsabilité démocratique de décider de son avenir. Ne vous laissez pas distraire par les discours qui divisent. Concentrez-vous sur les questions qui vous préoccupent le plus dans votre vie quotidienne, tels que l'éducation, l'emploi, les services sociaux" avait précisé Valentin Inzko.

La percée de Bakir Izetbegovic constitue un revers pour Haris Silajdzic, personnalité incontournable de la communauté bosniaque depuis la guerre. Bakir Izetbegovic s'est déclaré favorable à un dialogue avec les Serbes de la République serbe (Republika Srpska) au contraire de son prédécesseur, violemment opposé à toute autonomie de l'entité serbe (celle-ci représente 49% du territoire de la Bosnie-Herzégovine). "Ce sont les élections les plus importantes d'après-guerre. Nous sommes à la croisée des chemins et nous devons choisir si nous voulons le progrès ou continuer à nous diriger dangereusement vers une disparition. Le temps des conflits est passé. Nous devons maintenant dialoguer. (...) La communauté internationale le veut et 90% des citoyens de Bosnie-Herzégovine le veulent. Si on ne peut pas nous aimer les uns les autres, faisons des efforts pour vivre mieux, c'est tout" a déclaré Akir Izetbegovic qui a promis de "stabiliser la situation en Bosnie-Herzégovine et de proposer aux citoyens de Bosnie un avenir meilleur". "Cela signifie la paix, et de meilleures conditions de développement pour l'économie et l'emploi" a-t-il affirmé.

Le leader de l'Alliance des sociaux-démocrates indépendants et Premier ministre sortant de la République serbe, Milorad Dodik, devrait être élu à la Présidence de la Republika Srpska. Il a recueilli 52.05% des suffrages et devance son opposant Ognjen Tadic (Parti démocratique serbe, SDS) qui a obtenu 37,10% des voix.

"Je suis heureux de constater que l'Alliance des sociaux-démocrates indépendants a démontré sa supériorité en Republika Srpska et au niveau de la Bosnie-Herzégovine" a déclaré Milorad Dodik à l'annonce des premiers résultats. Il a rappelé qu'il poursuivrait sa politique de "protection de l'autonomie de la République serbe de Bosnie". "Notre devise reste la Republika Srpska pour toujours et la Bosnie-Herzégovine tant que c'est nécessaire" a-t-il précisé. "Soit nous serons capables de trouver un compromis et une forme d'équilibre, soit nous devrons faire un autre choix, qui est celui de la séparation pacifique, vivre les uns à côté des autres et tisser des relations civilisées" a averti Milorad Dodik.

Milorad Dodik succèdera à la Présidence de la Republika Srpska à Rajko Kuzmanovic (SNSD).

Enfin, le Parti social-démocrate s'est imposé aux élections législatives de la République de Bosnie-Herzégovine et constituera la première force politique de la future Chambre des représentants (Predstavnicki Dom), Chambre basse du Parlement central (Skupstina).

Les élections ont donc débouché sur un résultat mixte. L'élection de Bakir Izetbegovic à la Présidence collégiale de la Bosnie-Herzégovine est un signe d'espoir pour le pays. Mais les nationalistes serbes sortent renforcés des scrutins en Republika Srpska comme au sein du pays. Bakir Izetbegovic aura beaucoup à faire pour rapprocher les différentes communautés et les faire travailler ensemble à l'amélioration de la situation du pays.

Srecko Latal, analyste de l'organisation de prévention des conflits internationaux, International Crisis Group (ICG), s'interroge sur la portée de l'appel de Bakir Izetbegovic aux habitants de la Republika Srpska. "Il semble que le compromis soit toujours perçu comme une faiblesse en Bosnie-Herzégovine. Sans compromis toutefois, ce pays se scindera et je ne suis pas sûr que cela pourrait se produire de façon pacifique" a-t-il déclaré.

"Ceux qui misent sur la prolongation de la situation auront donc sans doute raison. La Bosnie-Herzégovine risque de devenir une nouvelle Chypre, un pays divisé, avec une autonomie grandissante de la République serbe de Bosnie et une Fédération croato-musulmane confuse et fragmentée" affirme l'écrivain et historien Ivan Lovrenovic dans l'entretien qu'il a accordé au quotidien français La Croix du 3 octobre.

Quinze ans après les accords de Dayton (signés le 14 décembre 1995, ils mettent fin à la guerre dans l'ex-Yougoslavie et mettent en place la partition de la Bosnie-Herzégovine entre la Fédération de Bosnie-Herzégovine et la République serbe de Bosnie et le déploiement d'une force de paix multinationale), l'avenir de la Bosnie-Herzégovine reste sombre, divisé et plus incertain que jamais.