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Corinne Deloy,
Fondation Robert Schuman
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ENCorinne Deloy
Fondation Robert Schuman
Le 5 mai dernier, la Commission électorale centrale annonçait que 3 126 599 électeurs bosniens (les habitants de la Bosnie-Herzégovine sont des Bosniens, ils se répartissent en trois communautés majoritaires : les Bosniaques, les Croates et les Serbes) seraient appelés aux urnes le 3 octobre prochain pour élire les 3 membres de la Présidence collégiale et les 42 députés de la Chambre des représentants, Chambre basse du Parlement de la République de Bosnie-Herzégovine. Les habitants de la Fédération de Bosnie-Herzégovine (entité qui représente 51% du territoire) renouvelleront les 98 membres de la Chambre des représentants de leur Parlement et ceux de leurs assemblées cantonales ; les habitants de la République serbe (49% du territoire) éliront les 83 membres de leur Assemblée nationale, ainsi que leurs Président et vice-présidents. Plus de 8 000 candidats issus de 47 partis politiques et 14 candidats indépendants sont en lice pour tous ces scrutins.
Parmi les 400 000 Bosniens vivant à l'étranger, seuls 30 000 d'entre eux se sont inscrits pour voter. Pour la première fois, ils pourront remplir leur devoir citoyen dans l'ensemble des ambassades et des consulats du pays. Les Bosniens de l'étranger sont souvent peu nombreux à se rendre aux urnes. Les autorités s'attendent à ce qu'environ 8% d'entre eux votent. "A cause des problèmes politiques internes, la Bosnie-Herzégovine n'a toujours pas adopté la loi sur la diaspora qui devrait définir une stratégie nationale claire sur ce plan. C'est la raison pour laquelle nous n'avons pas de budget prévu pour ce genre de choses. Tout ce qui se fait est sur la base du volontariat et des initiatives associatives de nos citoyens" indique le ministre des Affaires étrangères, Sven Alkalaj.
La campagne a officiellement débuté le 3 septembre dernier. Elle devrait être centrée sur la question suivante : la Bosnie-Herzégovine a-t-elle besoin d'une plus grande centralisation ou est-il préférable que les deux entités qui la composent (Fédération de Bosnie-Herzégovine et République serbe de Bosnie) conservent leur autonomie ? Les Serbes de Bosnie sont favorables à cette dernière solution, tandis que les Bosniaques prônent une plus grande centralisation. Une mission de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) conduite par Roberto Battelli observera le déroulement du scrutin.
Un système politique complexe
La République de Bosnie-Herzégovine est une confédération composée de deux entités : la Fédération de Bosnie-Herzégovine et la République serbe de Bosnie (Republika Srpska). Le pays possède une Présidence collégiale élue pour 4 ans et composée de 3 membres – un Croate, un Serbe et un Bosniaque – chacun élu au suffrage universel par sa communauté. La direction de la Présidence alterne tous les 8 mois entre les différentes communautés. Haris Silajdzic (Parti pour la Bosnie-Herzégovine, SBiH) occupe le poste depuis le 6 mars 2010. Nikola Spiric (Alliance des sociaux-démocrates indépendants, SNSD) est son Premier ministre. Lors de la dernière élection présidentielle du 1er octobre 2006 avaient été élus dans ce collège présidentiel, Nebojsa Radmanovic (Alliance des sociaux-démocrates indépendants, SNSD) et Zeljko Komsic (Parti social-démocrate, SDP).
Le Parlement de la République de Bosnie-Herzégovine (Skupstina) est bicaméral et comprend la Chambre des représentants (Predstavnicki Dom) et la Chambre des peuples (Dom Naroda) dont les 15 membres (5 Bosniaques, 5 Serbes et 5 Croates) sont élus pour 4 ans par les Chambres basses des deux entités composant le pays : la Chambre des représentants de la Fédération de Bosnie-Herzégovine et l'Assemblée nationale de la République serbe de Bosnie. La Chambre des représentants compte 42 députés élus au suffrage universel direct pour 4 ans ; 28 sont désignés par la Fédération de Bosnie-Herzégovine et 14 par la République serbe.
La Fédération de Bosnie-Herzégovine (51% du territoire, 67% de la population et dont la capitale est Sarajevo) possède un Président de la République, Borjana Kristo (Union démocratique croate de Bosnie-Herzégovine, HDZ-BH), et deux vice-Présidents (un Bosniaque et un Serbe) : Mirsad Kebo (Parti d'action démocratique nationale, SDA) et Spomenka Micic (Parti pour la Bosnie-Herzégovine, SBiH). Ces personnalités sont élues par le Parlement de Bosnie-Herzégovine qui comprend 2 chambres : la Chambre des représentants, composée de 98 élus au scrutin proportionnel, et la Chambre des peuples comprenant 60 membres (30 Bosniaques et 30 Croates) nommés par les 10 assemblées cantonales de la Fédération. Mustafa Mujezinovic est l'actuel Premier ministre de la Fédération de Bosnie-Herzégovine.
La République serbe de Bosnie (49% du territoire, 33% de la population et dont la capitale est Banja Luka) est dirigée par un Président élu au suffrage universel direct. Rajko Kuzmanovic (SNSD) occupe ce poste. Il a succédé à Milan Jelic (SNSD) décédé le 30 septembre 2007. Milorad Dodik (SNSD) est son Premier ministre. Le Parlement de la République serbe de Bosnie est monocaméral, l'Assemblée nationale comprenant 83 membres élus au scrutin proportionnel pour 4 ans.
Les principaux partis politiques de la République de Bosnie-Herzégovine sont :
- le Parti d'action démocratique nationale (SDA), majoritaire à la Chambre des Représentants de la Fédération de Bosnie-Herzégovine, fondé en 1990 par Alija Izetbegovic, premier Président de Bosnie-Herzégovine (1990-1996 puis 1996-2000) et dirigé par Sulejman Tihic ;
- l'Alliance des sociaux-démocrates indépendants (SNSD), majoritaire dans la communauté serbe, créée en 1996 et dirigée par le Premier ministre sortant de la République serbe de Bosnie Milorad Dodik.;
- l'Union démocratique croate de Bosnie-Herzégovine (HDZ-BH), fondée en 1990 et dirigée par Dragan Covic, majoritaire au sein de la communauté croate ;
- le Parti pour la Bosnie-Herzégovine (SBiH) fondé en 1996 par le Président sortant de la République de Bosnie-Herzégovine Haris Silajdzic, veut préserver l'intégrité de la Bosnie-Herzégovine ;
- le Parti social-démocrate (SDP), créé en 1999 et dirigé par Zlatko Lagumdzija ;
- le Parti démocratique serbe (SDS), dirigé par Mladen Bosic ;
- le Parti du progrès démocratique (PDP) fondé en 1999 et dirigé par Mladen Ivanic ;
- l'Union démocratique croate 1990 (HDZ 1990).
La Bosnie-Herzégovine est sous tutelle d'un Haut représentant international – poste occupé depuis le 26 mars 2009 par Valentin Inzko – nommé par l'ONU. Le Haut représentant dispose de pouvoirs importants : il peut annuler toute décision des autorités du pays ou, à l'inverse, imposer des lois aux institutions bosniennes. Il peut encore destituer tout individu dont les actes sont contraires aux principes démocratiques. Valentin Inzko est aussi le représentant spécial de l'Union européenne pour la Bosnie-Herzégovine.
Les institutions centrales disposent de peu de pouvoirs, chacune des deux entités possédant outre ses propres institutions politiques, son armée, sa police, son système judiciaire, son système éducatif, etc. La communauté internationale, et notamment l'Union européenne, sont favorables à un renforcement des institutions centrales afin de permettre la mise en oeuvre des réformes nécessaires aux perspectives européennes du pays. La complexité du système politico-administratif –superposition de quatre échelons différents de pouvoir (municipalités, cantons, entités et Fédération) et forte décentralisation – ainsi que les difficultés de coordination entre institutions internationales et élites nationales expliquent une grande partie de problèmes de la Bosnie-Herzégovine. Les fonctions des organisations internationales ont cependant été considérablement réduites ces dernières années. Les bureaux de l'ONU à Sarajevo ont été fermés et la force de stabilisation de l'OTAN s'est retirée en décembre 2004, remplacée par une force européenne. Sur le terrain, les effectifs déployés sont passés de 7 000 hommes à moins de 2 200.
La Bosnie-Herzégovine est un Etat peu fonctionnel qui entretient une administration pléthorique rongée par la corruption. Le pays a échoué à modifier sa Constitution dans le sens souhaité par la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH). En effet, le système politique bosnien repose sur des critères d'appartenance à l'une des trois communautés. C'est pourquoi le recensement est une opération entraînant toujours de nombreuses divisions entre les communautés. Les élus serbes souhaiteraient, par exemple, voir inclure des critères ethniques et religieux dans le recensement auxquels sont opposés les Croates et Bosniaques. "C'est à qui protégera au mieux les intérêts d'un peuple face aux deux autres", déplore Srdjan Dizdarevic, ancien président du Comité Helsinki pour les droits de l'Homme. La Bosnie-Herzégovine compte 40% de Bosniaques, 37,1% de Serbes et 14,3% de Croates (chiffres CIA World Factbook, 2000). 40% de la population sont musulmans, 31% orthodoxes et 15% catholiques.
En décembre dernier, la CEDH avait demandé à Sarajevo de modifier sa Loi fondamentale qui, selon elle, discriminait les minorités présentes dans le pays en réservant les postes de l'exécutif ou du législatif (Parlement) aux seuls Bosniaques, Serbes ou Croates. Les Bosniaques et Croates ne peuvent être élus au sein des institutions politiques de la République serbe de Bosnie, et les Serbes dans celles de la Fédération de Bosnie-Herzégovine.
Les Serbes remettent régulièrement en question l'intégrité territoriale du pays et souhaitent une plus large décentralisation du pouvoir, les Bosniaques demandent le renforcement de l'Etat central, comme les Croates qui soutiennent l'Etat central de façon ambivalente.
"Est-ce que la République serbe de Bosnie se séparera de la Bosnie-Herzégovine ? Je suis convaincu que cela arrivera un jour mais cela doit se passer de façon pacifique, civilisée et non violente" a déclaré son Premier ministre Milorad Dodik. En février dernier, le Parlement de la République serbe de Bosnie avait voté une loi rendant plus facile l'organisation d'un référendum sur un sujet traitant de la souveraineté de l'entité. Les Serbes souhaitent la fermeture du bureau du Haut représentant international et la fin de l'intervention internationale afin que les hommes politiques bosniens soient souverains dans leur pays. Les Bosniaques se montrent moins pressés. La communauté internationale a mis plusieurs conditions à la fermeture du bureau. Lorsqu'il sera fermé, le Haut représentant conservera certains de ses pouvoirs. Les hommes politiques bosniens gagneront cependant en autonomie.
Pour faire avancer les différents acteurs de Bosnie-Herzégovine sur la voie du d'un accord, l'Union européenne et les Etats-Unis ont organisé un sommet avec les acteurs du pays les 8 et 9 octobre dernier à Butmir. La réunion a échoué à déboucher sur des avancées concrètes et les communautés qui peuplent le pays restent divisées.
Pour beaucoup, la Bosnie-Herzégovine ne pourra trouver la stabilité que par son intégration aux structures euro-atlantiques. Le pays a signé un partenariat européen, Instrument du processus de stabilisation et d'association, avec l'Union européenne. De même, le 23 avril dernier, la demande d'adhésion de la Bosnie-Herzégovine a été acceptée par l'OTAN.
Enfin, si son principal problème est politique, le pays connaît de grandes difficultés socioéconomiques. Le taux de chômage y culmine à 42%. Le PIB a chuté de 3,4% en 2009 (croissance de 0,5% prévue pour 2010), le PIB par habitant s'élève à 5 000 € ce qui met la Bosnie-Herzégovine au 132e rang mondial ; enfin, le pays, très montagneux, peine à attirer les investissements étrangers. La libéralisation du système économique est loin d'être achevé : les entreprises d'Etat sont encore très nombreuses (400 dans la Fédération de Bosnie-Herzégovine) et le gouvernement central est toujours propriétaire des terres, les entreprises payant pour les utiliser.
Les enjeux des élections
Valentin Inzko a déclaré que les élections présidentielle et législatives du 3 octobre prochain pouvaient contribuer à créer un élan en faveur d'un changement en Bosnie-Herzégovine, en particulier si les jeunes électeurs se mobilisent. Une évolution qui, selon lui, n'aura lieu que "si la communauté internationale reste concentrée sur la Bosnie-Herzégovine, le respect des Accords de Dayton (signés le 14 décembre 1995 qui mettent fin à la guerre dans l'ex-Yougoslavie et mettent en place la partition de la Bosnie-Herzégovine entre la Fédération de Bosnie-Herzégovine et la République serbe de Bosnie et le déploiement d'une force de paix multinationale) et continue de renforcer une atmosphère constructive pour les réformes constitutionnelles". "Le pays fait face à des problèmes qui doivent être rapidement réglés" a-t-il indiqué, ajoutant que les agissements contraires aux Accords de Dayton ont augmenté et que les "diatribes nationalistes et agressives" se sont multipliées. Le Haut représentant international a reconnu que la Bosnie-Herzégovine, qui demeure affectée par un manque de consensus sur son avenir, n'avait guère progressé vers l'adoption et la mise en œuvre des réformes indispensables au pays. "Les désaccords politiques chroniques surviennent alors que le chômage continue d'augmenter, que le niveau de vie chute et que la capacité des autorités à satisfaire les besoins de bases des citoyens a été systématiquement érodée par la baisses des revenus" a déploré Valentin Inzko. Il a toutefois mis en avant les négociations en cours avec l'Union européenne sur la possibilité pour les Bosniens de se déplacer sans visas dans l'espace Schengen, l'acceptation par l'OTAN de la candidature du pays au printemps dernier et enfin les regrets exprimés en mars dernier par le Parlement serbe sur le massacre de Srebrenica où environ 7 000 Bosniaques ont été tués en juillet 1995.
En visite à Sarajevo, la Haute représentante de l'Union européenne pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, Catherine Ashton, a appelé les Bosniens à soutenir le 3 octobre les hommes politiques qui pouvaient aider le pays à rejoindre l'Union européenne. "J'espère que durant la campagne électorale, les électeurs s'interrogeront sur le chemin que la Bosnie-Herzégovine doit suivre et qu'ils recevront de véritables réponses des hommes politiques sur les progrès qu'ils ont réalisés sur la voie de l'Europe" a-t-elle déclaré.
Selon une enquête d'opinion réalisée par le National Democratic Institute (NDI), les élections donneront lieu à peu de bouleversements. Les 3 membres du collège tripartite de la Présidence de la Bosnie-Herzégovine (Haris Silajdzic, Nebojsa Radmanovic et Zeljko Komsic) devraient conserver leur poste. Seul changement : le Parti d'action démocratique nationale (SDA) pourrait être devancé par le Parti social-démocrate (SDP) qui deviendrait le premier parti au Parlement de la République de Bosnie-Herzégovine. Milorad Dodik, crédité de 50,7% des suffrages, devrait être élu à la Présidence de la République serbe de Bosnie. Son slogan est "République serbe pour toujours".
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