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Politique des Réseaux Transeuropéens et investissements européens de croissance : le Lyon-Turin, c'est maintenant !

Industrie

François Lépine,  

Marc Lavédrine

-

25 juin 2012
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Lépine François

François Lépine

Préfet de Région (honoraire), Avocat au barreau de Paris, Vice-président Délégué du Comité pour la Transalpine – Liaison européenne Lyon-Turin.

Lavédrine Marc

Marc Lavédrine

Délégué Général du Comité pour la Transalpine – Liaison européenne Lyon-Turin.

Politique des Réseaux Transeuropéens et investissements européens de croissance ...

PDF | 662 koEn français

Introduction

Le secteur des transports, transfrontalier par nature, semble se prêter tout particulièrement à une intégration à l'échelon européen. Ce secteur est, en outre, une source potentielle d'investissements au service de la croissance et de la compétitivité, qui sont particulièrement nécessaires en cette période de conjoncture économique difficile pour l'Union européenne.

C'est dans ce contexte que, le 19 octobre 2011, la Commission européenne a soumis des propositions concernant les Réseaux Transeuropéens (RTE), qui sont actuellement en discussion au Conseil de l'Union européenne et au Parlement européen.

Nous nous proposons donc d'examiner celles-ci, leurs caractéristiques, les changements qu'elles introduisent. Nous examinerons ensuite un exemple emblématique d'investissement au service de la croissance et de la compétitivité dans le secteur des transports, celui de la construction de la nouvelle liaison ferroviaire fret et voyageurs Lyon-Turin. Nous conclurons par quelques réflexions sur la nécessité d'un cadre juridique et financier européen adapté à ce type de projet d'infrastructure à grande échelle.

 

1. Vers une véritable rénovation de la Politique des Réseaux Transeuropéens

Cette politique vient de loin. En effet, l'Europe des transports devait constituer le troisième pilier de la construction européenne dès le Traité de Rome. Il a toutefois fallu attendre 1994 pour qu'elle prenne véritablement corps sous la forme des Réseaux Transeuropéens. Ils ne concernent d'ailleurs pas que les transports, mais aussi les réseaux d'énergie et les réseaux digitaux [1]. Elle a été fondée alors sur une logique de projets prioritaires, généralement des axes nouveaux à créer concernant un nombre limité d'Etats membres. De 14 initialement, ces projets prioritaires sont devenus 31 en 2001. Malgré des succès indéniables comme la réalisation des Lignes à Grande Vitesse sur lesquelles circulent Thalys ou le pont-tunnel de l'Øresund entre la Suède et le Danemark, cette politique a souffert de 2 manques :

un budget adéquat pour que les financements européens constituent un effet de levier décisif. Ainsi, lors de la négociation du dernier cadre financier pluriannuel 2007 – 2013, la proposition de la Commission de 22 milliards € a été ramenée à 8 milliards €. A titre de comparaison, l'investissement en infrastructure en France a été de 15,9 milliards € pour la seule année 2005 (source FNTP),

un encadrement suffisamment contraignant pour que les Etats membres tiennent leurs engagements de réalisation. En effet, nombre de ces axes comprennent des sections transfrontalières pour lesquelles la motivation politique est souvent moindre que pour une infrastructure strictement nationale.

Les propositions du 19 octobre 2011 rompent largement avec ces logiques. En premier lieu, elles s'inscrivent dans une vision politique :

celle d'un budget européen, moteur de croissance et d'emploi pour l'Union européenne. Ainsi, la Commission associe aux Réseaux Transeuropéens une proposition de " Mécanisme pour l'Interconnexion en Europe " comprenant un budget de 50 milliards € pour la période 2014-2020 (dont 31,7 pour les transports) et une initiative en faveur d'emprunts obligataires pour le financement des infrastructures : les Project bonds. Ce budget, à comparer aux 8 milliards € de la période en cours, représenterait 10% du montant global des investissements à réaliser sur le réseau central d'ici 2030 ;

celle de la réduction de 60% des émissions provenant des transports d'ici 2050 et du développement d'une économie européenne la plus décarbonée possible. Ainsi, le réseau central est multimodal et privilégie le rail et tous les modes alternatifs à la route.

En second lieu, elles instituent un véritable réseau européen intégrant tant des infrastructures existantes - les plus nombreuses - à mettre aux normes pour permettre une circulation efficiente des transports dans l'espace européen, et des infrastructures nouvelles à créer, permettant de relier efficacement 83 pôles urbains, 37 aéroports et 83 ports de l'Union Européenne. Ce réseau dit central devra être opérationnel en 2030. Une seconde phase de déploiement du réseau à l'horizon 2050 devra permettre à la grande majorité des citoyens européens de se trouver à moins de 30 minutes du réseau central.

Enfin, elles renforcent la capacité de coordination de l'Union européenne pour la mise en œuvre effective de ce réseau central. Notamment 10 grands corridors structurant le réseau seront placés sous la responsabilité de coordinateurs européens aux pouvoirs accrus. Par ailleurs, le financement européen est porté à hauteur de 40% pour la réalisation des sections transfrontalières, les plus difficiles à réaliser pour des raisons politiques mais aussi pour des raisons géographiques (chaînes montagneuses, bras de mer, etc.).

 

2. La liaison Lyon-Turin : un exemple d'investissement au service de la croissance et de la compétitivité

Présentation et objectifs

Le Lyon-Turin [2] a pour vocation de créer une ligne ferroviaire moderne entre la France et l'Italie afin de permettre une liaison efficace tant pour le fret que pour les voyageurs. Cet axe est le point de passage tant de trafics est-ouest entre l'Espagne, le sud de la France, l'Italie et le sud-est européen que de trafics nord-sud entre le Royaume-Uni, le Benelux, le nord de la France et l'Italie. Cet axe est actuellement desservi par une ligne ferroviaire datant de 1871. Elle contraint les trains de fret lourds à circuler à 1300 m d'altitude, quand ces mêmes trains circulent en Suisse à 800 m au tunnel du Lötschberg et bientôt à 550 m au futur tunnel du Saint-Gothard. Elle contraint aussi les trains de voyageurs à circuler à 60km/h au passage des Alpes, mettant Milan à 7h de " TGV " de Paris, contre 3 heures pour Marseille située pourtant à la même distance : 800 km !

La nouvelle liaison Lyon-Turin est une infrastructure ferroviaire, principalement destinée au fret. Le développement du fret ferroviaire est une politique initiée par l'Union euroépenne qui a rencontré le succès. Avec une hausse de plus de 10% des volumes transportés au cours de la dernière décennie, le fret ferroviaire a enrayé son déclin dans la plupart des pays européens. La France, qui fait encore exception sur ce point, ne tardera pas à rejoindre le trend continental, du moins si elle souhaite relancer son industrie, tant ce mode de transport est adapté aux contraintes industrielles. Actuellement, 85% des échanges passant à la frontière franco-italienne sont routiers, quand ils ne sont que de 65% à la frontière italo-autrichienne et même 35% en Suisse. Le Lyon-Turin a pour vocation de faire évoluer cette part modale. Il permettra en outre de développer la " grande vitesse voyageurs " en Europe, offrant ainsi une alternative crédible au transport aérien sur les courtes distances. Par ces objectifs, le Lyon-Turin répond directement aux enjeux de " décarbonisation " de l'économie que s'est fixée l'Union européenne.

La liaison Lyon–Turin a trois composantes :

Le tunnel central de basse altitude relie Saint-Jean-de-Maurienne à Susa est la composante décisive car elle offre un itinéraire " de plaine " sous la montagne à une altitude inférieure à 600m. L'investissement nécessaire à sa réalisation est de 8,7 milliards €, dont 8,2 de travaux. Il permettra une exploitation efficace des trains de fret et un gain de temps d'une heure pour le trafic voyageurs. Ses chantiers préparatoires sont en cours depuis plusieurs années et 800 millions € ont d'ores et déjà été engagés avec un financement européen proche de 50%.

 

Les accès en France permettent de relier Lyon-Chambéry à Saint-Jean-de-Maurienne, soit 140 km de liaison en partie mixte fret-voyageurs, en partie dédiée au fret.

 

Les accès en Italie permettant de relier Susa à Turin, soit 60 km de liaison mixte fret-voyageurs.

Cette dernière composante, italienne, a fait l'objet de fortes contestations à compter de 2005. Un vaste processus de concertation a été initié alors sous l'égide de Mario Virano, Commissaire extraordinaire du gouvernement italien pour cette liaison. Il a abouti dans le courant de l'été 2011 à un nouveau tracé approuvé par une grande partie des communes concernées et par le gouvernement italien. Dans le même temps, le chantier préparatoire a démarré sur le versant italien. En mars 2012, Mario Monti, Président du Conseil italien, a choisi de faire du Lyon–Turin (ou plutôt, vu de Rome, de la Torino-Lione) un marqueur de sa politique fondée sur la rigueur budgétaire associée à l'investissement pour la compétitivité et la croissance.

Un facteur potentiel de croissance pour la France, l'Italie et toute l'Europe du sud

La dernière analyse coûts-bénéfices présentée à Rome le 26 avril 2012 met en exergue une rentabilité de 5% de l'ensemble de la liaison entre Lyon et Turin, soit une valeur actualisée nette de 12 à 14 milliards € après 50 ans. Les premiers bénéficiaires de cette liaison seront les entreprises, notamment industrielles, qui profiteront de la meilleure efficacité et du moindre coût du rail pour les transports à moyenne-longue distance.

Dès la phase du chantier, le choc positif sur la croissance sera sensible. La réalisation du seul tunnel de base dans les Alpes générera entre 6 et 10 000 emplois directs et indirects sur une durée de 10 années. Compte tenu de la répartition de cet investissement entre l'Union européenne, l'Italie et la France, ce choc positif peut être obtenu dans des conditions financières optimales.

Les impacts de cette nouvelle liaison dépassent largement le strict cadre franco-italien car elle constitue pour les transports au sud de l'Europe une " révolution " comparable à l'ensemble Tunnel sous la Manche–Thalys pour l'Europe du nord-ouest.

Le Lyon-Turin est le maillon central du corridor méditerranéen qui connecte entre elles, et avec le reste du continent, les grandes régions économiques à vocation industrielle du sud de l'Europe : les pôles économiques espagnols, notamment la Catalogne, le sud-est français notamment Rhône-Alpes sa deuxième région industrielle, le nord de l'Italie, deuxième bassin industriel de l'Europe (qui représente à lui seul 7% du PIB de l'Union). Au total, ce sont 200 milliards € d'échanges commerciaux annuels qui sont directement intéressés par cette liaison.

Une des caractéristiques de l'économie de l'Europe du nord est de bénéficier de réseaux de transports de forte densité et de grande qualité. Il suffit d'observer une carte pour le mesurer. Si l'Union dans son ensemble souhaite retrouver le chemin d'une croissance durable, il est nécessaire que le Sud dispose d'atouts comparables. Par les gains de temps et de performances qu'il offre pour le transport de marchandises comme pour les voyageurs, la liaison Lyon-Turin en est un décisif.

 

3. La nécessité d'un cadre juridique et financier européen adapté

S'il est un projet-phare de la politique des RTE, le tunnel de base de la liaison Lyon-Turin n'en reste pas moins un projet " hors norme ", du fait de son échelle. Déjà, lors de la discussion sur le règlement financier des RTE de 2007, la notion de projet à grande échelle est apparue (Large Scale Project). Il est temps maintenant de concevoir un cadre juridique adapté à leur réalisation.

Les projets à grande échelle se distinguent des autres projets d'infrastructures par l'alliance de 2 caractéristiques : un investissement important (plusieurs milliards €) et une réalisation non phasable : les bénéfices attendus sont liés à la réalisation de l'ensemble de l'investissement.

Dans le cas d'une ligne ferroviaire nouvelle en plaine, ou d'une autoroute, chaque section réalisée apporte des améliorations. C'est ainsi que les lignes sur lesquelles Thalys circule ont été mises en œuvre progressivement : d'abord de Paris à Lille, puis de Lille à Bruxelles, puis de Bruxelles à Amsterdam. Ceci permet de " phaser " l'opération pour, éventuellement, intégrer des contraintes budgétaires.

Dans le cas d'un tunnel sous les Alpes, tel que le tunnel sous le Mont-Cenis (Moncenisio) pour la liaison Lyon-Turin, un investissement " en bloc " de quelques 8 milliards € est nécessaire. Quelques autres grands projets européens ont les mêmes caractéristiques : le tunnel du Brenner entre l'Autriche et l'Italie (6,4 milliards €) ou le lien fixe du Fehmarn Belt entre le Danemark et l'Allemagne (5,1 milliards €).

En retour, ces projets à grande échelle apportent des bénéfices tout aussi hors normes, au sens où, le plus souvent, ils " changent la géographie " comme a pu le faire le tunnel sous la Manche à la fin du siècle dernier.

Le cadre juridique proposé par la Commission européenne doit intégrer ces spécificités au risque de se révéler inefficace pour la réalisation de ces infrastructures essentielles. Deux problèmes principaux se posent : l'engagement des Etats-membres disjoint de celui de l'Union européenne et les limites temporelles du cadre financier pluriannuel.

La règle en matière de financement des infrastructures au titre des RTE est que les Etats concernés, généralement 2 dans le cas des sections transfrontalières, s'engagent, y compris financièrement, sur la réalisation, puis viennent solliciter la Commission pour une subvention. Mais lorsque cette subvention peut atteindre 40% du montant total d'un investissement de plus de 8 milliards €, soit plus de 3 milliards, on comprend que ce processus aboutit à un cercle vicieux. Les Etats attendent le montant de la subvention pour s'engager et la Commission attend l'engagement des Etats pour fixer le montant de subvention. Compte tenu des sommes en cause, il serait plus approprié d'adopter un processus de type " closing " dans lequel chacun s'engage en même temps à apporter les ressources nécessaires à la réalisation de l'investissement. Bernard Soulage, Vice-président de la région Rhône-Alpes, dans son rapport au Comité des Régions sur la nouvelle politique des Réseaux Transeuropéens, propose la mise en œuvre de contrats de programme tripartites pour la réalisation des sections transfrontalières, engageant conjointement les 2 Etats et l'Union européenne. Une solution de ce type est aussi envisagée pour la mise en œuvre future de la politique régionale au travers des contrats de partenariat au sein desquels les régions, les Etats et l'Union européenne s'engageraient conjointement. C'est très certainement une voie de solution.

L'autre difficulté à lever est celle de la temporalité. L'engagement financier de l'Union est circonscrit aux 7 années du cadre financier pluriannuel (CFP). Or, ces projets à grande échelle sont le plus souvent réalisés sur 10 ans. Dans le cas du Lyon-Turin, la réalisation doit démarrer début 2014 pour s'achever entre 2023 et 2025, soit 2 cadres financiers. Dans le même esprit, il est difficile de réaliser un investissement si l'engagement financier d'un des 3 principaux acteurs ne couvre pas l'ensemble de l'opération. Dans le cadre du processus actuel, le taux de financement et les montants correspondants apportés par l'Union européenne ne seraient acquis que jusqu'en 2020, soit peu ou prou les 2/3 de l'opération. L'incertitude pèse tout de même 1 milliard €. Il serait donc nécessaire d'envisager que le contrat tripartite puisse engager l'Union européenne au-delà du CFP, jusqu'à la bonne fin de l'opération.

Ces adaptations du cadre juridique des Réseaux Transeuropéens peuvent être intégrées au cours de la discussion en cours tant au Conseil qu'au Parlement européen. Elles sont nécessaires aux corridors concernés par ces projets à grande échelle. Elles le sont aussi pour l'ensemble de cette politique des RTE qui doit pouvoir s'appuyer sur des réalisations phares où la plus-value européenne est évidente. Seuls ces projets à grande échelle, et singulièrement le tunnel de base du Lyon-Turin, sont susceptibles de l'apporter.

Il reste qu'à côté de ces adaptations, l'approbation des propositions de la Commission est nécessaire. Tout particulièrement, le budget de 50 milliards € alloué au Mécanisme pour l'interconnexion en Europe doit être voté par les Etats. La politique de croissance que recherchent l'Union comme les Etats membres est sans doute en partie dans cette initiative. D'ores et déjà, l'Italie souhaite que ce budget soit revu à la hausse. Si tel est le cas, et si les " Project bonds " européens voient le jour, nul doute que le développement d'infrastructures durables sera possible en Europe sur les 10 années à venir. Ces dernières constitueront alors une contribution décisive à la croissance et à l'emploi au sein de l'Union comme à sa transition vers l'économie de l'après-pétrole. Le Lyon-Turin s'inscrit pleinement dans cette logique.

Annexes

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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