Slovaquie : la société civile s'oppose à ses dirigeants

Démocratie et citoyenneté

Radovan Gura,  

Gilles Rouet

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24 mars 2025
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Gura Radovan

Radovan Gura

Professeur à l’Université Matej Bel de Banská Bystrica

Rouet Gilles

Gilles Rouet

Chaire Jean Monnet, Professeur à l’ISM-IAE de Versailles-St-Quentin-en-Yvelines, Université Paris-Saclay

Slovaquie : la société civile s'oppose à ses dirigeants

PDF | 209 koEn français

La Slovaquie traverse depuis quelques années une période de profondes mutations politiques. Marquée par une histoire complexe influencée par le mouvement panslaviste et l’héritage de la période communiste, la scène politique se caractérise par une instabilité croissante, une division de la société et une montée en puissance de discours populistes. Des événements successifs ont attisé les mécontentements et les protestations qui se focalisent désormais sur la personnalité du Premier ministre, Robert Fico.

Un mécontentement prégnant

Les élections législatives d’octobre 2023 ont vu s’affronter deux visions radicalement opposées de la politique slovaque : d’un côté, des partis progressistes (PS – Slovaquie progressiste, SaS – Liberté et solidarité et KDH – Chrétien-démocrate) qui prônent une plus grande intégration européenne et des réformes en profondeur ; de l’autre, des partis populistes et eurosceptiques qui développent un discours nationaliste, identitaire, critique envers l’Union européenne et l’OTAN (Smer-SD – Sociaux-démocrates, Hlas – Sociaux-démocrates modérés, SNS – Parti national). 
En capitalisant sur le mécontentement d’une partie de l’électorat, le Smer-SD a réussi à mobiliser un large soutien, notamment dans les régions les plus défavorisées du pays. L’élection présidentielle (mars-avril 2024) et les élections européennes (juin 2024) ont encore accentué ces divisions. La campagne a été marquée par des attaques personnelles et des débats reflétant la profonde division de la société slovaque. La guerre en Ukraine a joué un rôle majeur dans la rhétorique des partis gouvernementaux qui mettent en avant la question migratoire, utilisent des fake news liés en particulier à la guerre. L’attentat contre le Premier ministre Robert Fico le 15 mai 2024 a exacerbé un peu plus cette situation et les discours de haine et les attaques personnelles sont devenus encore plus fréquents. Les mesures de sécurité autour des responsables politiques ont été renforcées et des débats sur la liberté d’expression et la sécurité nationale ont dominé l’agenda politique. 

Depuis les dernières élections législatives d’octobre 2023, le pays est dirigé par une coalition gouvernementale très fragile, regroupant des partis politiques aux idéologies parfois divergentes. Cette coalition doit faire face à de nombreux défis, notamment :

- Les défis européens : la Slovaquie doit concilier ses intérêts nationaux avec les exigences de l’Union européenne. La politique étrangère définie par Robert Fico, opposée à l’aide militaire à l’Ukraine et remettant en cause la position pro-européenne et pro-OTAN du gouvernement précédent, inquiète les partenaires européens et discrédite la Slovaquie. De plus, la corruption reste un problème endémique en Slovaquie, ce qui continue d’éroder la confiance des citoyens dans les institutions et freine le développement du pays. Pour autant, la priorité du gouvernement semble bien de « blanchir » ces activités comme ses partisans emprisonnés avec des projets controversés comme la suppression du parquet anti-corruption, des réformes judiciaires risquant d’affaiblir l’indépendance de la justice et des restrictions visant les médias et certaines ONG. Cette politique est aussi justifiée par une accentuation des thématiques anti-migrations, anti-minorités et la dénonciation des « élites libérales ».

- La crise économique : comme de nombreux autres pays, la Slovaquie est confrontée aux conséquences de la pandémie de Covid-19 et surtout de la guerre en Ukraine à sa frontière orientale, l’une et l’autre ayant fragilisé son économie. L’OCDE a révisé à la baisse ses prévisions pour l’économie slovaque pour 2025, tout en anticipant une croissance plus rapide que celle prévue dans le budget national : une augmentation du PIB slovaque est prévue à 2,4 % et non à 2,7 % comme estimé préalablement. Le budget approuvé pour 2025 se base sur une estimation de croissance économique à 2,2 %, mais selon l’OCDE, l’inflation devrait s’accélérer, passant de 3,2 % à 4,4 %. Le plus inquiétant pour les citoyens est certainement l’augmentation de TVA à 23 % et la nouvelle taxe sur les transactions bancaires mise en place en janvier 2024 et qui impacte en particulier les petites entreprises (un plafond limite le montant de la taxe pour les transactions les plus importantes). Le gouvernement annonce cependant que les taxes relatives à l’alimentation devraient baisser.

- Les tensions sociales : les inégalités sociales, le chômage de longue durée et la précarité de nombreux ménages alimentent les tensions sociales et contribuent à la fragmentation de la société. Même si le taux de chômage est désormais de 5,4 %, il reste supérieur à celui des voisins du groupe de Visegrad (Hongrie-République tchèque-Pologne et Slovaquie), et même deux fois plus élevé que celui enregistré en République tchèque et en Pologne. En outre, le taux de personnes sans emploi depuis plus d’un an est parmi les plus élevés de l’Union européenne. Les tensions sociales sont également aggravées par les restrictions budgétaires, en particulier dans le secteur de la santé.

Des médias et mobilisations citoyennes opposés

Le gouvernement a bénéficié, lors des élections, du soutien d’une partie de la population, notamment dans les zones rurales et parmi les personnes âgées, séduites par le discours populiste sur la protection sociale, le rejet des élites et la critique de l’immigration, autant de thèmes largement relayés par des médias pro-gouvernementaux : le groupe médiatique News and Media Holding qui contrôle de nombreux journaux et magazines destinés à un large éventail de la population ; le groupe Mafra Slovakia qui appartenait à l’ancien Premier ministre tchèque Andrej Babiš ou encore Mayer Media, contrôlé par Ľuboš Blaha avec le magazine mensuel Extra Plus qui distille désinformations et articles partisans. Parmi les télévisons slovaques, la chaîne publique RTVS, TV Markíza et surtout la télévision TA3 sont désormais des vecteurs de propagande gouvernementale. 

Pour certains électeurs, les promesses de Robert Fico de maîtriser l’inflation et de soutenir les industries locales (en particulier le secteur automobile) correspondent à une certaine nostalgie de la stabilité alors que la guerre est à la frontière. Néanmoins, face à la montée d’un populisme qui se concrétise par des mesures anti-démocratiques, et à la reconnaissance d’une fragmentation au sein de la population, une partie de la société civile slovaque s’est mobilisée pour défendre les valeurs démocratiques et les droits de l’Homme. Des manifestations et des actions citoyennes ont été organisées régulièrement pour exprimer le mécontentement de la population et demander des changements, depuis les dernières élections parlementaires, et avec une intensification et une augmentation de la participation dans les villes slovaques en particulier ces derniers mois. Ainsi, des dizaines de milliers de personnes, surtout à Bratislava et à Košice, les deux principales villes du pays, ont d’abord protesté contre les réformes judiciaires. Des rassemblements ont également dénoncé les attaques contre les médias indépendants (comme lors du contrôle de la radio-télévision publique RTVS), avant de s’étendre à une opposition radicale contre Robert Fico et son gouvernement. 

Au-delà des manifestations, de nombreuses initiatives ont été prises au sein de la société civile slovaque pour promouvoir la démocratie, les droits de l’Homme et les valeurs européennes. Des ONG, par exemple le mouvement « Pour une Slovaquie décente » créé à partir des manifestations de 2018 après l’assassinat du journaliste Ján Kuciak, des mouvements citoyens et des médias indépendants jouent un rôle crucial dans ce contexte en informant les citoyens et en organisant des campagnes de sensibilisation et des débats publics. 

Le conflit qui a opposé une partie de la société civile au ministère de la Culture sur des questions liées à la liberté d’expression et à la protection du patrimoine culturel a mis en évidence au sein des médias et des espaces publics les tensions entre les défenseurs des valeurs démocratiques et un gouvernement accusé de vouloir restreindre les libertés individuelles. La nouvelle ministre de la Culture Martina Šimkovičová (représentante du parti national) a attisé les oppositions en prenant la décision de licencier les directeurs d’institutions culturelles, musées nationaux (Galerie nationale), théâtres et opéras, mais aussi de la radio-télévision, pour des raisons économiques et officieusement idéologiques. Le ministère a également décidé de modifier l’hymne national avec, trente-deux ans après sa mise en place, un nouvel arrangement, tout en conservant le texte et la mélodie initiale. Il s’agit de souligner ainsi l’importance et la signification de l’hymne en tant que symbole national.

La radicalisation des protestations 

L’apparition à la télévision russe de Róbert Fico a suscité des réactions importantes, attisées par l’annonce, le 25 décembre 2024, de la prochaine participation du Premier ministre aux commémorations du Jour de la Victoire à Moscou en mai 2025. Ainsi, l’association « La paix pour l’Ukraine », créée en réponse civique immédiate à l’envahissement de l’Ukraine par l’armée russe et qui organise des protestations publiques sous l’intitulé « La Slovaquie est l’Europe », a considéré que la rencontre du Premier ministre avec Vladimir Poutine était non seulement inutile, mais aussi inique, car le président de la  Russie est accusé par la communauté internationale de crimes de guerre.
Les partis d’opposition, en novembre et décembre 2024, ont mis en cause l’incompétence du gouvernement et fustigé l’attitude du Premier ministre qui nuit au pays. Ils ont aussi appelé à manifester partout en Slovaquie. Ainsi, le rythme et l’intensité des manifestations ont augmenté dans le froid hivernal, jusqu’à plus de 100 000 manifestants à Bratislava et des dizaines de milliers dans les autres villes en janvier 2025. 

Une autre forme de protestation a pris une ampleur inédite en Slovaquie : des pétitions et lettres ouvertes adressées au Premier ministre ou au gouvernement se sont multipliées contre le gouvernement ou avec une radicalisation sur la personnalité même de Robert Fico. 

Magda Vášaryová, ancienne secrétaire d’État des affaires étrangères et ambassadrice en République tchèque, a lancé une pétition début novembre 2024. Cette pétition, sous forme de protestation, est adressée au Premier ministre et a réuni au 30 janvier 2025 plus de 6 500 signataires, personnalités, universitaires, journalistes – pour ne citer qu’eux - qui dénoncent les agissements du Premier ministre et « ses démarches volontaristes qui depuis longtemps discréditent la République slovaque auprès des alliés et des États coopérants et détruisent le travail des experts en relations internationales et en coopération économique par des discours inconsidérés ». On peut également y lire : « Une apparition à la télévision propagandiste russe, dont les émissions sont également dirigées contre notre État, a franchi toutes les limites possibles que nous pouvions franchir par le silence ou le haussement de sourcils. Il est impossible de justifier sans fin ses propos déclarés publiquement, qui sont en contradiction flagrante avec ce qu’il a signé en tant que Premier ministre de la République slovaque, ou avec ce qu’il dit parmi nos alliés. Aucun pouvoir obtenu lors d’élections libres ne peut être transformé en une tentative de gouverner à vie au prix de ne pas respecter les règles d’un État démocratique. Notre protestation est motivée par notre intérêt pour l’avenir significatif de notre patrie et l’avenir des générations futures en République slovaque. » 

Une autre pétition, intitulée « Nous soutenons les psychiatres et les psychologues, l’UE, l’OTAN, l’Ukraine », proposée par Jozef Hasto et Anton Heretik, avait recueilli au 30 janvier 2025 près de 1 100 signatures. Le 15 mai 2024, Robert Fico a été blessé par balles par un homme dont les motivations restent confuses. Le 5 juin 2024, le Premier ministre a publié sur les réseaux sociaux un discours de quatorze minutes, préenregistré, dans lequel il qualifie l’assaillant « d’activiste de l’opposition slovaque », « messager du mal et de la haine politique ». Selon lui, cette haine a été alimentée et a échappé au contrôle d’une « opposition frustrée et en échec ». Il affirme que les représentants de l’opposition avaient encouragé des « excès violents ou haineux » à l’encontre de son gouvernement démocratiquement élu. En réaction à l’attentat, le gouvernement a décidé de mesures visant à renforcer la sécurité des hommes politiques et d’autres personnalités importantes, jugées généralement comme excessives et validées par le Parlement. 

La pétition, « lettre ouverte » propose une analyse « en tant que citoyens et professionnels du domaine de la psychiatrie et de la psychologie » du comportement du Premier ministre, « caractérisé par un style de plus en plus autoritaire, la manipulation des faits, le mensonge, la diffamation et les attaques contre les opposants politiques, les journalistes et les citoyens ordinaires qui expriment leur désaccord […] Votre comportement politique et vos positions proclamées polarisent la société et influencent son atmosphère émotionnelle. Elles génèrent frustration et mécontentement chez une grande partie de la population slovaque ». Robert Fico soutient des personnes « qui répandent des conspirations, des calomnies et des mensonges qui dévastent notre culture », et prend des initiatives avec la Russie qui remettent en cause « qui est l’agresseur final et qui est la victime qui se défend ». La pétition suggère que « l’agressivité et l’explosivité émotionnelle dans [… les] apparitions publiques soient devenues plus prononcées après la tentative d’assassinat », et que le stress subi par le Premier ministre puisse « avoir un impact » sur son comportement. 

Ce n’est pas la première fois que les experts en santé mentale de la Slovaquie diffusent leurs analyses sur la place publique : ils rappellent dans la pétition qu’en 1998, des réserves avaient été adressées à Vladimir Meciar, alors Premier ministre. Cette fois, les pétitionnaires demandent au Premier ministre de « développer […sa] capacité d’introspection et [… de] corriger [… son] comportement politique, y compris d’envisager de quitter la haute politique ».

Par ailleurs, la lettre ouverte adressée au gouvernement, initiée par des universitaires de tout le pays le 23 janvier 2025, avait réuni au 30 janvier 2025 près de 2 500 signatures. Des entrepreneurs et investisseurs, à leur tour, ont publié une lettre ouverte le 25 janvier 2025, qui appelle le gouvernement à ne pas mettre « en danger [… l’]économie et l’avenir de la Slovaquie en déconcertant les clients, partenaires et investisseurs étrangers avec des déclarations sur la sortie de l’UE », et à « soutenir l’amélioration de l’éducation et des compétences linguistiques des citoyens slovaques afin [de mieux pouvoir… ] faire face aux défis du marché mondialisé et accroître notre compétitivité ».

Enfin, 411 ONG et associations citoyennes critiquent le gouvernement et expriment leur indignation relativement à la gestion des affaires publiques et à la politique étrangère : « Nous voulons nous opposer fermement aux mesures du gouvernement qui vont à l’encontre des principes de gouvernance ouverte, de transparence dans l’exercice du pouvoir public, de libre accès à l’information, de participation citoyenne à l’élaboration de la législation, ainsi qu’aux mesures discriminatoires dans le domaine de la justice ». Les attaques verbales contre le secteur civil « rappellent les anciens régimes totalitaires (fascistes et communistes), qui ont suivi des étapes similaires pour établir un ordre politique non démocratique », alors même que les ONG « remplacent aujourd’hui l’État dysfonctionnel dans de nombreux domaines d’activité. Cela se voit particulièrement dans les domaines des soins de santé, de la santé mentale, de l’aide sociale, de l’éducation, de la culture, de la protection de l’environnement et des sports ». Ainsi, la limitation des financements et la remise en cause des ONG ne peuvent qu’aggraver « encore davantage les tensions sociales, la frustration et la polarisation de la société ». 

L’aggravation des tensions

Ces manifestations et pétitions ont suscité des réactions de la part du gouvernement et de ses soutiens. Une pétition, publiée le 27 janvier 2025, demande l’arrêt des financements d’ONG, en particulier « La Paix pour l’Ukraine », la liste des signataires n’étant pas publique. Il s’agit d’attirer l’attention du gouvernement sur « la présence possible de forces étrangères sur le territoire de la Slovaquie », ce qui remet en cause la « souveraineté nationale », la « démocratie » et la « stabilité politique » et d’arrêter donc de financer des organisations soupçonnées d'être liées à des « forces étrangères », ce qui rappelle bien évidemment des dispositions initiées par la Russie qui, depuis, ont été mises en place dans certains pays, comme en Géorgie. Il est intéressant de relever que la pétition souligne que « les citoyens de la République slovaque sont exposés à une désinformation ciblée, dont le but peut être d’instiller la peur et de déstabiliser la société », en particulier sur « le prétendu départ de la Slovaquie de l’UE et de l’OTAN ». Les manifestations actuelles sont dénoncées comme étant organisées « sous l’influence de forces étrangères ».

Le contexte de cyberattaques qui ont eu lieu en janvier renforce ce type d’accusation. Un des plus importants services électroniques de l’État, le cadastre, a été paralysé par une telle attaque début janvier 2025 : les données ont été cryptées par des pirates et les services ont dû être fermés pendant plusieurs semaines. Cette attaque met en évidence le besoin urgent de sécuriser les systèmes d’information et les réseaux des autorités de l’État qui traitent les données des citoyens, des institutions de l’État et des collectivités locales. Une autre cyberattaque a été tentée le 24 janvier contre la Compagnie Générale d’Assurance Maladie (VšZP) pour perturber l’infrastructure informatique, les données et les services. Grâce aux mesures préventives de sécurité, l’attaque a été efficacement contenue et n’a pas pénétré les systèmes internes ni menacé l’intégrité et la sécurité des données des assurés.

Pour le Premier ministre, cette cyberattaque contre un service de l’État est un moyen d’« éliminer les gouvernements désobéissants qui ont une opinion différente sur certaines choses ». Selon lui, cette cyberattaque comme celle contre le cadastre ne relèvent pas de coïncidences, mais sont le fait de représentants de l’opposition, d’organisations non gouvernementales financées par l’étranger, d’une grande partie des médias anti-gouvernementaux slovaques et d’agents étrangers qui se trouvent sur le territoire de la République slovaque, et qu’il faut expulser. Ces agents seraient les mêmes que ceux qui ont participé aux « événements en Géorgie » ainsi qu’au « Maïdan » en Ukraine[1]. Le 23 janvier, après la réunion du Conseil de sécurité de la République, Robert Fico a souligné l’existence d’une structure qui veut abuser des rassemblements pour aggraver les tensions et a fait part de ses inquiétudes quant à une éventuelle tentative de coup d’État en Slovaquie. Robert Fico évoque un rapport du SIS (service de renseignement civil) mentionnant « des informations sérieuses sur une opération d’influence organisée à long terme visant à déstabiliser la République »[2] et affirme que l’opposition politique s’est coordonnée avec des entités étrangères pour renverser son gouvernement en instrumentalisant une désobéissance civile planifiée, avec occupation de bâtiments gouvernementaux, blocage de routes et grèves nationales. Ces allégations ont été aussitôt rejetées par les dirigeants de l’opposition et les ONG concernées qui les considèrent comme des tentatives d’intimidation de la population slovaque.

Que peut-on attendre des mobilisations ?

Le gouvernement risque de s’isoler progressivement sur la scène européenne, notamment en raison de ses prises de position vis-à-vis de l’Ukraine ou de l’État de droit. Les prochains mois seront certainement déterminants pour réaliser un équilibre entre souveraineté nationale et engagements internationaux du pays. Mais les tensions peuvent encore s’aggraver si le gouvernement persiste dans ses réformes autoritaires et/ou si l’économie continue de stagner. Deux facteurs sont essentiels pour la suite : l’Union européenne peut décider d’intensifier sa pression sur le gouvernement, avec les procédures pour atteinte à l’État de droit, et la mobilisation citoyenne peut se poursuivre, ce qui est un signe de vitalité démocratique.
Au Parlement, les manifestations contre le quatrième gouvernement Fico et les déclarations de ce dernier ont eu évidemment des répercussions : désormais, la coalition au pouvoir a potentiellement perdu sa majorité parlementaire. En effet, lors du congrès du parti Hlas-SD, deux députés du parti ont été exclus et, avec deux autres députés, ont déclaré qu’ils ne voteraient plus au Parlement jusqu’à nouvel ordre, ce qui signifie que la coalition gouvernementale ne dispose plus que de 75 voix disponibles et a donc perdu sa majorité absolue qui est de 76 voix. 

De plus, le Président de la République Peter Pellegrini a convoqué le 4 février une table ronde des leaders des partis de la coalition gouvernementale (Smer-SD, Hlas et SNS) ainsi que les représentants des partis d’opposition (PS, SaS, KDH) pour discuter des orientations de politique étrangère. Il s’agit, pour le Président, de profiter « de cette occasion pour dire à tous les citoyens slovaques que l’adhésion de la Slovaquie à l’Union européenne et à l’OTAN est incontestable ». Mais sa proximité avec le Premier ministre actuel n’est certainement pas étrangère à la décision des partis d’opposition de ne pas participer à cette réunion.

***

La crise actuelle, politique et sociale, est telle qu’une partie de la population se mobilise avec des modalités anciennes (manifestations) et plus récentes (pétitions en ligne), se focalisant à la fois sur une ligne idéologique contestée et sur la personnalité et le comportement du Premier ministre, dont il est attendu une démission, comme en 2018… ce qui ne réglerait pas tous les problèmes.


[1] En référence au soulèvement populaire qui a renversé le président ukrainien pro-russe Viktor Ianoukovitch en 2014. 


[2] Les services secrets sont dirigés par le fils de Tibor Gašpar, accusé de graves abus envers la police à des fins politiques commis quand il était Président de la police entre 2012 et 2018. M. Gašpar avait été contraint à démissionner à la suite du meurtre du journaliste Jan Kuciak en 2018, qui avait aussi conduit Robert Fico à la démission après des manifestations importantes.

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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