Leçon d'introduction à la chaire Robert Schuman au collège d'Europe à Bruges, le 22 octobre 1953.


Explication de la crise franco-allemande du début de 1950


Crise en ce qui concerne plus particulièrement l'Allemagne, la politique nouvelle qui avait été inaugurée par les trois Alliés occidentaux, en juin 1948, les accords de Londres, avaient pour objet la restauration politique et économique de l' Allemagne, la création d'un nouveau cadre administratif.


En effet, la constitution de Bonn se situe en septembre 1949, les élections allemandes, le même mois, le Gouvernement fédéral également en septembre-octobre. Nous avons eu tout de suite les accords du Petersberg, en novembre 1949 ; mais tout ceci laissait un malaise croissant. En effet on appliquait une politique nouvelle avec des méthodes anciennes : c'est-à-dire, on faisait bien des concessions très larges, importantes, bien intentionnées mais toujours âprement marchandées, concessions que les vainqueurs réticents, méfiants, se laissaient arracher par une nation qui avait été vaincue, et se trouvait humiliée du fait qu'elle devait mendier ces concessions, mais qui avait d'autre part, de plus en plus, la conscience de sa force renaissante. La réhabilitation morale n'allait pas de pair avec la restitution progressive des libertés politiques.


En face de l'Allemagne, la France était toujours hésitante, elle mesurait, timidement, les risques de chaque renonciation nouvelle, renonciation à un droit ou à une garantie, à ce qu'elle considérait comme constituant une garantie. Je vous donne quelques exemples. La France revendiquait des réparations, ces réparations devaient être fournies sous forme de démontages et transferts d'usines. Combien tout ceci est aujourd'hui dépassé ! On n'en parle même plus, on en a effacé le souvenir ; d'ailleurs beaucoup de ces usines démontées ont, entre temps, été reconstruites avec l'argent américain, ce qui n'était évidemment pas le but de l'opération alors que la France et d'autres pays ont reçu les équipements démontés, démodés.


D'autre part, on discutait la limitation, l'interdiction de certaines fabrications ; on fixait le plafond de la production de l'acier ; on contrôlait la législation des Länder, comme de la nouvelle fédération elle-même, et ainsi de suite. On donnait d'une main ce qu'on reprenait de l'autre. Il y avait des sources particulières de mésentente ; il y avait déjà le problème de la Sarre dans toute son acuité, le problème de la Ruhr, toutes ces réglementations qui étaient intervenues unilatéralement sans le concours, sans la consultation de l' Allemagne : tout ceci ne créait pas un climat favorable.


Passons maintenant au domaine économique. La pénurie de charbon au lendemain de la guerre rendait nécessaire une répartition du charbon produit en Allemagne, répartition entre tous les pays importateurs. Et cette répartition s'était faite d'autorité par des organismes inter-alliés d'abord, puis par le Comité du Charbon de la Commission économique pour l' Europe qui siégeait à Genève, et enfin par l' Organisation européenne de Coopération économique, l'O.E.C.E. qui avait été créée en application du plan Marshall. Tout ceci se réglait en l'absence de l'Allemagne. Fin 1949, dans les accords du Petersberg, dont j'ai parlé tout à l'heure, l'Allemagne a bien adhéré à l' Autorité Internationale de la Ruhr, mais à contrecœur. C'était toujours un organisme basé sur le régime d'occupation. Il prenait ses décisions, d'après le point de vue et conformément aux intérêts du vainqueur. Tout en s'inspirant de la nécessité de restaurer l'économie allemande et de lui restituer progressivement son indépendance, la politique alliée se préoccupait en même temps de lui imposer des restrictions durables...


R. SCHUMAN, « Origines et élaboration du plan Schuman », Cahiers de Bruges, décembre 1953, pp.4-5.