Démocratie et citoyenneté
Birgit Holzer
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Birgit Holzer
Correspondante pour la France, Reportrois
La dernière enquête Eurobaromètre, publiée le 25 mars 2025, fait état de taux d'approbation historiquement élevés en faveur de l'Union européenne, alors que les partis nationalistes et eurosceptiques ne cessent de progresser au Parlement européen et/ou dans les États membres. Selon ce sondage, 74% des citoyens estiment que leur pays bénéficie de l'appartenance à l'Union européenne, ce qui constitue le taux le plus élevé jamais enregistré depuis le début de l'enquête en 1983.
Ce qui semble être un paradoxe peut s'expliquer par un changement de discours : même les populistes de droite ne remettent plus l'Union européenne en question. Voilà qui constitue un triomphe indéniable de l'idée européenne. Ce sont aussi des chiffres dont les pères fondateurs de l'Union européenne n'auraient pu que rêver. Face à la multiplication de nouvelles souvent négatives qui font la une des journaux en Europe et dans le monde, et face à la progression des partis nationalistes europhobes dans nombre de pays, ils semblent paradoxaux. Ils s'expliquent partiellement par une atmosphère géopolitique et économique très tendue et peuvent, justement dans ce contexte, insuffler de l'optimisme.
Les citoyens souhaitent plus d'Union, pas moins
C'est en période de crise que l'opinion publique semble considérer que l'Union européenne remplit sa fonction de projet de paix, assurant la prospérité et la sécurité des populations. Guerre d'agression brutale de la Russie contre l'Ukraine, cyberattaques et menaces russes contre l'Europe, défection des Etats-Unis en tant qu'allié historique sous la présidence de Donald Trump, risque d'être pris entre deux feux dans la guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine, menace d'une récession mondiale : face à la pression croissante de l'extérieur, de moins en moins d'Européens se posent la question de l'utilité de l’Union. Bien au contraire, ils se sentent protégés par elle et souhaitent même un renforcement de l'engagement européen de leurs pays respectifs. « On n'a jamais autant parlé d'Europe qu'en ce moment », a déclaré le Franco-Allemand et ancien député européen Daniel Cohn-Bendit. Depuis longtemps, l'Europe ne semble plus être un problème - mais la solution.
Les autres résultats de l'enquête, pour laquelle plus de 26 000 entretiens ont été menés entre début janvier et début février 2025 avec des habitants des vingt-sept États membres, sont également éclairants quant à l'image que les citoyens ont de l'Union européenne et aux attentes qu'ils ont envers elle. Ainsi, les personnes interrogées estimant que l'appartenance à l'Union est bénéfique ont cité comme principales raisons le maintien de la paix et le renforcement de leur propre protection. On peut en déduire que vivre en paix et en sécurité sur le continent européen n'est plus considéré comme allant de soi, contrairement à ce qui était le cas au cours des dernières décennies. Parmi les valeurs auxquelles tiennent les Européens la paix est citée en premier (45%) ainsi que la démocratie (32%) et la protection des droits de l'Homme dans l'Union européenne et dans le monde (22%). Les réponses sont restées stables par rapport à l'année précédente, ce qui peut être considéré comme une preuve de soutien inébranlable aux valeurs et principes fondamentaux de l'Union.
Les jeunes en particulier souhaitent que l'Union européenne joue un rôle plus important
Même le plus grand pays européen est trop petit pour faire face aux autres grandes puissances dans le contexte tendu actuel. C'est pourquoi les alliances d'États, et en premier lieu l'Union européenne, sont considérées comme le meilleur moyen d'être protégé en cas d'urgence. Même l'OTAN - bien qu'elle ne soit pas le sujet de l'enquête - semble revalorisée depuis le début de l'invasion de l'Ukraine par la Russie le 24 février 2022, alors que le président français Emmanuel Macron l'avait qualifiée en état de « mort cérébrale » en novembre 2019 dans le cadre d'un conflit avec la Turquie, les États-Unis et leurs actions en Syrie. Au vu de la fiabilité douteuse des États-Unis sous Donald Trump, qui a laissé entendre qu'il pourrait remettre en question le pacte d'assistance mutuelle, la protection effective par l'Alliance atlantique ne semble plus aller de soi. Cela peut être l'une des raisons pour lesquelles les Européens se tournent davantage vers l'Union. Selon l'Eurobaromètre, 62% d'entre eux espèrent que le Parlement européen gagnera en importance. Deux personnes interrogées sur trois expriment le souhait que l'Union européenne joue un rôle plus important pour protéger les citoyens contre les crises et les dangers mondiaux. Cette attente est particulièrement marquée chez les plus jeunes. La demande d'une plus grande « autonomie stratégique », formulée par Emmanuel Macron depuis son discours de la Sorbonne de 2017 consacré à l'Europe, trouve aujourd'hui un écho, bien que tardif. Les citoyens de l'Union, tout comme les dirigeants européens, sont plus conscients que jamais que les États membres doivent s'occuper eux-mêmes de leur capacité de défense - et le faire ensemble pour être efficaces. En Allemagne, le chancelier sortant Olaf Scholz avait inventé le slogan pertinent de « changement d'époque ».
Les grands problèmes de notre époque ne peuvent être résolus au niveau national
Outre la défense et la sécurité, les principaux domaines dans lesquels l'Union européenne devrait renforcer son positionnement international sont la compétitivité, l'économie et l'industrie, indique l’Eurobaromètre. Ces réponses montrent également à quel point les citoyens sont marqués par un sentiment croissant d'insécurité face à la guerre en Ukraine et par la crainte que la Russie n'attaque un État membre de l'Union ou un pays de l'OTAN dans les prochaines années, comme l'ont mis en garde plusieurs services secrets européens, dont ceux d'Allemagne et de Lituanie. De plus, les craintes d'un déclin économique et d'une hausse du chômage augmentent en raison de la politique douanière imprévisible et hostile du président américain. Une Union européenne unifiée est nécessaire pour faire face à ces évolutions. Avec ses 450 millions d'habitants et un produit intérieur brut de 17 000 milliards € en 2023 - légèrement plus que la Chine - elle doit affronter les autres grandes puissances avec confiance et utiliser cette force. La prise de conscience que les grands problèmes de notre époque ne peuvent pas être résolus au niveau national s'est imposée. Il s'agit notamment de l'inflation et du coût élevé de la vie, qui préoccupent quatre Européens sur dix, ainsi que de l'indépendance énergétique, alimentaire et agricole. Le thème de la protection du climat est largement écarté de l'attention publique, mais il n'en est pas moins crucial pour l'avenir.
Moins de blocages, plus de solutions communes
Près de neuf Européens sur dix (89%) souhaitent que les États membres se présentent et agissent de manière encore plus unie pour faire face aux défis mondiaux : un résultat que les chefs d'État et de gouvernement devraient prendre à cœur. Car ce qui freine le plus l'Union européenne, que ce soit en matière de stratégie économique, de sécurité et de défense commune ou de politique migratoire, c'est la recherche toujours fastidieuse de compromis. Contrairement à leurs affirmations officielles, de nombreux dirigeants nationaux se contentent régulièrement de chausser leurs lunettes nationales sur les sujets controversés : protection de l'industrie automobile par l'Allemagne, opposition de la France à l'accord avec les pays d’Amérique latine du Mercosur par égard pour une partie des agriculteurs ou obstruction régulière du Premier ministre hongrois Viktor Orbán, que ce soit au sujet des sanctions contre Moscou ou d’accords sur les réfugiés. En revanche, en acceptant pour la première fois une dette commune lors de la crise de Covid-19, l'Union européenne a montré qu'elle pouvait proposer des solutions dans une situation d'urgence, même si certains États membres ont dû se surpasser pour cela. La valeur ajoutée de l'appartenance à cette Union était déjà évidente à ce moment-là. La moitié des personnes interrogées dans le cadre de l'étude ont une image positive de l'Union européenne. Ce chiffre n'a été plus élevé qu'au printemps 2022, au début de l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Le taux d'approbation du Parlement européen est stable à 41%. Cela représente six points de pourcentage de plus que l'année précédente.
Contradiction : malgré l'approbation de l'Union européenne, les partis nationalistes gagnent du terrain
Dans le même temps - et c'est là qu'une contradiction semble apparaître - les partis nationalistes et populistes de droite progressent dans les sondages et les élections dans nombre d’États membres. Ils s'opposent plus ou moins ouvertement au projet européen. Ces partis, qui se présentent le plus souvent comme les seuls « vrais » représentants du peuple, remettent en question tous les mécanismes de coopération qu'une grande majorité des citoyens européens réclament. Pourtant, ce paradoxe ne nuit pas à leur succès dans les urnes.
Après les élections européennes de juin 2024, le Parlement européen est orienté vers la droite comme jamais auparavant. Au cours de la législature précédente, il existait deux groupes de droite radicale, Conservateurs et réformistes européens (CRE), voire d’extrême droite, Identité et démocratie (ID). En 2024, les groupes se sont partiellement recomposés. Aux côtés des Conservateurs et réformistes européens qui compte désormais 80 députés, se trouve le nouveau groupe des « Patriotes pour l’Europe » qui en compte 86, ainsi que le groupe « L’Europe des nations souveraines » avec 26 élus.
Dans les États membres, les partis conservateurs, souverainistes et populistes de droite ne se trouvent pas seulement dans l'opposition ; ils participent parfois au gouvernement. Les Démocrates de Suède (DS), qui rejettent explicitement les entités supranationales telles que l'Union européenne, soutiennent le Premier ministre Ulf Kristersson (PPE). En Finlande, les Vrais Finlandais, eurosceptiques, font partie du gouvernement dirigé par Petteri Orpo (PPE). Aux Pays-Bas, le Parti pour la liberté (PVV) de Geert Wilders, hostile à l'islam et à l'Europe, est devenu la première force à la Chambre des représentants lors des élections législatives de 2023 avec 23,7% et forme, avec trois autres partis, le gouvernement de coalition dirigé par un Premier ministre sans étiquette, Dick Schoof. En Autriche, le parti d'extrême droite, Parti de la liberté (FPÖ) a remporté les élections législatives de l'automne 2024, et a tenté de former un gouvernement avec le parti populaire (ÖVP) arrivé en seconde position. Il a échoué en raison de positions et d'idées trop éloignées sur la composition du gouvernement. C’est finalement Christian Stocker (PPE) qui dirige un gouvernement tripartite avec les sociaux-démocrates et les libéraux. En Hongrie, Viktor Orbán, dont le parti Fidesz fait partie du groupe parlementaire « Patriotes pour l'Europe » au Parlement européen, est un Premier ministre qui fait souvent de l'Union européenne un bouc émissaire et qui a bloqué les décisions communes sans provoquer de rupture ouverte. Pour Orbán, une sortie de l'Union européenne n'est pourtant pas à l'ordre du jour. Le pari politique serait trop risqué, comme le montre l’Eurobaromètre selon lequel les Hongrois ont une image nettement positive de l’Union européenne. 63% des Hongrois souhaitent qu’elle joue un rôle plus important pour protéger ses citoyens. 74% des Hongrois estiment qu’ils bénéficient de l’appartenance à l’Union européenne – tout comme la moyenne en Europe.
Le phénomène Giorgia Meloni - de la critique de l'Union européenne à une attitude plus constructive
Le cas de la Première ministre italienne Giorgia Meloni est particulier, et il explique mieux que tout autre la prétendue contradiction entre le sentiment pro-européen dans les États membres et les bons scores électoraux des partis nationalistes eurosceptiques. Durant la campagne électorale précédant sa victoire en octobre 2022, Giorgia Meloni avait fait preuve d'un sentiment anti-européen agressif, critiquant le traité de Lisbonne, le pacte budgétaire européen et, dans un premier temps, le plan de relance européen post-Covid dont l'Italie a pourtant largement profité. Elle avait exigé que les lois européennes soient à nouveau soumises aux lois nationales. Le magazine allemand Stern l’avait alors qualifiée de « femme la plus dangereuse d'Europe ». Mais dès qu'elle a été au pouvoir avec ses alliés de la Ligue (extrême droite) et de Forza Italia (PPE), les craintes des pro-Européens ne se sont pas vérifiées. En effet, elle paraît modérée par rapport à Matteo Salvini, chef de la Ligue, ministre et numéro deux du gouvernement, souvent critiqué pour ses propos anti-migrants, sa ligne dure et sa proximité affichée avec le Kremlin. La présidente du Conseil italien fait certes pression sur la justice de son pays et intervient dans le travail des médias publics, au point que l'organisation de défense des droits civiques, Civil Liberties Union for Europe, l'a accusée de « récession démocratique ». Elle adopte également une ligne tranchée en matière de politique d'immigration. Mais au sein du Conseil européen, Giorgia Meloni agit de manière constructive. Elle ne remet pas en question le soutien à l'Ukraine, vote les sanctions contre la Russie et il n'est pas question que l'Italie quitte l'Union européenne. Ceci n’est pas non plus le souhait des Italiens dont 88% disent, selon l’Eurobaromètre, que les Etats membres devraient être plus unis face aux défis actuels. Plus de deux Italiens sur trois estiment que leur pays bénéficie de l’appartenance à l’Union européenne.
Giorgia Meloni sert d'exemple pour montrer comment les populistes de droite s'adaptent, sur le plan rhétorique et programmatique, au sentiment pro-européen de la population et se concentrent sur d'autres revendications, notamment celles visant à limiter l'immigration et à durcir les règles d'asile. La critique systématique de l'Europe ne se trouve plus depuis longtemps au centre du discours et il s'agit, une fois en fonction, d'adopter une attitude pragmatique pour faire avancer le pays. C'est un triomphe pour l'Union européenne.
Le Brexit comme modèle négatif
Marine Le Pen (Rassemblement national (RN)) a discrètement fait ses adieux à son ancienne revendication de sortie de la France de l'Union européenne et de la zone euro, qui avait été centrale pendant des décennies sous la direction de son père, Jean-Marie Le Pen, chef de l'ancien Front national (FN) pendant de nombreuses années. Lors de la campagne présidentielle de 2022, la candidate du RN a tenté de justifier son revirement depuis la campagne de 2017 en affirmant qu'elle souhaitait désormais changer profondément l'Union européenne de l'intérieur « pour faire de l'Europe une association des nations libres ». Elle a continué à montrer ses réflexes nationalistes en proposant de déconnecter la France du réseau électrique européen et en refusant de faire bénéficier ses voisins de la dissuasion nucléaire de la France et de mener un dialogue stratégique à ce sujet. L'extrême droite n'a pas changé ses convictions anti-européennes mais a abandonné le combat pour la sortie de l'Union. Cette revendication n'est simplement pas en mesure de réunir une majorité.
C'est ce qui distingue le RN français de l'AfD allemande, qui s'est créée en 2013 en réaction à la crise de la dette, en critiquant l'euro, l'Union européenne et les aides aux pays économiquement faibles de l'Union. Depuis, le parti n'a cessé de glisser vers la droite sur le plan idéologique et continue de se battre pour quitter l'Union et la zone euro. Les deux partis ne siègent plus au sein des mêmes groupes au Parlement européen. Mais, même pour l'AfD, il ne s'agit plus aujourd'hui de l'objectif central.
L'exemple négatif du Brexit joue sans aucun doute un rôle repoussoir à cet égard. Cinq ans après la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, il apparaît que les conséquences négatives pour le pays, son économie et sa population l'emportent nettement. Le prétendu « retour du contrôle » promis par les partisans est également une revendication courante des populistes de droite dans d'autres États. Elle n'était pourtant qu'un leurre. Il est intéressant de noter que face aux défis massifs auxquels le continent européen est confronté suite aux attaques russes et au désengagement des États-Unis, on peut observer le rapprochement du Royaume-Uni avec l'Union européenne. Au printemps 2025, les réunions se sont multipliées sous de nouveaux formats, associant le Royaume-Uni en tant que partenaire important. Le Premier ministre Keir Starmer a assumé, aux côtés d'Emmanuel Macron, un rôle de leader pour trouver des réponses européennes à la situation de crise et ne pas laisser les décisions fondamentales aux autres grandes puissances.
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Cela confirme les résultats de l'Eurobaromètre : en temps de crise, lorsque des questions existentielles telles que celles relatives à sa propre sécurité et à sa capacité de défense sont remises en question, les citoyens estiment qu’aucun pays ne peut s'en sortir seul. Les Européens forment une communauté de destin - et c'est une force. Les citoyens européens le savent également, bien que nombre d'entre eux votent pour des partis qui veulent vider l'Union européenne de sa substance. Il est donc d'autant plus important d'identifier et de montrer clairement les positions respectives et leurs conséquences possibles, d'inciter les dirigeants politiques à faire des déclarations claires afin d'annoncer la couleur - contre ou pour l'Union européenne. C'est ce que souhaite une grande majorité de la population.
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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