Les élus locaux européens, acteurs de premier plan de la transition écologique

Climat et énergie

Ferréol Delmas

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20 novembre 2023
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Delmas Ferréol

Ferréol Delmas

Directeur général du think tank « Ecologie responsable ». Diplômé en droit (Panthéon-Assas), en histoire (Paris-Sorbonne), en affaires publiques et communication (Paris-Saclay).

Les élus locaux européens, acteurs de premier plan de la transition écologique

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En préambule, il convient de revenir aux fondements de la construction européenne pour mieux comprendre comment il est possible, à travers le prisme européen, d’allier transition écologique et (re)valorisation du rôle des élus locaux à partir de la subsidiarité. Dans cette vision, une autorité centrale ne peut s’atteler à des tâches que si celles-ci ne peuvent pas être réalisées à l'échelon inférieur. C’est un principe fondamental du droit européen qui pourrait, en matière écologique, être le fer de lance d’une meilleure appréciation environnementale par les citoyens européens et un outil pour nos dirigeants. 

Très concrètement, la subsidiarité est un principe philosophique issu de la pensée d’Aristote pour qui la société se compose de groupes emboîtés les uns aux autres, dont chacun accomplit des tâches spécifiques et pourvoit à ses propres besoins. Ainsi, comme le présente Chantal Delsol, membre de l’Académie des sciences morales et politiques, « pour Aristote, chaque groupe travaille à répondre aux besoins insatisfaits de la sphère immédiatement inférieure en importance ». Cette vision se perpétue dans l’héritage chrétien avec la vision de saint Thomas d’Aquin, pour qui la vie de la Cité doit s’organiser dans cette subsidiarité. Dans la même logique, la construction européenne réalisée par des démocrates-chrétiens comme Robert Schuman, Père fondateur et président du Parlement européen de 1958 à 1960, se comprend selon cette règle. Dans l’Union européenne, ce principe de subsidiarité est cardinal comme le précise l’article 5-3 TUE.

L’avenir de la planète au cœur des enjeux européens

La question de l’avenir de la planète est au cœur des principaux enjeux européens et mondiaux. L’Europe souhaite être le continent pionnier en la matière. La politique européenne environnementale se décline selon quatre principes : la précaution, la prévention, la correction des atteintes à l’environnement et le principe du « pollueur-payeur ». Le paquet « énergie-climat », adopté en décembre 2008, vise à réduire l’émission des gaz à effet de serre et à accroître l’utilisation d’énergies renouvelables et à économiser 20% de la consommation d’énergie d’ici 2020. En 2014, le second paquet « énergie-climat » fixe les objectifs européens pour 2030 : diminution de 40% des émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990 ; proportion minimale de 27% pour les énergies renouvelables ; amélioration d’au moins 27 % de l’efficacité énergétique. On y ajoute des mesures comme l’interdiction du plastique à usage unique en 2019, également prise par l’Union européenne. 

L’ambition européenne est déclinée dans le Pacte vert, lancé en 2019, par la Commission européenne qui souhaite atteindre, à l’échelle de l’Union européenne, d’ici 2030, au moins une diminution de 55% des émissions de gaz à effet de serre afin de permettre à l’Union européenne d’être le premier continent climatiquement neutre. Très ambitieux, ce pacte introduit de nouvelles dispositions dans de nombreux domaines comme l’économie circulaire, la rénovation des bâtiments, la biodiversité, l’agriculture et l’innovation. Fondé sur des taxes carbone, il a surtout été au cœur des discussions pour son volet biodiversité.

Le 10 novembre, le Parlement et le Conseil ont trouvé un accord sur le projet « restauration de la nature » dont l’objectif est de restaurer au moins 20 % des zones terrestres et maritimes de l’Union européenne d’ici 2030. Le dispositif sera étendu à l’ensemble des écosystèmes qui souffrent d’ici à 2050, avec une gradation progressive. In fine, ces mesures concernent au moins 30% des écosystèmes terrestres et marins abîmés d’ici à 2030, puis 60% d’ici à 2040 et 90% d’ici à 2050. Il est important de noter que ce texte ne concerne pas seulement les campagnes mais aussi les villes : la surface des espaces verts, mais aussi du couvert arboré urbain ne pourra pas diminuer, sauf si cette part est déjà supérieure à 45%. Les Etats s’engagent à prévenir toute dégradation dans les zones en bon état ou celles qui font l’objet de mesures de protection, comme le réseau Natura 2000, sans obligation de résultat néanmoins. Les Etats ont également ajouté des exceptions pour les projets d’énergies renouvelables ou d’infrastructures de défense.

Le pacte vert européen suscite beaucoup de remous et exacerbe les clivages politiques. De nombreux députés du Parti Populaire Européen (PPE) se sont opposés à certains aspects du projet, qui menaçaient de sacrifier la souveraineté alimentaire en réduisant les espaces dévolus à l’agriculture. Les Verts européens ont fustigé « les forces climatosceptiques ». Cela pourrait laisser des cicatrices à l’approche des élections européennes de juin 2024 comme le démontre la déclaration de Roberta Metsola, présidente du Parlement européen.

L’enjeu et le dilemme résident là. L’Europe se doit d’être une force motrice de l’environnement de demain, qui se prépare aujourd’hui. Pourtant, jamais les décisions européennes n’ont été aussi mal perçues par nos concitoyens. Selon une étude IPSOS en 2022, 37% des Français seraient climatosceptiques, soit une augmentation de 10% en un an. Ces chiffres sont comparables dans les autres pays européens : augmentation de 3% en Italie et de 6% en Pologne.

Les chiffres de la défiance ne cessent de progresser s’élevant à 64 % dans la classe ouvrière, selon une étude d’octobre 2022. Que dire des sondages à l’aube des élections européennes, accordant un score important d’intentions de vote à des partis eurosceptiques, notamment en France ? Que dire de la montée de partis comme le BBB, parti de fermiers aux Pays-Bas, lors des élections provinciales de mars dernier ? 

En 1989, François Mitterrand disait « la France est notre patrie, l’Europe est notre avenir ». Face à un avenir incertain, l’Union européenne ne doit pas être aveugle et doit se réinventer. Pourquoi ne pas repartir des fondamentaux européens comme le principe de subsidiarité en redonnant plus de poids aux territoires et aux terroirs, ainsi qu’aux élus locaux, notamment les maires ? Il est temps d’appliquer une réelle décentralisation européenne fondée sur la subsidiarité. 

Être leader sur le rassemblement

Une bonne politique est celle qui permet d’allier l’efficacité, un résultat probant et un degré suffisant de consensus. Dans certains domaines, l’Europe arrive à concilier ce savant équilibre. En fait, l’Europe doit être un espace d’harmonisation des politiques environnementales, mais surtout de protection des Européens face aux pays tiers. La taxe carbone aux frontières en est l’exemple parfait. Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MCAF) a été adopté par l’Union européenne en mai 2023 ; il est progressivement entré en vigueur le 1er octobre 2023. Ce dispositif de l’arsenal règlementaire européen impose certains produits issus de l’importation dans l’Union européenne à une stricte tarification carbone équivalente à celle appliquée aux industriels européens. Ce mécanisme vise dans un premier temps les denrées importées suivantes : l’acier, le ciment, l’aluminium, les engrais azotés et l’hydrogène.

Les maires, têtes de pont du développement durable en Europe

La vigueur de nos institutions viendra en choisissant de faire confiance aux élus locaux, sur le terrain. Le maire, au niveau européen, possède des compétences fondées sur différents fondements juridiques : il est en première ligne face aux différentes intempéries climatiques (avalanches, inondations, incendies, pollutions, etc.) avec un réel pouvoir. Il possède aussi des compétences en matière de collecte des déchets ménagers, de remise en état d’espaces pollués par des déchets, ou de règlementation de la circulation. Il est compétent en matière d’urbanisme, il a la responsabilité, en outre, de l’éclairage public, de l’aménagement et/ou l’exploitation de production d’énergies renouvelables, de la mise en place d’actions tendant à maîtriser l’énergie ou de l’aménagement des réseaux de chaleur. Les communes sont vraiment les acteurs principaux pour réduire de manière durable la consommation énergétique afin de rentrer dans les objectifs européens. 

Comme le montre, par exemple, une analyse publiée lors des élections municipales françaises de 2020, les collectivités peuvent agir sur le patrimoine bâti (écoles, gymnases, piscines, etc.) pour réduire la facture énergétique avec un plan ambitieux de rénovation du parc. On retrouve ces initiatives locales dans de nombreuses villes européennes : en Suède à Malmö, le maire développe de nouveaux écoquartiers entièrement écologiques capables de résister au réchauffement climatique. A Francfort-sur-le-Main, en Allemagne, la politique environnementale du maire Mike Josef (SPD) est saluée par la totalité des associations, notamment écologistes, pour son urbanisme respectueux et pour la préservation du fleuve. En Espagne, la ville de Valence, dirigée par Maria José Catala (PP) a été élue « ville verte européenne » en 2023 pour la création du parc naturel de l’Albufera et la bonne gestion des déchets urbains. 

Pour inciter les villes européennes à s’engager dans une démarche environnementale, un « Prix de la Capitale verte de l’Europe », piloté par la Commission européenne, a été lancé en 2006. Ce dernier souhaite lier environnement et aménagement urbain. Parmi les villes lauréates, on peut citer Essen (Allemagne), en 2017, pour ses efforts de reconversion environnementale de friches industrielles ; Nimègue (Pays-Bas), en 2018, pour son programme qui vise à devenir autosuffisante d’un point de vue énergétique d’ici 2045 ; Oslo (Norvège), en 2019, pour sa protection renforcée de la biodiversité ou, encore, Tallinn (Estonie), en 2023, pour « son engagement à réduire les émissions de carbone, à restaurer la biodiversité, ainsi qu’à promouvoir l’innovation et la gouvernance durable. »

Le maire peut aussi mettre en place un « plan vélo » dans sa commune pour développer une mobilité douce, et développer les transports en commun avec des bus et tramway. 

Dernier domaine important : l’alimentation avec les cantines scolaires. Les maires possèdent un vrai rôle à jouer dans la lutte contre le gaspillage alimentaire mais aussi le choix des menus avec un prise en compte des circuits courts. 

Quel poids des maires en Europe ?

La place des maires en Europe est complexe. D’un côté, les mairies sont représentées au sein du Comité européen des Régions (organe représentatif des collectivités locales, c’est-à-dire les communes, départements et régions). Il s’agit d’une instance consultative qui doit promouvoir les intérêts locaux notamment ceux de la décentralisation et de la subsidiarité. Ce travail de représentation est aussi assuré par le CCRE (Conseil des Communes et Régions d’Europe), qui plaide pour une meilleure prise en compte des collectivités à l’échelle européenne. Il s’agit d’influencer les décisions européennes, tout particulièrement la législation et les politiques communautaires par l’interaction entre gouvernements, élus locaux et dirigeants européens. Ce conseil est tout particulièrement actif dans le domaine du jumelage : 26 000 jumelages existent entre villes européennes. Il s’agit, de ce point de vue, d’une franche réussite. Le CCRE avait aussi mis en œuvre la Charte des Libertés communales dès 1953 afin de faire reconnaître « l’autonomie locale comme facteur de développement et d’émancipation ». Des progrès apparaissent avec, par exemple, la création de la Charte européenne de l’autonomie locale sous l’égide du Conseil de l’Europe mais aussi avec le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux toujours sous la direction du Conseil de l’Europe. Mais le poids des maires reste relativement faible.

Si les grandes villes, surtout les métropoles, peuvent se faire entendre avec une certaine facilité, le dialogue est plus ardu avec les communes périurbaines et rurales. Les métropoles sont très insérées dans les circuits décisionnels européens – la métropolisation pousse d’ailleurs à cette concentration des pouvoirs et réseaux - laissant souvent des villes plus petites sur le bord du chemin. Sentiment de relégation, malaise et incompréhension persistent chez de nombreux élus locaux, dont beaucoup se sentent abandonnés dans un univers normatif de plus en plus difficile à comprendre. Pour eux, l’Europe semble lointaine et l’obtention de fonds européens très difficile tandis que, face à eux, les métropoles pèsent ensemble avec des regroupements comme le « C40 Cities » qui rassemble des mégalopoles hyperconnectées pour lutter contre le dérèglement climatique. 

Le millefeuille européen des territoires

Le « C40 Cities » est un mastodonte. Fondé en 2005 par l’ancien maire de Londres Ken Livingstone, ce rassemblement regroupe 94 des villes les plus importantes dans le monde et 6 villes avec un statut de « villes observatrices ». Il s’agit d’un conglomérat très important, représentant 600 millions d’habitants, 25% du PIB mondial et …70% des émissions de gaz à effet de serre. 

L’idée n’est pas de remettre en cause une telle alliance de villes pour le climat. C’est une démarche innovante et surtout essentielle car la participation des « géants » pour réduire l’empreinte carbone n’est pas négociable. Mais le rôle des petites communes ne doit pas être oublié. Les petites communes sont une spécialité française en Europe. Selon Dexia, banque des collectivités territoriales, 40% des communes européennes sont françaises. Le fort sentiment d’incompréhension des habitants de ces territoires ne doit pas être minoré, si l’on veut réellement réduire le sentiment de déclassement. Cette impression est commune à de nombreux pays européens (Italie, Grèce, Espagne) dans lesquels les citoyens se sentent à la fois délaissés par les politiques publiques et très éloignés du processus décisionnel européen qui sert parfois de bouc-émissaire facile. Le marketing urbain actuel, c’est-à-dire cet ensemble de techniques pour promouvoir et valoriser les villes, doit pouvoir se décliner aussi dans la « ruralité ». Des territoires périphériques et ruraux se retrouvent en proie à l’angoisse du déclassement. C’est à ces populations qu’il faut s’adresser en utilisant la fameuse subsidiarité. 

L’Europe a une carte à jouer. En appliquant le principe de subsidiarité, elle pourrait être la protectrice des communes les moins intégrées dans la mondialisation. Elle pourrait les aider à rentrer de plain-pied dans l’ère de la transition écologique. Les communes perçoivent certaines aides européennes, notamment en matière environnementale, grâce à leurs capacités d’entregent, notamment auprès des régions. Par exemple, dans la région française Sud (anciennement Provence-Alpes-Côte-d’Azur), le président Renaud Muselier (RE), ancien député européen, connaît bien les dispositifs. Tout comme Stefano Bonaccini (PD), président de la région d’Emilie-Romagne, président depuis 2016 du Conseil des communes et régions d’Europe.  

Le dispositif « Escale zéro fumée » permet d’accompagner le branchement électrique à quai des navires qui stationnent dans les ports à l’échelle européenne comme, par exemple, à Hambourg, Marseille ou Venise qui reçoivent des aides européennes pour adapter le modèle de pêche, réduire la concentration de pollution liée au fret de marchandise ou de tourisme.

Les fonds européens servent aussi au développement rural. Le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) prône la compétitivité, la durabilité et la diversification des zones rurales. Il est un élément essentiel du soutien à l’activité agricole par une aide financière aux marchés agricoles et le paiement direct aux agriculteurs. Pilier de la Politique agricole commune (PAC), il permet souvent aux agriculteurs de tenir la tête hors de l’eau. En outre, le Réseau rural régional est un outil « d’échanges, de coopération, et de mutualisation ». Il permet de lutter contre la fracture numérique, à l’installation de nouveaux agriculteurs, au développement des circuits courts. C’est un formidable outil de transition écologique et de cohésion sociale. Ce type d’initiative est sélectionné par les régions afin de participer au financement qui apporte « un nouveau service innovant pour les habitants ou les entreprises. ». En 2021, la Commission européenne a lancé le pacte rural afin de répondre aux besoins et aux aspirations des communautés rurales. 

Le Fonds européen de développement régional (FEDER) permet un investissement européen massif pour les territoires afin de renforcer la cohésion économique et sociale et de réguler les déséquilibres régionaux. Grâce à des financements régionaux, il promeut une « Europe plus intelligente, grâce à l’innovation, à la numérisation, à la transformation économique et au soutien aux petites et moyennes entreprises » mais aussi « une Europe plus verte et à zéro émission de carbone, qui met en œuvre l’accord de Paris et investit dans la transition énergétique ». Il est possible, à cet effet, de citer le travail mené pour la reconversion des friches industrielles ou la promotion du développement durable. Il est intéressant de s’intéresser à certaines de ces friches : à Hambourg, en Allemagne, une ancienne friche industrialo-portuaire est désormais l’écoquartier HafenCity, comprenant un haut niveau de qualité de l’habitat avec l’exploitation de voies d’eau comme mode de déplacement alternatif. D’ailleurs, depuis 2022, 30% des aides du FEDER doivent être allouées aux engagements climatiques. 

Malgré ces indéniables succès, ce sont souvent les plus communes les plus peuplées qui récupèrent les subventions européennes devançant les plus petites, moins audibles et moins puissantes. Créer, au niveau européen, un organe de défense de la ruralité et des petites villes avec une représentation équilibrée pourrait être une solution. 

Un Sénat européen ?

Un « Sénat » européen, représentant les petites et moyennes communes à l’échelle européenne, pourrait devenir un organe de défense des intérêts des Européens éloignés des centres, donc des circuits politiques, et de plus en plus défiants vis-à-vis de la transition écologique. L’objectif ne serait pas de créer un énième « comité Théodule » mais d’installer un instrument à destination des élus locaux pour assurer convenablement l’indispensable transformation écologique. La création d’une telle structure, qui ne serait pas seulement consultative mais active à la fois dans l’attribution et la répartition des subventions selon des critères objectifs (enclavement, exposition aux intempéries climatiques, désertification, etc.), permettrait une juste subsidiarité. Et sans doute une meilleure compréhension de l’utilité de l’Union européenne. Cet organe serait utile aussi pour faire remonter les informations plus rapidement aux différents organismes européens. Ce « Sénat » européen serait en phase avec le « terrain », ce concept reflet d’une Europe dans laquelle pâturages et labourages forment encore une image d’Epinal rassurante pour les citadins, mais très éloignée des réalités des ruraux et périurbains. N’oublions pas que 83% de l’Europe est rurale. 

L’Union européenne fait déjà beaucoup : 25% des investissements de la politique de cohésion (entre 2014 et 2020) à destination des zones rurales, 60 milliards € bloqués (entre 2023 et 2027) pour le développement rural dans le cadre de la Politique Agricole Commune (PAC) avec 35% de la nouvelle PAC pour un développement local en harmonie avec le changement climatique, la défense de la biodiversité et le bien-être animal. 

Un Observatoire de la ruralité européenne pour renforcer l’attractivité des territoires ruraux et faire reculer le sentiment d’abandon des Européens ruraux a été lancé en janvier 2023. Il récolte des données sur « les ruralités » prenant en compte la démographie, les questions économiques et sociales, le travail, la santé, l’éducation et l’accessibilité. Mais pourquoi ne pas prendre en compte la dimension environnementale de ces territoires ? Pourquoi ne pas les préparer davantage à la nécessaire mutation des pratiques liée au réchauffement climatique ? Il est temps de faire remonter les informations depuis les acteurs enracinés. Trop longtemps, et c’est la principale critique adressée à l’Union européenne, la verticalité de l’approche a été de mise. Ces difficultés pourraient se résorber par la création d’un lieu de rassemblement des maires locaux, ce nouveau « Sénat » européen. 

Depuis longtemps, la compréhension des instances et services européens par nos concitoyens comme par les élus locaux est complexe. Ils ne savent pas toujours quels sont les lieux où s’adresser, ni les procédures à suivre, ni vers quelle source de financement se tourner pour consolider tel ou tel projet communal. Il est donc nécessaire d’avoir un guichet unique : un seul service, porté par les élus locaux, directement tourné vers l’aide des territoires et vers la transition écologique. Sans esprit polémique, il pourrait même être intéressant de fusionner l’ensemble des services actuels pour assumer une véritable subsidiarité écologique, avec un organe basé sur le modèle du « Prytanée »[1] . Avec pour seul objectif de transformer les territoires pour devenir des leaders de l’engagement environnemental. Ce format serait une évolution pour l’Europe, voire une révolution, car le lien serait facilité entre l’élu rural ou périurbain et les instances européennes. 

Il s’agirait de fusionner l’ensemble des subventions à destination des communes qui sont éparpillées entre divers services européens, pour créer un fonds global entièrement transparent et réparti de manière juste et équilibré. Ce fonds aurait pour objectif principal d’assurer la transition écologique des territoires, notamment les plus éloignés. Est-il normal que des maires se retrouvent démunis face à la pénurie d’eau ? Est-il normal que des communes, comme celles à proximité du fleuve Tage en Espagne, se retrouvent en grande difficulté avec le choix cornélien de boire ou de faire péricliter les plantations agricoles ? Les habitants peuvent se demander légitimement que fait l’Europe. Ce fonds doit permettre, en s’appuyant sur les observatoires et expertises, mais avec un vrai souci des réalités du terrain, d’anticiper et d’atténuer les changements climatiques. Et de faire vivre réellement la subsidiarité européenne. En 2023, l’Europe dispose d’une enveloppe budgétaire de 50,9 milliards € pour la politique de cohésion territoriale, de 4,8 milliards € pour les investissements stratégiques. Sont ici exclues du calcul les dépenses liées à l’agriculture et à la pêche (56 milliards), à la sécurité et à la défense (1,2 milliard), à la politique spatiale (2,3 milliards), aux migrations (3 milliards), aux dépenses administratives (10,6 milliards), au projet Erasmus (3,3 milliards), à la recherche et à l’innovation (12,9 milliards), à l’aide au développement (14 milliards). 

En imaginant, par exemple, que l’Union européenne fusionne et réaffecte ne serait-ce qu’un tiers des investissements pour la cohésion territoriale (afin de ne pas affaiblir les projets déjà en cours) soit 16,6 milliards € et un quart des investissements stratégiques (s’adapter au réchauffement peut être un investissement !) soit 1,2 milliard €, on obtiendrait un fonds de 17,8 milliards €. A cela, il pourrait être intéressant d’ajouter les fonds de la nouvelle « ressource plastique » (0,80 € pour chaque kilo de plastique non recyclé) soit 6,7 milliards € annuels supplémentaires, soit 24,5 milliards €. Enfin, par une réduction et une réaffectation des « autres dépenses » et des frais administratifs (imaginons 20%), un gain pour ce fonds vert territorial de 3,9 milliards pourrait être abondé, soit un total de 28,4 milliards € par an chaque année, et donc sur un cadre budgétaire de cinq ans, de 142 milliards € pour la transition des villes et surtout des campagnes. Il ne s’agit que d’une mise de départ. Avec le temps, il sera sans doute possible de réaffecter davantage des divers investissements de la cohésion territoriale. 

Cet appel d’air serait bien sûr financier. Ce montant de 142 milliards € sur cinq ans ne représenterait qu’une goutte d’eau face à l’ampleur des besoins de la transition écologique … et numérique. Mais ce geste européen serait avant tout symbolique, actant l’action de la communauté pour les élus locaux.

Les Etats devront aussi prendre leur part. Alors que les dotations ne cessent de baisser, l’Europe doit jouer le jeu des petites villes et des villages. Elle doit revenir aux sources de la construction européenne au travers de cet exercice de la subsidiarité. Une application des mesures au niveau adéquat, à une échelle de proximité, à portée de main des élus locaux : la leur. Dans une époque complexe avec de nombreuses interrogations sur les changements en cours, et où la décision publique est malmenée, le rôle du maire est essentiel. 

Le choix des membres d’un « Prytanée européen », qui sera rural et périurbain au regard de la géographie européenne, pourrait se faire par un tirage au sort, renouant ainsi avec les grands principes de la démocratie athénienne. Ce système permettrait d’élire, pour la durée d’un mandat équivalent à celui d’un député européen, des élus issus du terrain. Après mûre réflexion et dans une époque disruptive, il convient d’apporter un vent de fraîcheur dans le mode de désignation. Un vote au suffrage universel indirect - par les élus locaux - pourrait être une solution et jouer un rôle de contre-pouvoir. Pour créer un choc démocratique, le tirage au sort permettrait une égalité dans le choix final et pourrait, ce qui ne serait pas négligeable, attirer l’attention des citoyens Européens, démobilisées, sur ce nouvel organe. Remettre le maire au cœur de l’Europe est une réponse adaptée. Le maire doit pouvoir retrouver une légitimité renouvelée pour conduire la transition écologique dans le monde rural. Ce serait, aussi, une proposition novatrice à la veille des élections européennes.


[1] Dans les cités grecques, édifice public abritant le foyer de la cité, où les prytanes se réunissaient et assuraient une permanence

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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