Enjeux technologiques et sécuritaires : 2025, une année charnière pour les femmes

Parité et mixité

Juliette Bachschmidt,  

Marie Cohignac

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3 mars 2025
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Bachschmidt Juliette

Juliette Bachschmidt

Chargée de recherche - Fondation Robert Schuman

Cohignac Marie

Marie Cohignac

Assistante de recherche - Fondation Robert Schuman

Enjeux technologiques et sécuritaires : 2025, une année charnière pour les femme...

PDF | 219 koEn français

Souvent largement sous-estimé, le rôle des femmes dans les grandes transformations économiques et sociales est pourtant fondamental. Du travail des ouvrières du textile lors de la Révolution industrielle du XIXème siècle à leur engagement dans des secteurs dits masculins comme ceux de la technologie, du numérique et de la défense, leur participation a été un moteur essentiel du progrès et de l’innovation. Pourtant, de nombreuses inégalités subsistent et le plafond de verre semble bien difficile à briser pour la moitié de l’humanité et ce, dans de très nombreux domaines de la vie privée et professionnelle.
À l’aube de la quatrième révolution industrielle, marquée par l’essor de l’intelligence artificielle, de la robotique et des technologies numériques, ainsi que des enjeux sécuritaires auxquels doit faire face le Vieux continent, la question de l’égalité des sexes se pose avec une vigueur renouvelée. Si des avancées notables sont à souligner, notamment en Europe où le cadre législatif en faveur de la parité femme-homme a été renforcé, des disparités persistent, tant en matière de représentation que d’opportunités. 

I - L’Europe : continent des femmes, malgré une certaine stagnation

L’année 2024 a été, en Europe, marquée par un fort renouvellement des institutions législatives et exécutives, au niveau européen et au sein de nombreux États membres. Avec l’opportunité, donc, de les féminiser davantage. Avec 38,47% de femmes élues au Parlement européen lors des élections de juin 2024 – plus d’un député sur trois est une femme – l’Union européenne peut se targuer d’être un exemple mondial en matière de parité dans la représentation politique des femmes. Pourtant, et pour la première fois depuis l’élection du Parlement européen au suffrage universel direct en 1979, le nombre de femmes élues n’a pas progressé : il a stagné, voire même régressé. Cette moyenne reste toutefois légèrement supérieure à la moyenne des parlements nationaux des vingt-sept États membres, qui s’élève à 31,8% de femmes dans les chambres uniques ou chambres basses.
Un schéma similaire est observable dans la composition de l’exécutif européen. Malgré la volonté ferme de la Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, qui avait fait de la parité de son collège de commissaires le fer de lance de son deuxième mandat, l’exécutif européen ne compte que onze femmes pour seize hommes, soit une femme de moins que lors de la précédente mandature. Celle qui avait imposé aux États membres qui ne reconduiraient pas leur commissaire de proposer deux noms, celui d’un homme et celui d’une femme, n’a pas réussi à convaincre les chefs d’État et de gouvernement de choisir davantage de femmes.
En dépit de cette stagnation frustrante sur le chemin vers la parité, l’Union européenne reste un modèle en la matière, devant le Congrès américain qui compte 28,2% de femmes, ou la Chambre des communes canadienne et ses 30,9% d’élues, mais reste loin derrière le Rwanda, qui occupe la première place du classement mondial de la représentation politique féminine avec 63,8% de femmes à la chambre basse du Parlement. 
Par ailleurs, les femmes occupent des places de premier plan dans le paysage politique européen. Sur les sept institutions européennes, trois sont dirigées par une femme : la Commission européenne par l’Allemande Ursula von der Leyen pour un second mandat et le Parlement européen par la Maltaise Roberta Metsola depuis 2022 ; la Banque centrale européenne (BCE) est gouvernée par la Française Christine Lagarde. L’Europe figure donc au premier rang mondial en matière de représentation politique des femmes.
Bien que sans cesse repoussé, le « plafond de verre » subsiste dans de nombreux domaines. A l’instar de la représentation politique, le monde entrepreneurial est encore empreint de stéréotypes sexistes qui ont la vie dure, en témoigne le pourcentage de femmes à occuper des postes à responsabilités ainsi que le nombre de femmes présentes dans les conseils d’administration des grandes entreprises. En 2024, dans les sociétés cotées en bourse dans le monde, les femmes représentaient 36% des membres des conseils d’administration. Ce chiffre tombe à 12% seulement pour les postes de direction générale et de présidence. Au sein de l’Union européenne, le nombre de femmes administratrices s’élève à 33,8% en 2023, légèrement en-dessous de la moyenne mondiale. Ce chiffre s’explique par de fortes disparités entre États membres : 46,1% d’administratrices en France en 2023 contre seulement 8,2% à Chypre.
Selon une enquête Eurobaromètre sur les stéréotypes de genre, en 2024, 23% des sondés estimaient que les femmes ne faisaient pas preuve d’une autorité nécessaire pour être prises au sérieux et un quart des répondants, que les hommes sont de meilleurs dirigeants que les femmes. Ce taux s’élève même à 61% en Slovaquie et 55% en Pologne. Signe que les mentalités évoluent tout de même, 73% des Européens estiment que les organes de direction paritaires sont plus performants, 55% d’entre eux que des mesures temporaires sont nécessaires pour remédier à la sous-représentation des femmes en politique et la plupart des sondés sont d’accord pour dire qu’une plus grande égalité des sexes dans la politique et le leadership conduit à de meilleurs résultats. Les femmes souffrent donc, encore et toujours, de préjugés sexistes qui restreignent leur accession à des postes à responsabilité.
Malgré ces avancées longues et laborieuses, l’Europe tente de s’imposer comme le continent des entrepreneuses en s’appuyant sur une stratégie qui vise à pallier les fortes différences entre les États membres, que les bons résultats affichés par l’Union européenne ont tendance à occulter. En 2022, et sur inspiration du modèle français[1] – les députés européens ont approuvé la directive « Women on Boards » pour atteindre la parité au sein des postes de direction dans les entreprises européennes cotées en bourse. D’ici à juin 2026, les entreprises concernées, précisément listées dans la directive, doivent féminiser leur conseil d’administration à hauteur de 40% pour les postes d’administrateurs non exécutifs, et 33% pour les postes d’administrateurs, largement supérieurs aux 12,2% de la moyenne mondiale actuelle. En outre, la directive européenne du 10 mai 2023 visant à renforcer l’application du principe de l’égalité des rémunérations entre les hommes et les femmes par la transparence des rémunérations entérine la volonté européenne d’œuvrer en faveur de l’égalité femme-homme dans le monde du travail, en s’attaquant au « gender pay gap », l’écart de rémunération entre les hommes et les femmes. En effet, au sein de l’Union européenne, les femmes sont payées en moyenne 13% de moins que leurs homologues masculins. Sur une année, cela représente environ un mois et demi de salaire en moins, à travail égal. Ces récentes législations témoignent d’une prise de conscience au niveau européen des barrières qui se dressent encore dans les carrières des femmes en Europe, mais affichent la véritable volonté de l’exécutif européen à faire du Vieux continent, le continent des entrepreneuses. 

II - Les femmes, grandes oubliées de la 4ème révolution industrielle ?

A l’ère du numérique, l’intelligence artificielle (IA) occupe une place centrale dans le fonctionnement de nos sociétés et influence l’accès à des secteurs variés tels que la santé, l’emploi et l’éducation. Pourtant, le développement des IA soulève des défis spécifiques en matière d’égalité des genres, notamment en raison des risques de reproduction et d’amplification des stéréotypes sexistes à grande échelle, perpétuant les discriminations fondées sur le genre, déjà répandues au sein de nos sociétés. 

La faible représentation des femmes dans les filières TIC (technologies de l’information et de la communication) et STIM (sciences, technologie, ingénierie et mathématiques), essentielles pour les emplois liés à l’IA, constitue l’une des causes majeures des inégalités de rencontrées dans ce milieu. Bien que les femmes représentent plus de la moitié des personnes diplômées au sein de l’Union européenne, seulement un tiers des diplômés en STIM et un cinquième des spécialistes des TIC étaient des femmes en 2022. Pourtant, l’orientation et l’accès aux disciplines STIM, et ceci dès le plus jeune âge, sont des facteurs déterminants dans la persistance des stéréotypes et inégalités dans ce secteur.  
Cette sous-représentation des femmes dans les parcours académiques se traduit par une présence féminine limitée dans le domaine de l’IA. Selon le rapport sur l'écart entre les hommes et les femmes 2023 du Forum économique mondial, seules 22% des personnes qui travaillent dans le domaine de l’IA sont des femmes. Par ailleurs, même si les femmes sont de plus en plus nombreuses à être diplômées et employées dans les technologies, elles se heurtent souvent à un plafond de verre persistant, les cantonnant majoritairement à des postes plus subalternes et rendant l’accès à des fonctions de direction difficile. En effet, les femmes occupent moins de 14 % des postes de cadres supérieurs au sein des entreprises spécialisées dans le domaine de l’IA. Enfin, si ces dernières parviennent à mener une carrière dans ce domaine, elles doivent faire face à des défis par rapport aux hommes. 

Le manque de représentation des femmes dans le domaine de l’IA ne limite pas seulement leurs opportunités professionnelles : cela pose la question de leur marginalisation d’un secteur économique en pleine expansion et influence la conception et le développement de ces technologies numériques. En effet, une étude révèle que sur l’analyse de cent trente-trois systèmes d’intelligence artificielle, 44% présentaient des biais de genre. Ceux-ci résultent de deux problèmes majeurs dans la manière dont ces technologies sont conçues et développées. D’abord, les données utilisées pour entraîner les algorithmes des intelligences artificielles proviennent d’internet et sont largement empreintes de stéréotypes sexistes. Elles servent de base d’apprentissage pour les systèmes d’IA en piochant les informations disponibles sur internet, elles-mêmes reflétant les stéréotypes et préjugés existants et persistants dans notre société. Si les données d’entraînement son biaisées, les systèmes d’IA risquent de les reproduire et de les amplifier, perpétuant des inégalités flagrantes. Par ailleurs, la sous-représentation des femmes dans les équipes de conception et de supervision des intelligences artificielles contribue à la production de biais genrés. De plus, l’absence de diversité dans les équipes de conception et de contrôle limite la détection et la correction de ces biais, faute d’une prise en compte suffisante des pratiques et des points de vue des femmes. Ainsi, les biais algorithmiques discriminatoires se produisent lorsque des intelligences artificielles d’apparence objective intègrent les préjugés et stéréotypes de leurs développeurs ou des données utilisées pour leur entraînement. 

L’UNESCO a publié en 2024 un rapport révélant des biais sexistes, homophobes et raciaux dans les modèles de langage d’intelligence artificielle (LLM) tels que GPT-3.5 (OpenAI) et Llama 2 (Meta). Ces modèles d’intelligence artificielle tendent à produire des stéréotypes, en décrivant par exemple les femmes comme des travailleuses domestiques jusqu'à quatre fois plus souvent que les hommes. En outre, les assistants vocaux qui utilisent des voix féminines par défaut renforcent les stéréotypes selon lesquels les femmes sont adaptées aux rôles de service. Le Conseil de l’Europe démontre que dans les domaines critiques tels que les soins de santé, l'IA peut se concentrer davantage sur les symptômes masculins, entraînant de mauvais diagnostics ou des traitements inadéquats pour les femmes. Par ailleurs, les systèmes de reconnaissances faciales utilisées par les autorités ont plus de difficultés à identifier les femmes, en particulier de couleur, pouvant conduire à des conséquences importantes pour la sécurité publique. Les Nations unies mettent aussi en lumière certaines discriminations à l’égard des femmes en raison de l’utilisation accrue de l’intelligence artificielle dans les processus de recrutement, les décisions d’octroi bancaire ou dans le cadre de décisions judiciaires. Autant d’exemples qui démontrent comment l’intelligence artificielle peut répéter et même amplifier les stéréotypes et inégalités entres les femmes et les hommes, ancrés dans nos sociétés. 

L’intelligence artificielle exacerbe aussi les risques de violence liée au genre facilitée par la technologie, notamment avec l’émergence des deepfakes. Ces vidéos résultent de la manipulation d’un média par les systèmes d’IA et altèrent la réalité par une superposition d’images de visages ou de corps, créant ainsi des vidéos falsifiées mais à l’apparence authentique. La grande majorité des « deepfakes » disponibles en ligne sont à caractère pornographique et ciblent presque exclusivement les femmes. L’émergence insuffisamment contrôlée de ces contenus explicites non consensuels entraîne des conséquences extrêmement graves sur la sécurité mentale et physique des femmes, affectant leur vie personnelle et professionnelle et compromettant leur intégrité. 

Ainsi, le développement de l'intelligence artificielle présente de nombreux risques pour l'égalité des genres et expose les femmes à des vulnérabilités spécifiques. Face à la perpétuation des stéréotypes et des discriminations fondées sur le genre par ces technologies, une diversité à tous les niveaux (éducation, emploi, décision etc.) s’impose comme une nécessité absolue pour limiter les effets des biais algorithmiques. Afin que les bénéfices de l’IA profitent à tous, l’enjeu est d'institutionnaliser des cadres de gouvernance inclusifs. Pour cela, une coopération entre les gouvernements, les entreprises technologiques et la société civile est essentielle pour éliminer les biais inhérents à ces technologies et développer des systèmes d’IA plus respectueux de l’égalité des genres.
L’Union européenne a initié des mesures en ce sens. En 2021, l’UNESCO, avec la participation et le soutien financier de la Commission européenne, a adressé des recommandations sur l’éthique de l’IA, adoptées à l’unanimité par ses 193 États membres. L’organisation prévoit notamment des financements pour l’égalité hommes-femmes, plus de diversité dans la conception des IA et l’encadrement des biais algorithmiques. 
Éliminer les discriminations de genre et les biais sexistes implique ainsi d’augmenter la présence des femmes dans le secteur de l’intelligence artificielle, en améliorant l'accès des filles et des femmes à l'éducation et aux carrières dans les domaines des STIM et des TIC, ainsi qu’en promouvant leur leadership dans ces secteurs. Dans cette perspective, la Commission européenne, qui reconnaît l'importance majeure d'une plus grande participation des femmes pour l'innovation, la croissance économique et l'inclusion sociale, a mis en place diverses initiatives. Le programme d’action « Boussole numérique 2030 », adopté en 2021, en est un exemple. Il vise à accroître significativement la présence des femmes dans les métiers du numérique, à réduire les inégalités salariales et à promouvoir l’accès équitable aux postes de direction dans les métiers des TIC. La création du Réseau européen des femmes dans le numérique (EWiD) par la Commission en 2019, encourage l’orientation des femmes et des filles vers les carrières numériques. 
Afin d’intégrer les femmes au cœur de la transition numérique, la Commission européenne soutient les initiatives qui visent à renforcer les compétences numériques des femmes ainsi qu’à encourager l'entreprenariat féminin dans le secteur des TIC, à travers ses programmes DIGITAL Europe et Horizon Europe. Ce dernier intègre l’égalité femmes-hommes comme une condition sine qua non du financement de la recherche et de l’innovation, en imposant des plans d’égalité aux bénéficiaires. Ce programme soutient des projets particuliers tels que “Women TechEU”, qui consacre 10 millions € à cent-trente entreprises de hautes technologies dirigées par des femmes. DIGITAL Europe finance des programmes d’éducation et de formation, à destination des femmes, afin de renforcer leurs compétences dans les domaines de l’IA et de l’informatique. 

L’Union européenne ambitionne de devenir un leader international dans le domaine de l’intelligence artificielle. En effet, l’IA s’impose désormais comme un moteur essentiel de l’innovation et de la croissance économique, si bien qu’elle est souvent considérée comme la « 4ème révolution industrielle ». Ainsi, la sous-représentation des femmes dans ce secteur influent et en plein essor constitue une perte considérable de talents et limite le plein potentiel des compétences disponibles. Prôner la diversité dans le domaine de l'intelligence artificielle devient alors un enjeu majeur, non seulement pour la promotion des femmes mais aussi pour l’économie et la compétitivité européennes. En outre, et indépendamment de son potentiel de dynamisation de l’économie, une IA bien conçue et régulée peut constituer un véritable levier d’égalité, offrant de nouvelles opportunités pour réduire les discriminations à l’égard des femmes et devenir un vecteur qui favorise leur intégration. En développant une base de données diversifiée et une meilleure représentation des femmes dans les métiers de ces nouvelles technologies, l’intelligence artificielle peut permettre de repenser les modèles sociaux en favorisant l’éducation, en réduisant les biais discriminatoires ainsi qu’en facilitant l’accès aux opportunités professionnelles. Par ces initiatives, l’Union européenne intègre ces enjeux et y apporte une première réponse, bien que la continuité de ses efforts demeure nécessaire face aux inégalités persistantes. 

III - Les femmes et la défense 

Longtemps perçu comme un domaine exclusivement masculin, le secteur de la défense s’ouvre progressivement aux femmes, qui sont de plus en plus nombreuses dans les armées professionnelles ainsi que mieux représentées dans les organes et agences en lien avec la défense. 

Les femmes et l’armée

L’ouverture progressive des armées professionnelles aux femmes témoigne d’une évolution importante des mentalités. Bien que la parité dans les armées semble illusoire dans un avenir proche, les armées européennes n’ont pas à rougir du taux de femmes en leur sein. 
La féminisation des armées européennes est une tendance qui s’est affirmée au fil des dernières décennies, portée par une volonté de modernisation et d’inclusion. Pour la très grande majorité des pays européens, le nombre de femmes engagées dans les forces armées n’a cessé d’augmenter. La Suède montre l’exemple avec 24% de femmes dans son armée professionnelle en 2024. En France, les femmes représentaient 17% des effectifs militaires la même année, un chiffre en hausse constante depuis les années 2000. Ce taux atteint même 25 % dans l’Armée de l’Air et de l’Espace, ce qui en fait le corps d’armée le plus féminisé du pays. D’autres pays affichent également une présence féminine significative dans leurs armées, comme la Hongrie, où elles représentent environ 20 % des effectifs, ou encore l’Espagne et le Portugal, qui enregistrent des taux de 12 à 13 %. L’Allemagne, après avoir ouvert l’ensemble des postes de l’armée aux femmes en 2001, a vu sa proportion de femmes militaires de profession augmenter. En 2024, la Bundeswehr comptait plus de 13% de femmes. En comparaison, l’armée américaine, la plus grande du monde, comptait 17,7% de femmes en 2023
C’est l’instauration d’un service militaire mixte qui semble favoriser la féminisation des armées. La Suède a donné l’exemple en 2017 en instaurant une conscription – initialement volontaire – mixte, incitant hommes et femmes à servir en fonction des besoins de l’armée. La Norvège, bien que ne faisant pas partie de l’Union européenne, a adopté une politique similaire dès 2015 en rendant le service militaire semi-obligatoire, pour les hommes comme pour les femmes. Ces deux pays affichent un taux de féminisation de leur armée parmi les meilleurs dans le monde. Ces chiffres, plutôt encourageants, ne doivent pas faire oublier les disparités qui subsistent entre pays européens. Ainsi, l’Italie est bien en dessous des 10% de femmes dans son armée (7,5% en 2024).
Outre l’amélioration des taux de féminisation des effectifs militaires européens, les femmes sont de plus en plus présentes dans tous les corps militaires, y compris les unités de combat. Longtemps cantonnées à des rôles de soutien dans la logistique, le renseignement ou le service médical, elles peuvent désormais prétendre aux mêmes postes que leurs homologues masculins. Alors que de nombreux postes étaient fermés aux femmes, notamment ceux considérés comme trop physiques pour elles, le Royaume-Uni, alors membre de l’Union européenne, a levé toutes les restrictions concernant les carrières militaires, en 2018, en ouvrant les forces spéciales aux femmes. Récemment, la France a connu une avancée majeure avec l’intégration des femmes dans les équipages de sous-marins en 2021, un domaine jusqu’alors exclusivement masculin. Malgré une relative lenteur, des évolutions existent et reflètent une prise de conscience générale de la nécessité d’intégrer l’autre moitié de la population mondiale aux actions militaires, pour en améliorer l’efficacité. 

Les femmes aux postes de gouvernance dans les secteurs de la défense

Les armées européennes se féminisent donc. Mais cette féminisation est-elle égale à tous les échelons de la hiérarchie militaire ? Les femmes ont longtemps été exclues de plusieurs corps d’armée, dans la très grande majorité des pays européens et dans le monde. Elles étaient, de facto, moins représentées au sein des postes haut-gradés. Leur présence se raréfie davantage au sein des rangs des généraux et amiraux, le plus haut grade militaire. Un rapport de l’OTAN de 2020 précise le pourcentage de femmes aux postes d’officiers dans vingt-trois États membres de l’Union européenne, membres ou partenaires de l’Organisation transatlantique – Chypre étant le seul État membre à n’être ni membre ni partenaire de l’OTAN et les données pour Malte, la Pologne et la Roumanie n’étant pas disponibles. Les postes d’officiers sont divisés en trois catégories : les grades d’officiers juniors, les gardes d’officiers moyens et les officiers de haut-grade. Ainsi, les femmes représentent en moyenne 15% des officiers de grade junior, 9% des officiers de grade moyen et 8% des officiers les plus hauts gradés. Ces données sont comparables à celles de la US Army qui compte en moyenne 20% de femmes parmi les officiers, et 7% seulement parmi les plus hauts gradés. Cette tendance est observable dans la plupart des armées nationales. 

Un autre indicateur de la progression du nombre de femmes dans le secteur de la défense est la part de celles accédant à des postes à responsabilité sur des sujets de sécurité et de défense. En 2022, la direction générale de l'industrie de la défense et de l'espace de la Commission européenne a réalisé une enquête sur l’égalité, la diversité et l’inclusion dans les secteurs de l'industrie de la défense, de l'aéronautique et de l'espace de l'Union européenne. Celle-ci a révélé une sous-représentation des femmes dans ces trois secteurs, qui représentent 22% de la main-d'œuvre employée dans les industries de la défense, de l'aéronautique et de l’espace au sein de l’Union. La présence insuffisante de femmes dans ces domaines s’explique par le manque de femmes dans les filières STIM, essentielles aux carrières de l’espace. Déjà sous-représentées dans ces secteurs, les femmes font également face à des discriminations une fois en poste : 94 % d'entre elles déclarent avoir été discriminées en raison de leur genre. Cette marginalisation se reflète dans la hiérarchie professionnelle où elles sont majoritairement cantonnées à des postes de moindre responsabilité et un accès limité aux fonctions de direction. En effet, la majorité des employeurs des secteurs de l’industrie de défense et du spatial estiment que les femmes occupent 10 à 19% des postes de managers intermédiaires et 10 à 29% des postes de direction.
Dans le secteur de l’espace, les femmes occupent rarement des postes de premier plan. En 2023, seulement 11% des astronautes dans le monde étaient des femmes. Au sein de l’Union, l’agence spatiale européenne (ESA) s’est engagée à promouvoir l’égalité des genres, en 2022, avec des initiatives concrètes pour une diversité à tous les niveaux au sein de l’organisation et en encourageant l’orientation des femmes vers les filières scientifiques. Avec ces mesures, l'ESA a réussi à augmenter de manière significative la proportion de femmes au sein de son organisation. A ce jour, elles représentent 30 % des effectifs, dont 20% des postes de direction. 

Enfin, les femmes s’emparent progressivement du sujet de la défense à un niveau politique. Ces dernières années, plusieurs pays européens ont confié leurs ministères de la Défense à des femmes. En Allemagne, Ursula von der Leyen a dirigé le ministère de la Défense de son pays de 2013 à 2019, avant d’accéder à la présidence de la Commission européenne. En France, Michèle Alliot-Marie (2002-2007), puis Florence Parly (2017-2022) ont exercé la même fonction ministérielle comme Ludivine Dedonder en Belgique de 2020 à février 2025. Au début du mois de mars 2025, cinq États membres de l’Union européenne comptent une femme à la tête du ministère de la Défense (Autriche, Espagne, Lituanie, Luxembourg et République tchèque), soit une moyenne 18,5%. L’exécutif européen souhaite montrer l’exemple comme en témoigne la nomination en 2024 de Kaja Kallas, ancienne Première ministre estonienne, au poste de Haute représentante de l’Union européenne pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité.  

***

La volonté de l’Union européenne de se positionner comme un modèle en matière de promotion des femmes au sein des sphères de pouvoir ne fait plus débat. Pourtant, le chemin vers l’égalité demeure long et sinueux même si des avancées significatives ont été réalisées ces dernières années et méritent d’être soulignées. Si l’Union européenne et la plupart des États membres reconnaissent l’importance de la parité dans toutes les sphères de la société, faire évoluer les mentalités est un défi bien plus complexe que l’adoption de nouvelles normes juridiques. Bien que les législations nationales et européennes imposent certaines exigences en matière de parité et de mixité, les stéréotypes sexistes persistent et freinent encore l’accès des femmes aux postes à responsabilité. A l’aune des défis technologiques et sécuritaires actuels, le rôle des femmes s’avère crucial, et elles ont déjà largement démontré leur capacité à y répondre. L’année 2025 constitue donc une charnière pour celles-ci qui devront élever leur voix pour se faire entendre et ne pas devenir les oubliées de la 4ème révolution industrielle. L’Histoire ne peut pas s’écrire sans elles. 


[1] En 2011, les députés Jean-François Copé et Marie-Jo Zimmermann ont porté une loi relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance et à l’égalité professionnelle, désormais connue sous le nom de loi « Copé-Zimmermann » qui fait référence 

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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