Migrations
Stefanie Buzmaniuk
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La gestion des frontières extérieures de l'Union européenne fait l'objet de débats passionnés dans l'hémicycle du Parlement européen et dans de nombreux médias en Europe. Elle apparaît également dans un arrêt de la Cour de Justice européenne (CJUE) du 17 décembre 2020 stipulant que la Hongrie a violé le droit européen en refoulant des migrants à partir de 2015. Suite aux dernières attaques terroristes sur le sol européen, notamment en France et en Autriche à l'automne 2020, la question de la coopération européenne en matière de protection des frontières extérieures est de retour. Le travail de Frontex, l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, se trouve de surcroit au centre d'un débat sur ses pratiques et son rôle dans des "pushbacks", des refoulements illégaux de migrants. Ces débats se déroulent à un moment où Frontex est en pleine " métamorphose ", comme l'a indiqué son directeur exécutif, Fabrice Leggeri, car le budget de l'Agence a fortement augmenté et son mandat a été progressivement renforcé. Geste profondément symbolique, le 11 janvier 2021, Frontex dévoilait son premier uniforme officiel : l'Agence aura désormais des agents qui seront armés, une première pour l'Union.
Il semble donc opportun d'analyser en profondeur les complexités liées à la gestion des frontières extérieures de l'Union et de regarder en détail le travail de Frontex. Dans quelle mesure ces frontières, qui sont d'abord des frontières nationales, ont-elles une signification pour l'Union dans sa totalité ? Quelle est l'importance d'une Agence comme Frontex ? Quels sont les enjeux de sa mission ? Comment rétablir la confiance entre l'Agence, les institutions européennes, les États membres, les citoyens européens et les migrants qui souhaitent franchir les frontières de l'Union ? Et, plus important encore, comment concilier la protection des droits de l'Homme avec la protection des frontières ?
Les frontières extérieures de l'Union, un élément constitutif de l'Union
Selon la définition donnée par Lucius Caflisch, la frontière est " une ligne ou un espace séparant des territoires terrestres sur lesquels deux États exercent la plénitude de leur puissance, c'est-à-dire la souveraineté territoriale ". Elles servent de marqueurs d'identité politique et sont donc une ligne de démarcation qui jette les bases d'une interaction avec un " dehors ". Selon les mots de Michel Foucher, " les frontières sont des marqueurs symboliques nécessaires aux nations en quête d'un dedans pour interagir avec un dehors ". En outre, les frontières et les espaces qui les entourent sont fortement médiatisées et souvent instrumentalisées politiquement. Les frontières extérieures de l'Union européenne n'échappent pas à ces constats. Historiquement mouvementées, elles se sont étendues à plusieurs reprises, accompagnant l'élargissement de l'Union, d'abord au Sud puis à l'Est et, plus récemment, elles se sont rétrécies quand l'Union a perdu 12 429 km de côtes, suite au Brexit.
Les frontières externes et internes de l'Europe constituent un aspect central de l'intégration européenne. La nature politique unique de l'Union européenne (ni une fédération, ni une confédération d'États, ni une organisation internationale) fait que des tensions, des rapprochements et des éloignements se sont produits tout au long de ses frontières à travers son histoire récente. A ce jour, l'Union européenne dispose d'environ 67 571 km de côtes et 14 647 km de frontières terrestres qu'elle partage avec vingt-et-un États tiers.
Au début de l'intégration européenne, les frontières extérieures n'étaient pas comprises comme des frontières communes et les frontières intérieures étaient encore fortement contrôlées et sécurisées. Pour donner un élan à l'intégration européenne dans les années 1980, le chancelier allemand Helmut Kohl et le président français François Mitterrand ont souhaité ajouter à l'intégration économique une dimension politique, pour créer une " Europe des citoyens ". Cela a conduit à la genèse de l'espace Schengen, qui établit la libre-circulation pour les citoyens européens au sein de l'Union. Idée politique destinée à répondre aux craintes des ministres de l'Intérieur face aux menaces sécuritaires, elle pouvait se concrétiser seulement en ajoutant des clauses explicites par rapport aux contrôles des frontières extérieures, ce qui a été consigné dans la Convention d'application de l'accord de Schengen du 14 juin 1985. Cette première manifestation de l'importance des frontières extérieures de l'Union représente aussi le début du transfert de la responsabilité de la gestion des frontières et des soucis sécuritaires aux États frontaliers. Dans ce contexte, il faut rappeler que l'espace Schengen comprenait à l'origine seulement cinq États[1], contre vingt-six aujourd'hui, et que son voisinage était donc beaucoup moins conflictuel.
Si les frontières intérieures ont perdu de leur importance, les frontières extérieures ont gardé les mêmes attributs et cristallisent désormais les mêmes préoccupations : migratoires, sécuritaires, douanières, sanitaires. La difficulté est que l'Union européenne ne dispose pas des pouvoirs " régaliens " avec lesquels les États souverains gèrent leurs frontières. Le risque est donc que la gestion des frontières externes reste seulement une affaire des États riverains et frontaliers, par exemple la Grèce, l'Italie ou l'Espagne.
L'Union européenne exprime en effet des intérêts à protéger et à sécuriser ses frontières comme cela est indiqué par les traités européens et notamment l'article 3 §2 du Traité de l'Union européenne (TUE) : " L'Union offre à ses citoyens un espace de liberté, de sécurité et de justice sans frontières intérieures, au sein duquel est assurée la libre circulation des personnes, en liaison avec des mesures appropriées en matière de contrôle des frontières extérieures, d'asile, d'immigration ainsi que de prévention de la criminalité et de lutte contre ce phénomène. "
Cet espace de liberté, de sécurité et de justice est un espace d'exception pour les Européens. Dans sa forme, il est unique dans le monde. Les frontières extérieures de l'Union sont à la fois des frontières nationales et des frontières communes. Cette responsabilité est souvent très lourde à porter pour certains États membres, comme l'a montré l'exemple de la Grèce en 2020 quand les tensions avec la Turquie ont été portées à de telles extrémités qu'elles auraient pu déboucher sur un conflit ouvert. Pour pallier cette difficulté, l'Union essaie de " communautariser " le contrôle de ses frontières extérieures et de créer une solidarité de fait entre les États membres. Ainsi l'article 77 du Traité du fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) stipule-t-il que l'Union " développe une politique visant [...] à mettre en place progressivement un système intégré de gestion des frontières extérieures. "
Politiquement, les dirigeants européens ont exprimé leur volonté de renforcer le contrôle aux frontières extérieures, par exemple lors de la visioconférence des ministres de l'Intérieur du 14 décembre 2020, quand les responsables politiques ont eu une première discussion sur la proposition de la Commission pour un Nouveau pacte sur la migration et l'asile. S'il est évident que la mise en œuvre d'une politique migratoire commune rencontrera encore des obstacles, le contrôle des frontières extérieures semble être un a priori pour sa réussite. Pour pouvoir avancer vers une Europe capable d'assumer sa responsabilité d'accueillir des réfugiés et de répondre aux besoins de main d'œuvre du marché européen, la question des frontières extérieures est primordiale.
Frontex, un acteur au nom de la solidarité entre les États membres
L'Agence européenne Frontex de garde-frontières et de garde-côtes est l'incarnation d'un certain partage de responsabilité et de la solidarité entre les États membres. Sa création et son renforcement peuvent aussi être interprétés comme une avancée politique qui vise à éviter une nationalisation de la question migratoire. Dans ce cadre, l'Agence est un élément constitutif de la politique migratoire et de sécurité de l'Union.
Pour répondre à la crise politique de 2015, suscitée par un afflux important de migrants sur le sol européen, Jean-Claude Juncker, alors Président de la Commission européenne, avait réagi en remodelant Frontex. Ainsi, l'Agence européenne pour la gestion de la coopération aux frontières extérieures des États membres de l'Union européenne, créée le 26 octobre 2004 par le Règlement (CE) 2007/2004, devint l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes le 6 octobre 2016. Elle est instituée par le Règlement (UE) 2016/1624.
En 2018, malgré une baisse du nombre des demandes d'asile, les discussions politiques sur la question migratoire persistaient. Jean-Claude Juncker avait alors proposé que Frontex soit renforcé, que l'Agence puisse disposer de 10 000 agents mobilisables et qu'elle soit dotée de ses propres navires, avions et véhicules. Le déploiement de 10 000 garde-frontières devait s'étaler jusqu'en 2027. Avec le Règlement (UE) 2019/1896 , il a été convenu que le corps doive être composé de garde-frontières et garde-côtes employés par l'Agence ainsi que de personnels détachés des États membres. Une réserve de réaction rapide a été créée pour les interventions urgentes aux frontières. De surcroît, le règlement de 2018 demandait à Frontex de se doter de 40 agents dédiés à la protection des droits de l'Homme dans ses activités avant la fin 2020 - une demande qui reste à satisfaire. Le coût de ce renforcement est de 1,3 milliard € pour la période 2019-2020 et est estimé à 5,14 milliards € pour la période 2021-2027. " Le présent règlement s'attaque aux défis migratoires et aux éventuels futurs problèmes et menaces aux frontières extérieures. Il assure un niveau élevé de sécurité intérieure au sein de l'Union, dans le plein respect des droits fondamentaux, tout en préservant la libre circulation des personnes au sein de l'Union. Il contribue à détecter, prévenir et combattre la criminalité transfrontalière aux frontières extérieures. "
Le mandat des agents permanents a aussi évolué : l'Agence est désormais en mesure de soutenir les États membres dans les procédures de retour en identifiant les ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier et en aidant les autorités nationales à obtenir les documents de voyage nécessaires. Comme le montre le graphique 1, il existe un écart important entre le nombre de décisions de retour et le nombre de retours effectifs. Le fait de confier à Frontex une partie de la responsabilité des retours devrait améliorer[2] cette situation et notamment réduire le nombre de situations dans lesquelles les migrants se retrouvent dans l'illégalité pendant une longue période. Par ailleurs, la coopération avec les pays tiers est renforcée, en permettant la conclusion de nouveaux accords allant au-delà de la limitation actuelle aux pays du voisinage de l'Union.
Source: Frontex · Risk Analysis for 2020
Le travail de Frontex entre gestion des migrations et défis sécuritaires
Selon le Règlement (UE) 2019/1896, le mandat de Frontex concerne la gestion intégrée des frontières extérieures, des analyses des risques et vulnérabilités des frontières, l'assistance technique et opérationnelle aux États membres (et aux pays tiers) lors des opérations conjointes et interventions rapides, l'assistance aux États membres pour les opérations de recherche et de sauvetage de personnes en détresse en mer et l'organisation et la coordination des opérations de retour des migrants.
A) Contrôle des migrations
La migration relève des compétences des États membres. Pourtant, les États frontaliers ne sont pas toujours en mesure de faire face, seuls, aux nouvelles arrivées. Dans ces situations, Frontex a la possibilité d'intervenir avec eux et de les assister. Le déploiement des agents pourrait être compris comme un pas vers davantage de solidarité.
Selon les données publiées par l'Agence en 2020, Frontex a sauvé 13 170 personnes d'une noyade en mer, a arrêté 742 passeurs de migrants irréguliers et éloigné des frontières extérieures 12 000 personnes qui ne disposaient pas de droit d'entrée sur le sol européen.
Le vocabulaire des migrations est très riche. Le plus souvent, dans le débat public, on distingue les demandeurs d'asile (personnes qui sollicitent une protection internationale hors des frontières de son pays) des " migrants économiques " (ceux qui sont à la recherche d'une vie meilleure).
L'Union européenne attire des migrants dont la situation personnelle et l'origine géographique sont très variées. Si la plupart d'entre eux cherchent à rejoindre l'Union à travers des voies légales, une partie non-négligeable tente de franchir les frontières à travers des voies irrégulières. Dans cette catégorie, on observe deux situations différentes. Premièrement, les demandeurs d'asile auxquels des circonstances politiques ou personnelles ne permettent pas de respecter les procédures d'immigration régulières[3]. En effet, l'Article 31 §1 de la Convention de Genève de 1951 interdit de punir des demandeurs d'asile qui ont franchi les frontières illégalement, à condition qu'ils arrivent directement de pays où leur vie était en danger et/ou qu'ils aient des raisons valides de violer les règles d'entrée. Deuxièmement, certaines personnes essaient de contourner les points de contrôle parce qu'elles ne disposent pas d'un droit légal d'entrée.
En remplissant son mandat, Frontex a pour fonction de surveiller les frontières extérieures de l'Union, d'identifier les personnes qui ne passent pas par les points de contrôle et de les y orienter. Frontex et ses agents agissent dans un environnement encadré par les textes légaux de l'Union et de la Communauté internationale mais hautement complexes compte tenu de la réalité des faits. D'une part, les frontières européennes au Sud sont marquées par de fortes tensions : à titre d'exemple, lors de la crise entre la Grèce et la Turquie en mer Méditerranée en 2020, deux agents de Frontex ont été blessés par balle. D'autre part, même dans des situations moins conflictuelles, la mer est un espace où la délimitation et la protection des frontières sont plus difficiles à établir que sur les frontières terrestres.
Pour éclairer cette complexité, le Règlement (UE) 656/2014 définit ainsi les règles pour la surveillance des frontières maritimes extérieures : " Il établit une plus grande sécurité juridique dans le cadre des opérations menées aux frontières maritimes extérieures, et les dispositions relatives et règles concernant l'interception, au sauvetage en mer et au débarquement. Il met en avant la sécurité en mer, la protection des droits fondamentaux et le principe de non-refoulement. Il distingue les différentes règles et procédures concernant les interceptions haute mer, en mer territoriale, en zone contiguë. "
En revenant sur les lois internationales établies dans des conventions existantes, une grande partie de ce Règlement est consacrée aux droits de l'Homme et aux droits fondamentaux. Il stipule que le refoulement de personnes qui souhaitent demander l'asile est strictement interdit (principe de non-refoulement). Toute personne qui le souhaite doit avoir la possibilité de déposer sa demande d'asile et de la faire examiner. L'arrêt de la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) dans l'affaire Hirsi Jamaa et autres vs. Italie de 2012 a fait date pour des affaires similaires.
Pourtant, Frontex a le droit d'intercepter des bateaux (articles 6 et 7 du Règlement de 2014). Si les garde-côtes ont des raisons valables de suspecter que des personnes embarquées sont impliquées dans des activités criminelles ou illégales, ils peuvent les intercepter pour avoir davantage d'informations et, ensuite, soit diriger le bateau vers un point de contrôle, soit lui demander de changer de route pour revenir à son point de départ. Quand il s'agit d'un bateau de migrants, la technique d'interception est souvent utilisée par les agents nationaux et européens pour identifier des trafiquants et ainsi avancer dans la lutte contre les réseaux criminels impliqués dans le trafic - souvent létal - d'êtres humains.
Une autre mission de Frontex est d'assister aux opérations de sauvetage et de recherche en mer. En effet, beaucoup de migrants se confient à des trafiquants qui les embarquent dans des bateaux non-adaptés aux conditions en haute mer. Un nombre important de migrants perd ainsi la vie en tentant de venir en Europe. De 2014 à 2020, 20 782 personnes ont perdu la vie en essayant de traverser la mer Méditerranée. Les conventions internationales du droit maritime, comme l'article 98 de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, stipulent que tout bateau qui repère un navire en détresse doit tenter de sauver les personnes à bord. Frontex applique cette loi et remplit son mandat en assistant aux opérations de sauvetage. Dès que Frontex identifie - par des moyens de surveillance - un bateau qui se trouve en détresse (souvent il ne dispose pas de moteur), tous les centres de surveillance maritime de la région en sont informés et Frontex les assiste en sauvant les vies en danger.
B) Lutte contre la criminalité
La migration irrégulière est fortement liée aux réseaux criminels. Le trafic le plus profitable est celui lié aux migrants, plus que celui lié aux drogues. Souvent les personnes qui abusent des êtres humains sont également impliquées dans le trafic d'armes, de drogues, d'organes, etc.
Le contrôle aux frontières ne concerne pas seulement la migration. En 2020, Frontex a arrêté 453 trafiquants de drogues, saisi 147 tonnes de drogues et 146 armes. L'Agence a aussi confisqué 3 885 faux documents d'identité[4]. Lors de cette même année, marquée par la crise sanitaire, Frontex a fait face à de nouveaux enjeux : le trafic de médicaments, de matériaux sanitaires et de faux documents d'authentification sanitaire. Parmi les autres actes criminels que Frontex cherche à détecter, citons le trafic d'organes et le trafic d'enfants.
En ce qui concerne la lutte contre la criminalité dans des formes très variées, Frontex travaille en étroite coopération avec les États membres et les autres agences européennes. Dans le cadre des opérations EMPACT (European Multidisciplinary Platform against Criminal Threats - Plateforme européenne multidisciplinaire contre les menaces criminelles) coordonnées en liaison avec Europol, Frontex a saisi 75 trafiquants d'êtres humains, 1 819 kg de drogues, 419 trafiquants d'enfants, 423 documents falsifiés, 384 voitures volées et a identifié 249 victimes potentielles de trafic d'enfants[5].
Le contrôle sécuritaire de Frontex est effectué par l'intermédiaire du Système d'information Schengen (SIS) et du SLTD (Stolen and Lost Travel Documents Database– Base de données des documents volés ou perdus). Frontex s'engage également dans la lutte contre le terrorisme. En collaboration avec Europol, Frontex détecte les combattants étrangers en recourant au manuel des indicateurs de risques communs (" Common Risk Indicator ") élaboré par les deux agences. Avec Eurosur (Système européen de surveillance des frontières) qui a été lancé en 2013, Frontex dispose d'un réseau protégé d'informations grâce auquel les États membres peuvent échanger les renseignements rapidement et facilement.
La coopération entre Eurojust et Frontex se place dans le cadre de la lutte contre la criminalité transfrontalière grave, et notamment la lutte contre le trafic de migrants et la traite des êtres humains. Ces deux agences ont signé un protocole d'accord (MoU) qui établit les différents types de coopération et les moyens pouvant être mis en œuvre.
Pour une surveillance efficace des frontières et un contrôle minutieux, Frontex a besoin d'équipements modernes et adaptés aux différents types de criminalités auxquels les agents font face. Dans ce sens, le budget en hausse de l'Agence est aussi utilisé pour l'amélioration de l'équipement de l'agence, comme par exemple l'achat de drones.
Une question de confiance
Une bonne gestion des frontières extérieures ne peut être construite que dans un climat de confiance. Pour pouvoir aboutir à une politique migratoire commune, les États membres ont besoin de se faire confiance. Les États membres qui ne sont pas aux frontières externes de l'Union sont toutefois concernés par leur gestion et par les arrivées de demandeurs d'asile et de migrants. À cet égard, Frontex, en tant qu'agence communautaire et intergouvernementale, peut jouer un rôle important. D'ailleurs, il est essentiel que l'Agence reste intergouvernementale pour que les États continuent à s'y impliquer activement.
Par ailleurs, il s'agit de (ré-)établir la confiance entre Frontex et les institutions européennes, qui a été mise en cause publiquement par une campagne de presse. Pour revenir à un climat constructif, il est important de donner plus de contrôle de supervision au Parlement européen - dont certains membres ont fortement critiqué Frontex. De plus, il semble que la communication entre la Commission et l'Agence ne soit pas à la hauteur des attentes. Plus de transparence et une coopération plus étroite seraient nécessaires, notamment pour éviter les retards bureaucratiques et les accusations mutuelles.
Il faut aussi de la confiance entre les citoyens européens et leurs corps de garde-frontières et garde-côtes. Frontex traverse une période de transformation en termes d'effectifs, de budget et d'équipements. Cela implique un changement de paradigme, qui devrait être expliqué et faire l'objet d'une campagne d'information plus claire et transparente. Une implication plus constructive du Parlement européen serait, à cet égard, utile.
Enfin, l'Europe a besoin de mieux communiquer à l'extérieur et de mieux définir les procédures légales d'entrée en Europe. Elle doit s'assurer d'un traitement juste, rapide et efficace des demandes d'asile aux points de contrôle aux frontières et que toute personne qui a le droit de vivre en Europe l'obtiendra. Pour cela, la politique migratoire de l'Union doit être repensée.
Dans la proposition de la Commission pour un Nouveau Pacte sur la migration et d'asile, cette question est largement abordée, mais la problématique concernant les voies légales pour migrer vers l'Europe n'est pas suffisamment élaborée. Rappelons que, si en 2018 les consulats de l'Union ont délivré 14,3 millions de visas, un tiers de ceux demandés en Afrique et à Haïti ont été refusés[6]. Arriver en Europe en tant que migrant dans des circonstances illégales ne peut pas aboutir à une meilleure vie.
La confiance ne peut se manifester que dans un climat de respect absolu des droits de l'Homme. Pour cela, les bases juridiques et les dispositifs existent : Frontex est d'abord encadré par un Code de conduite et a signé de nombreux partenariats avec des organisations internationales de réfugiés et de migrants, ainsi qu'avec des associations non gouvernementales.
Ensuite, l'Agence dispose d'un Forum consultatif des droits de l'Homme depuis 2012. Parmi leurs membres, on compte l'Organisation internationale pour les migrations, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) qui a d'ailleurs un officier de liaison à Frontex, l'Agence européenne des droits fondamentaux, les ONG Save the Children et la Croix Rouge, etc.
De plus, au sein de Frontex, un officier des droits fondamentaux indépendant, établi par l'article 104, du Règlement (UE) 2019/1896, rend compte au Conseil d'administration de l'Agence (qui est constitué de deux représentants de chaque État membre et de deux représentants de la Commission). Sous l'égide de cet officier, quarante moniteurs aux droits fondamentaux devraient être déployés (avec le soutien de l'Agence des droits fondamentaux) selon le mandat renforcé de Frontex. Cela n'a pas encore été le cas et devrait être fait le plus rapidement possible avec un effort supplémentaire de la part de Frontex et de la Commission européenne, pour surmonter les obstacles bureaucratiques qui ont retardé cette mise en place.
***
Tous ces dispositifs existants visent à protéger les droits de l'Homme dans un contexte hautement complexe, tendu et sensible. Ils devraient être utilisés au maximum. S'il est très important d'avoir un débat au niveau européen sur les missions et le fonctionnement de Frontex, il faut rappeler la nécessité de travailler de manière constructive pour l'élaboration d'une protection intégrée et solidaire des frontières extérieures de l'Union européenne, ainsi que d'une politique migratoire holistique de l'Union. Pour ces deux objectifs, une agence comme Frontex est indispensable.
[1] Allemagne, France, Pays Bas, Luxembourg et Belgique
[2] La proposition de la Commission pour un nouveau Pacte sur la migration et l'asile (présenté en septembre 2020) stipule que le poste d'un Coordinateur chargé de retour sera créé qui sera mis sous l'égide de Frontex, ce qui donnerai à l'agence une importance encore plus élevée dans la matière des retours.
[3] L'arrêt de la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) du 13 février 2020 souligne que, quand il est possible pour les migrants d'emprunter des voies légales pour demander l'asile, ils sont obligés de le faire. Autrement, ils peuvent être renvoyés sans avoir déposé leurs demandes d'asile sans que cela soit considéré comme une violation des droits de l'Homme.
[4] Frontex, 2021, Frontex 2020 in brief,
[5] Idem
[6] Michel Foucher, Les frontières, février 2020.
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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