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Pascale Joannin,
Eric Maurice
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ENPascale Joannin
Eric Maurice
Une hausse notable de la participation
Le premier fait majeur de ces élections européennes est le taux de participation, qui s'élève à 50,95% pour l'ensemble des 28 Etats membres, en hausse de 8,34 points par rapport au scrutin de 2014. Il s'agit du taux le plus élevé depuis les élections de 1994 (56,67%, alors que l'Union comptait 12 membres). Le déclin de la participation, régulière depuis que le Parlement européen est élu au suffrage universel, est enrayé depuis la première fois. C'est également la première fois depuis 1994 que plus d'un électeur européen sur deux se déplace pour élire ses députés européens.
La hausse de la participation, dans 20 Etats sur 28, transcende les divisions politiques et sociales que l'on a pu observer ces dernières années, entre le nord et le sud, et surtout l'est et l'ouest de l'Union. Dans 5 pays - Allemagne, Autriche, Danemark, République tchèque, Slovaquie - la participation est en hausse d'environ 10 points ou plus. Dans 4 pays - Espagne, Hongrie, Pologne, Roumanie - elle avoisine ou dépasse les 15 points d'augmentation.
Contrairement à 2014, aucun pays n'enregistre de participation inférieure à 20%, et la participation est en hausse dans tous les pays où elle était inférieure à 30% en 2014. Si l'on excepte la Belgique et le Luxembourg, où le vote est obligatoire, la participation n'excède pas 66% dans aucun pays.
En repassant au-dessus de la barre symbolique de 50%, le taux de participation confère un surplus de légitimité démocratique au Parlement européen, dans un contexte de remise en cause généralisé des pouvoirs politiques. Il reflète également le fait que les citoyens européens considèrent de plus en plus que leurs sujets de préoccupation (sécurité, migration, économie et social, climat de manière croissante), doivent trouver une réponse à l'échelle européenne. (voir l'étude " Les attentes des citoyens à l'égard de l'Union européenne")
Le contexte national dans plusieurs pays, souvent combiné à un enjeu sur la relation à l'Union, a pu également jouer un rôle dans la mobilisation accrue des électeurs.
En Pologne, où la participation est en hausse de presque 20 points, les élections européennes étaient considérées comme un test grandeur nature avant les élections législatives prévues à l'automne, avec en particulier la constitution d'une large coalition de centre et centre-droit, baptisée Coalition européenne (KE), contre le parti Droit et Justice (PiS) au pouvoir.
En Roumanie, la hausse de 17 points de la participation s'explique en partie par l'organisation en même temps que le scrutin européen, d'un référendum d'initiative présidentielle, sur les réformes de la justice engagées par le gouvernement social-démocrate, contre lesquelles de nombreuses manifestations ont été organisées. Dans ces deux pays, le caractère de test national impliquait également une dimension européenne, dans la mesure où la remise en cause de l'Etat de droit par les deux gouvernements a placé la Pologne et la Roumanie sur les bancs des accusés en Europe.
En Espagne, où le taux de participation progresse de plus de 20 points, des élections régionales et municipales dans des villes importantes comme Madrid et Barcelone étaient aussi organisées. Le scrutin européen a en outre confirmé le résultat des élections parlementaires du 28 avril remportées par le PSOE.
En France, les élections européennes étaient le premier scrutin depuis 2017 et le président Emmanuel Macron comme l'extrême droite en ont fait un enjeu de politique intérieure.
Dans une moindre mesure, le vote en République tchèque a pu également être vu comme un vote pour ou contre le Premier ministre Andrej Babis, soupçonné de détournement de fonds européens et qui doit faire face à des protestations de rue régulières.
En Hongrie, où la participation augmente de près de 15 points, le Premier ministre Viktor Orban avait fait des élections un nouveau plébiscite sur sa politique anti-migrants dirigée contre les institutions européennes.
Dans les deux pays les plus concernés par le Brexit, le Royaume-Uni et l'Irlande, l'enjeu ne s'est paradoxalement pas traduit par une mobilisation importante des citoyens. Au Royaume-Uni, alors que la Première ministre Theresa May était sur le point de démissionner en raison de l'impasse sur la manière dont le pays devrait quitter l'Union, le taux de participation est de 37%, contre 35,6% en 2014. En Irlande, dont la prospérité voire la sécurité pourraient être affectées par le Brexit, la participation est en baisse, à moins de 50%.En enrayant de manière spectaculaire la baisse tendancielle de la participation aux élections européennes, le Parlement européen peut espérer consolider son rôle institutionnel et politique, notamment face aux Etats membres réunis au sein du Conseil et du Conseil européen.
La hausse de la participation reflète l'importance accrue des enjeux européens dans la manière dont les citoyens conçoivent leur place dans la société et la place de leur pays dans le monde.
Les facteurs nationaux ont joué un rôle important dans la campagne électorale, dans le choix des électeurs et dans la hausse de la participation. Mais la place des questions européennes dans ces débats menés de manière avant tout nationale, démontre une européanisation croissante de la politique dans les Etats membres.
La fin du bipartisme
Comme nous l'avions annoncé dans nos précédentes études, l'un des principaux enseignements de ce scrutin européen est la fin du bipartisme en cours depuis 1979.
Les deux principaux groupes (PPE et S&D) restent numériquement les plus importants avec respectivement 180 et 145 selon les projections du Parlement européen. Mais ils sont tous deux en diminution par rapport à 2014 (de 37 sièges pour le PPE et de 42 sièges pour le S&D)
En effet, si de nombreux partis de la famille PPE arrivent en tête en Allemagne, en Irlande, en Autriche, à Chypre, où ils gouvernent, mais aussi en Roumanie et en Grèce où ils ne sont pas au pouvoir, d'autres partis ont fait le pire score de leur histoire à l'image des Républicains (LR) en France, qui ne compte plus que 8 députés (-8) et de Forza Italia (6 sièges, - 5), ou un mauvais score comme le parti populaire (PP) en Espagne (12 sièges, -4) .
A gauche, seuls le PSOE en Espagne, le PS au Portugal, le PvdA aux Pays-Bas tirent leur épingle du jeu. Partout ailleurs, les partis de gauche sont en déroute à l'image du SPD allemand (-11 sièges), 13 du PSD en Roumanie (-4) et du PS en France qui fait le pire score de son histoire (6.19%, - 5 sièges)
PPE et S&D ne pourront plus à eux seuls former une majorité absolue comme cela était le cas depuis l'élection des députés au suffrage universel direct. Ils ne totalisent que 325 élus, soit 51 de moins que la majorité requise de 376 sièges.
Une nouvelle majorité pro européenne
Les forces politiques proeuropéennes restent majoritaires au sein du Parlement. Elles comptent 67,5% du Parlement européen.
Outre les deux groupes PPE et S&D, le Parlement compte deux autres groupes, les Libéraux (ALDE) et Verts (Verts/ALE) avec lesquels il est plus que probable que le PPE et les S&D s'allient pour constituer une nouvelle majorité. D'autant que les Libéraux voient leur score progresser par rapport à 2014 de 41 sièges et deviennent ainsi le 3e groupe au sein du Parlement européen, place qu'ils ravissent aux Conservateurs (ECR)) qui ne comptent plus que 59 députés au lieu de 77, du fait notamment de la déroute des Conservateurs britanniques qui en constituaient jusqu'alors le principal effectif avec les Polonais de droit et justice (PiS), qui en garderont vraisemblablement la présidence.
Dans une moindre mesure, les Verts voient aussi leurs effectifs augmenter de 17 députés du fait de bons résultats notamment en Allemagne où ils arrivent en 2e position derrière la CDU/CSU, mais devant le SPD - ce qui n'est pas sans poser de problème à la " grande coalition " allemande - et dans certains autres Etats membres comme la Belgique, les Pays-Bas et la France.
Pour le PPE et les S&D, il va donc falloir ouvrir les négociations avec ces groupes politiques pour choisir d'en accepter un ou deux dans une nouvelle alliance majoritaire.
Des eurosceptiques toujours divisés
Le raz-de-marée dont certains avaient rêvé ne s'est pas produit.
Si deux partis font une percée importante, la Ligue italienne passant de 6 élus en 2014 à 28, soit une progression de 22 sièges, et le parti du Brexit, qui en compte 29 élus, soit une moindre progression car son leader était déjà arrivé en tête en 2014 sous l'étiquette UKIP, ils ne siègeront pas dans le même groupe comme c'est déjà le cas dans le Parlement sortant. Le parti du Brexit va sans doute s'allier de nouveau avec l'autre parti italien de la coalition gouvernementale, le M5S !
Divisés en 3 groupes dans le Parlement sortant entre les groupes ECR, qui dominait, EFDD et ENL, les groupes eurosceptiques ne progressent pas autant qu'ils l'auraient souhaité ne comptant avec l'extrême gauche (GUE/NGL) que 210 membres, soit 27% du Parlement.
Les 3 groupes pèsent à peu près le même poids (ECR59, ENL 58 et EFDD 54)
Leurs divisions vont très probablement subsister même s'il ne faut pas exclure une recomposition dès que les Britanniques auront effectivement quitté l'Union. Mais cette date n'est pas encore connue de manière certaine.
D'ici-là, le parti du Brexit devrait disposer d'un groupe et son leader en assurer la présidence comme auparavant. Les Polonais exerceront celle du groupe ECR sans la partager avec les Britanniques, et les Italiens, désormais première force d'ENL, chapeauteront la présidence sans la partager avec le Rassemblement national qui n'a pas accru ses positions par rapport à 2014.
Le seul gouvernement dirigé par un membre du groupe GUE/ NGL, à savoir Syriza en Grèce, a mordu la poussière en arrivant 2e avec 23.74 % et 6 sièges (même nombre qu'en 2014). Certes, il améliore son score par rapport à 2014 mais en sort déstabilisé sur la scène nationale où il a dû convoquer des élections législatives anticipées. Partout ailleurs, les partis sont en recul que ce soit Die Linke (5,5 %) ou la France insoumise (6,31%).
***
La composition des groupes qui va intervenir dès la semaine prochaine pourrait réserver quelques surprises avec des partis quittant les formations où ils siégeaient jusqu'alors pour en rejoindre un autre ou en former un nouveau. On pense bien sûr à une union des forces eurosceptiques en 2 partis plutôt qu'en 3 si leurs leaders arrivent à faire taire leur ego et leur volonté de dominer leur espace propre. Il faudra aussi qu'ils arrivent à bâtir un programme et à définir une ligne politique commune. Être contre ne suffit pas à en faire une.
Du côté des grands groupes, des mouvements ne sont pas à écarter. Entre ceux qui sont pour la reconduction de "coalitions habituelles droite-gauche" réunissant les pro-européens, élargie cette fois-ci à 3 ou 4 partis, ou ceux qui veulent essayer de casser les codes et chercher une majorité nouvelle contrenature. On pense notamment à ce que va faire le parti du Premier ministre hongrois au sein du PPE !
Les négociations vont débuter dès le 28 mai et vont aller bon train entre chefs d'Etat et de gouvernement pour trouver la formule qui permettra de désigner les responsables des institutions (Parlement, Commission, Conseil européen, BCE) qui devront, à la fois, représenter la réalité du scrutin exprimée par les citoyens, la diversité des origines politiques et territoriales et l'équilibre entre les hommes et les femmes.
Cet exercice risque de relever du casse-tête. Il n'est pas certain que les règles prévues soient toutes suivies à la lettre pour parvenir à trouver la formule la plus équilibrée mais aussi, espérons-le, la plus ambitieuse pour l'Europe afin de pouvoir relever les nombreux défis qui sont posés à notre continent.
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Directeur de la publication : Pascale Joannin
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