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Eric Maurice,
Chloé Hellot,
Delphine Bougassas-Gaullier,
Magali Menneteau
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ENEric Maurice
Chloé Hellot
Delphine Bougassas-Gaullier
Magali Menneteau
A. Un Parlement en évolution contrôlée
1/ Recomposition du paysage politique
Rupture entre les deux principaux groupes : PPE et S&D
Politiquement, le fait marquant de cette législature est la fin, à mi-mandat de la "grande coalition" entre les deux principaux groupes, le Parti populaire européen (PPE) et Socialistes & Démocrates (S&D), auxquels s'était associée l'Alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe (ADLE).
En juin 2014, les 3 groupes se sont engagés à "œuvrer afin de créer une majorité pro-européenne stable au Parlement et ainsi défendre les valeurs et les principes de l'intégration européenne tout en s'efforçant, conjointement, d'engager des réformes qui renforceront et amélioreront le fonctionnement et la transparence des institutions et leur efficacité concernant la croissance économique et les prochains défis de l'Union européenne." Le PPE et le S&D étaient convenus de partager la présidence du Parlement entre le S&D pour la première moitié de la législature, et le PPE pour la seconde, selon un usage quasiment constant depuis 1979. Fort du soutien de 3 des 4 principaux groupes politiques, le président sortant, et candidat malheureux à la présidence de la Commission, Martin Schulz (S&D, DE), a été réélu dès le 1er tour de scrutin, le 1er juillet 2014, avec 409 voix sur 612 suffrages exprimés, face à 3 candidats.
Le pacte a été rompu par Gianni Pittella (S&D, IT), président du groupe, en novembre 2016 lorsqu'il a décidé de se présenter à la présidence du Parlement en remplacement de Martin Schulz, parti briguer la chancellerie allemande face à Angela Merkel pour les élections fédérales de septembre 2017. Il a accusé le PPE de ne pas respecter l'accord conclu en 2014 en refusant au Parti socialiste européen (PES) de conserver la présidence d'une institution - les présidences de la Commission et du Conseil européen étant déjà occupées par le PPE. "Nous ne pouvons pas accepter la suprématie du PPE sur les trois institutions [...] Ils n'en ont pas mesuré les conséquences, alors que nous avons fait part de nos préoccupations à de multiples reprises"[2].
Guy Verhofstadt (ADLE, BE), président du groupe, a envisagé de se présenter, pour mettre fin à la pratique de la grande coalition, tentant même une alliance avec le Mouvement 5 étoiles (M5S), parti italien antisystème siégeant avec le parti britannique pour l'indépendance (UKIP) au sein du groupe eurosceptique "Europe de la liberté et de la démocratie directe" (EFDD). Il s'est cependant désisté avant l'élection, ne passant pas d'alliance formelle avec le PPE mais négociant un 4e poste de vice-président pour son groupe ainsi que la présidence de la Conférence des présidents des commissions pour Cecilia Wikström (ADLE, SE).
Le 17 janvier 2017, Antonio Tajani (PPE, IT) a été élu président du Parlement par 351 voix, contre 282 et 80 abstentions. Il a bénéficié de l'accord politique entre le PPE et l'ADLE et du soutien du groupe des "conservateurs et réformistes" (ECR), mais ne l'a emporté qu'au 4ème tour de scrutin, le dernier prévu par le règlement du Parlement - un cas inédit depuis 1982. Outre Gianni Pittella, 4 candidats s'étaient présentés contre lui.
Mais une "grande coalition" de fait
La rupture de la grande coalition a accentué la politisation du Parlement mais n'a modifié que partiellement les équilibres entre les groupes. La conséquence la plus immédiate a été une baisse du soutien du S&D aux positions du PPE (-5% en 2017 par rapport à 2014-2016), avec toutefois des différences selon les sujets. Dans l'année qui a suivi la rupture, la grande coalition a, par exemple, voté dans le même sens 80 à 90 % des votes sur des dossiers issus des commissions Budgets (BUDG), Contrôle budgétaire (CONT), Culture et éducation (CULT) ; 70% des votes des dossiers issus de la commission Libertés civiles, justice et affaires intérieures (LIBE), et 60% de ceux de la commission Environnement, santé publique et sécurité alimentaire (ENVI)[3].
Au total, PPE et S&D se sont retrouvés sur 90% des votes finaux en 2017 mais seulement sur 62% des votes "non-finaux", indiquant que si les positions ont pu se rapprocher, elles étaient souvent assez éloignées au départ.
La grande coalition n'existe plus officiellement, mais elle perdure la plupart du temps dans les faits, parce que la logique de l'institution pousse les groupes au compromis dans la majorité des cas, et que la logique politique rapproche les groupes pro-européens face aux groupes eurosceptiques et extrémistes. En outre, la répartition politique des présidences de commissions parlementaires n'a pas été affectée par la rupture de l'accord PPE-S&D. Cela a contribué à maintenir la continuité du travail législatif et les équilibres dans le processus décisionnel. Le PPE et le S&D demeurent les deux principaux acteurs au sein du Parlement, ceux qui façonnent les décisions. Dans la prochaine législature, la perte probable de la majorité absolue que détiennent les 2 groupes, pourrait les éloigner un peu plus l'un de l'autre. Un alignement accru de positions hostiles à l'Union, au contraire, les amènerait à poursuivre une coopération nécessaire pour ne pas bloquer le travail du Parlement.
Le groupe libéral (ADLE) en pivot
La seconde conséquence de la fin de la grande coalition a été l'accroissement du rôle pivot de l'ADLE, 4e groupe en nombre de députés. Le groupe libéral a voté comme le PPE dans 90,5% des votes finaux en 2017. Mais il s'est souvent associé à la coalition de gauche (S&D, Verts, GUE/NGL) pour faire basculer la majorité en commission Affaires constitutionnelles (AFCO), Emploi et affaires sociales (EMPL), Marché intérieur et protection des consommateurs (IMCO), Affaires juridiques (JURI) ou LIBE.
La coalition des groupes de gauche a pu s'avérer efficace dans des commissions politisées comme AFCO, AGRI, CONT, EMPL, IMCO ou JURI, où le PPE n'a pu former une majorité que dans moins d'un vote sur deux. Au total, dans l'année qui a suivi la rupture de la grande coalition, le S&D, grâce à la coalition de gauche parfois renforcée, et l'ADLE, parti pivot, ont enregistré un taux de succès plus élevé parmi les groupes, avec 86% et 85%. Le PPE, malgré sa position de groupe le plus puissant en nombre de députés et de postes-clés, n'obtient un taux de succès que de 83%. Les autres groupes, qui ne disposent pas des forces nécessaires pour forger de majorité sans "grand" groupe, n'ont eu de succès qu'à 65% (Verts/ALE), 57% (ECR) et 29% pour le groupe "Europe des nations et des libertés" (ENL, créé autour du Rassemblement national), ce qui illustre le peu d'influence exercée par la délégation française la plus importante (23 députés en début de législature).
Fragmentation du paysage politique
Au-delà de la querelle institutionnelle sur la répartition des postes entre les deux principaux partis européens, voire du facteur personnel - l'élection pour le successeur de Martin Schulz a opposé deux Italiens, l'un élu pour la première fois en 1994 (A. Tajani), l'autre siégeant depuis 1999 (G. Pittella) - la rupture entre le PPE et le S&D a également répondu à la polarisation croissante du Parlement européen, accentuée par la multiplication des groupes politiques (8), allant de la gauche radicale à l'extrême-droite, et les différentes crises traversées par l'Union, auxquelles les réponses possibles suscitent des débats de plus en plus marqués.
Issu des premières élections depuis le début de la crise dans la zone euro, le Parlement mis en place en 2014 a fortement modifié les équilibres politiques. 8 groupes ont été formés pendant la législature, soit un de plus que pendant les 3 législatures précédentes : PPE (217 sièges), S&D (186), ECR (76), ADLE (68), Verts/ALE (52), GUE/NGL (52), EFDD (41) et ENL (37). Par voie de conséquence, le poids de la plupart des groupes dans l'hémicycle a diminué. Le PPE et le S&D ont ainsi représenté 28,93% et 24,9% des sièges, contre 35,73% et 25,52% à l'issue du précédent scrutin de 2009[4]. L'ADLE et les Verts, deux autres partis traditionnellement au cœur des équilibres parlementaires, ont pesé 9,07% et 7,46% des sièges, contre 10,86% et 7,46% en 2009. Les groupes eurosceptiques, en revanche, ont accru leur poids lors de la 8ème législature : le groupe conservateur ECR est passé de 7,46% à 10,13%, l'extrême gauche GUE/NGL de 4,58% à 6,93%, et l'eurosceptique EFDD de 4,06% à 5,47%.
Cette fragmentation accrue et l'affaiblissement des partis centraux, qui reflètent les évolutions politiques dans les Etats membres, s'inscrivent dans le long terme et représentent l'un des défis majeurs du prochain Parlement. Ses équilibres et sa capacité à légiférer dépendront de la capacité des groupes "alternatifs" à s'organiser et définir des lignes politiques cohérentes, et de celle des groupes "centraux" privés de majorité stable à construire des alliances des deux côtés du spectre politique.
Un groupe inefficace : ENL
L'évolution vers une plus grande représentation de l'ensemble du spectre politique, mais sous une forme fragmentée, a été illustrée par la formation d'un groupe d'extrême-droite distinct du groupe conservateur (ECR) et du groupe eurosceptique EFDD formé autour des europhobes britanniques (UKIP) et des antisystèmes italiens (M5S).
Le groupe ENL, 36 députés, a été officiellement constitué le 16 juin 2015 autour du Front national de Marine Le Pen, avec la Ligue du Nord (Italie), le Parti de la liberté (PVV, Pays-Bas), le Parti de la liberté (FPÖ, Autriche), le Vlaams Belang belge, deux élus du parti polonais KNP et une élue britannique précédemment exclue de UKIP. Perçu avant tout comme un instrument politique pour Mme Le Pen, dont le parti représente près des 2/3 des membres de ce groupe, ENL n'a pas répondu aux attentes de ses leaders. Le Front national, devenu Rassemblement national, est poursuivi par la justice française pour des emplois d'assistants parlementaires fictifs avec un préjudice financier estimé à 4,9 millions € par le Parlement; sa dirigeante a quitté le Parlement pour l'Assemblée nationale française lors des élections de juin 2017 et plusieurs députés ont quitté le parti, puis le groupe ENL, suite à des crises internes au RN. Ils ne sont plus que 16 Français à y siéger (contre 23 à l'origine).
Le manque d'influence d'ENL, démontré par son faible taux de succès, s'est aussi traduit par un manque de cohérence politique illustré par le bilan des députés français. Ces derniers ont voté contre la relocalisation des demandeurs d'asile et l'utilisation du budget de l'Union pour aider les pays devant faire face à un afflux massif de migrants, mais aussi contre les propositions de renforcement de Frontex, l'agence européenne pour la gestion des frontières, et contre la création d'un système d'entrée et de sortie pour enregistrer les données des non-Européens entrant dans l'Union. Ils se sont opposés aux mesures proposées pour organiser et réguler l'immigration légale, mais aussi aux propositions pour réduire les causes de la migration.
Fluidité accrue
Cette fragmentation en plusieurs groupes suivant les différents courants eurosceptiques, europhobes et extrémistes s'est accompagnée d'une importante fluidité, avec de nombreux transfuges de députés d'un groupe à l'autre, au gré des vicissitudes de la vie interne de ces partis. Pendant la législature, 15 députés ont ainsi quitté l'EFDD, pour rejoindre principalement l'ENL (5 députés), mais aussi l'ADLE (4) ou ECR (3). A l'inverse, 7 députés ont rejoint EFDD, donc 6 en provenance d'ENL, qui lui-même a perdu 7 élus (le dernier rejoignant ECR).
Le PPE, avec 9 transfuges, est le deuxième groupe à avoir perdu le plus de membres, principalement en faveur d'ECR (6 députés). Il en a gagné 5 : 2 venus de ECR (2 Conservateurs britanniques !), 2 en provenance d'ADLE et 1 pris au S&D !
Les groupes les plus stables ont été GUE/NGL et Verts/ALE, qui n'ont perdu aucun élu et en ont gagné un chacun, en provenance respectivement du S&D et d'EFDD.
Nombre de députés ayant quitté ou rejoint un groupe durant la législature
Cohésion et participation
De fait, la cohésion de groupe lors des votes a été la plus faible au sein d'EFDD (67,2%) et d'ENL (79,4%). Le groupe le plus cohérent a été les Verts/ALE (97,2%), devant le PPE (95,5%), le S&D (94,6%), l'ADLE (92,6%), GUE/NGL (89,4%) et ECR (86,1%). Dans les votes par appel nominal, les Verts/ALE et le PPE ont même atteint 98,5% de taux de cohésion[5].
En termes de participation aux votes, les groupes ont eu des comportements assez homogènes. Les députés S&D, ADLE et Verts/ALE ont en moyenne participé à 89,3% des votes. Les députés PPE et ENL à 88%, ECR à 86%, EFDD à 83%. Les non-inscrits ont été moins assidus (81,2%)
2/ Stabilité des institutions internes
Les commissions, reflets des pouvoirs
Au sein du Parlement européen, les 22 commissions permanentes sont le cœur du pouvoir, là où se construisent les compromis et les majorités, là également où les groupes, les nationalités, voire les individualités, peuvent exercer leur influence. La répartition des présidences de commission exprime les grands équilibres politiques et reflète l'évolution du poids des Etats membres au sein des groupes et de l'hémicycle. A travers elles, les groupes "centraux" ont limité les effets de la recomposition politique et gardé, sous contrôle, la bonne marche du travail parlementaire.
Le PPE et le S&D ont tenu la majorité des présidences, respectivement 8 et 7 présidences sur 22, soit 36% et 32%. L'ADLE a présidé 3 commissions, ECR 2, GUE/NGL et Verts/ALE 1 chacun. Signe d'une volonté des partis favorables à l'intégration européenne de dresser un "cordon sanitaire" autour des postes à responsabilités, les groupes eurosceptiques et extrémistes n'ont obtenu aucune présidence de commission, et seulement 2 vice-présidences sur 88.
Répartition politique et géographique des présidences des commissions parlementaires permanentes
Les Allemands, toujours prédominants
La répartition des présidences de commission par nationalité a illustré l'importance de l'influence allemande au sein du Parlement, ainsi que la montée en puissance des pays d'Europe centrale et orientale au détriment des pays du Sud. Tandis que les présidences de commission sont restées de la même couleur politique tout au long de la législature, 6 d'entre elles ont changé de titulaire à mi-mandat - Affaires étrangères (AFET), Droits de l'Homme (DROI), Environnement, santé publique et sécurité alimentaire (ENVI), Marché intérieur et protection des consommateurs (IMCO), Transports et tourisme (TRAN) Culture et Education (CULT), Droits de la femme et égalité des genres (FEMM). Pour 5 d'entre elles, la nationalité du président a changé, la prestigieuse AFET gardant un Allemand à sa tête, David McAllister en remplacement du vétéran Elmar Brok.
Au total, l'Allemagne a occupé 5 présidences tout au long de la législature et la Pologne 4. Les autres grands pays, dont la France, n'ont exercé que 2 ou 3 présidences. A mi-mandat, la France a obtenu la présidence de la commission TRAN (Karima Delli, Verts/ALE) en plus des commissions Budgets (Jean Arthuis, ADLE) et Pêche (Alain Cadec, PPE) ; l'Italie est passée de 3 à 2 présidences, mais a obtenu la présidence du Parlement.
Les députés allemands ont également occupé 12 puis 13 vice-présidences, contre 9 et 7 pour les Français, et 6 et 8 pour les Italiens.
Les Britanniques, toujours influents
Le Royaume-Uni est passé de 3 à 2 présidences de commission, Développement (Linda McCavan, S&D) et LIBE (Claude Moraes, S&D). Lors du renouvellement de mi-mandat, le Royaume-Uni avait toutefois conservé la présidence de la commission IMCO, mais elle l'a perdue lorsque Vicky Ford (ECR) a quitté le Parlement pour se présenter aux élections législatives britanniques de juin 2017.
Que les Britanniques, même après le vote de juin 2016 en faveur du Brexit, aient conservé 3 commissions, dont 2 cruciales pour le fonctionnement de l'Union et la relation future entre l'Union européenne et le Royaume-Uni, souligne, d'une part le profil souvent plus pro-européen des députés britanniques, en comparaison de leurs collègues nationaux, d'autre part la compétence qui leur est souvent reconnue à Strasbourg et Bruxelles, ainsi que l'aura que le pays a conservée auprès de nombreux députés, en particulier issus de pays ouverts à une vision plus libérale de l'Union. Les positions britanniques se sont également maintenues au niveau des vice-présidences de commissions (4 en première partie de mandat, 6 en seconde partie) et des coordonnateurs (16 pendant la législature).
Glissement géographique
Les grands perdants de la répartition des présidences de commission ont été l'Espagne, 5ème pays le plus important de l'Union, qui est passé, à mi-mandat, de 2 présidences à aucune[6], et les Pays-Bas, pays fondateur, qui n'a obtenu aucune présidence. 3 pays ont compté 1 présidence dans la première moitié de la législature, et 6 dans la seconde moitié. Aucun n'était du Sud. A l'inverse, 4 pays d'Europe centrale et orientale issus des élargissements de 2004 et 2007 ont tenu une présidence de Commission, dont 2 pendant toute la législature (République tchèque et Bulgarie).
Ce glissement géographique s'est également ressenti dans la répartition des vice-présidences : 8 puis 9 pour la Roumanie, 7 pendant toute la législature pour la Pologne et la République tchèque, 4 puis 5 pour la Hongrie, contre 4 puis 5 pour l'Espagne, 2 pour la Belgique, 1 puis 2 pour les Pays-Bas.
Nombre de postes par pays (juillet 2014-janvier 2017/janvier 2017-juillet 2019)
Au niveau inférieur mais crucial des coordonnateurs de commissions, les "anciens" Etats membres sont restés prédominants. Ils sont les "aiguilleurs" des groupes, qui répartissent les rôles de leurs députés au sein des commissions, en particulier pour diriger les rapports parlementaires et les négociations sur les amendements. 33 des 189 coordonnateurs de cette législature sont Allemands, 21 Français, 18 Italiens, 16 Britanniques et 13 Espagnols ou Néerlandais.
Commissions temporaires
Depuis 2014, le Parlement a créé 2 commissions d'enquête : Mesure des émissions dans le secteur de l'automobile (EMIS), en réaction au scandale dit du Dieselgate ; Blanchiment de capitaux, évasion fiscale et fraude fiscale (PANA), après les révélations des "Panama papers".
Il a également créé 5 commissions spéciales :
-Rescrits fiscaux et autres mesures similaires par leur nature ou par leur effet (TAXE), mise en place avec le scandale des "LuxLeaks" pour examiner les pratiques fiscales abusives dans l'Union européenne ;
-Rescrits fiscaux et autres mesures similaires par leur nature ou par leurs effets (TAX2), afin de poursuivre les travaux sur la pratique des rescrits fiscaux (tax rulings) ;
-Criminalité financière, fraude fiscale et évasion fiscale (TAX3), qui s'est penchée sur des pratiques comme la fraude à la TVA ou les programmes de citoyenneté contre argent ;
-Terrorisme (TERR), créée après la vague d'attentats de 2015-2016 pour évaluer l'efficacité de la lutte anti-terroriste en Europe et son impact sur les droits fondamentaux ;
-Procédure d'autorisation des pesticides par l'Union (PEST), créée après les révélations des "Monsanto papers".
3 commissions ont été présidées par le PPE, TAXE et TAX2, par Alain Lamassoure (France), PANA par Werner Langen (Allemagne), 2 commissions par le S&D, EMIS et PEST (Kathleen van Brempt, Belgique ; Eric Andrieu, France) et par l'ADLE, TERR et TAX3 (Nathalie Griesbeck, France ; Petr Jezek, République tchèque).
La répartition par nationalité suggère une démarche de compensation pour la France, peu représentée dans les postes à responsabilités, héritant ainsi de sujets politiquement sensibles.
Les commissions d'enquête, dont les pouvoirs reposent sur le droit de contrôle du Parlement européen, sont chargées d'enquêter sur les infractions au droit communautaire ou sur les allégations de mauvaise administration dans l'application du droit de l'Union européenne. Les commissions spéciales ne permettent de traiter que des problèmes particuliers.
A travers les commissions PANA, TAXE, TAX2 et TAX3, le Parlement a pu jouer un rôle actif sur un sujet, la fiscalité, pour lequel il ne dispose pas de la codécision avec le Conseil.
Le président de la Commission, en tant qu'ancien Premier ministre du Luxembourg, a dû venir s'expliquer devant la commission PANA.
Les conclusions des commissions spéciales ont également permis au Parlement de peser sur la réaction de l'Union aux scandales d'évasion fiscale. Les propositions présentées par la Commission en janvier 2016 ont ainsi repris une grande partie de ses recommandations de la commission TAXE, notamment la création d'une liste noire des paradis fiscaux.
Avec la commission d'enquête EMIS et la commission spéciale PEST, le Parlement s'est également saisi de sujets sur lesquels le Conseil ou la Commission ont traditionnellement la main, en particulier par l'intermédiaire de la comitologie dont le manque de transparence est de plus en plus remis en cause. Les deux commissions ont permis de faire la lumière sur les déficiences des mécanismes d'homologation dans l'Union. Les recommandations de la commission EMIS ont été reprises dans le paquet "Mobilité propre" adopté en mars 2019, et la commission PEST, dans ses recommandations, demande à la Commission de légiférer sur les procédures d'approbation de produits comme le glyphosate.
Parité en légère hausse
A la fin de la législature, le pourcentage de femmes au sein de l'hémicycle est de 36,4%, en légère hausse par rapport au début de la législature (35,8%)[7]. Lors de la législature précédente, le Parlement a compté en moyenne 35,5% de députées. Par comparaison, la moyenne mondiale est de 23,6% et la moyenne dans les Etats membres de 29,8%.
Tandis que les deux présidents élus en 2014 et 2017 ont été des hommes, les femmes ont occupé 5 vice-présidences sur 14, tandis que la parité a été parfaite pour les présidences de commissions permanentes (11 femmes sur 22). Dans le Parlement précédent, 3 femmes étaient vice-présidentes et 8 présidentes de commissions.
L'institution, dans son ensemble, n'a pas atteint les objectifs qu'elle s'était fixés en 2017 d'atteindre 30% de femmes au niveau des directeurs généraux, 35% au niveau des directeurs et 40% au niveau des chefs d'unité. Les femmes représentent 15,4% des directeurs généraux, 30,4% des directeurs et 36,2% des chefs d'unité au Parlement. En outre, les témoignages de harcèlement, notamment recueillis sur un blog, "MeTooEP", ont terni l'image de l'institution. En janvier 2019, les députés ont rejeté un amendement à la révision du Règlement intérieur appelant les députés à s'abstenir de toute forme de harcèlement moral ou sexuel et fermant l'accès à certaines fonctions aux députés refusant une formation spécifique à la prévention du harcèlement ; mais en mars, ils ont adopté un budget pour mettre en place un médiateur et un psychologue dédiés à la prévention. Un certain nombre de députés, dont le Président du Parlement, ont signé un engagement à combattre ce phénomène.
B - Une activité législative au gré des événements
1/Hausse du nombre de votes
Dans un contexte de mutations profondes et rapides de l'environnement économique, sociétal et géopolitique de l'Union, l'activité législative du Parlement a été plus importante durant cette législature que sous la précédente, et ce malgré la volonté affichée par la Commission de mieux et moins légiférer.
De juillet 2014 à février 2019, les députés ont procédé à 27 657 votes et adopté 1 128 actes législatifs (contre 749 en 2009-2014). Le nombre de résolutions soumises au vote (1 870), d'actes non législatifs (1 129) et d'amendements (32 231) est inférieur à la législature précédente, signe d'une activité parlementaire plus concentrée sur les actes concrets et des prises de position ciblées, ainsi que d'un travail en amont des sessions plénières, dans les commissions, afin de "boucler" les textes par une coopération dense entre rapporteurs et coordonnateurs.
Bilan statistique de l'activité en session plénière (données disponibles jusqu'à la session de février 2019)
2/ Priorités et nouveautés
Reflet des priorités de la Commission et de mesures imposées par les événements et les évolutions de plus long terme, l'activité législative du Parlement a été principalement consacrée à la sécurité et la protection des frontières de l'Union, à la protection des citoyens et des consommateurs, à la convergence sociale dans le marché unique, à la régulation des activités financières et des pratiques fiscales, à la transition énergétique et environnementale, et à l'affirmation de l'Union comme une puissance commerciale ouverte mais ferme.
Sécurité et frontières
Entre 2014 et 2018, 2 millions de migrants sont arrivés en Europe et presque 18 000 personnes sont décédées ou ont disparu en tentant de le faire. Suite au pic de 2015 et pour faire face à cette crise, l'Union européenne a légiféré dans l'urgence, mais aussi dans une perspective de long terme.
En réponse à la crise, le Parlement a notamment adopté la création du corps européen de garde-frontières et de garde-côtes (février 2016) et son renforcement (avril 2019), la révision du Code Schengen (février 2017), un renforcement du Système d'information Schengen (SIS) dans le domaine des contrôles aux frontières et du retour des ressortissants de pays tiers en séjour illégal (octobre 2018), la révision du mandat de l'agence eu-LISA, qui gère les systèmes d'information à grande échelle au sein de l'Union européenne (juillet 2018) et la création du système européen d'information et d'autorisation concernant les voyages (ETIAS) qui renforce les procédures de contrôle pour les ressortissants des pays tiers exemptés de visas (juillet 2018). Dans les discussions sur la gestion des fichiers, le Parlement a, en général, suivi les propositions de la Commission tout en apportant des garanties de transparence et de protection des données personnelles.
Les attentats, qui ont touché plusieurs Etats membres en 2015-2017, ont conduit le Parlement à adopter des mesures de lutte contre le terrorisme et la radicalisation et, en particulier, le registre européen des données des passagers aériens (PNR), en avril 2016 après 5 ans de négociations. Le texte a été adopté par 460 voix contre 173 après que le S&D a obtenu des garanties sur la protection des données personnelles.
Protection des citoyens et consommateurs
L'une des mesures les plus importantes de cette législature est le règlement général sur la protection des données (RGPD), adopté en 27 avril 2016 après 4 années de discussions, qui vise à protéger tous les citoyens européens contre toute violation de leur vie privée et de leurs données tout en créant un cadre plus clair et plus cohérent pour les entreprises. A la demande du Parlement, le règlement introduit la notion d'information de l'utilisateur sur l'utilisation des données et son consentement, un droit à l'oubli ainsi que des sanctions accrues.
En même temps que le RGPD, les députés ont adopté une directive sur la protection des données personnelles dans le cadre de la coopération policière et judiciaire en matière pénale. Ils ont introduit une définition du profilage et renforcé les garanties des personnes visées en la matière, ainsi que le pouvoir des autorités de contrôle.
Convergence sociale
Un vote a suscité l'attention : l'adoption de la révision de la directive sur les travailleurs détachés en mai 2018, qui a entériné le principe de salaire égal pour un travail égal quelle que soit la nationalité du travailleur. Le texte est le fruit d'une longue négociation avec les Etats membres et au sein du Parlement, sous l'autorité d'Elisabeth Morin-Chartier (PPE, FR) et Agnes Jongerius (S&D, NL), qui ont mis en avant les différences parfois profondes entre députés sur des lignes nationales, y compris à l'intérieur des groupes. Le texte a été adopté par 456 voix contre 147, avec le soutien de 5 partis (PPE, S&D, ADLE, Verts/ALE et GUE/NGL), signe d'un travail en profondeur d'explications et de compromis, malgré l'opposition d'une trentaine d'élus PPE d'Europe centrale et orientale mais aussi de Suède, d'Allemagne ou d'Espagne.
Le Parlement a dû accepter une limitation du détachement à 1 an plus 6 mois sous conditions, et non pas de 2 ans, et la non-inclusion du secteur du transport dans la directive. Il a revanche obtenu l'application des conventions collectives aux travailleurs détachés et une période de transposition de 2 ans, plutôt que 4 ans demandés par le Conseil.
La révision de la directive a été complétée en avril 2019 par l'adoption du Paquet mobilité, qui couvre le secteur du transport et encadre de manière plus stricte la rémunération et le temps de repos des chauffeurs routiers ainsi que la pratique du cabotage, limitée à trois jours.
En fin de législature, les députés ont également approuvé une directive sur l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée des parents et des aidants de personnes malades, qui harmonise, en particulier, le congé paternité fixé à 10 jours minimum, ainsi que la création d'une Autorité européenne du travail pour lutter contre le dumping social. En revanche, le Parlement avait dû accepter en 2015 l'échec des discussions avec le Conseil et la Commission pour un allongement du congé maternité à 20 semaines minimum payées à 100%. Il a également échoué lors de la dernière session plénière à adopter sa position sur la révision de la coordination des systèmes de sécurité sociale, contestée par plusieurs Etats membres.
Sur les dossiers sociaux, les clivages entre nationalités se sont souvent superposés aux traditionnelles lignes gauche-droite, rendant les compromis plus difficiles. Cette tendance pourrait être encore plus prononcée dans la prochaine législature, dans un contexte où les nationalismes et les revendications sociales rendront certainement plus aigüe la polarisation déjà accentuée par la fin de la grande coalition.
Régulation financière et fiscale
Le Parlement, qui ne dispose que d'un pouvoir de consultation, a globalement approuvé les grandes lignes fixées par la Commission dans le domaine de l'harmonisation fiscale européenne. La fiscalité restant très largement dépendante de la bonne volonté des Etats membres, les progrès sont restés limités hormis pour la TVA : marché unique numérique de la TVA, directive fixant le taux normal minimal de la TVA à 15%, directive fixant un taux réduit pour les publications électroniques, règlement mettant en place les mécanismes d'autoliquidation de la TVA et de réaction rapide.
Les députés ont également approuvé l'échange automatique d'informations sur les décisions en matière fiscale (octobre 2015) moyennant plusieurs amendements. En novembre 2016, ils ont approuvé une modification de la directive sur l'échange automatique de données entre Etats membres, en demandant à ce que les informations relatives à la lutte contre le blanchiment de capitaux y soient intégrées et mises à la disposition de la Commission.
Liés aux questions de la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, le statut des lanceurs d'alerte et le cadre dans lequel ils peuvent être reconnus ont été traités par le Parlement. La directive sur le secret des affaires (avril 2017) introduit une définition commune des informations secrètes à valeur commerciale tout en garantissant la liberté des médias et la protection de leurs sources. Une seconde directive (avril 2019) garantit que les lanceurs d'alerte signalant des infractions à la législation de l'Union dans des domaines comme la fraude fiscale, le blanchiment de capitaux ou la protection des consommateurs ne pourront être l'objet de représailles. Cette directive faisait partie des recommandations des commissions spéciales TAXE et TAX2.
Energie et environnement
Durant cette législature, la mise en œuvre de l'accord de Paris de 2015 sur le climat et la réduction des pollutions de tous types ont engendré une activité intense du Parlement, comme l'adoption du paquet économie circulaire pour réduire les déchets (avril 2018) ou la définition de nouvelles limites pour les polluants atmosphériques (novembre 2016).
Les députés ont joué un rôle moteur dans les politiques climatiques, en particulier dans la définition des objectifs de l'efficacité énergétique. La résolution (novembre 2018) fixe à 32% l'objectif d'énergies renouvelables d'ici à 2030 et à 32,5% l'amélioration de l'efficacité énergétique - des seuils plus élevés que ceux proposés par la Commission (27% et 30%).
En février 2018 a été adoptée la révision du système européen des quotas d'émissions (SEQE) visant à réduire le prix du quota pour rendre le marché plus efficace, après de longues discussions avec le Conseil et la Commission pour limiter les allocations gratuites pour les entreprises. En novembre 2017, il avait été étendu au secteur de l'aviation. En janvier 2019, les députés ont adopté la directive interdisant l'usage des plastiques à usage unique d'ici à 2021.
Commerce
Depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, le Parlement dispose d'un pouvoir d'approbation des traités commerciaux internationaux négociés par la Commission.
Au cours de cette législature, il a approuvé l'Accord économique et commercial global avec le Canada (février 2017), l'Accord de partenariat économique avec le Japon (décembre 2018), ainsi que les accords économiques et de protection des investissements avec Singapour (février 2019).
Les variations du taux d'approbation - 71% pour l'accord commercial avec le Japon, 65% pour celui avec Singapour et 59% pour le Canada[8] - reflètent le degré de publicité et de controverses qui ont entouré les différents accords, mais aussi l'évolution politique de l'Union face à la nécessité d'affirmer un ordre multilatéral et ouvert au commerce face aux remises en cause des Etats-Unis depuis l'élection de Donald Trump en 2016.
En parallèle, le Parlement a adopté plusieurs mesures destinées à défendre les intérêts de l'Union face à des puissances commerciales plus agressives, en particulier la Chine. C'est le cas de la définition de nouvelles règles anti-dumping (novembre 2017) afin de ne pas reconnaître à la Chine le statut d'économie de marché et de mettre l'accent sur les distorsions de marché dues aux subventions. Dans cette discussion, le Parlement a défendu des dispositions en faveur des PME et la prise en compte des normes sociales et environnementales dans les mesures antidumping. C'est le cas également de l'introduction d'un mécanisme européen de filtrage des investissements étrangers (février 2019) par 500 voix contre 49. Le Parlement a élargi les secteurs concernés par le filtrage et renforcé les moyens de coordination entre Etats membres et avec la Commission.
Le cas exemplaire du droit d'auteur
Le Parlement a adopté en mars 2019, par 348 voix contre 274, la directive sur le droit d'auteur dont il avait rejeté une première version en juillet 2018 par 318 voix contre 278. Le texte vise à adapter la législation européenne à l'ère numérique afin de permettre aux détenteurs de droits d'obtenir de meilleurs accords de rémunération pour l'utilisation de leurs œuvres sur internet tout en rendant les plateformes numériques responsables des contenus mis en ligne. Plusieurs contenus sont exclus de la directive afin de garantir la liberté d'expression, notamment les articles d'actualité et les parodies ou critiques, et les plateformes récentes ou de petite taille sont exemptées. Outre les enjeux financiers et sociétaux qu'elle soulève, la directive a été soumise à plusieurs phénomènes au sein du Parlement, annonciateurs de son fonctionnement futur.
D'une part, les députés ont été confrontés à des sujets mêlant des dimensions traditionnelles, comme le marché unique ou les conséquences réglementaires et économiques pour les entreprises, à des dimensions nouvelles comme l'utilisation multiforme de contenus en ligne ou la mutation des usages et de l'écosystème de la création. Cette configuration des sujets sur lesquels il faudra légiférer ne pourra que s'accentuer dans les prochaines législatures, nécessitant parfois un haut degré d'expertise.
D'autre part, ce phénomène s'est traduit pas des approches nouvelles exprimées par des députés partageant une culture sociétale différente de beaucoup de leurs collègues, comme la députée Julia Reda (Verts/ALE, DE). Cette différence culturelle, couplée aux différences générationnelles, ne doit pas être sous-estimée pour la manière dont les députés pourraient légiférer à l'avenir.
De plus, la directive a fait l'objet d'un lobbying intense, voire agressif, de la part de tous les acteurs concernés - artistes, médias, plateformes, associations d'usagers, militants de l'internet libre.
Le Parlement est depuis longtemps un lieu privilégié pour les groupes d'intérêts, mais cette législature a marqué un degré supplémentaire dans l'exposition des députés et de leurs assistants à des acteurs qui n'hésitent pas à y consacrer des moyens importants. Cette évolution devra faire l'objet d'une réflexion particulière de la part de l'institution. Enfin, la répartition géographique des votes démontre des sensibilités nationales très fortes, parfois par bloc régional, sur les questions nouvelles comme la régulation d'internet ou l'utilisation des données, qui sont destinées à devenir centrales dans les législatures à venir.
Résultat du vote sur la directive droit d'auteur par nationalité des députés
Cette répartition par pays ou blocs régionaux transcendant les appartenances politiques et le clivage gauche-droite se retrouve, de manière plus aigüe, sur les sujets sociaux. La révision de la directive sur les travailleurs détachés, fruit d'un long travail de négociation au sein du Parlement et avec les Etats membres, a pu atténuer, dans une certaine mesure, ces lignes géographiques. Les votes sur le paquet mobilité, en revanche, illustrent l'importance de l'appartenance nationale plutôt que partisane dans des sujets qui touchent au cœur de la vie quotidienne des Européens et de la gestion du marché unique dans sa dimension sociale.
Résultats des votes sur le paquet Mobilité (travail détaché et conditions de travail) par nationalité des députés
C Une affirmation politique et institutionnelle
1/ Essai de régime parlementaire
"Spitzenkandidat" et Commission politique
Pour la première fois dans l'histoire de l'Union, le président de la Commission européenne a directement procédé du Parlement, établissant ainsi un nouveau rapport de force entre les institutions, que le Parlement espère confirmer après le scrutin de 2019.
A l'occasion des élections de 2014, le Parlement, par l'intermédiaire de ses groupes politiques, a revendiqué la nomination de Jean-Claude Juncker, imposé aux Etats membres en mettant en place le système dit du "Spitzenkandidat", par lequel les partis européens désignent une tête de liste, et celle du parti arrivé en tête aux élections européennes devient président de la Commission.
L'initiative avait été menée dans les mois précédant le scrutin par le président du Parlement sortant, Martin Schulz, sur la base d'une interprétation spécifique du traité de Lisbonne. Elle avait été au cœur de la campagne institutionnelle du Parlement, sur le thème "Cette fois c'est différent", dans laquelle l'institution insistait sur le fait qu'elle n'avait "jamais eu autant de pouvoir pour transformer l'Europe qu'aujourd'hui".[13]
Une fois désigné par le Conseil européen, et élu par le Parlement le 15 juillet 2014, Jean-Claude Juncker a loué l'assemblée "...Un Parlement qui impose l'observation du principe démocratique fait un travail noble" et insisté sur le rôle que pouvaient jouer ensemble les "deux institutions communautaires par excellence..."[9]. Dans cette relation, lui qui affirmait son ambition de diriger une "Commission politique"[10] établissait sa légitimité démocratique, souvent contestée lorsqu'il s'agit de l'exécutif européen, tandis que le Parlement se hissait au niveau de l'institution communautaire historique par excellence, face au Conseil qui représente les Etats membres. "Il n'est que normal que le Président de la Commission et celui du Parlement, d'une part, et le Parlement et la Commission de l'autre, entretiennent des relations de travail et de conception privilégiées,", a souligné Jean-Claude Juncker dans son premier discours devant le Parlement. "Nous, le Parlement et la Commission, agirons dans l'intérêt général et je voudrais que nous le fassions ensemble."
De fait, la Commission a été beaucoup plus présente dans les travaux du Parlement, avec des commissaires venant régulièrement rendre compte et débattre en commissions ou participant eux-mêmes aux trilogues, les réunions de conciliation entre les trois institutions pour faire aboutir les textes législatifs, qui étaient traditionnellement dévolues aux experts de la Commission.
Pour J.-C. Juncker comme pour le Parlement, cette coopération permettait de tenter de s'affirmer face au Conseil en cultivant un esprit de régime parlementaire pour peser sur les discussions entre Etats membres, parfois difficiles en raison du contexte de crises et de l'arrivée de populistes et nationalistes dans plusieurs gouvernements nationaux.
Dans cette tentative de dynamique institutionnelle, ce partenariat privilégié s'est notamment traduit par la poursuite de la pratique du discours sur l'état de l'Union, établie en 2010 par un accord-cadre sur les relations entre le Parlement et la Commission.
Grâce en partie à une communication active de la Commission autour de l'événement, le discours du président de la Commission et le débat qui suit avec les députés européens est devenu sous cette législature un temps fort de la vie politique et institutionnelle de l'Union, établissant les grandes lignes de l'agenda politique et le calendrier législatif.
Débats sur l'avenir de l'Europe
Sur le modèle du débat sur l'état de l'Union, le Parlement a institué en 2017 des "Débats sur l'avenir de l'Europe" avec les chefs d'Etat et de gouvernement, afin de participer aux discussions que les dirigeants européens ont lancées en 2016 pour relancer l'Union après le vote en faveur du Brexit.
Entre le premier débat, avec le Premier ministre irlandais Leo Varadkar en janvier 2018 et le dernier avec Arturs Krisjanis Karins (Lettonie) le 17 avril 2019, 20 dirigeants européens se sont succédés à Strasbourg ou Bruxelles. Andrej Babis (Rép. tchèque), Dalia Grybauskaitė (Lituanie), Viktor Orban (Hongrie), Marjan Sarec (Slovénie) ne sont pas intervenus. Boïko Borissov (Bulgarie), Sebastian Kurz (Autriche) et Joseph Muscat (Malte) sont intervenus dans le cadre de la présidence semestrielle du Conseil assurée par leur pays. Depuis longtemps, les dirigeants européens viennent devant le Parlement lorsque leur pays débute et achève la présidence semestrielle du Conseil. Mais les débats y sont en général très formatés.
Les débats sur l'avenir de l'Europe sont dans la lignée d'un autre type de dialogue entre dirigeants nationaux et députés européens, davantage ancré dans l'actualité politique, voire dans la confrontation, qui s'est produit plusieurs fois pendant cette législature.
Le 8 juillet 2015, 3 jours après le référendum grec rejetant les conditions d'un nouveau plan d'aide, et alors que la Grèce était au bord d'une sortie de l'euro, le Premier ministre grec Alexis Tsipras a participé à Strasbourg à un débat vif, de près de 5 heures, avec les députés européens. Quelques mois plus tôt, en mai 2015, le Premier ministre hongrois Viktor Orban s'était invité à un débat du Parlement sur l'Etat de droit dans son pays - il reviendra 2 fois pour une confrontation sur le même thème. La Première ministre polonaise, Beata Szydlo, est elle aussi venue débattre avec les députés sur l'Etat de droit dans son pays en janvier 2016.
Plusieurs des débats sur l'avenir de l'Europe - en particulier avec le Président français Emmanuel Macron, la Première ministre roumaine Viorica Dancila ou le Président du Conseil italien Giuseppe Conte - ont également donné lieu à des échanges intenses.
Il reste à voir si, lors de la prochaine législature, le Parlement sera en mesure de poursuivre cette pratique d'échanges, voire de confrontation, avec les dirigeants européens et ainsi confirmer son ambition d'étendre l'esprit de régime parlementaire à ses relations avec le Conseil.
L'issue de la tentative d'imposer le Spitzenkandidat à un Conseil européen réticent, ainsi que la personnalité du prochain président de la Commission, seront des facteurs décisifs pour le rôle à venir du Parlement au sein du trio institutionnel.
Les débats sur l'avenir de l'Europe se sont également inscrits dans une démarche plus institutionnelle consécutive au vote en faveur du Brexit. En novembre 2017, le Parlement a publié un rapport intitulé "Futur de l'Europe : Le Parlement expose sa vision"[11] afin d'orienter les discussions lancées par les chefs d'Etat et de gouvernement. Entre décembre 2016 et février 2017, le Parlement avait adopté 3 rapports sur les "évolutions et adaptations possibles de la structure institutionnelle actuelle de l'Union européenne" (Guy Verhofstadt, ADLE, BE), "l'amélioration du fonctionnement de l'Union européenne en mettant à profit le potentiel du traité de Lisbonne" (Mercedes Bresso, S&D, ES et Elmar Brok, PPE, DE), et une "capacité budgétaire de la zone euro" (Reimer Böge, PPE, DE , et Pervenche Berès, S&D, FR).
Le Parlement a ainsi tenu à affirmer son rôle politique et sa place institutionnelle dans le débat existentiel créé par la décision du Royaume-Uni de quitter l'Union européenne. Même s'il n'a pas participé directement à la négociation dans le cadre de l'article 50, il a été pleinement intégré dans le dispositif mis en place par l'Union, par l'intermédiaire d'un groupe de pilotage dirigé par Guy Verhofstadt. Le Parlement, amené à ratifier l'accord avec le Royaume-Uni, a pu s'appuyer sur ce rôle crucial pour passer des messages politiques à la fois aux Etats membres et au Royaume-Uni sur ce qui serait acceptable ou pas, en particulier sur les droits des citoyens.
Surveillance de l'Etat de droit
Alors que la question des atteintes à la démocratie et à l'Etat de droit s'est placée au cœur des questions sur l'avenir de l'Union menacée par des forces contraires internes, le Parlement s'est érigé en défenseur des valeurs fondamentales. Pendant cette législature, les députés européens ont adopté 11 résolutions concernant 5 pays : la Hongrie (4 résolutions en 2015, 2017 et 2018), la Pologne (4 en 2016, 2017 et 2018), Malte (2 en 2017 et 2019), la Roumanie (1 en 2018) et la Slovaquie (1 en 2019, concernant aussi Malte).
Par deux fois - au sujet de la Hongrie en mai 2017 puis de la Pologne en novembre 2017 - les députés ont chargé la commission LIBE de préparer une proposition motivée pour demander au Conseil d'activer l'article 7 TUE sur les "violations graves" aux valeurs de l'Union. En septembre 2018, pour la première fois, le Parlement a décidé, dans une résolution adoptée par plus de 2/3 des votants, de franchir un pas supplémentaire et d'inviter formellement le Conseil "à établir s'il existe un risque clair de violation grave des valeurs (de l'Union)" en Hongrie. Fin 2017, c'est la Commission qui avait décidé de lancer la procédure contre la Pologne.
La saisine par le Parlement des situations en Hongrie et en Pologne a donné lieu à 4 débats avec les chefs de gouvernement qui ont été les seules occasions au cours desquelles les dirigeants ont dû expliquer publiquement, sur la scène européenne, les réformes engagées dans l'administration et la justice de leur pays, ainsi que leur action contre les médias et ONG.
Le Parlement s'est aussi saisi de l'actualité pour lier la situation de l'Etat de droit dans les Etats membres à d'autres questions sur lesquelles le Conseil est le plus souvent impuissant. Dans sa première résolution sur Malte (novembre 2017), adoptée un mois après l'assassinat de la journaliste Daphne Caruana Galizia, le Parlement a demandé à la Commission de vérifier l'application et le respect des directives anti-blanchiment. Dans la seconde résolution (mars 2019) et concernant également la Slovaquie, où un autre journaliste d'investigation, Jan Kuciak, a été assassiné en 2018, le Parlement a demandé à la Commission et à l'Office européen de lutte antifraude (OLAF) de "mener des enquêtes approfondies" sur des cas de fraude et corruption.
La volonté et la capacité du prochain Parlement à poursuivre sa surveillance des pratiques des Etats membres, dans un contexte probable de polarisation et de fragmentation accrues, sera un marqueur de la solidité de l'affirmation politique et institutionnelle exprimée tout au long de cette législature.
Consolidation institutionnelle
Signé en avril 2016 par le Parlement, la Commission et le Conseil, l'accord "Mieux légiférer" a accru les droits de Parlement, stipule que "le Parlement européen et le Conseil, en leur qualité de colégislateurs, doivent exercer leurs pouvoirs sur un pied d'égalité"[12]. En vertu du texte, les trois institutions doivent s'accorder sur les priorités annuelles et pluriannuelles de l'Union. La première "déclaration commune sur les priorités législatives communes de l'Union" a été signée le 16 décembre 2016.
Dans la négociation menée par Guy Verhofstadt, le Parlement a obtenu d'être consulté avant, et non plus après, que la Commission élabore son programme de travail annuel, ainsi que d'être consulté lorsque la Commission envisage de retirer une proposition législative ou que le Conseil veut modifier une base juridique pendant une procédure législative en cours.
Le Parlement a également obtenu un accès systématique aux réunions entre fonctionnaires de la Commission et experts nationaux. Outre le fait qu'il aura, tout comme le Conseil, accès aux études d'impact effectuées par la Commission, le Parlement, ainsi que le Conseil, peut effectuer ses propres études sur l'impact des "modifications substantielles" apportées aux propositions de la Commission.
Dans un rapport sur la mise en œuvre de l'accord (mai 2018)[14], le Parlement a estimé que des progrès restaient à accomplir sur plusieurs points, comme le partage d'informations lors de la négociation et de la conclusion d'accords internationaux, l'information en provenance du Conseil et le sujet plus technique de la définition de critères non contraignants pour la délimitation des actes délégués et d'exécution.
Très technique, la question des actes délégués et d'exécution a été au cœur de bras de fer réguliers avec la Commission et le Conseil, car elle définit les responsabilités dans la mise en œuvre des actes législatifs. Tandis que les actes d'exécution peuvent être pris par la Commission ou le Conseil après consultation entre les deux institutions, les actes délégués ne peuvent être pris par la Commission que sur la base d'une délégation octroyée dans un texte législatif. Ils ne peuvent pas modifier les éléments essentiels de l'acte législatif et peuvent être soumis à l'examen du Parlement, lequel peut objecter ou révoquer la délégation.
La capacité du Parlement à faire privilégier les actes délégués est donc un enjeu de long terme pour affirmer son pouvoir au-delà de la codécision, et sera un marqueur de son affirmation institutionnelle dans les prochaines législatures.
***
Alors qu'il s'annonçait comme celui d'une nouvelle phase, ouverte par le traité de Lisbonne, le Parlement pourrait être en réalité un Parlement de transition, annonciateur d'une nouvelle situation encore en gestation.
Le premier élément de cette situation, qui reste incertain au moment où les députés achèvent leur mandat, est la composition même du Parlement. Les élections européennes (23 au 26 mai) auraient dû désigner 705 députés, au lieu de 751, en raison de la sortie de l'Union du Royaume-Uni, qui aurait dû se produire le 29 mars 2019. L'extension jusqu'au 31 octobre, accordée lors du Conseil européen extraordinaire du 10 avril, signifie que sauf rebondissement politique, 751 députés, dont 73 Britanniques, siègeront dans le nouveau Parlement à partir du 1er juillet. Les hypothèses d'une extension supplémentaire, voire d'une annulation du Brexit n'étant pas exclues, la durée du maintien des députés britanniques aura des conséquences difficiles à évaluer sur les équilibres politiques et géographiques dans l'hémicycle.
Quelle que soit la composition du Parlement, l'enjeu majeur sera de garantir le bon déroulé et l'efficacité du travail législatif dans le contexte annoncé de recul des partis qui ont jusqu'à présent structuré le Parlement (PPE et S&D) et de possible progression des partis nationalistes hostiles à l'Union telle qu'elle s'est construite jusqu'à présent. La capacité des nationalistes comme ceux de la Ligue italienne, du parti Droit et Justice (PiS) polonais ou du Rassemblement national (RN) français à surmonter leurs divergences sur la migration, la politique économique et sociale ou les affaires étrangères afin de constituer un groupe nombreux, sera un facteur déterminant.
Le troisième élément est la manière dont sera élu le président de la Commission, et le rapport politique qu'il voudra entretenir avec le Parlement. Le Conseil européen ayant clairement exprimé sa réticence à suivre une seconde fois le principe de "Spitzenkandidat", le Parlement pourrait être contraint, dès sa mise en place, à une tension entre institutions et devra, dans tous les cas, s'assurer une coopération avec la Commission au moins aussi étroite que sous la présidence de Jean-Claude Juncker.
Enfin, le Parlement sera probablement amené à légiférer et débattre de sujets de plus en plus complexes, parfois controversés et souvent soumis à l'urgence des situations. Ce travail, les députés devront l'accomplir aussi efficacement et aussi ouvertement que possible, afin de pouvoir, à la fin de la prochaine législature, assurer ce qui constitue le fondement de l'existence du Parlement et de son poids politique et institutionnel, la participation des citoyens aux élections européennes.
[1] Luuk van Middelaar, Quand l'Europe improvise, Paris, Gallimard, 2018
[2] "C'est la droite qui a provoqué la crise" au sein du Parlement européen, accuse Gianni Pittella La Libre Belgique, 2 décembre 2016,
[3] Source Parlement européen
[4] Source Parlement européen, https://resultats-elections.eu/resultats-des-elections/2014-2019/parlement-sortant/
[5] Source Parlement européen
[6] Voir Charles de Marcilly, Parlement européen : redistribution des équilibres politiques, Question d'Europe n°420, https://www.robert-schuman.eu/fr/questions-d-europe/0420-parlement-europeen-redistribution-des-equilibres-politiques
[7] Source Parlement européen, http://www.europarl.europa.eu/news/fr/headlines/society/20190226STO28804/les-femmes-au-parlement-europeen
[8] Source VoteWatch
[9] J/-C. Juncker, Un nouvel élan pour l'Europe, Discours d'ouverture de la session plénière du Parlement européen, Strasbourg, 15 juillet 2014, http://europa.eu/rapid/press-release_SPEECH-14-567_fr.htm
[10] Voir Sophia Russack, Institutional Rebalancing: the 'Political' Commission, CEPS, mars 2019, https://bit.ly/2I81i9K
[11] Future of Europe: European Parliament sets out its vision, http://www.europarl.europa.eu/resources/library/media/20171023RES86651/20171023RES86651.pdf
[12] Accord interinstitutionnel entre le Parlement européen, le Conseil de l'Union européenne et la Commission européenne "Mieux légiférer", https://eur-lex.europa.eu/legal-content/fr/TXT/PDF/?uri=OJ:L:2016:123:FULL&from=EN
[13]Site du Parlement européen, http://www.europarl.europa.eu/news/fr/headlines/eu-affairs/20130905STO18723/le-pouvoir-pour-decider-de-ce-qui-va-changer-en-europe
[14]Rapport sur l'interprétation et la mise en œuvre de l'accord interinstitutionnel "Mieux légiférer", http://www.europarl.europa.eu/doceo/document/A-8-2018-0170_FR.html?redirect
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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