Elections européennes de 2019 : quelle recomposition?

Avenir et perspectives

Pascale Joannin

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5 novembre 2018
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Pascale Joannin

Directrice générale de la Fondation Robert Schuman.

Elections européennes de 2019 : quelle recomposition?

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Les élections européennes se tiendront du 23 au 26 mai 2019 dans 27 Etats membres de l'Union. A 6 mois de l'échéance, il semblerait que ce scrutin suscite déjà davantage de commentaires que les années précédentes (2014 et 2009).

Alors que vont s'ouvrir les congrès des partis politiques européens (PPE les 7 et 8 novembre, ALDE du 8 au 10 novembre,  Verts du 23 au 25 novembre, PSE les 7 et 8 décembre) qui constituent la première étape de cette campagne, il est d'ores et déjà possible, à partir de quelques réflexions, de mieux comprendre les enjeux de ces élections.

Nombreux sont ceux, en effet, qui s'interrogent sur les conséquences de ce scrutin. Certains anticipent une hausse des extrêmes, populistes et nationalistes, imaginant même que ces derniers pourraient obtenir la majorité. D'autres s'inquiètent des interférences de puissances étrangères dans ce scrutin qui mobilise peu les électeurs européens. D'autres enfin, notamment en France où ce sera le premier rendez-vous électoral depuis l'élection, en mai 2017 d'Emmanuel Macron à la tête d'un mouvement qui ne se veut ni de droite ni de gauche - ou plutôt en même temps de droite et de gauche-, se demandent où se situera son mouvement " En Marche " sur la scène européenne.

Beaucoup d'interrogations se font jour sur les recompositions et bouleversements politiques en cours au sein des démocraties libérales. Qu'en sera-t-il exactement en Europe en mai 2019?  

 

Les changements sûrs et certains.

 

Deux changements sont certains, qui relèvent de faits avérés : le départ des Britanniques et la réduction du nombre de députés.

 

Le départ des Britanniques.

 

Tout reste encore incertain sur la façon dont se concluront - ou non - les négociations avec le Royaume-Uni, mais tenons pour acquis que la sortie de l'Union de ce pays, le fameux " Brexit ", dont tout le monde parle sans qu'il ait eu lieu pour l'instant, sera réalisé, comme le prévoient les traités, dans le délai de 2 ans après que les Britanniques ont officiellement déclenché l'article 50 TUE. Ils l'ont fait le 29 mars 2017 ; ce sera donc chose faite le 29 mars 2019.

 

De ce fait, les Britanniques n'auront plus ni député européen, ni commissaire. Ils ne siègeront plus dans les institutions européennes y compris durant la période de transition prévue, pour l'instant, jusqu'au 31 décembre 2020, pour négocier la relation future avec l'Union européenne.

 

Il n'y aura donc plus de députés britanniques au Parlement de Strasbourg. Cela affecte principalement 3 groupes politiques actuels :  le groupe S&D (Socialistes & Démocrates, 187 membres) qui perdra de fait les 20 députés issus du parti travailliste (Labour) qui y siègent ; le groupe ECR (Conservateurs et réformistes européens, 73 membres) qui ne comprendra plus les 19 députés du parti conservateur (Conservatives) et, enfin, le groupe EFDD (Europe de la liberté et de la démocratie directe, 43 membres) qui se verra amputer des 19 députés du parti de l'indépendance (UKIP). Les Verts (verts/ALE) perdront aussi 6 députés.

 

Ce départ des Britanniques entraînera de facto une première recomposition politique.

 

A ce stade en effet et sans préjuger des potentiels mouvements post-scrutin, le groupe EFDD amputé de l'UKIP (qui préside le groupe en la personne de Nigel Farage) se situerait en dessous des critères d'éligibilité (25 élus provenant de 7 Etats membres) avec un nombre de députés inférieur au seuil (24).

 

De la même manière, le groupe ECR perdra sa principale délégation nationale et son co- président britannique Syed Kamall. Ce groupe avait été instauré par les conservateurs britanniques en 2009 après leur départ du groupe du parti populaire européen (PPE). Dorénavant, le groupe est aussi coprésidé par un Polonais du parti Droit & Justice (PiS) - qui forme la seconde délégation avec 18 membres -  et il peut numériquement subsister. Mais conservera-t-il sa raison d'être après le départ de son instigateur ?

 

Enfin, le groupe S&D, d'abord affecté par le départ des 20 travaillistes, le sera aussi du fait de la moindre représentation en son sein de partis membres (SPD allemand, PS français, PvdA néerlandais) dont les résultats dans les scrutins nationaux ont montré un recul significatif. Cette réduction numérique du groupe S&D ne sera pas sans conséquence sur la formation d'une majorité au Parlement européen.

 

Un  nombre moindre de députés.

 

En 2019, le Parlement européen comprendra moins de députés (705) qu'actuellement  (751) du fait du départ des 73 députés Britanniques qui y siègent.

Aux 751 députés prévus à l'article 14, paragraphe 2 du traité sur l'Union européenne, il aurait dû être retranché le nombre de 73, soit 678 députés. Il n'en pas été ainsi. La commission des Affaires constitutionnelles (AFCO) du Parlement européen saisie de ce dossier a étudié plusieurs options dont celle de la mise en place d'une liste transnationale qui été rejetée. Mais des initiatives  souhaitent quand même pousser et " transformer " l'idée en 2019.

Pour tenir compte de l'évolution de la démographie, et par conséquent de la moindre représentation de certains Etats membres, la décision a été prise (vote du Parlement le 13 juin, Conseil européen le 28  juin) de réaffecter une partie des 73  sièges britanniques au profit de 14 Etats : France[1] et Espagne (+5), Italie et Pays-Bas (+3), Irlande (+2), Autriche, Croatie, Danemark, Estonie, Finlande, Pologne Roumanie, Slovaquie et Suède (+1), soit 27 sièges.  Ceci afin de respecter davantage le principe de la " proportionnalité dégressive ".

Cette clé de répartition part du principe que le rapport entre la taille de la population d'un État membre et le nombre de représentants au Parlement européen s'accroît en fonction de l'importance de la population. Toutefois, avec un minimum de 6 députés pour les Etats les moins peuplés (Malte, Luxembourg Chypre en 2019) et un maximum de 96 pour l'Etat le plus peuplé (Allemagne), la répartition des sièges ne reflète que de manière imparfaite la population de chaque État membre, puisqu'un député européen élu d'un des six États les plus peuplés représente environ 800 000 de ses concitoyens, contre 500 000 pour un pays de taille intermédiaire comme la Grèce, 350 000 pour l'Irlande et autour de 70 000 pour les moins peuplés comme le Luxembourg ou Malte. Ainsi, le rapport varie de 1 à 12.

Le nombre de députés que les Européens éliront en mai 2019 sera donc de 705, selon la répartition géographique suivante :

Composition du Parlement européen 2019-2024

Cela n'assurera pas encore une représentativité équitable de tous les citoyens. Mais le processus pour y parvenir mériterait une réforme profonde à laquelle tous les Etats ne semblent  pas prêts.

Des évolutions probables.

 

La participation électorale.

 

Depuis l'élection des membres du Parlement européen au suffrage universel direct en 1979, il s'avère que la participation au scrutin européen a constamment diminué. Elle était en moyenne supérieure à 50% de 1979 (61,99%) à 1994 (56,61%). Elle était encore proche de 50% en 1999 (49,51%). Elle est depuis inférieure à 50% passant de 45,47% en 2004 à 42,61% en 2014.

 

Une analyse plus détaillée des résultats selon les Etats membres montre un grand contraste.  Dans la plupart des pays où le vote est obligatoire, le taux de participation est élevé, comme par exemple en Belgique avec 91,36% en 1979 et 89,64% en 2014. Mais aussi le Luxembourg  (85,55% en 2014) et Malte (74,8% en 2014). En revanche, la Grèce a vu sa participation baisser à 59,97% en 2014 alors qu'elle s'élevait à 81,48% lors de son adhésion en 1981. Plus rapide est le déclin de la participation à Chypre passant en 10 ans de 72,5% (2004) à 43,97% (2014). Toutefois, cet élan pour les premières élections post-adhésion est à relativiser même si la participation a augmenté de près de 10 points en Suède depuis 1995 passant de 41,63% à 51,07% en 2014.

Dans les pays des élargissements de 2004, 2007 et 2013 - hormis Chypre et Malte -,  le scrutin européen n'a jamais connu une forte participation. Partout, celle-ci est restée inférieure à 50% et même très largement (18,2% en République tchèque en 2014 et 13,05% en Slovaquie). Dans ces pays, longtemps privés d'élections libres, le fait d'appartenir à l'Union européenne n'a pas suscité d'enthousiasme pour le devoir électoral européen, après des votes francs et massifs lors des référendums en faveur de l'adhésion.

 

Ce faible engouement que l'on retrouve aux Pays-Bas (37,32% en 2014) et en France (42,43%), pourtant deux Etats fondateurs, ou au Portugal (33,67%), voire en Espagne (43,81%), peut s'expliquer par plusieurs raisons.

Le vote se déroule dans un cadre national, et non européen, et il est, de ce fait, souvent ramené à des considérations principalement, voire quasi exclusivement, nationales. Les électeurs votent en fonction de la situation politique nationale sans se soucier si leur vote aura un impact au niveau européen ou sera un " vote utile ". Ainsi en fut-il, par exemple, du vote en France en 2014, qui a envoyé la plus grande délégation (24 élus) issue du Front national siéger dans le groupe politique comprenant le moins de députés (Europe des nations et libertés (ENL), 34 députés) au Parlement européen.

 

De même, les partis nationaux font encore souvent une campagne nationale sans expliquer aux électeurs les véritables enjeux législatifs et sans d'ailleurs y associer le parti politique européen auquel ils sont affiliés.

 

Le mode de scrutin à la représentation proportionnelle - qui est en vigueur dans tous les Etats pour les élections européennes rend la lisibilité des résultats plus complexe encore. En effet, aucun parti ne peut avoir - et n'a jamais eu- la majorité à lui seul depuis 1979.  Des coalitions sont indispensables. Naturelles dans de nombreux pays aux traditions parlementaires, elles restent encore étrangères à certains, surtout quand il s'agit d'une " grande coalition ".

Comment expliquer que " la droite et la gauche " vont s'unir au niveau européen, ce qui a toujours été le cas - à une exception près[2] - depuis 1979,  alors que dans les Etats,  ils s'opposent. C'est ainsi que la présidence de l'assemblée nouvellement élue n'est pas attribuée pour la totalité de la législature de 5 ans, mais partagée entre les deux partis arrivés en tête (PPE et S&D), chacun pour une moitié de législature (2 ans et demi). L'actuel Président Antonio Tajani (IT, PPE) a ainsi succédé en janvier 2017 à Martin Schulz (DE, S&D). Enfin, le Parlement européen, quoiqu'on en dise, ne semble pas avoir réussi à convaincre les citoyens européens de sa représentativité, au même titre que les parlements nationaux.

 

Certains espèrent que le contexte international et les défis européens du moment susciteront  une recrudescence de la mobilisation électorale. Il y aurait cette fois-ci de vraies bonnes raisons de renforcer la seule institution élue au suffrage direct de l'Union et donc d'aller voter. Des citoyens, voire des gouvernements, commencent à s'organiser dans cette perspective. Des initiatives se font jour pour inciter à la participation électorale. Sera-ce suffisant pour endiguer une tendance de long terme ? 

 

La progression des nationalistes

 

Pour ces élections européennes, on nous prédit une percée historique des extrémistes, des populistes ou des nationalistes, par nature, peu européens et leur victoire est déjà annoncée en mai 2019. C'est aller un peu vite en besogne et bien mal connaître le mode d'élection européen.

 

Il convient, en effet, d'être prudent avec l'appellation " extrémistes, populistes " qui revêt une réalité protéiforme.  En effet, il existe au Parlement européen un groupe de gauche (GUE/NGL, 51 membres) qui ne compte pas tous les partis d'extrême gauche (comme les communistes grecs (KKE) par exemple). Ces divisions ne semblent pas devoir disparaître en 2019.  Depuis son accession au pouvoir en Grèce, la coalition de la gauche radicale (Syriza), par exemple, compte quelques farouches ennemis au sein de ce groupe et les rivalités s'exacerbent. Plus difficile est de cerner " l'extrême droite " qui ne siège pas dans un seul et unique groupe. Autour du Rassemblement national (RN, France) et du parti pour la liberté (PVV, Pays-Bas) qui le copréside, le groupe ENL réunit des partis dont certains sont désormais associés au gouvernement de leur pays, comme le FPÖ en Autriche et la Lega en Italie. Si Matteo Salvini et Marine le Pen semblent avoir décidé de renouveler leur alliance, elle ne fera plus dans la même configuration. La Lega, qui ne compte que 6 sièges actuellement, pourrait y compter les effectifs les plus importants.  La ligne politique de ce groupe pourrait en être profondément modifiée.

 

Les représentants d'autres partis politiques " extrémistes, populistes ou nationalistes "  siègent dans des groupes qui refusent ces qualifications, comme par exemple les Démocrates suédois et les Vrais finlandais, qui siègent au groupe ECR.

Le Mouvement Cinque Stelle (M5S), allié au gouvernement italien avec la Lega, siège dans un autre groupe (EFDD) dont il pourrait prendre la présidence du fait du départ des Britanniques de l'UKIP.  Aussi surprenant que cela puisse paraître, le M5S n'envisage pas de siéger, après le scrutin européen de 2019, dans le même groupe que la Lega, son partenaire au sein du gouvernement italien ! Enfin, d'autres mouvements politiques ne font partie d'aucun groupe parlementaire, comme le Jobbik hongrois, jugé infréquentable.

Cette fragmentation met en évidence la difficulté que ces partis eurosceptiques rencontreront s'ils souhaitaient s'unir sous une seule bannière et former un seul groupe au Parlement européen après les prochaines élections.

 

En dehors de leur aversion pour l'Europe, qui constitue leur seul point commun, ils n'ont que peu d'accords sur les autres sujets, y compris sur l'immigration. Si tous la dénoncent, ils se divisent sur les solutions à apporter.  Matteo Salvini souhaite que les autres Etats membres acceptent de répartir les migrants, dont l'Italie, selon lui, est la seule à supporter le poids. Viktor Orban, qui siège au PPE, est loin de partager cette vision et ne veut en accueillir aucun tout comme le socialiste slovaque, le libéral tchèque et le conservateur polonais ! De même, au sein du groupe Europe des nations ENL, il n'est pas certain que tous les partis partagent la même position. 

 

Il serait donc extrêmement réducteur de dire que les " extrêmes, populistes ou nationalistes " vont l'emporter en mai 2019. Ils vont sans doute progresser si les résultats qu'ils ont obtenus récemment dans des scrutins nationaux se confirment en mai prochain. Mais il y a de fortes probabilités qu'ils demeurent divisés en plusieurs groupes.  Outre que chacun voudra garder son pré carré (les Polonais du PiS l'ECR,  la Lega son groupe et le M5S le sien), ils hésiteront à se mêler à d'autres mouvements " antisystème " aux caractéristiques si différentes. Enfin, leur progression globale demeurera limitée. Ceux de ces partis provenant de grands pays, comme l'Italie, enregistreront vraisemblablement le plus de gains par rapport à 2014.  Dans la plupart des autres Etats membres, leurs gains en sièges seront moindres et les mêmes spécificités nationales subsisteront, ne facilitant pas les rapprochements. Reste le cas de l'Alternative für Deutschland (AfD) en Allemagne, dont les 7 élus de 2014 siègent dans 3 groupes différents et dont un seul porte encore l'étiquette AfD !

 

Une réforme rendue nécessaire

 

Une nouvelle majorité

 

Depuis 1979, deux partis suffisaient pour obtenir la majorité au Parlement européen et donc organiser en commun l'élection de son président et la répartition des fonctions en son sein. Cette majorité servait aussi de référence pour la répartition des grandes responsabilités au sein des institutions communes (Conseil européen, Commission, etc.). Cette période paraît révolue. Or, les deux principaux groupes du Parlement européen (PPE et S&D) ne seront plus en mesure de constituer seuls une majorité.

 

Le groupe S&D , qui compte 187 élus, va subir un reflux important puisqu'il perd d'office son contingent britannique (-20), ce qui n'est pas le cas du PPE que les Britanniques ont quitté en 2009. Au sein du S&D, les principaux partis ont presque tous connu des revers lors des dernières échéances nationales. Les élections en Suède, en Lettonie et au Luxembourg n'ont pas encore débouché sur la formation d'un gouvernement. Mais, en Suède (SAP, 28,4%) comme au Luxembourg (POSL/LASP 17,6%), leurs scores sont les plus faibles de toute leur histoire. Ce faible résultat prévaut aussi pour le SPD allemand qui a obtenu lors des élections législatives de septembre 2017 son plus mauvais score depuis 1949 avec 20,5%. Quant au PS français, il s'est littéralement effondré lors de l'élection présidentielle de 2017 (6,36%) et des élections législatives qui ont suivi  (5,69%). Le parti démocrate italien est certes arrivé en 2e positon derrière le M5S, devançant la Lega avec 18,72% lors des élections parlementaires de mars 2018, mais il semble désormais en difficulté. Rappelons qu'il avait obtenu 40,86% lors des élections européennes de 2014 et qu'il constituait la première délégation du groupe avec 31 élus. L'appellation du groupe est d'ailleurs devenue " S&D " en 2009 afin de l'intégrer et d'éviter son éparpillement entre deux groupes comme pendant la législature 2004-2009. Que fera-t-il en 2019? Certains évoquent une nouvelle scission ou son départ du groupe pour former une nouvelle alliance avec d'autres mouvements comme En Marche.

Les socialistes gouvernent actuellement l'Espagne (sans majorité), la Roumanie (en coalition), le Portugal (en coalition sans être arrivés en tête du scrutin national de 2015), la Slovaquie (en coalition pluripartite), la Lituanie et Malte, soit 6 pays. La situation en Suède reste toujours incertaine à cette heure.

Si l'on en croit les sondages les plus récents, la plupart des partis composant le groupe S&D, devrait enregistrer un score bien moindre en 2019 qu'en 2014. Les premières projections suggèrent une perte d'environ 50 sièges, soit un effectif final d'environ 137 élus.

 

Au sein du PPE, le principal groupe politique au Parlement européen avec 219 élus, les pertes seront moins élevées. Il devrait rester le premier groupe mais ses effectifs  devraient passer sous la barre des 200 élus. En effet, le parti ne préside plus aux destinées que de 7 pays (Allemagne, Autriche, Bulgarie, Chypre, Croatie, Irlande, Hongrie). Par ailleurs, les principaux partis qui le composent sont en repli à commencer par la CDU/CSU - qui forme le plus important contingent avec 34 élus et préside le groupe. Elle a obtenu 33% lors des élections législatives allemandes de septembre 2017 mais ne serait plus créditée que de 25% des intentions de vote. La Plateforme civique (PO) polonaise avait obtenu en 2014 31,34% et 19 élus (Jacek Saryusz Wolski a été depuis exclu du groupe) mais elle a perdu le pouvoir après les élections législatives de 2015. Elle reste créditée toutefois de 27%. Les Républicains français ne se sont pas qualifiés pour le 2e tour de l'élection présidentielle de 2017 pour la première fois de leur histoire et ne seraient  crédités que de 14% pour le scrutin européen (20,7% en 2014). Le Partido Popular (PP) espagnol a été évincé du pouvoir en juin dernier. Crédité de 22%, il talonne le PSOE  (24%), mais il est lui-même désormais défié par Ciudadanos (21%). Il avait obtenu 26% en 2014. Forza Italia ne dépasserait pas 10% contre 16,77% en 2014.

Si ces tendances venaient à se confirmer, toutes les grandes délégations du PPE verraient leurs effectifs baisser par rapport à 2014. Par voie de conséquence, la force numérique du PPE pourrait être amoindrie d'environ 40 sièges et se limiter à 180 élus.

C'est sans doute l'une des raisons qui poussent certains membres du PPE à vouloir ouvrir le parti à d'autres forces de droite (non démocrates-chrétiennes). Certains ont évoqué le PiS polonais. Mais la violence avec laquelle ce parti traite les membres de la PO qui sont au PPE, interdit de penser que les deux partis puissent siéger dans le même groupe. L'arrivée de l'un entraînerait sûrement le départ de l'autre. De plus, il n'est pas certain que le PiS souhaite intégrer le groupe PPE alors qu'il pourrait prétendre à présider seul aux destinées du groupe ECR. Enfin, le PPE qui défend depuis longtemps des valeurs auxquelles le PiS ne correspond pas vraiment et qui est déjà interpellé par le cas Orban, pourrait ne pas souhaiter ajouter un problème politique à un autre...

D'autres, notamment en Italie, ont imaginé que la Lega, qui a déjà gouverné avec Silvio Berlusconi lorsque celui-ci était président du Conseil, pourrait intégrer le PPE. Mais son leader, Matteo Salvini, s'affiche avec le Premier ministre hongrois Viktor Orban, certes membre du PPE, mais aussi avec Marine Le Pen pour dénoncer la politique européenne - dirigée en grande partie par le PPE - avec laquelle il envisage une campagne électorale commune.  La droite italienne se sent bien orpheline et les sondages, où la Lega caracole désormais en tête, lui donnent le vertige.

Ces supputations traduisent le désarroi d'une partie de la droite qui cherche à compenser la baisse annoncée des effectifs de son groupe parlementaire. C'est le même motif qui a convaincu le PPE de garder en son sein l'Union civique hongroise (FIDESZ). Ayant remporté les élections pour la 3e fois consécutive en avril dernier avec 48, 53%, sa délégation pourrait être l'une des rares à voir son effectif augmenter (11 élus actuellement). Le Parlement européen s'est prononcé le 12 septembre dernier en faveur du lancement de la procédure de l'article 7 sur la violation des valeurs européennes par la Hongrie avec 448 voix (dont 146 PPE), contre 197 et 48 abstentions (dont 58 PPE). Les élus du groupe  PPE ont donc voté majoritairement en faveur du déclenchement de cette procédure. Pour autant, il semblerait que malgré les turpitudes de son turbulent adhérent hongrois, le PPE n'envisage pas son exclusion au motif que la seule véritable opposition en Hongrie est le Jobbik, un authentique parti de droite extrême. Cette attitude pourrait brouiller la lisibilité de la ligne politique du PPE et troubler des électeurs pour lesquels la question du respect de l'Etat de droit, des libertés et des valeurs, est primordiale.

 

Les projections les plus récentes prévoyant 180 sièges pour le PPE et 137 sièges pour le S&D, ces deux principaux partis n'obtiendraient plus à eux deux (317) la majorité absolue (353) au Parlement européen.

 

La nouvelle donne

 

Cette situation inhabituelle va donc conduire à une négociation politique plus ouverte pour trouver un compromis avec d'autres partenaires. Qui peut tenir ce rôle ?

 

Les Verts ont vu leurs résultats s'améliorer très récemment dans les élections locales en Belgique, dans les élections des Länder allemands de Bavière et de Hesse et lors des élections législatives au Luxembourg (seul parti de la coalition gouvernementale  sortante à gagner des sièges (+ 3). Ils peuvent raisonnablement prétendre compter davantage au sein du Parlement européen. Ils disposent de 52 sièges actuellement. Cependant les projections actuelles leur donnent une perte de 12 sièges (dont les 6 Britanniques).  Ils n'apporteraient donc que le minimum de voix exigé pour former une majorité de 355, soit deux voix de plus que nécessaire, ce qui est très aléatoire.  

 

Plus plausible est le scénario d'une coalition avec les Libéraux. D'abord parce que ces derniers ont déjà participé à la majorité entre 1999 et 2004 et aussi parce que, suite au départ des Britanniques (qui les affectera peu, ils n'ont qu'un seul élu), ils peuvent prétendre à devenir le troisième groupe en sièges après 2019, le groupe ECR tombant probablement sous les 50 sièges du fait même de la perte de 19 élus britanniques.

Le groupe libéral détient 68 sièges dans l'actuel Parlement. Il pourrait approcher de la centaine s'il réussit à fédérer plus largement qu'aujourd'hui. Le groupe Alliance des libéraux et démocrates (ALDE) se compose en effet de deux partis : le parti de l'Alliance des Libéraux et des Démocrates pour l'Europe (ALDE) et le parti démocrate européen (PDE). 7 Premiers ministres sont issus de ses rangs (Pays-Bas, Belgique, Finlande, Danemark, République tchèque, Estonie, Luxembourg). Il comprend 8 élus espagnols dont Ciudadanos, 7 élus français dont le Modem et l'UDI, 4 élus allemands du FDP et des Freie Wähler.  Si Ciudadanos parvient à réaliser le score que les sondages lui prédisent (21%), il pourrait constituer la première délégation du groupe, à moins que le groupe attire le Parti Démocrate italien. En Marche pourrait aussi décider de le rejoindre. C'est une question qui intrigue dans les milieux européens. Où se situe-t-il sur la scène européenne ? Où s'inscriront les députés élus sous l'étiquette En Marche en mai prochain ? Les sondages les plus récents indiquent que son parti pourrait arriver en tête des partis français avec 20 ou 21% mais l'issue du scrutin dépendra beaucoup de la situation intérieure française et de la popularité d'Emmanuel Macron.

Beaucoup s'interrogent sur la stratégie d'Emmanuel Macron qui a fait ouvertement campagne pour l'Europe et qui a été désigné comme " l'ennemi n°1 " à la fois (" en même temps ") par Viktor Orban et par Matteo Salvini. Qu'il parvienne à l'emporter le 26 mai en France et il pourrait apparaître comme le grand gagnant du scrutin, pesant sur la majorité et participant ainsi à la répartition des grandes responsabilités au sein des institutions communes.

 

Vers la fin des " chefs de file[3] " ?

 

En 2014, pour tenter de parer à la désaffection des électeurs de scrutins européens en scrutins européens, les milieux bruxellois ont élaboré le concept de 'Spitzenkandidat', que personne n'a tenté de traduire dans l'une des 24 langues de l'Union pour qu'il soit bien compris des électeurs à qui il est censé s'adresser. Première erreur. L'Europe n'est pas que germanophone !

Ce concept prévoit que les partis politiques européens présenteront à l'issue d'un processus de sélection interne, un candidat qui portera les couleurs du parti. En cas de victoire il devra être désigné comme président de la Commission européenne. Ceci devrait inciter les électeurs à voter car ils désigneraient ainsi - certes indirectement - le futur président de la Commission européenne. Cela n'a pas été réellement probant puisque le taux de participation en 2014 a été le plus faible des élections européennes jamais organisées. Les partis avaient alors désigné des personnalités connues : Jean-Claude Juncker pour le PPE, Martin Schulz pour le S&D, Alexis Tsipras pour le groupe GUE/NGL, Guy Verhofstadt pour le groupe ALDE et le tandem José Bové - Ska Keller pour le groupe Verts./ALE.  Deuxième erreur : l'Europe n'est pas que masculine !

 

Ces candidats ont fait campagne principalement dans leur pays d'origine. Il y a bien eu quelques débats mais trop rares et ils ne se sont pas imposés naturellement dans le débat public faute de médiatisation. Dans quelle langue l'auraient-ils fait d'ailleurs? Auraient-ils pu être compris avec les moyens de traduction existants ? Troisième erreur : il n'existe pas encore de vraies campagnes européennes car il n'y a pas d'espace public européen.

 

Le processus a conclu à la désignation de Jean-Claude Juncker à la tête de la Commission européenne. Toutefois, en vertu du partage de pouvoirs entre les deux principaux partis, le challenger S&D Martin Schulz a été porté à la présidence du Parlement européen dont il était déjà le titulaire (ce renouvellement ne s'était jamais produit depuis 1979). Cela n'a pas aidé à rendre ce processus lisible par le plus grand nombre puisque les deux adversaires se retrouvaient tous deux dotés de l'un des portefeuilles en jeu. Beaucoup supputent qu'il pourrait en être différemment cette fois-ci...

 

Avec la fin programmée du duopole PPE/S&D, le processus devrait, en effet, avoir encore plus du mal à s'imposer en 2019. Il faudra que le candidat désigné lors des congrès des partis politiques européens soit accepté par les autres partis qui composeront la future majorité.  De surcroît, E. Macron et A. Merkel ont déjà émis des doutes sur la légitimité de cette procédure. En effet, selon les termes des traités, c'est le Conseil européen des chefs d'Etat et de gouvernement qui désigne les responsables des institutions communes, même si ceux-ci doivent être approuvés par le Parlement européen.

En outre, le principe parlementaire selon lequel le chef du parti arrivé en tête devient obligatoirement Premier ministre, par exemple comme au Royaume-Uni, s'applique-t-il bien aux institutions européennes alors que certains partis arrivés en tête lors d'élections nationales récentes n'ont pas été conduits à diriger automatiquement le gouvernement de leur pays (cf Luxembourg en 2013 et Portugal en 2015) ?

Enfin, rapprocher l'Europe des citoyens est un impératif difficilement compatible avec la désignation par des partis politiques, et donc par un petit nombre de militants, de ses responsables au plus haut niveau.

 

A trois, nul ne doute que les tractations d'après-scrutin iront bon train. Jusqu'alors, la traditionnelle répartition des fonctions était réalisée selon les étiquettes politiques et des équilibres géographiques. Le PPE a obtenu en 2014 la présidence  de la Commission européenne (Luxembourg) et celle du Conseil européen (Pologne), le S&D a obtenu la première partie de la présidence du Parlement européen (Allemagne), le poste de premier vice-président de la Commission (Pays-Bas) et celui de Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité (Italie).  Ce dernier poste a enfin été attribué à une femme.

 

Désormais il faudra sans doute ajouter d'autres critères et, par exemple, faire davantage de place aux femmes. Pourquoi pas à la tête de la Commission européenne même si les candidats sont presque tous masculins ? Il n'est pas certain que les conciliabules post-scrutin entre les différentes parties prenantes aboutissent à la désignation d'un des candidats officiellement déclarés et celles-ci seraient bien inspirées de mieux prendre en compte un impératif de parité qui est désormais indissociable d'une vraie représentativité, c'est-à-dire de la légitimité.

 

De même, la présidence du Parlement européen ne pourra plus être scindée en deux et il  pourrait être problématique de la diviser en trois ! Ce serait une nouveauté bienvenue pour la stabilité de l'institution, de l'attribuer pour la totalité de la législature de 5 ans à une personnalité désignée en fonction de son autorité morale ou de son expérience. Là encore, ce serait un symbole de designer une femme. Rappelons que seules deux femmes ont occupé le poste en 40 ans. Simone Veil de 1979 à 1982 et Nicole Fontaine de 1999 à 2002. Combien de temps faudra-t-il attendre encore pour que ce soit de nouveau le cas?

 

Enfin, hasard du calendrier, viendra à échéance en 2019 le mandat de 8 ans du président de la Banque Centrale  européenne. Ce sera donc 6 postes de responsabilité européens importants qui devront être pourvus. Et l'on peut être certain que les chefs d'Etat et de gouvernement auront - comme souvent - le dernier mot.

 

C'est vraisemblablement l'un des espoirs du président français, qui parie sur la nouvelle donne engendrée du fait de cette situation atypique et inaccoutumée. Face à la poussée des extrêmes, des populistes et des nationalistes, il souhaite fédérer les partis de centre-droit et ceux du centre-gauche, aux convictions européennes affirmées.

Son arrivée au pouvoir en France a désarçonné les forces politiques traditionnelles et certains redoutent  qu'il fasse de même dans le jeu européen. Beaucoup d'observateurs reconnaissent que l'Union ne peut plus continuer à fonctionner comme par le passé. Il pourrait souhaiter, dès lors, être l'un de ceux qui contribuent à résoudre cette complexe équation du consensus européen en favorisant la constitution d'une majorité politique et institutionnelle stable pour les 5 prochaines années.   

 

Quant aux électeurs, il est souhaitable qu'ils soient conscients de l'enjeu d'un scrutin, cette fois-ci, différent et que face aux défis externes et internes lancés à l'Union européenne, ils soient nombreux à se rendre aux urnes.


[1] Pour la France, il convient d'ajouter un autre changement en 2019. Les députés européens ne seront plus élus dans le cadre de grandes circonscriptions interrégionales (8) comme cela était le cas depuis  2004... mais dans le cadre national comme cela se déroulait auparavant.
[2] Durant la législature 1999-2004, la coalition s'est faite entre le PPE et les Libéraux (ELDR à l'époque). Nicole Fontaine (FR, PPE) a été présidente de juillet 1999 à janvier 2002 puis Pat Cox (IE, ELDR) jusqu'en juin 2004.
[3] Spitzenkandidaten

Directeur de la publication : Pascale Joannin

Elections européennes de 2019 : quelle recomposition?

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